Combat singulier entre Ménélas et Paris
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Provensen (1955)
 
Bareste (1843) Leconte de Lisle (1867)

    Tandis qu'ils prient ainsi, le grand Hector agite le casque en détournant les yeux, et le sort désigne aussitôt Pâris. Tous les soldats se tiennent immobiles dans les rangs : près d'eux reposent leurs chevaux rapides et leurs armes aux diverses couleurs. Alors le noble Pâris, l'amant d'Hélène à la belle chevelure, se revêt d'une armure brillante. Il entoure ses jambes de riches cnémides que fixent des agrafes d'argent ; il place sur sa poitrine la cuirasse de son frère Lycaon, qui s'adapte à sa taille, jette sur ses épaules son glaive d'airain orné de clous d'argent, et s'arme d'un vaste et solide bouclier ; puis il couvre sa tête robuste d'un casque soigneusement travaillé, ombragé de la crinière d'un coursier et surmonté d'une aigrette aux menaçantes ondulations ; enfin, il saisit une forte lance que ses mains soulèvent sans effort. — De son côté le vaillant Ménélas se revêt aussi de ses armes.

    Lorsque Paris et Ménélas se sont armés, ils s'avancent au milieu des deux peuples en se jetant des regards terribles. En les apercevant, les Troyens dompteurs de coursiers et les Achéens aux belles cnémides sont saisis d'effroi. Les combattants s'arrêtent l'un près de l'autre dans l'enceinte mesurée, en agitant leurs lances ; et ils sont tous deux animés d'une égale colère. Pâris, le premier, lance son long javelot contre le bouclier circulaire d'Atride sans en rompre l'airain : la pointe seule de la lance se recourbe sur le solide bouclier. Ménélas, le second, lance son javelot en adressant cette prière au père des dieux:

    « Jupiter souverain, accorde-moi de punir mon injuste agresseur, l'infâme Pâris ! Qu'il succombe sous mes mains ; et qu'à l'avenir tout homme tremble d'injurier l'hôte qui le recevra avec bienveillance! »

    En disant ces mots, il brandit sa longue javeline, la lance avec force et frappe le bouclier arrondi du fils de Priam. Le trait rapide perce le bouclier brillant, pénètre dans la magnifique cuirasse de ce héros et déchire sa tunique près du flanc. Pâris s'incline et se dérobe au sombre trépas. Atride tire alors son épée ornée de clous d'argent, la lève et frappe le cimier du casque de son adversaire ; mais le fer se brise en trois et quatre éclats, s'échappe de sa main et tombe à ses pieds. Le fils d'Atrée pousse alors un cri de douleur et élève ses regards, vers l'immensité des cieux :

    « Jupiter, tu es bien de tous les dieux le plus impitoyable ! J'espérais venger bientôt sur Pâris sa lâche perfidie, et mon épée se brise dans mes mains, et ma lance maintenant inutile ne peut l'atteindre ! »

    Aussitôt il s'élance, saisit le casque à l'épaisse crinière du fils de Priam, et, après s'être retourné, il entraîne son adversaire parmi les Achéens aux belles cnémides : la courroie, richement brodée, qui s'étend sous le menton pour fixer le casque, serre la gorge délicate de Paris. Sans doute Ménélas, en l'entraînant, allait obtenir une gloire immense si la fille de Jupiter, Vénus, ne s'en fût aperçue à l'instant et n'eût rompu la courroie, dépouille d'un taureau tué violemment : le casque vide suit la main robuste du héros. Celui-ci, en le faisant tourner, le jette au milieu des Achéens, et ses fidèles compagnons le ramassent avec empressement. Ménélas, armé de son javelot d'airain, se précipite de nouveau pour égorger son ennemi. Mais Vénus, par sa divine puissance, enlève facilement Paris, l'enveloppe d'un nuage épais et le transporte dans la chambre nuptiale d'où s'exhalent des parfums suaves et odorants.    

 

 Ils parlèrent ainsi,  et le grand Hektôr au casque mouvant agita les sorts en détournant les yeux, et celui de Paris sortit le premier. Et tous s'assirent en rangs, chacun auprès de ses chevaux agiles et de ses armes éclatantes. Et le divin Alexandros, l'époux de Hélénè aux beaux cheveux, couvrit ses épaules de ses belles armes. Et il mit autour de ses jambes ses belles knémides aux agrafes d'argent, et, sur sa poitrine, la cuirasse de son frère Lykaôn, faite à sa taille ; et il suspendit à ses épaules l'épée d'airain aux clous d'argent. Puis il prit le bouclier vaste et lourd, et il mit sur sa tête guerrière un riche casque orné de crins, et ce panache s'agitait fièrement ; et il saisit une forte pique faite peut ses mains. Et le brave Ménélaos se couvrit aussi de ses armes.

  Tous deux, s'étant armés, avancèrent au milieu des Troiens et des Akhaiens, se jetant de sombres regards ; et les Troiens dompteurs de chevaux et les Akhaiens aux belles knémides les regardaient avec terreur. Ils s'arrêtèrent en face l'un de l autre, agitant les piques et pleins de fureur.

  Et Alexandros lança le premier sa longue pique et frappa le bouclier poli de l'Atréide, mais il ne perça point l'airain, et la pointe se ploya sur le dur bouclier. Et Ménélaos, levant sa pique, supplia le Père Zeus :

      -Père Zeus ! fais que je punisse le divin Alexandros, qui le premier m'a outragé, et fais qu'il tombe sous mes mains, afin que, parmi les hommes futurs, chacun tremble d'outrager l'hôte qui l'aura reçu avec bienveillance.

  Ayant parlé ainsi, il brandît sa longue pique, et, la lançant, il en frappa le bouclier poli du Priamide. Et la forte pique, à travers le bouclier éclatant, perça la riche cuirasse et déchira la tunique auprès du flanc. Et Alexandros, se courbant,  évita la noire Kère.  Et l'Atréide, ayant tiré l’épée aux clous d'argent, en frappa le cône du casque ; mais l’épée, rompue en trois ou quatre morceaux, tomba de sa main, et l'Atréide gémît en regardant le vaste Ouranos :

      -Père Zeus ! nul d'entre les Dieux n'est plus inexorable que toi ! Certes, j'espérais me venger de l'outrage d'Alexandros ; et l'épée s'est rompue dans ma main, et la pique a été vainement lancée, et je ne l'ai point frappé !

  Il parla ainsi, et, d'un bond, il le saisit par les crins du casque, et il le traîna vers les Akhaiens aux belles knémides. Et le cuir habilement orné, qui liait le casque sous le menton, étouffait le cou délicat d'Alexandros ; et l’Atréide l'eût traîné et eût remporté une grande gloire, si la fille de Zeus, Aphrodité, ayant vu cela, n'eût rompu le cuir de bœuf ; et le casque vide suivit la main musculeuse de Ménélaos. Et celui-ci le fit tournoyer et le jeta au milieu des Akhaiens aux belles knémides, et ses chers compagnons l'emportèrent. Puis, il  se rua de nouveau,  désirant tuer le Priamide de sa pique d'airain ; mais Aphrodité, étant Déesse, enleva très facilement Alexandros en l'enveloppant d'une nuée épaisse, et elle le déposa dans sa chambre nuptiale, sur son lit parfumé.

 

 
Lagrandville (1871) Meunier (1943)

 

 

 

 

 

 

Hector remue le casque, et, détournant la tête, il en tire le sort de Paris. Chacun se met à son rang et s'assied près de son cheval et de ses armes. Paris, l'époux d'Hélène aux beaux cheveux, se revêt de son armure. D'abord il passe ses belles cnémides, qu'il fixe à ses jambes avec des agrafes d'argent, puis la cuirasse de Lycaon son frère, qui s'adapte bien à sa poitrine. Il jette ensuite sur ses épaules son épée d'airain, garnie de clous d'argent ; il prend son bouclier, grand et solide, et pose sur sa tête un casque bien travaillé, dont la crinière était une queue de cheval, et au-dessus duquel se dressait une aigrette qui inspirait la terreur. Ménélas s'était armé de son côté.

  Ainsi armés, ils s'avancent en se lançant des regards terribles; un certain trouble saisit alors les Troyens et les Grecs. Arrivés dans l'enceinte, les deux adversaires se rapprochent, brandissent leur lance et ne respirent que la haine. Paris le premier envoie sa longue lance contre le bouclier du fils d'Atrée ; elle ne pénètre pas à travers l'airain du bouclier, mais la pointe plie. Alors Ménélas s'élance : « Jupiter roi, fais que je punisse Paris, l'auteur de mes maux, que je le terrasse de mes mains, afin que chacun frissonne, même celui qui doit naître, à l'idée de nuire à l'hôte qui lui offre son amitié. » Ménélas brandit sa lance et l'envoie contre le fils de Priam; elle perce le bouclier, traverse la cuirasse et déchire la tunique le long du flanc ; Paris se baisse et évite ainsi la parque noire ; le fils d'Atrée tire son épée à clous d'argent, et, l'élevant en l’air, il en frappe le cimier du casque ; l’épée se brise en morceaux ; il gémit, et, regardant le ciel : « Jupiter le père, dit-il, non, il n'est pas de dieu si funeste que toi; je me disais que j'allais punir Paris de sa perfidie, et voilà mon épée qui s'est brisée dans mes mains ; j'ai envoyé ma lance contre lui, et je ne l'ai pas frappé. »

  Ménélas s'élance et saisit Paris par son casque à l'épaisse crinière de cheval ; il se retourne et le traîne vers les Achéens aux belles cnémides. La courroie aux nombreuses broderies qui servait de mentonnière à ce casque à trois pointes étranglait le cou délicat du fils de Priam. Ménélas l'aurait entraîné, et se serait couvert d'une gloire indicible, si Vénus, voyant le danger, n'eût rompu cette courroie. Le casque suivit la main robuste du fils d'Atrée, qui, après l'avoir fait tourner, le jette au milieu des Achéens ; ses amis l'emportent ; Ménélas s'élance de nouveau pour percer Paris de sa lance ; Vénus, qui a le pouvoir d'une déesse, enlève facilement Paris, l'entoure d'un nuage et le dépose dans sa chambre nuptiale aux suaves odeurs et aux parfums brûlants. Elle appelle Hélène, elle la rencontre entourée de femmes Troyennes sur le haut de la tour ; elle la tire par sa robe parfumée comme le nectar, et, prenant la forme d'une vieille qui était aimée d'Hélène et travaillait pour elle à Lacédémone les laines les plus belles, elle lui dit : « Viens, Paris t'appelle, il est dans son palais, dans la chambre nuptiale, sur un lit à la belle sculpture ; splendide de beauté, et richement paré, on ne dirait guère qu'il vient d'un combat, mais qu'il va à la fête, ou qu'il s'asseoit après la danse. »

 
 

    Il dit ; et, brandissant sa pique à l'ombre longue, il la projeta ; l'arme atteignit le bouclier arrondi du fils de Priam. Elle pénétra dans le brillant bouclier la forte pique, et s'enfonça dans la cuirasse habilement ouvrée. Tout droit, la pique s'en alla, près du flanc, déchirer la tunique. Mais Alexandre se pencha et évita le Génie ténébreux. L'Atride alors, tirant son épée ornée de clous d'argent, la leva et frappa Paris sur le cimier du casque. Autour de lui, l'épée se brisa en trois ou quatre éclats, et tomba de sa main. Et l'Atride gémit, les yeux levés vers le vaste ciel :

    — Zeus Père, aucun autre des dieux n'est plus méchant que toi. Je m'étais dit que j'allais punir Alexandre de sa scélératesse, et voici qu'en ma main s'est brisée mon épée, et que ma pique s'est élancée de mes paumes sans aucun résultat ; je ne l'ai pas atteint ! »

    Il dit, et il saisit d'un bond Paris par son casque à épaisse crinière, se retourna, et tira le Troyen vers les Achéens aux belles cnémides. La jugulaire richement brodée, courroie du casque tendue sous le menton, l'étranglait sous son cou délicat. Et Ménélas aurait certainement entraîné Paris et se serait acquis une gloire indicible, si Aphrodite fille de Zeus ne s'en était promptement avisée. Elle rompit la courroie provenant d'un bœuf vaillamment abattu, et le casque vide suivit la forte main. Le héros alors fit tournoyer ce casque et le jeta parmi les Achéens aux belles cnémides ; ses loyaux compagnons dès lors le ramassèrent. Puis, contre Paris, il courut de nouveau, ardent à le tuer avec sa lance de bronze. Mais Aphrodite n'eut aucune peine, car elle était déesse, à enlever Paris. Elle le cacha sous un épais brouillard, et le déposa dans sa chambre odorante, où brûlaient des parfums. La déesse elle-même alla chercher Hélène. Elle la

trouva sur la haute tour. La foule des Troyennes se pressait autour a elle. De sa main alors, elle saisit et tira la robe somptueuse et parfumée d Hélène. Et, s'étant rendue semblable à une vieille femme, lainière de grand âge, qui travaillait les fines laines pour elle, lorsqu'elle habitait à Lacédémone, et qui l'aimait entre toutes, elle adressa la parole à Hélène. Ainsi donc, sous ces traits, la divine Aphrodite lui dit :

    — Viens, Alexandre t'appelle et te demande de revenir chez toi. Il t'attend dans sa chambre, sur le lit fait au tour, où sa beauté reluit autant que sa parure. Tu ne dirais pas qu'il vient de combattre un guerrier, mais qu'il s'en va danser, ou bien qu'il se repose, après avoir dansé. »

    Ainsi parla-t-elle, et le cœur d'Hélène s'émut en sa poitrine. Mais, dès que celle-ci eut reconnu la déesse à son cou magnifique, aux attraits de sa gorge et à ses yeux fascinants, elle fut saisie d'effroi, et dit en la nommant :

    — Démon ! pourquoi t'efforces-tu de me séduire ainsi ? Veux-tu donc encore m'emmener plus loin, dans quelque autre ville bien habitée, soit de la Phrygie, soit de l'aimable Méonie, s'il se trouve aussi là, parmi les hommes doués de la parole, quel­qu'un qui te soit cher ? Est-ce parce qu'il vient de vaincre aujourd'hui le divin Alexandre, que Ménélas veut me faire à mon horreur regagner son foyer, est-ce pour cela que te voici encore, l'artifice dans l'âme, aujourd'hui près de moi ? Va donc t'asseoir auprès de lui, retire-toi du chemin des dieux et que tes pieds ne te fassent plus remonter sur l'Olympe ! Mais, restant désormais sans cesse auprès de lui, plains-le, garde-le, jusqu'à ce qu'il ait fait de toi sa femme ou son esclave. Non, car ce serait indigne, je n irai pas là-bas lui préparer son lit. Toutes les Troyennes d'ailleurs me railleraient, et j'ai au cœur des douleurs infinies. »

 
 

Berthold-Mahn (1943)
 

Chirico (1968)