Hector tance Pâris
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Bareste (1843)

Leconte de Lisle (1866)

   Mais, dès que Pâris l'aperçoit dans les premiers rangs, il est frappé d'épouvanté au fond du cœur, et il se réfugie parmi ses compagnons pour éviter la mort. Tel, un voyageur apercevant un serpent dans les halliers d'une montagne, recule, saisi de crainte : un tremblement s'empare de ses membres, et il fuit, la pâleur au front. Ainsi se perd dans la foule des fiers Troyens le beau Paris, redoutant le fils d'Atrée.

    Hector, à cette vue, l'accable par ces humiliantes paroles :

    « Malheureux Pâris ! sois donc fier de ta beauté, maintenant, guerrier efféminé, lâche séducteur ! Plût au ciel que tu ne fusses jamais né, ou que tu fusses mort sans hymen ! Certes, je l'aurais préféré : cela valait mieux que d'être aux yeux de tous un objet de honte et de mépris. Ils rient aux éclats les Achéens à la longue chevelure, eux qui te croyaient un vaillant champion, parce que tu possèdes un beau visage ; mais tu n'as dans le cœur ni courage ni force ! Pourquoi, puisque tu es ainsi, avoir réuni des compagnons fidèles pour traverser les mers sur des vaisseaux rapides ; et te mêlant aux nations étrangères, pourquoi avoir enlevé d'une terre lointaine cette femme d'une si grande beauté, l'épouse d'un valeureux héros ? Est-ce pour faire le malheur de ton père, de ta cité, de tout un peuple, ou la joie de nos ennemis et ton propre déshonneur ? Que n'attendais-tu le brave Ménélas ? Tu saurais maintenant quel est le guerrier dont tu retiens la jeune épouse. Ta lyre, et ces dons de Vénus, et ta chevelure, et ta beauté ne t'eussent point servi lorsque tu aurais été traîné dans la poussière ! Mais les Troyens sont trop timides ; sans cela tu devrais être déjà revêtu par eux d'un manteau de pierre, en punition des maux que tu leur as fait souffrir !

 

 Et dès que le divin Alexandros l'eut aperçu en tête de l'armée, son cœur se serra, et il recula parmi les siens pour éviter la Kèr de la mort. Si quelqu'un, dans les gorges des montagnes, voit un serpent, il saute en arrière, et ses genoux tremblent, et ses joues pâlissent.

  De même le divin Alexandros, craignant le fils d'Atreus, rentra dans la foule des hardis Troiens.

Et Hektôr, l'ayant vu, l'accabla de paroles amères ;

      -Misérable Paris, qui n'as que ta beauté, trompeur et efféminé, plût aux Dieux que tu ne fusses point né, ou que tu fusses mort avant tes dernières noces ! Certes, cola eût mieux valu de beaucoup, plutôt que d'être l'opprobre et la risée de tous ! Voici que les Akhaiens chevelus rient de mépris, car ils croyaient que tu combattais hardiment hors des rangs, parce que ton visage est beau ; mais il n'y a dans ton cœur ni force ni courage. Pourquoi, étant un lâche, as-tu traversé la mer sur tes nefs rapides, avec tes meilleurs compagnons, et, mêlé à des étrangers, as-tu enlevé une très belle jeune femme d'un pays lointain,  parente d'hommes belliqueux ? Immense malheur pour ton père, pour ta ville et pour tout le peuple ; joie pour nos ennemis et honte pour toi-même. Et tu n'as point osé attendre Ménélaos, cher à Arès. Tu saurais maintenant de quel guerrier tu retiens la femme. Ni ta kithare, ni les dons d'Aphroditè, ta chevelure et ta beauté, ne t'auraient sauvé d'être traîné dans la poussière. Mais les Troiens ont trop de respect, car, autrement, tu serais déjà revêtu d'une tunique de pierre, pour prix des maux que tu as causés.

 

 
Lagrandville  (1871) Meunier (1943)

  Mais Paris avait vu Ménélas à la tête de ses guerriers du premier rang ; il fut frappé au cœur, et, cherchant à éviter la Parque, il se retire en arrière. Tel celui qui, à la vue d'un dragon, s'éloigne et s'élance dans les halliers d'une montagne : ses membres tremblent et ses joues pâlissent ; tel Paris fait volte-face et s'enfonce à travers la foule des fiers Troyens, redoutant le fils d'Atrée.

  Hector, l'ayant vu, l'insulte par ces mots honteux : « Malheureux Paris, distingué pour ta beauté, insensé par ton amour des femmes, trompeur, tu aurais bien dû n'avoir jamais été enfanté, et avoir péri sans épouse ! Et je le voudrais bien, c'eût été beaucoup plus profitable que d'être ainsi un affront et un spectacle honteux pour les autres. Certes les Achéens chevelus rient aux éclats, s'ils t'ont pris pour un champion vaillant à cause de ta beauté ; et tu n'as ni vigueur ni force dans ton âme. As-tu bien eu l'audace de franchir les mers avec des compagnons, et, reçu comme hôte chez des étrangers, d'enlever d'une terre lointaine une femme à la belle forme, jeune épouse d'homme belliqueux ; grand dommage pour ton père, pour la ville et pour tout un peuple ; joie pour les ennemis, et honte pour toi-même ? Que n'attendais-tu Ménélas cher à Mars ? tu aurais su de quel mortel tu as l'épouse florissante. Ta lyre, les dons de Vénus, ta chevelure, ta beauté, ne t'auraient pas servi lorsque tu aurais été mêlé à la poussière. Mais les Troyens sont fort timides, autrement ils t'auraient endossé une tunique de pierres, à cause de tous les maux que tu as causés. »

 

 

Mais aussitôt qu'Alexandre beau comme un dieu le vit apparaître en avant des guerriers, il fut frappé d'épouvanté en son cœur, fit demi-tour et se retira dans le groupe des siens, pour éviter le Génie de la mort. De même qu'un homme, ayant aperçu un serpent dans les replis de la montagne, revient d'un bond sur ses pas et s'écarte ; un tremblement se saisit de ses membres, il retourne en arrière et la pâleur s'empare de ses joues ; de même, se replongea dans la foule des Troyens exaltés, par crainte de l'Atride, Alexandre beau comme un dieu. Hector en le voyant l'interpella par ces mots outrageants :

    — Maudit Paris, bellâtre, coureur, suborneur, que n'es-tu né sans semence et mort sans mariage ! Oui, je le souhaiterais et cela te vaudrait beaucoup mieux que d'être ainsi l'opprobre et le mépris des autres. En vérité, ils ricanent les Achéens aux têtes chevelues, eux qui te disaient un preux incomparable, parce que tu jouissais d'une belle prestance. Mais ni vigueur ni vaillance ne résident en ton cœur. Est-ce donc avec ces qualités, que tu as, sur des vaisseaux au rapide trajet, traversé la mer, après avoir groupé des compagnons choisis, et que, liant commerce avec des étrangers, tu as ramené d'une terre lointaine une femme charmante, entrée par le mariage chez de vaillants piquiers, grand malheur pour ton père, ta ville et tout le peuple, sujet de joie pour ceux qui nous haïssent et de honte pour toi ? Ne pouvais-tu pas attendre Ménélas aimé d'Arès ? Tu aurais su alors de quel homme tu détiens la florissante épouse. Rien ne te servira, ni ta cithare, ni les dons d'Aphrodite, ni ta chevelure, ni ta belle prestance, lorsque tu seras roulé dans la poussière. Mais les Troyens sont trop timides ; sans cela, tu serais déjà vêtu d'une tunique de pierre, pour tous les maux que tu as soulevés. »

 

La tunique de pierre de Pâris   Le Corbusier (1953)
 
Dubois de Rochefort (1776) Bignan (1830)

Il court à son rival. Pâris tremble à sa vue ;

Par la honte & l'effroi son âme est confondue ;

Et, sous les boucliers de ses nombreux soldats,

Aux dépens de sa gloire, il échappe au trépas.

Semblable au voyageur, qui, d'un pied téméraire,

Foulant dans les vallons une épaisse bruyère,

Voit un serpent hideux se dresser en sifflant,

Il s'arrête, pâlit, & fuit d'un pas tremblant.

 

» Malheureux ! dit  Hector que le dépit enflamme

» Lâche & vil séducteur, esclave d'une femme,

» Plût aux Dieux que ton œil n'eût jamais vu le jour,

» Ou qu'une prompte mort eût puni ton amour ;

» Tu serois plus heureux , & ta coupable vie

» Aux yeux de tous les Grecs n'eût pas été flétrie.

» Vois ces Grecs, qui jadis, trompés par ta fierté,

» Crurent que ta valeur égaloit ta beauté,

» Vois leur rire insultant qu'excité ta foiblesse ?

» Est-ce ainsi qu'à leurs yeux tu parus dans la Grèce,

» Lorsque, pour assouvir ton amoureux transport,

» Ta Flotte triomphante arriva dans leur port ;

» Lorsque tu ravissois une épouse chérie,

» Des bras de son époux, du sein de sa patrie ;

» Lors qu'outrageant des Rois unis pour se venger,

» Ton audace apportoit, d'un climat étranger,

» A ton père, à ton peuple, une guerre cruelle,

» Le fléau d'Ilion & ta honte éternelle ?

» Tu fuis ! tu crains d'attendre un rival irrité!

» Tu n'oses le combattre, & tu l'as insulté !

» Mais que te serviroient, tes grâces, ton sourire,

» Tes blonds cheveux flottans, ta jeunesse & ta lyre ?

» Sur la terre étendu, tu perdrois, pour toujours,

» Les bienfaits de Vénus & les dons des amours.

» O timides Troyens ! dans son sang adultère,

» Que n'avez-vous éteint le lambeau de la guerre?  

 

 

Saute loin de son char ; mais Pâris, à sa vue,

Immobile, frappé d'une, crainte imprévue,

Abjure la menace, et, pour fuir le trépas,

Dans les rangs des Troyens se replonge à grands pas.

Quand du fond des taillis dont l'épaisseur le cache,

Un serpent monstrueux en longs replis s'arrache,

Le voyageur frissonne, et, soudain arrêté,

La pâleur sur le front, s'enfuit épouvanté :

Ainsi le beau Pâris devant le fils d'Atrée

Recule, et la terreur dans son âme est entrée.

Hector le voit ; Hector, en présence de tous,

Par ce sanglant reproche exhale son courroux :

« Misérable Pâris, ô séducteur infâme,

Qui, fier de ton visage, as le cœur d'une femme !

Plût aux Dieux que jamais tu n'eusses vu le jour,

Ou qu'avant ton hymen, dans l'infernal séjour !...

Mais non : ta lâcheté, justement méprisée,

Des Grecs aux longs cheveux excite la risée.

Ces Grecs pensaient qu'au moins le ciel t'avait doté

D'une vaillance égale à ta vaine beauté,

Et tu n'as dans le sein ni force, ni courage.

Étais-tu lâche ainsi, quand un lointain rivage

Avec tes compagnons te voyait sur les flots

Enlever et la femme et la sœur des héros ?

Pourquoi ? pour affliger ta patrie et ton père,

Pour enivrer de joie une armée étrangère,

Pour combler ton opprobre... Ah ! tu n'osas donc pas

Dans la lice guerrière attendre Ménélas ? 

Tu connaîtrais, vaincu par sa fureur jalouse,

De quel homme vaillant tu possèdes l'épouse.

A quoi t'eussent servi ton luth, tes longs cheveux,

Ta beauté, de Vénus ce présent merveilleux,

Lorsqu'il t'aurait jeté sur la poudreuse arène?

Les Troyens, mais la crainte au malheur les entraîne,

Pour se venger des maux que tu leur fis souffrir,

D'un vêtement de pierre auraient dû te couvrir. »