Thétis et Zeus
Remonter

   

 

Flaxman (1798)
 

Ingres (1811)
 

Benito
Bareste (1843)   Leconte de Lisle (1867)

Dès que paraît la douzième aurore, tous les dieux éternels retournent dans l'Olympe, ayant Jupiter à leur tête. Thétis, qui n'a pas oublié les prières de son fils, sort du sein des ondes, monte au point du jour vers les cieux, et trouve le formidable fils de Saturne assis loin des autres dieux sur le sommet le plus élevé de l'Olympe. Elle se tient devant lui, presse de sa main gauche les genoux du dieu, et de sa main droite elle lui caresse le menton en lui disant d'un ton suppliant :

    « 0 Jupiter, père souverain, si jamais, entre les immortels, je te rendis un service ou par mes paroles ou par mes actions, exauce mes vœux : honore Achille qui, parmi tant de héros, a la plus courte destinée. Agamemnon lui-même, le roi des hommes, l'outrage à cette heure ; il garde en sa possession la récompense de mon fils qu'il vient de lui ravir. Mais venge-le, ô toi, Jupiter, le plus prudent dieu de l'Olympe ; accorde la victoire aux Troyens jusqu'au moment où les Grecs rendront hommage à mon fils, et le combleront d'honneurs. »

    Elle dit. Jupiter, qui commande aux nuages, ne lui répond point, il garde un profond silence. Alors, tenant toujours ses genoux embrassés, Thétis l'implore de nouveau :

    « Fais-moi donc une promesse ; accorde-moi ou refuse-moi cette grâce, puisqu'aucune crainte ne peut te retenir, afin que je sache si de toutes les déesses je suis la moins honorée. »

    Jupiter, soupirant profondément, lui répond :

   « Que d'affreux malheurs se préparent ! Tu vas me rendre odieux à Junon, qui m'irritera par des paroles offensantes. Sans cesse, devant les dieux, elle m'attaque et m'accuse de favoriser les armes des Troyens. Mais retire-toi, Thétis, et que Junon ne t'aperçoive pas. Je songerai à l'accomplissement de tes vœux ; et, pour que tu ne doutes point de mes paroles, je te ferai de la tête un signe d'assentiment : c'est le gage le plus révéré aux yeux des immortels. Il n'est pas pour moi de promesse révocable, ni trompeuse, ni vaine, lorsqu'elle a été confirmée par un signe de tête. »

   A ces mots, le fils de Saturne abaisse ses noirs sourcils ; sa divine chevelure s'agite sur sa tête immortelle, et le vaste Olympe en est ébranlé.

    Après cette résolution, ils se séparent. Thétis, des sommets du resplendissant Olympe, se plonge dans les profondeurs de la mer, et Jupiter retourne à son palais. Les dieux, à la vue de leur père, abandonnent aussitôt leurs sièges, et, sans attendre son arrivée, tous se rangent au-devant de lui.

 

 Quand Eôs reparut pour la douzième fois, les Dieux qui vivent toujours revinrent ensemble dans l'Olympos, et Zeus marchait en tête. Et Thétis n'oublia point les prières de son fils ; et, émergeant de l'écume de la mer, elle monta, matinale, à travers le vaste Ouranos, jusqu'à l'Olympos, où elle trouva Celui qui voit tout, le Kronide, assis loin des autres Dieux, sur le plus haut faite de l'Olympos aux cimes nombreuses. Elle s'assit devant lui, embrassa ses genoux de la main gauche, lui toucha le menton de la main droite, et, le suppliant, elle dit au Roi Zeus Kroniôn :

      - Père Zeus, si jamais, entre les Immortels, je t'ai servi, soit par mes paroles, soit par mes actions, exauce ma prière. Honore mon fils qui, de tous les vivants, est le plus proche de la mort. Voici que le Roi des hommes, Agamemnôn, l'a outragé, et qu'il possède sa récompense qu'il lui a enlevée. Mais toi, du moins, honore-le. Olympien, très sage Zeus, et donne le dessus aux Troiens  jusqu'à ce que les  Akhaiens aient honoré mon fils et lui aient rendu hommage.

  Elle parla ainsi, et Zeus, qui amasse les nuées, ne répondit pas et resta longtemps muet. Et Thétis, ayant saisi  ses  genoux  qu'elle  tenait  embrassés,  dit  une seconde fois :            

      -Consens et promets avec sincérité, ou refuse-moi, car tu ne peux craindre rien. Que je sache si je suis la plus méprisée les Déesses !

  Et Zeus, qui amasse les nuées, avec un profond soupir, lui dit :

      -Certes, ceci va causer de grands malheurs, quand tu m'auras mis en lutte avec Hèrè, et quand elle m'aura irrité par des paroles outrageantes.  Elle ne cesse,  en effet, parmi les Dieux immortels, de me reprocher de soutenir les Troiens dans le combat. Maintenant, retire-toi en hâte, de peur que Hèrè t'aperçoive. Je songerai à faire ce que tu demandes, et je t'en donne pour gage le signe de ma tête, afin que tu sois convaincue Et c'est le plus grand de mes signes pour les Immortels. Et je ne puis ni révoquer, ni renier, ni négliger ce que j'ai promis par un signe de ma tête.

  Et le Kroniôn, ayant parlé, fronça ses sourcils bleus. Et la chevelure ambroisienne s'agita sur la tête immortelle du Roi, et le vaste Olympos en fut ébranlé.

  Tous deux, s'étant ainsi parlé, se séparèrent. Et Thétis sauta dans la mer profonde, du haut de l'Olympos éblouissant, et Zeus rentra dans sa demeure. Et tous les Dieux se levèrent de leurs sièges à l'aspect de leur Père, et nul n'osa l'attendre, et tous s'empressèrent au-devant de lui, et il s'assit sur son thrône.