Chant IX

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DÉPUTATION A ACHILLE. - SES PRIÈRES

 

Consternation dans le camp des Grecs. — Agamemnon réunit les chefs en conseil. — Son discours par lequel il leur propose la retraite. —Réponse de Diomède. — Nestor conseille d'envoyer une députation à Achille pour l'engager à reprendre les armes. — Aga­memnon y consent; ses offres. — Phénix, Ulysse et Ajax sont délégués. — Ils abordent Achille dans sa tente. — Discours d'Ulysse. — Réponse et refus  d'Achille. — Discours de Phénix ; les   prières. — Discours d'Ajax. — Réponse d'Achille. —   Les  délégués   rendent compte de leur mission. — Regrets de Diomède

 

 

Tandis que dans leur camp les Troyens attentifs

Pour de nouveaux combats font leurs préparatifs,

Le désir de la fuite et la sombre terreur,

Des guerriers de la Grèce ont envahi le cœur :

L'âme des plus vaillants n'était pas rassurée.

Comme sous un ciel noir, quand Zéphyre et Borée,

Précédant la tempête, ont, en luttant entre eux,

Agité par leurs chocs l'océan poissonneux,

Leurs flots précipités, que leur effort soulève,

D'une algue amoncelée assombrissent la grève,

Ainsi de toutes parts, dans le camp agité,

Des chefs et des guerriers le cœur est attristé.

Le Roi des rois lui-même, ayant l'âme troublée,

De tous les guerriers Grecs convoque l'assemblée.

Il ordonne aux hérauts d'aller les prévenir,

Sans crier et sans bruit, de les faire venir.

Ceux qui sont à portée, il les presse lui-même ;

Du conseil assemblé la tristesse est extrême ;

Agamemnon ne peut comprimer ses douleurs,

Et son pâle visage est ruisselant de pleurs,

Qui coulent de ses yeux comme d'une fontaine !

Il pousse un long soupir pour exprimer sa peine :

 

« Jupiter, leur dit-il, contre nous irrité,

Nous menace aujourd'hui d'une calamité.

Le cruel ! par un signe il me fit la promesse

Que, vainqueur d'Ilion, je rentrerais en Grèce ;

Mais ce n'était qu'un leurre, et voilà qu'aujourd'hui,

Aux Grecs infortunés retirant son appui,

Il veut, en consommant leur déroute complète,

Les forcer à partir après une défaite !

Gela lui plaît sans doute, et c'est sa volonté.

Personne à son pouvoir n'a jamais résisté :

Que de villes déjà n'a-t-il pas renversées !

Combien d'autres encor par lui sont menacées !

Ainsi, soumettons-nous, cédons à notre tour ;

Il faut nous résigner et songer au retour.

Ne nous obstinons pas, regagnons la patrie. »

 

D'un silence profond sa harangue est suivie.

Ils se regardent tous, et les chefs étonnés,

Sans pouvoir dire un mot demeurent consternés.

Diomède à la fin, qui se lève et s'avance,

En regardant Atride a rompu le silence :

« Quant à moi, je m'oppose à ce que tu nous dis ;

J'en ai le droit, dit-il, si je te contredis.

Bien que ce que je vaux chacun ici le sache,

N'as-tu pas avancé que je ne suis qu'un lâche ?

Le puissant Jupiter t'a donné, je le vois,

Une grande puissance et t'a fait Roi des rois,

Mais il te refusa la prudence du sage,

La résolution, l'ardeur et le courage

Qui valent beaucoup mieux. Comment peux-tu penser

Que nous devons partir et qu'il faut nous presser ?

Mais si le cœur t'en dit, et si tu crains ta perte,

Qui t'en empêche ? pars, et sur la mer ouverte,

Une flotte t'attend ; quant à nous, par devoir,

Jusqu'à ce qu'Ilion soit en notre pouvoir,

Nous resterons ici, car pour nous rien ne presse.

Quiconque est prêt à fuir peut retourner en Grèce,

Mais Sténélus et moi nous restons, pour qu'enfin

De cette guerre sainte on puisse voir la fin. »

 

Ému par ses accents, approuvant son idée,

Le conseil applaudit le discours de Tydée.

 

Nestor alors se lève et lui dit : « Grand héros,

En prudence, en valeur tu n'as pas de rivaux ;

Personne n'oserait blâmer ni contredire

Les nobles sentiments que ton âme t'inspire;

Mais tu n'as pas tout dit, il m'appartient à moi,

Qui suis, et de beaucoup, bien plus âgé que toi,

Approuvant ton discours sage, plein de prudence.

D'y joindre les conseils de mon expérience.

J'oserai dire tout, et même Agamemnon

Ne me blâmera pas, que je lui plaise ou non.

Il faut être sans foi, sans foyer, sans sagesse,

Pour aimer la discorde et s'y plaire sans cesse.

Soyons toujours d'accord. Tandis que la nuit vient,

Prenons des aliments, c'est ce qui nous soutient.

Autour de nos fossés plaçons des sentinelles,

Et que nos jeunes chefs y veillent avec elles.

Je le leur recommande. Et toi qui nous présides,

Vaillant Agamemnon, le premier des Atrides,

Chef de toute l'armée, il te convient enfin

D'offrir aux autres chefs un somptueux festin.

Le vin, les aliments abondent dans ta tente ;

Des convives tu dois satisfaire l'attente,

Et quand ils seront tous en conseil réunis,

A chacun d'eux à part demande son avis :

Tu suivras le meilleur. La circonstance est grave !

A nos opinions ne mets aucune entrave.

Les feux des ennemis menacent nos vaisseaux,

Leur clarté nous éclaire et s'étend sur les flots.

Qui devant ces dangers n'aurait l'âme alarmée ?

La nuit va décider du sort de notre armée. »

 

A ces mots, il s'assied ; et tout ce qu'il a dit

Est approuvé par tous, et chacun applaudit.

Sept des jeunes guerriers, conduisant leurs cohortes,

Sont aussitôt partis pour la garde des portes,

Et l'on vit à leur poste, en dehors des remparts,

Ascalaphe et Jalmin, tous les deux fils de Mars,

Apharès, et le fils de Nestor, Thrasimède,

Mérion, Déipyre ainsi que Lycomède.

On leur donne à chacun cent hommes bien armés,

Et d'une noble ardeur on les voit animés.

Après s'être alignés, s'appuyant sur leur lance,

Ils allument des feux, et le repas commence.

Atride cependant, des vieux chefs entouré,

Prenait part avec eux au festin préparé :

Quand ils furent repus, et que, dans ce repas,

Ils eurent pris leur part de ses vins délicats,

Le vieux Nestor, dont tous admirent la prudence,

Propose son avis et par ces mots commence :

 

« Atride, Roi des rois, vaillant Agamemnon,

Permets qu'en commençant je prononce ton nom,

Car c'est à toi surtout que mon discours s'adresse.

Le puissant Jupiter remit à ta sagesse

Le droit de commander à des peuples divers ;

Et puisqu'on ce conseil les avis sont ouverts,

Il te convient ici d'agir avec prudence,

D'opiner   sagement , d'écouter en silence

L'avis que devant toi chacun va proposer,

Et s'il est bon, tu dois, loin de le refuser,

L'adopter pleinement, et cela t'intéresse ;

C'est ainsi que tu peux nous prouver ta sagesse.

Et moi, tout le premier, je dirai hardiment,

Dans l'intérêt de tous, quel est mon sentiment :

Il sera préférable à tous ; ce que je pense,

Je te l'ai déjà dit, et tu le sais d'avance ;

Oui, tu le sais, depuis qu'à ton ressentiment

Donnant un libre cours, tu fis l'enlèvement

De Briséis, le prix de la valeur d'Achille.

J'osai t'en détourner, mais tout fut inutile,

Et ce vaillant guerrier, par les Dieux protégé,

Indignement par toi fut alors outragé.

Je propose aujourd'hui qu'ici l'on délibère

S'il ne conviendrait pas d'apaiser sa colère. »

 

Atride, se levant, aussitôt répondit :

« J'ai commis une faute, ainsi que tu l'as dit :

Je ne puis le nier : aimé des Dieux, Achille ,

S'il était parmi nous, lui seul en vaudrait mille,

Jupiter s'indigna de le voir outrager ;

Il nous afflige tous afin de le venger.

Mais si je l'offensai, cédant à ma colère,

Aujourd'hui par mes dons je veux le satisfaire ;

Il recevra de moi sept trépieds somptueux,

Dix talents d'or, vingt plats à l'épreuve des feux,

Et douze beaux chevaux, fameux par leur vitesse,

Ils m'ont valu des prix d'une grande richesse.

Et qui posséderait les trésors précieux,

A la course obtenus par ces chevaux fougueux,

Réunissant ces prix d'une valeur immense,

Riche de ce trésor, serait dans l'opulence.

En outre, il recevra sept femmes de Lesbos,

D'une beauté parfaite, habiles aux travaux,

Pleines de qualités et très bien élevées,

Les mêmes qu'à Lesbos il avait enlevées.

Je les choisis alors ; elles sont d'un grand prix !

Ce n'est pas tout encor : je rendrai Bréséis,

Et pour le satisfaire en tout ce qui la touche,

J'en jure par les Dieux ! j'ai respecté sa couche ;

Et si de Troie enfin nous sommes les vainqueurs,

Achille peut prétendre à toutes les faveurs :

Que l'or et que l'airain  remplissent son navire,

Qu'il obtienne pour lui ce que son cœur désire,

Que par les Grecs enfin Achille soit doté

De vingt femmes, d'Hélène égalant la beauté ;

Dans la Grèce en vainqueurs si nous pouvons nous rendre,

Arrivés dans Argos, qu'il devienne mon gendre ;

Il sera dans ma cour admis et respecté,

Et par moi comme Oreste il y sera traité ;

Sur trois filles que j'ai, Chrysothémis, Laudice,

Iphigénie, il faut que lui-même choisisse,

Qu'il ait celle des trois qui touchera son cœur,

Sans présents de sa part, qu'il en soit possesseur,

Qu'il l'emmène à la cour de son père Pelée ;

Sa dot sera par moi largement calculée,

Ajoutant à sa main des trésors précieux,

Je veux le satisfaire et combler tous ses vœux.

Il recevra de moi sept villes florissantes ;

Enopé, Gardamyle, Hira, Pédarès, Anthes,

Epéon et Phérès, qui sont près de Pylos.

Ces pays de la mer sont baignés par les Ilots.

Les riches habitants de ces heureux rivages,

Ont de nombreux troupeaux et de gras pâturages ;

Honoré comme un Dieu, leurs tributs précieux

De lui feront un roi riche, puissant, heureux,

Oui, si Pélide veut apaiser sa colère,

Voilà ce que pour lui je me dispose à faire

Qu'il se laisse toucher sans imiter Pluton

Qui ne connaît jamais ni trêve ni pardon,

Qui se montre ? toujours insensible, et, du reste,

Pluton, par cela même, est le Dieu qu'on déteste.

Nulle part on ne l'aime, en le craignant partout,

Qu'Achille y réfléchisse, et qu'il pense, après tout,

A mon âge, à mon rang ; et dans ces circonstances,

Il peut bien sans rougir céder à mes instances. »

 

Nestor lui répondit : « Magnanime héros,

L'offre est satisfaisante, et les présents sont beaux.

Choisissons quelques chefs, afin qu'un prompt message.

Dans la tente d'Achille aille en offrir l'hommage ;

Je vais les désigner, et, cédant à ma voix,

Chacun d'eux, je l'espère, acceptera mon choix,

Puisque Atride permet que Nestor les choisisse,

J'en désignerai trois : Phénix, Ajax, Ulysse ;

Phénix sera le chef ; deux hérauts courageux,

Euribate, Odius, s'y rendront avec eux.

Lavons d'abord eos mains, imposons le silence,

Et tous de Jupiter implorons l'assistance. »

 

On approuve Nestor. Aussitôt les hérauts

Sur leurs pieuses mains viennent verser les eaux.

De vin les échansons ayant rempli les coupes,

L'offrent aux assistants en parcourant les groupes

Et les trois délégués, en invoquant les Dieux,

S'abreuvent en partant du vin versé pour eux.

Du geste et de la voix Nestor les encourage,

Et d'Ulysse surtout excite le courage,

En lui recommandant, au moment de partir,

D'insister près d'Achille afin de le fléchir.

 

Ils sont partis : le long de la mer mugissante,

Ils marchent en faisant leur prière fervente,

Pour que le Dieu des mers, accordant sa faveur,

Les aide auprès d'Achille et fléchisse son cœur.

Ils arrivent enfin à la tente d'Achille,

Ils le trouvent assis ; satisfait et tranquille,

Il tenait en chantant sa lyre dans ses mains,

Instrument merveilleux conquis sur les Thébains ;

Et tandis que la mer restait silencieuse,

Aux sons de l'instrument sa voix harmonieuse

Se mêlait, et le luth frémissant sous ses doigts,

Il célébrait des Grecs les glorieux exploits.

Seul de tous ses amis assis en sa présence,

Patrocle l'écoutait et gardait le silence :

Il attendait qu'Achille eût fini de chanter.

Soudain les délégués viennent se présenter :

Marchant au milieu d'eux, Ulysse est à leur tête ;

Il aperçoit Achille et devant lui s'arrête.

Mais Achille surpris se lève tout à coup,

Et sa lyre à la main se présente debout.

Patrocle l'imita ; d'un ton calme et tranquille,

En leur tendant la main : « Salut ! leur dit Achille.

Quel plaisir de vous voir ! Soyez les bienvenus.

C'est vous de tous les Grecs que je chéris le plus.

Quel important motif près de moi vous amène ? »

 

En achevant ces mots, Achille les entraîne

Vers sa tente ; il les fait asseoir commodément,

Et leur dit : « Mes amis, reposez un moment. »

 

Il appelle Patrocle, et soudain lui commande

De remplir d'un vin pur son urne la plus grande,

De l'apporter, afin qu'une coupe à la main,

Chacun se désaltère en acceptant du vin.

Patrocle à ses désirs aussitôt se conforme,

Et place de ses mains, sur un billot énorme,

D'un porc et d'un mouton les restes séparés,

Et par Achille même ils furent préparés ;

Automédon les prend et les met à la broche ;

Patrocle en même temps du foyer les approche.

Quand la flamme s'abaisse et le feu se réduit,

Il répand le sel blanc sur chaque morceau cuit ;

Il sort enfin le pain d'une belle corbeille.

Tout est bien disposé, lui-même Achille y veille.

Puis en face d'Ulysse il alla se placer,

Ordonnant à Patrocle, avant de commencer,

D'une libation d'offrir le sacrifice :

En invoquant les Dieux, il remplit cet office.

Le repas est servi, tout est distribué,

Chacun prend le morceau qu'il s'est attribué,

Et par des mets choisis d'une bonté parfaite,

Des convives bientôt la faim fut satisfaite ;

Et c'est alors qu'Ajax à Phénix attentif ;

Fit en le regardant un signe indicatif.

Ulysse le comprit, et prenant un breuvage,

Il l'offrit à Pélide et lui tint ce langage :

 

« Salut ! fils de Pelée, on voit en ce moment,

Que comme Agamemnon tu traites largement

Tes amis ; mais la joie à nous n'est plus permise :

A de rudes échecs notre armée est soumise,

Et devant eux les Grecs, que tu ne secours pas,

En perspective ont tous la fuite ou le trépas.

Nous avons tout à craindre et des Troyens l'audace,

Qui va toujours croissant, de partout nous menace ;

Il ont déjà franchi notre retranchement ;

La flotte va périr par un embrasement.

Pour comble de malheur, par un fâcheux présage

Il semble qu'aujourd'hui le ciel les encourage.

Aidé de Jupiter, Hector impétueux

Semble à la fois braver les hommes et les Dieux ;

Il est impatient, la rage le dévore,

Et pour aller combattre il n'attend que l'aurore,

Se vantant que bientôt, pour la Grèce partis,

Sur nos vaisseaux brûlés nous serons engloutis,

Et que, réfugiés sur la flotte enflammée,

Nous y serons couverts de sang et de fumée.

Oui, je tremble de voir s'accomplir nos destins.

A tous nos combattants, dont les efforts sont vains,

De revoir leur pays l'espérance est ravie ;

Sous un ciel étranger nous perdrons tous la vie.

Il en est temps encore, ah ! ne refuse pas .

Aux Grecs découragés le secours de ton bras ;

Tu t'en repentiras si, refusant ton aide,

Notre mal s'accomplit et n'a plus de remède,

Avant qu'un tel malheur aux Grecs puisse arriver,

Prends le armes, Achille, et pense à les sauver.

Si tu veux t'illustrer, si la Grèce t'est chère,

Souviens-toi des conseils de ton vertueux père :

Tu parts te disait-il ; si c'est leur volonté,

Les Dieux te donneront de l'intrépidité ;

Mais toi, mon fils, apprends à te vaincre toi-même,

Et la bonté du cœur est la vertu suprême ;

Si tu sais résister à tout ressentiment,

Les jeunes et les vieux t'aimeront doublement. »

 

« Tels furent les conseils que te donna ton père,

Peux-tu les oublier ? Apaise ta colère,

Crois-moi. Pour te fléchir, lui-même, Agamemnon,

Te fait de beaux présents que je t'offre en son nom.

Oui, si tu peux enfin apaiser ta colère,

En ta faveur voici ce qu'Atride veut faire :

Tu recevras de lui sept trépieds somptueux,

Dix talents d'or, sept plats à l'épreuve des feux,

Et douze beaux chevaux, fameux par leur vitesse :

Ils ont gagné des prix d'une grande richesse,

Et qui posséderait les trésors précieux

A la course obtenus par ces chevaux fougueux,

Réunissant ces prix, d'une valeur immense,

Riche de ces trésors, serait dans l'opulence.

Tu recevras encor sept femmes de Lesbos,

D'une beauté parfaite, habiles aux travaux,

Pleines de qualités et très bien élevées,

Qui furent à Lesbos par toi-même enlevées.

Il les choisit alors ; elles sont d'un grand prix.

Ce n'est pas tout encore : il rendra Briséis,

Et pour te satisfaire, en tout ce qui la touche,

Il jure par les Dieux qu'il respecta sa couche !

Et si de Troie, enfin, nous sommes les vainqueurs,

Achille aura des droits à toutes les faveurs :

L'or ainsi que l'airain rempliront ton navire,

Et tu pourrais choisir ce que ton cœur désire ;

Atride veut enfin qu'Achille soit doté

De vingt femmes, d'Hélène égalant la beauté ;

Dans la Grèce en vainqueurs si nous pouvons nous rendre,

Arrivés dans Argos, tu deviendras son gendre.

Tu seras dans sa cour admis et respecté ;

Comme Oreste par lui tu te verras traité.

De trois filles qu'il a Chrysothémis, Laudice,

Iphigénie, il dit : Que lui-même choisisse.

De celle qui des trois aura touché ton cœur,

Tu pourras, sans présents, être le possesseur,

La conduire à la cour de ton père Pelée :

Sa dot sera par lui largement calculée,

Ajoutant à sa main des trésors précieux,

Il veut te satisfaire et combler tous tes vœux ;

Tu recevras de lui sept villes florissantes ;

Énope, Cardamyle, Hira, Pedarès, Anthes,

Épéon et Phérès, qui sont près de Pylos,

Ces pays de la mer sont baignés par les flots :

Les riches habitants de ces heureux rivages

Ont de nombreux troupeaux, sur leurs gras pâturages.

Honoré comme un Dieu, leurs tributs précieux,

De toi feront un roi riche, puissant, heureux.

Achille, si tu veux apaiser ta colère,

Voilà les beaux présents qu'Atride veut te faire.

Que si le nom d'Atride est toujours à tes yeux,

Ainsi que ses présents, un objet odieux,

De l'amour du pays que ton âme animée,

Du moins soit attendrie en pensant à l'armée.

Ton nom va devenir digne de nos autels,

Et tu vas mériter des honneurs immortels,

Si repoussant Hector, dont le bras nous menace,

Tu peux enfin l'atteindre et punir son audace,

Si tu frappes celui qu'on a vu se vanter

Qu'aucun des guerriers Grecs n'ose lui résister. »

 

Achille se levant: « Ingénieux Ulysse,

Ma réponse, dit-il, sera sans artifice ;

Je dirai franchement ce que j'ai résolu,

Et de m'en détourner il serait superflu.

Ce que j'ai sur le cœur, il faut que je le dise ;

La première vertu, pour moi, c'est la franchise.

Atride ni les Grecs ne me fléchiront pas.

A quoi sert, en effet, de livrer des combats ?

A l'égal du guerrier brave, plein de vaillance,

Celui qui reste au camp reçoit sa récompense,

Mais il est un danger qu'il nous faut tous courir,

Le brave et le poltron sont sujets à mourir.

Quel fruit m'est revenu de tous mes sacrifices ?

C'est l'outrage qui fut le prix de mes services.

Pour d'autres que pour moi mes lauriers sont cueillis ;

J'ai fait comme l'oiseau qui nourrit ses petits,

Et j'ai passé, pour vous toujours prêt à me battre,

Les nuits dans l'insomnie et les jours à combattre,

Défendant vos foyers, vos femmes, vos enfants ;

J'ai soutenu partout des combats incessants ;

Domptant des ennemis les efforts inutiles,

Sur ma flotte j'ai pu détruire douze villes,

Onze autres succombant, tout autour d'Ilion,

Grâce à moi, sont des Grecs en la possession.

Atride, s'emparant du prix de la conquête,

En garde les trésors, et c'est moi qui l'ai faite.

D'une faible partie il dote nos héros,

Mais la meilleure part reste sur ses vaisseaux.

Quand chaque chef a pu conserver sa captive,

Je n'ai plus Briséis, et c'est lui qui m'en prive !

A son sort puisqu'il veut surtout s'intéresser,

Qu'il la garde pour lui, je veux la lui laisser.

De la Grèce quittant les fertiles rivages ,

Pour qui les Grecs ont-ils débarqué sur ces plages ?

Quel dessein nous amène ici tous ? N'est-ce pas

Pour conquérir Hélène et venger Ménélas ?

Croiraient-ils être seuls à chérir une femme !

Tout homme aime la sienne : et c'est du fond de l'âme

Que j'aimais, j'en conviens, la belle Briséis ,

Bien qu'elle fût captive ; et j'en étais épris ;

Sa présence faisait le bonheur de ma vie,

Et puisqu'il la possède et qu'il me l'a ravie,

Puisque de mes exploits le prix fut usurpé,

Qu'une première fois il m'a déjà trompé,

C'est en vain qu'aujourd'hui il voudrait me séduire !

Retourne dans son camp, et tu peux le lui dire.

Concertez-vous ensemble, et cherchez les moyens

De vous sauver sans moi, d'empêcher les Troyens

De porter sur vos nefs la flamme dévorante.

Pour moi, j'ai fait assez, je reste dans ma tente.

Atride a pu sans moi faire de grands travaux,

De fossés, de remparts entourer nos vaisseaux,

Il n'a pas pour cela réprimé davantage

D'Hector, que vous craignez, l'ardeur et le courage.

Quand j'étais avec vous, il prenait moins de part

Aux combats, il n'osait s'éloigner du rempart ;

Il se tenait toujours auprès des portes Scées ;

Ses attaques par moi, là, furent repoussées.

Il osa cependant, un jour, se hasarder ;

Mais je le poursuivis ; il rentra sans tarder,

Fort heureux à mes coups d'échapper par la fuite.

Mais puisque à mes combats je ne donne plus suite,

A Jupiter, aux Dieux je vais sacrifier.

A la mer, dès demain, je vais me confier.

Tu verras mes vaisseaux, fendant la mer profonde,

Voguer vers l'Hellespont. Si le vent me seconde,

Dans la fertile Phthie arrivé dans trois jours,

Satisfait, je pourrai me fixer pour toujours

Aux lieux où je passai le temps de ma jeunesse ;

J'y trouverai la paix ainsi que la richesse.

Ce fortuné pays, par mon père habité,

Je voudrais bien, hélas ! ne l'avoir point quitté,

Ce que j'obtins du sort, l'or, les femmes, le cuivre,

Et mes trésors conquis, tout cela va m'y suivre.

Hormis ma Briséis, prix qui me fut ravi,

De tout ce qui m'est cher je me verrai suivi

A me tromper encor qu'Agamemnon renonce.

Il faut publiquement lui porter ma réponse ;

Qu'on la connaisse bien, qu'elle mette aujourd'hui

Tous les Grecs indignés en garde contre lui ;

Et bien qu'il soit rempli d'impudence et d'audace,

Il n'osera jamais me regarder en face !

Je lui refuse tout, ses présents, mon appui,

Je ne veux plus avoir rien à faire avec lui :

Il m'a déjà trompé, j'ai souffert un outrage !

C'est assez d'une fois,  qu'il dévore sa rage ;

Qu'il demeure en repos, et garde son dépit ;

Le sage Jupiter a troublé son esprit.

Ses dons me font horreur, et mon cœur s'en indigne,

Comme s'ils provenaient d'un homme vil, indigne.

S'il m'en offrait encore et dix et vingt fois plus,

Si les trésors qu'il a s'ajoutaient en surplus,

Pour compléter ses dons, s'il y joignait encore,

Et tous ceux d'Archomène et tous ceux du Bosphore,

Et s'il me proposait de remettre en mes mains

Les trésors de l'Égypte, et ceux que les Thébains

Possèdent dans leur ville, où l'on peut par cent portes

De cavaliers armés voir sortir cent cohortes ;

Et quant aux talents d'or, s'il m'en offrait autant

Qu'on voit de grains de sable emportés par le vent,

Non ! mon âme jamais n'en sérail satisfaite !

Qu'il expie avant tout l'injure qu'il m'a faite.

Il faut que de sa fille il sache que jamais

Je ne serai l'époux, eût-elle les attraits

Delà belle Vénus ! eût-elle de Minerve

Tous les talents divers ! ainsi, qu'il la réserve

Pour un autre que moi, préférable à ses yeux,

Plus riche, plus puissant, qui lui convienne mieux.

Oh ! si j'ai le bonheur de revoir ma patrie,

L'épouse que j'aurai, par mon père choisie, 

Satisfera mon cœur, comblera tous mes vœux ;

J'y trouverai des chefs, des guerriers courageux,

Qui sont riches, puissants, qui commandent en Grèce ;

J'y pourrai faire choix d'une belle princesse,

De celle dont les traits auront touché mon cœur :

Heureux de son amour, je ferai son bonheur

Car il me prend souvent le désir et l'envie

De passer sans combattre une tranquille vie,

De jouir des trésors que mon père amassa,

Aux lieux où près de lui ma jeunesse passa,

Et de couler en paix une douce existence,

Dans le riche palais où croissait mon enfance,

Assis près de mon père et chéri par les miens ;

L'existence pour nous est le plus grand des biens.

La mort enlève tout, le bonheur et la joie.

A quoi me serviraient tous les trésors de Troie,

Et tout l'or que contient le temple d'Apollon,

Et tous les grands trésors que renferme Ilion ?

On peut reconquérir des richesses perdues,

On les recouvre encor quand on les a perdues,

Mais des coups de la mort qui jamais se sauva ?

Nul ne peut retenir son âme qui s'en va !

Elle fuit pour toujours, et lorsqu'elle est partie,

Nul mortel ne peut plus revenir à la vie.

Quand je naquis, mon sort à Thétis fut prédit ;

Je le sais dès longtemps, et ma mère m'a dit

Que le sort me réserve, ou beaucoup d'ans sans gloire

Ou peu de jours suivis d'une illustre mémoire,

Que tel est mon destin, et que j'ai devant moi

Deux routes à tenir et qui sont à mon choix.

En restant devant Troie, obstiné pour combattre,

D'un coup prématuré la mort viendra m'abattre,

Et mon nom en aura du retentissement ;

Mais si de nos combats éloigné prudemment,

Je pars sur mes vaisseaux pour revoir ma patrie,

Je puis longtemps sans gloire y prolonger ma vie.

Vers ce dernier parti s'est incliné mon choix,

Et j'invite les Grecs à faire comme moi.

Ils espèrent en vain de voir Pergame en cendre ;

Jupiter, des Troyens, qu'il s'obstine à défendre,

A ranimé l'ardeur et le ressentiment.

 

 « Vous m'avez entendu, voilà mon sentiment,

Retournez vers vos chefs, portez-leur ma réponse :

Par un refus formel Achille se prononce ;

Qu'ils cherchent les moyens, privés de mon secours,

De vaincre les Troyens et de sauver leurs jours.

Que Phénix, cette nuit, dans ma tente repose ;

Nous partirons ensemble et je le lui propose

Il peut rester, s'il veut, et je ne voudrais pas

Loin d'ici malgré lui l'entraîner sur mes pas. »

 

Il dit. Les délégués gardèrent le silence.

Ému par son discours, le vieux Phénix s'avance :

Il craint surtout de voir brûler tous les vaisseaux,

Et, le visage en pleurs, il prononce ces mots :

 

« Achille, si telle est ta volonté suprême,

Si ton coeur, emporté par ta colère extrême,

Te conseille de fuir, de traverser les eaux,

Et de laisser le feu dévorer nos vaisseaux,

Pourrais-je loin de toi rester ici moi-même ?

Achille, mon cher fils, tu sais combien je t'aime !

Par ton père Pelée à mes soins confié,

Tu n'étais qu'un enfant quand tu fus envoyé

Auprès d'Agamemnon, et dans l'art de la guerre,

Art funeste aux humains et fléau de la terre,

Et dans l'art de parler, qui produit tant de bien,

Tu n'étais pas formé, tu ne connaissais rien.

Par ton père chargé d'instruire ta jeunesse,

A former ton esprit je m'occupais sans cesse,

Pour te voir devenir, par mes soins généreux,

Orateur éloquent et guerrier courageux.

Je ne puis te quitter, me fissent la promesse

Les Dieux, de recouvrer mon ancienne jeunesse,

Et de redevenir vaillant comme autrefois,

Quand, quittant mon pays pour la première fois,

De mou père Amyntor, infidèle à ma mère,

J'évitais le courroux et fuyais la colère.

Ma mère délaissée avait, avec douleur,

Vu qu'une concubine avait séduit son cœur ;

Elle me supplia, se vengeant de mon père,

De séduire à mon tour cette belle étrangère.

J'obéis. Mais alors par mon père irrité,

Avec elle à sa cour je fus persécuté.

Je lui fus odieux, et sa haine fatale

Invoqua contre nous la puissance infernale,

Pour nous priver de voir, reçu sur nos genoux,

Un fils que je pourrais nommer d'un nom si doux,

Et du Dieu des Enfers la compagne inflexible,

De mon père exauça la prière terrible.

Mon cœur à ce chagrin ne put se résigner,

Et de sa cour alors je voulus m'éloigner,

Et j'osai concevoir le dessin téméraire

De plonger mon poignard dans le sein de mon père.

Je voulus le punir, je voulus me venger ;

Un Dieu retint mon bras et vint le protéger.

Alors il fallut fuir. Mes amis et manière,

Voulaient me retenir à la cour de mon père,

En me conjurant tous de céder à leurs vœux ;

Ils immolaient pour moi des brebis et des bœufs,

Ils rôtissaient des porcs, et la flamme sans cesse

De leurs dos succulents faisait couler la graisse ;

Et pour me retenir ils buvaient, sous mes yeux,

Du vieillard endormi les vins délicieux.

Couchés auprès de moi, durant neuf nuits entières,

Empêchant mon départ, fermant les barrières,

Ils observaient mes pas sans éteindre leurs feux ;

Ils faisaient bonne garde, et, surveillé par eux,

Je ne pouvais m'enfuir. Une nuit ténébreuse,

Pendant qu'ils sommeillaient, m'offrit la chance heureuse

De sortir. Franchissant et les monts et les vaux

J'arrivai dans la Phthie, abondante en troupeaux.

De ton riche pays foulant enfin la terre,

Je parvins satisfait à la cour de ton père.

Arrivé chez Pelée, à son foyer admis,

J'y fus considéré, traité comme le fils

Qu'un vieillard qui possède une grande richesse

Obtient encor du ciel dans l'extrême vieillesse,

Ton père m'enrichit ; il voulut me donner

Aux confins du Dolope, un peuple à gouverner,

Et ce que pour moi fit ton vénérable père,

Pour Achille à mon tour j'aurais voulu le faire.

Jeune encor, dans sa cour, tu ne me quittais pas ;

Assis sur mes genoux, tu prenais tes repas.

Que de fois de mes soins toujours l'objet unique,

En jouant dans mes bras, tu souillas ma tunique !

Quand ta bouche d'enfant rejetait sur mon sein

Et tes mets dédaignés et ta coupe de vin.

A toi seul consacrés, sans nulle répugnance,

Mes soins affectueux veillaient sur ton enfance,

En pensant que le ciel, qui d'un fils me privait,

Comme un fils adoptif pour moi te réservait,

Pour soutenir un jour ma tremblante vieillesse.

Ecoute, mon cher fils, la voix de la sagesse,

Modère ton ardeur ; sensible à l'amitié,

Ne ferme point ton cœur à la douce pitié.

Quoiqu'ils soient immortels, les Dieux en sont capables,

Quand ils sont suppliés, les Dieux sont exorables,

Et par nous, ici-bas, quand ils sont offensés,

D'un cœur qui se soumet les torts sont effacés.

Nos prières, nos pleurs, l'odeur des sacrifices

Obtiennent leur pardon comme leurs bons offices.

Filles de Jupiter, marchant d'un pas tardif,

Les Prières, mon fils, ont un abord craintif,

Et suivent en tremblant l'injure à qui tout cède ;

L'injure menaçante et fière les précède.

D'une marche rapide elle va, s'étendant,

Imposer aux humains son terrible ascendant.

Et susciter partout la Discorde cruelle.

Humbles et le front bas, arrivant après elle,

Les Prières alors, que la pitié conduit,

Portent leur doux remède aux maux qu'elle produit ;

Jupiter les soutient ; celui qui les vénère,

Par elles protégé, jouit d'un sort prospère ;

Mais de qui les repousse avec sévérité,

Le Ciel blâme l'erreur, punit l'impiété,

Et justement ému de cette irrévérence,

A des maux infinis livre son existence.

Si je ne voyais pas Atride généreux

Se soumettre, et t'offrir tant de dons précieux,

S'il ne promettait pas de faire plus encore,

S'il ne te faisait pas une offre qui t'honore,

Je serais le premier à te recommander

D'avoir une âme ferme et de ne pas céder.

Je dirais : Quel que soit le sort qui te menace,

N'écoute pas Atride, Achille reste en place.

Mais lorsqu'Agamemnon envers toi s'est soumis,

Quand les chefs de l'armée et tes meilleurs amis

Sont délégués par lui pour fléchir ta colère,

Il convient qu'à son tour Achille se modère.

Ne leur résiste pas ; à ton ressentiment

Tous durent applaudir, mais tous en ce moment,

Lorsque d'Agamemnon l'âme s'est résignée,

D'Achille blâmeraient la colère obstinée.

Combien de grands guerriers, de héros généreux,

En se laissant fléchir se sont rendus fameux !

Combien, par les présents, les larmes, la prière

Virent tomber leur haine et céder leur colère !

Je me souviens d'un fait, par l'histoire cité,

Qui peut bien, entre amis, être ici raconté.

 

« Autour de Calydon une guerre acharnée

Autrefois désola les États d'Oïnée ;

Le peuple Etolien dans ses murs protégé,

Par le Cureté ardent venait d'être assiégé ;

De ces peuples rivaux, Diane chasseresse

Avait armé les bras. Cette auguste Déesse

Excita cette guerre après que, dans ces lieux,

Le Roi d'Étole ayant offert aux autres Dieux

De somptueux présents, elle fut oubliée,

Et la sœur d'Apollon en fut humiliée.

Son autel fut désert, et Diane en ces lieux

N'obtint aucun présent de ce peuple oublieux ;

Elle s'en irrita. Pour venger cette injure,

Dans les fertiles champs de ce peuple parjure

Elle fit arriver un monstre furieux,

Qui répandit au loin des ravages affreux :

Des arbres arrachés jusque dans leurs racines,

Les fleurs comme les fruits se séchaient sur leurs cimes.

Méléagre assembla les chefs étoliens,

Et des chasseurs nombreux qu'accompagnaient leurs chiens

Attaquèrent le monstre ; il mordit la poussière ;

Mais avant, des chasseurs il avait fait litière.

Alors on se dispute et sa hure et sa peau :

De guerre, le partage est un sujet nouveau.

Le combat fut sanglant et la lutte acharnée ;

Et des guerriers, conduits par le fils d'Oïnée,

Le succès fut complet ; les Curetés battus,

Quoique bien plus nombreux, s'éloignèrent vaincus.

Par ses vaillants exploits il se couvrit de gloire ;

Mais rentré dans la ville, après cette victoire,

Une horrible colère, un noir ressentiment

(Un cœur noble parfois cède à ce sentiment) 

Dans le cœur ulcéré de Méléagre entrèrent.

Sa mère le trahit, ses oncles l'irritèrent ;

Il rejoignit sa femme et se sépara d'eux.

Auprès d'elle il voulut couler des jours heureux.

Sa femme Cléopâtre était une princesse

Dont Idas fut le père, et la mère Marpesse.

Idas, guerrier fameux, poursuivit Apollon,

Qui lui ravit Marpesse, imitant Alcyon.

Après ce rapt commis par le fils de Latone,

Cléopâtre reçut le surnom d'Alcyonne,

Dont elle eut le destin, car cet enlèvement

Avait été pour elle un sujet de tourment.

 

« Ainsi donc, Méléagre, éloigné de sa mère,

Qui voulait se venger du meurtre de son frère,

Auprès de son épouse, en s'étant retiré,

Du reste des mortels, y vivait séparé,

De sa mère évitant la funeste colère,

Car les genoux ployés, frappant des mains la terre,

Elle invoqua Pluton pour la mort de son fils :

Il entendit ses vœux ; l'implacable Erinnys,

De l'Érèbe sortant sans se rendre visible,

Suscita dans Étole un tumulte terrible.

La ville fut surprise et ses murs abattus,

Et les Étoliens y rentrèrent vaincus.

De Méléagre alors implorant l'assistance,

De prêtres, de vieillards un cortège s'avance ;

Ils portent des présents, offrent aussi le don

Du plus fertile champ autour de Galydon :

« Choisissez, disaient-ils, dans cette riche plaine,

En terre arable, en vigne, un immense domaine. »

De son appartement ébranlant les verroux,

Son père aussi l'aborde et tombe à ses genoux,

Et, saisis de terreur, dans ce péril extrême,

Viennent autour de lui ses sœurs, sa mère même ;

Rien ne peut l'émouvoir, et ses meilleurs amis

Pour ébranler son cœur en vain se sont unis.

De Méléagre alors profitant de l'absence,

L'ennemi fait l'assaut ; l'attaque recommence.

Mais Cléopâtre enfin, que touche le malheur,

De son époux chéri veut attendrir le cœur ;

Afin de l'émouvoir et pour calmer sa haine,

Elle peint les horreurs que cette guerre entraîne :

Les enfants égorgés, les femmes, les vieillards,

Poursuivis, massacrés, fuyant de toutes parts ;

Près des filles en pleurs les mères alarmées,

Et par la flamme enfin les maisons consumées.

Par ce tableau touchant son cœur étant ému,

De son épouse en pleurs le vœu fut entendu.

Méléagre, couvert de ses plus belles armes,

Court au combat, des siens dissipe les alarmes,

Chasse les ennemis et sauve son pays :

Il n'obtint pas les dons qui lui furent promis,

Car il était trop tard. Ne suis pas cet exemple,

Achille, lève-toi ! la Grèce te contemple ;

Accepte les présents, mon ami ! n'attends plus,

Car plus tard tes secours deviendraient superflus.

Le péril est pressant, repousse l'incendie

Qui menace les Grecs, tes vaisseaux et ta vie.

Tu seras honoré comme un Dieu ; mais, plus tard,

Achille à nos respects aurait bien moins de part. »

 

« Vieillard aimé des Dieux, lui répondit Achille,

N'insiste pas, Phénix, ce serait inutile,

Et je n'ai pas besoin d'un aussi grand honneur,

Le puissant Jupiter me portant dans son cœur,

Saura bien compatir aux tourments que j'endure :

Il aura soin de moi, de ma gloire future.

Mais écoute ceci, que je vais ajouter,

Et de ce que je dis il ne faut pas douter :

Ne viens plus m'émouvoir, ni pleurer pour Atride ;

Et toi-même tu dois mépriser ce perfide.

Je le hais, tu le sais ; tu fus trop mon ami

Pour ne pas, dans ton cœur, le détester aussi.

Partage mes honneurs ainsi que ma puissance,

Reste ici, laisse-moi jouir de ta présence.

Les autres vont partir, ne va pas avec eux,

Et viens te reposer sur mes tapis moelleux.

Nous délibérerons quand paraîtra l'aurore,

Si nous devons partir ou bien rester encore. »

 

Il dit : des délégués pour hâter le départ,

Il regarde Patrocle et fait un signe à part,

Afin que de Phénix on prépare la couche,

Et que son tendre ami se repose et se couche.

 

Le fils de Télamon se levant aussitôt :

« Cher Ulysse, dit-il, retournons au plus tôt.

Ne pouvant le fléchir, ainsi que tout l'annonce,

Aux Grecs, sans différer, portons cette réponse.

Sans doute que nos chefs n'en seront pas contents,

Mais elle est attendue et depuis trop longtemps.

Achille porte un cœur insensible et farouche :

Le péril, l'amitié, les pleurs, rien ne le touche ;

Il se montre implacable, et son cœur insoumis

A méprisé les vœux de ses meilleurs amis.

Un homme généreux modère sa colère,

Des dons sont acceptés du meurtrier d'un frère ;

Malgré le cri du sang, accordant son pardon,

Un père pour son fils accepte une rançon ;

Son ressentiment cède, et dans la même ville


 

Demeure l'assassin qu'il voit d'un œil tranquille ;

Et toi pour une femme, une esclave, tu crois,

Pouvoir être insensible et barbare à la fois ?

Le ciel ne permet pas des haines aussi vives.

Achille, sois moins dur, nous t'offrons sept captives

D'une grande beauté, des trésors infinis.

Au toit hospitalier, honore tes amis,

Tu les vois suppliants, réunis sous ta tente.

Sois sensible à leurs vœux et remplis leur attente.

Délégués près de toi, nous sommes, au surplus,

De tous les guerriers grecs ceux qui t'aiment le plus. »

 

Achille lui répond : « A ton cœur magnanime,

Ajax, je rends justice, il est digne d'estime ;

Et ce que nous a dit le fils de Télamon,

Doit paraître à chacun conforme à la raison ;

Mais le seul nom d'Atride excite ma colère ;

Je n'en suis pas le maître et mon cœur s'exaspère ;

Ma raison m'abandonne au simple souvenir

De l'opprobre odieux qu'il m'a fallu subir.

Ainsi, qu'à me calmer votre amitié renonce ;

Retournez vers les Grecs, portez-leur ma réponse :

Il faut qu'ils sachent bien qu'ils ne me verront pas

Reprendre mon armure et marcher aux combats,

Tant qu'Hector n'aura pas, assouvissant sa rage,

Des cadavres des Grecs couvert tout le rivage

Et brûlé leurs vaisseaux ; mais s'il veut s'approcher

De ceux des Myrmidons, je dois l'en empêcher. »

 

Il cessa de parler. Chacun d'eux, à la ronde,

Fait des libations dans sa coupe profonde,

Et conduits par Ulysse, ils retournent au camp.


 

Phénix seul demeura. Patrocle, cependant,

Ordonne aux serviteurs que son lit se répare,

Qu'il soit doux et moelleux et qu'un tapis le pare

L'ordre est exécuté. Se livrant au sommeil,

Le vieillard attendait le retour du soleil.

Aux douceurs du repos Achille à son tour cède,

Ayant auprès de lui la belle Diomède

Qu'il avait amenée au retour de Lesbos.

Patrocle sur son lit goûte aussi le repos,

Près de la belle Sphis que lui remit

Achille Au retour de Scyros, lorsqu'il prit cette ville.

 

Dès qu'ils sont arrivés, Atride parle ainsi :

« Eh bien ! à le calmer avez-vous réussi ?

Achille consent-il à venir nous défendre ?

Ou toujours irrité, ne veut-il rien entendre ? »

 

Ulysse répondit : « Au lieu de se calmer,

Sa colère aujourd'hui semble se ranimer ;

Sa résolution est désormais bien prise :

Il refuse ton offre et tes dons, qu'il méprise,

Te conseillant, sans lui, d'aviser aux moyens,

De repousser l'attaque et le feu des Troyens,

Ajoutant que demain, au retour de l'aurore,

Il reprendra la mer, et qu'il invite encore

Tous les Grecs à partir, en disant qu'Ilion

Ne tombera jamais en leur possession,

Étant de Jupiter sous la main protectrice.

Voilà ce qu'il a dit, ajoute encore Ulysse.

Sa réponse d'ailleurs, que je viens d'affirmer,

Ajax et les hérauts peuvent la confirmer.

Achille a retenu Phénix ; si bon lui semble,

Et s'il veut retourner, ils partiront ensemble. »

 

A ce triste discours, les guerriers, étonnés,

Demeurèrent muets et furent consternés.

Mais Diomède alors vers Atride s'avance,

Et, triste, par ces mots il rompit le silence :

 

« Je regrette, dit-il, l'offre de tant de dons ;

Elle augmente l'orgueil du chef des Myrmidons,

Laissons-le désormais tranquille en sa demeure ;

Ne nous informons pas s'il part ou s'il demeure ;

Qu'il reste dans sa tente autant qu'il le voudra ;

Son cœur, le ciel peut-être un jour l'excitera.

Prenons des aliments, réconfortons nos cœurs,

Atride, et du repos savourons les douceurs.

Dès l'aurore, demain, rassemblant notre armée,

Que l'ardeur des guerriers soit par toi ranimée,

Et combats avec eux toujours au premier rang. »

 

Il dit. A son avis alors chacun se rend.

Les guerriers satisfaits vont chacun dans sa tente

Et goûtent le repos dans une douce attente.