Chant III

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LES TRAITÉS. - REVUE SUR LES MURS. —COMBAT SINGULIER DE Pâris ET DE MENELAS.

 

Les deux armées sont en présence. — Pâris recule devant Ménélas. — Réprimandé par Hector, il offre de se battre avec Ménélas. — Hélène et ses trésors seront le prix du vainqueur. — Iris engage Hélène à aller sur les remparts pour voir le combat. — Elle y trouve  Priam, accompagné de plusieurs vieillards troyens. — Revue du haut des murs. — Priam et Agamemnon président à un sacrifice et au traité. — Conditions du combat. —Combat singulier de Ménélas et de Pâris. — Pâris vaincu est sauvé par Vénus, qui le transporte à Troie. — Entretien de Pâris et d'Hélène. — Indignation de Ménélas. — Agamemnon déclare Ménélas vainqueur.  

 

     

Pour en venir aux mains, lorsque, des deux côtés,

Les Grecs et les Troyens se furent arrêtés,

Les Troyens les premiers de leurs rangs s'élancèrent,

Et, poussant de grands cris, vers les Grecs s'avancèrent,

Imitant ces oiseaux qui, dans les froids hivers,

Traversent l'océan, et planant dans les airs,

S'abattent à la fin, quand leur troupe affamée,

Vient apporter la mort à la race Pygmée.

Les Grecs, de leur côté, ne sont pas moins ardents ;

Mais le silence règne au milieu de leurs rangs.

Le signal est donné ; tout à coup on s'ébranle ;

Sous les pas des chevaux le sol ébranlé tremble.

 

Quand on voit du midi les vents impétueux

Couvrir d'un noir brouillard les sommets orageux,

Le berger s'en afflige, et cette nuit obscure

Est propice aux voleurs que le brouillard rassure.

Ainsi, par la poussière et les noirs tourbillons,

L'obscurité s'étend parmi les bataillons.

Les guerriers en courant ayant franchi la plaine,

Sont près de se heurter en se voyant à peine.

 

Alors Pâris s'avance : il a d'un léopard

La dépouille superbe, et sa lance et son arc ;

Il appelle au combat, en agitant sa lance,

Le Grec qui se croira digne de sa vaillance.

Ménélas, à grands pas le voyant approcher,

Acceptant le combat contre lui va marcher.

Il est comme un lion qui, voyant une proie,

D'avance la savoure et s'avance avec joie.

Du rapt de son épouse il va donc se venger,

Il va punir celui qui vint pour l'outrager !

Il saute de son char, et joyeux il s'élance,

Espérant de pouvoir le percer de sa lance.

Il va le provoquer et marche droit à lui ;

Mais Pâris, effrayé, vers les Troyens a fui,

Semblable au voyageur qu'un noir serpent menace,

Et qui dans le danger voit fléchir son audace ;

Tel, Pâris tout tremblant, retournant vers les siens,

Va cacher sa frayeur dans le camp des Troyens.

Hector, qui déplorait la honte de son frère,

Aussitôt par ces mots exprima sa colère :

 

« Frère indigne, dit-il, de ton visage épris,

Ta lâcheté te rend digne de nos mépris;

Tu causas tous nos maux en enlevant Hélène ;

Pâris pour les Troyens est un objet de haine.

Que n'es-tu mort le jour, le jour infortuné

Où l'on dit à mon père : Un enfant vous est né !

N'entends-tu pas des Grecs les cris et la risée ?

Si ton visage est beau, ton âme est méprisée.

Voilà donc le guerrier qui, traversant les eaux,

Dans un pays lointain conduisit ses vaisseaux,

Et qui, pour le malheur de Troie et de son père,

Ravit à son époux une belle étrangère !

Cet époux outragé, pourquoi ne l'as-tu pas

Attendu ? tu saurais ce que vaut Ménélas.

Tous les dons de Vénus, ta belle chevelure,

Seraient en ce moment tout couverts de souillure.

Ah ! certes, les Troyens, loin de te protéger,

Sur toi de tous leurs maux auraient dû se venger ! »

Le beau Pâris, ému, répondit à son frère :

« Si ton reproche est juste, Hector, il est sévère.

Je n'ai pas, comme toi, dans mon cœur indompté,

La vigueur de l'acier sur la hache planté,

Lorsque du bûcheron secondant sa secousse,

Il pénètre le bois et jamais ne s'émousse.

Ne me reproche pas les présents gracieux

Que m'accorda Vénus et que j'obtins des cieux.

Des Dieux nous sommes tous soumis à la puissance :

Acceptons leurs faveurs avec reconnaissance.

Maintenant, si tu veux que, tentant les destins,

Seuls, Ménélas et moi nous en venions aux mains,

J'y consens ; mais il faut que ce soit en présence

Des Grecs et des Troyens, tons prévenus d'avance.

En champ clos on verra lequel a plus de cœur.

Qu'Hélène et ses trésors soient le prix du vainqueur,

Qu'il la possède seul, qu'il l'ait en sa puissance,

Et que des deux côtés on le sache d'avance.

Qu'à ces conditions, les Grecs et les Troyens

D'un pacte solennel contractent les liens.

Qu'après notre combat toute discorde cesse,

Que la guerre finisse entre Troie et la Grèce ! »

 

Il dit : par son discours Hector, bien disposé,

Accepte avec plaisir ce qu'il a proposé.

Au milieu des Troyens aussitôt il s'avance,

Et va dans tous les rangs imposer le silence.

De leur côté, les Grecs, ignorant ses projets,

Lançaient, pour l'arrêter, des pierres et des traits.

Alors d'Agamemnon la voix se fît entendre :

« Trêve ! trêve ! dit-il, et tout doit se suspendre,

Hector va vous parler. » Le silence se fit.

Hector, au milieu d'eux, alors s'avance et dit :

« Sachez, généreux Grecs, ce qu'aujourd'hui propose

Pâris, qui de la guerre a seul été la cause :

Défiant Ménélas, il veut, par un combat,

Des Grecs et des Troyens terminer le débat,

Afin que le vainqueur, seul possesseur d'Hélène,

Ne soit plus un sujet de discorde et de haine. »

Il dit, et Ménélas prononce alors ces mots :

« Guerriers, Grecs et Troyens, je déplore les maux

Que, depuis si longtemps, cette guerre vous cause ;

Puisque, Pâris et moi, seuls en sommes la cause,

Il faut qu'entre nous deux, par le sort d'un combat,

Des Grecs et des Troyens cesse le grand débat.

Pour apaiser le ciel et pour le satisfaire,

Immolez deux brebis au Soleil, à la Terre ;

Et nous, de Jupiter allons, à notre tour,

Par un pareil présent, invoquer le secours.

Pour conclure l'accord, il faut que Priam même

Vienne exprimer ici sa volonté suprême.

La jeunesse est légère, et ce sont les vieillards,

Dont l'âge et le savoir commandent les égards. »

 

La voix de Ménélas, dont retentit la plaine,

Fait espérer aux Grecs leur retraite prochaine.

Ainsi que les Troyens, quittant leurs boucliers,

Ils se sont réunis devant leurs coursiers.

Par les ordres d'Hector, les hérauts qu'il envoie,

Pour prendre deux brebis se dirigent vers Troie ;

Et pour qu'il l'approuvât, ils vont en même temps

Annoncer cet accord à Priam qu'on attend ;

Tandis qu'Agamemnon de son côté commande,

Qu'on apporte un agneau nécessaire à l'offrande.

Pendant tous ces apprêts, la messagère Iris

Prend son vol, empruntant les traits de Laodis,

Épouse d'Ealicon : cette belle princesse,

Fille du vieux Priam, a toute sa tendresse.

Ayant donc emprunté sa figure et ses traits,

Iris aborde Hélène en son riche palais.

Elle a, dans ce moment, à ses doigts suspendue

La trame d'un tapis qu'elle même a tendue,

Sur laquelle avec art, en fils entrelacés,

Les exploits des Troyens sont par elle tracés.

« Venez, ma chère sœur, suivez-moi, lui dit-elle,

Venez voir une chose admirable et nouvelle.

Des Grecs et des Troyens la haine en ce moment

S'est calmée : ils font trêve à leur ressentiment ;

Quittant leurs boucliers, s'appuyant sur leur lance,

Ils se sont arrêtés et gardent le silence.

Pâris et Ménélas trancheront le débat.

Hélène deviendra le prix de leur combat. »

 

Iris a, par ces mots, au cœur de la princesse,

Réveillé le désir de retourner en Grèce,

De revoir son époux, son pays, ses parents :

Elle prend aussitôt ses voiles les plus blancs ;

Elle sort du palais et s'éloigne, escortée

De deux femmes : Clymène et la sœur de Pithée.

Leurs pas précipités bientôt sont parvenus,

Au faîte du rempart, où déjà sont venus,

Priam, Thimète, Lampe, Ucolégon, Clissée,

Antenor, Panthoüs, assis aux portes Scées

Par l'âge, ces vieillards, affaiblis et perclus,

Aux hasards des combats ne s'aventuraient plus.

Ils discouraient entre eux, imitant la cigale,

Dont le corps tremblotant vibre par intervalle.

Hélène tout à coup apparaît à leurs yeux ;

L'admirant, à voix basse ils se disaient entre eux :

« Qu'elle est belle ! on dirait les traits d'une déesse;

Il n'est pas étonnant que, pour cette princesse,

Pour la ravoir la Grèce ait longtemps combattu.

De grâce et de beauté son corps est revêtu,

Son port est séduisant, sa taille enchanteresse ;

Cependant, s'il le faut, pour que la guerre cesse,

Qu'elle parte ! qu'elle aille, en s'éloignant de nous,

Rejoindre ses parents, reprendre son époux. »

 

Tels étaient leurs propos : Priam, tourné vers elle,

L'engage à s'approcher, lui fait signe et l'appelle :

 

« Ma fille, lui dit-il, chère Hélène, approchez.

A vous, par moi, nos maux ne sont point reprochés :

J'en accuse les Dieux qui sont sourds à nos larmes;

Eux seuls ont suscité nos maux et nos alarmes...

Dites-moi, quel est donc l'homme majestueux

Qu'on voit parmi les Grecs brillant au milieu d'eux ?

Il en est de plus grands, mais aucun ne l'égale,

Par la beauté, le port, la majesté royale. »

 

Hélène répondit : « Mon père, à votre aspect,

Je suis humiliée et pleine de respect.

J'eusse été moins à plaindre et bien moins malheureuse

En préférant la mort à ma fuite honteuse,

J'ai quitté mon époux, ma fille, mes parents,

J'ai de ceux qui m'aimaient froissé les sentiments,

Mais tel est mon destin : par Pâris entraînée,

J'ai passé dans les pleurs ma vie infortunée.

Quant au chef dont ici vous demandez le nom,

C'est Atride, celui qu'on nomme Agamemnon,

Grand roi, guerrier puissant que la Grèce révère :

Hélas ! puis-je le dire ? il était mon beau-frère ! »

 

Elle dit, et Priam, tournant vers lui les yeux,

S'écria : « Grand guerrier, que protègent les Cieux,

Jamais un souverain sous son obéissance,

Ne vit tant de sujets, n'eut autant de puissance.

Quand j'étais jeune encore, en Phrygie, autrefois,

Je suivis une armée et vis de puissants rois.

Là, le fameux Mygdon et le vaillant Octrée

Etaient les souverains de toute une contrée;

De leur vaillante armée, habiles, courageux,

Les guerriers étaient fiers de se voir si nombreux;

J'étais leur allié, je vis les Amazones

Succomber sous nos coups, braves comme lionnes.

Nos guerriers réunis étaient tous valeureux,

Mais ceux d'Agamemnon sont beaucoup plus nombreux. »

 

Il finit de parler ; tout à coup à sa vue

Se présente un guerrier marchant la tête nue :

« Hélène, lui dit-il, quel est donc ce guerrier

Qui, parcourant les rangs, n'a pas de bouclier ?

Il est moins grand qu'Atride et n'a pas sa stature,

Mais sa large poitrine a bien plus de carrure ;

Quoique moins grand, il est plus fort qu'Agamemnon,

Ma fille, je voudrais savoir aussi son nom.

Ayant quitté son casque et mis sa lance à terre,

Sa marche est assurée et son allure altière ;

Au milieu des brebis, et par comparaison,

Il est comme un bélier d'une épaisse toison. »

 

Hélène répondit à Priam : « C'est Ulysse ;

Ithaque est son pays ; prudent, plein d'artifice,

En ruse, chez les Grecs, il n'a pas de pareil,

Et par ses bons avis il excelle au conseil. »

 

A ces mots, Antênor interrompant Hélène :

« 0 femme, lui dit-il, oui, la chose est certaine,

Car ici, pour ta cause autrefois sont venus,

Ulysse et Ménélas ; je les avais reçus

Chez moi, dans mon palais; et là, de leur prudence

Comme de leur valeur je vis la différence.

Lorsque dans l'assemblée ils se tenaient debout,

Ménélas dépassait Ulysse de beaucoup.

Quand ils étaient assis ou se mettaient à table,

Ulysse l'emportait par son air vénérable.

Lorsque dans le conseil ils donnaient leur avis,

Ménélas s'exprimait clairement et d'assis,

Il n'était pas bavard, et toujours sa parole

Restait dans son sujet, sobre et sans hyperbole.

Quand Ulysse voulait prononcer un discours,

Il se levait distrait, regardant tout autour ;

Il balançait son sceptre avec indifférence ;

On l'aurait dit timide et sans expérience ;

Mais de sa bouche quand les paroles sortaient,

Comme un torrent d'hiver ses arguments coulaient

Et pour le réfuter on ne trouvait personne;

On admirait son art bien plus que sa personne. »

 

Priam, voyant Ajax parmi les autres rois,

Vers Hélène penché pour la troisième fois :

« Mais quel est, lui dit-il, ce héros énergique,

Qui les surpasse tous par son corps athlétique ? »

Hélène répondit : « C'est Ajax ; ce guerrier,

Des Grecs est aujourd'hui comme le bouclier,

Et debout, près de lui, se montre Idoménée,

La troupe des Crétois par lui fut amenée.

Ménélas l'a souvent reçu dans son palais,

Tous ceux que vous voyez, Priam, je les connais,

Je pourrais les nommer, vous désigner leur place.

Hélas ! au milieu d'eux je ne vois pas la trace

De Castor, de Pollux, mes frères bien-aimés,

Tous deux pleins de courage, et tous deux renommés.

Peut-être n'ont-ils pas quitté Lacédémone ;

Peut-être ici. témoins des maux que j'occasionne,

N'auront-ils pas voulu, pour venger un affront,

Combattre pour la sœur qui fît rougir leur front ! »

 

Tandis qu'à ces regrets Hélène ainsi se livre,

Ses frères dès longtemps avaient cessé de vivre.

 

Revenant d'Ilion, cependant les hérauts

Pour la cérémonie amenaient des agneaux ;

Et pour le sacrifice ils apportaient en outre,

Du vin limpide et pur renfermé dans une outre.

Le héraut Idéus dans une urne d'argent,

A mis des coupes d'or. Passant devant Priam

Il lui dit : « Hâtez-vous, descendez dans la plaine,

Les Grecs et les Troyens ont suspendu leur haine,

Seuls en viendront aux mains Ménélas et Pâris :

Hélène et ses trésors, du combat sont le prix;

Le vainqueur obtiendra celte belle princesse,

Les Troyens rentreront, les Grecs iront en Grèce. »

 

Priam, rempli d'effroi, se dispose au départ,

Ordonne à ses hérauts de préparer son char;

Antênor avec lui monte ; il saisit les rênes,

Il pousse vers l'armée en traversant les plaines.

Dès qu'ils sont arrivés, en signe de respect,

Lui-même Agamemnon se lève à son aspect ;

Ulysse était présent ; aux coupes réservées,

A coulé le vin pur, et les mains sont lavées.

Alors Agamemnon dégaine son couteau,

Pour trancher de sa main la laine de l'agneau.

Elle est distribuée, et puis d'une voix claire ,

Atride à Jupiter adressa sa prière :

 

« Auguste Jupiter, des Dieux père puissant,

Soleil ! qui, promenant ton disque éblouissant,

Vois tout : terre, torrents et Dieux par qui l'on jure,

Qui dans les sombres bords punissez le parjure,

Recevez nos serments ; que nos accords sacrés,

Pour être exécutés par vous soient consacrés !

Pâris, si Ménélas succombe sons sa lance,

Gardera pour toujours Hélène en sa puissance.

La guerre cessera ; nos rapides vaisseaux,

Pour ramener les Grecs traverseront les eaux.

Mais si de Ménélas la colère assouvie,

De Pâris, en vainqueur, dispose de la vie,

Les Troyens nous rendront Hélène et son trésor.

Pour les dédommager, ils payeront encor

Aux Grecs victorieux un tribut convenable,

Dont on puisse garder un souvenir durable ;

Et si jamais Priam, n'importe dans quel but,

Voulait se refuser à payer ce tribut,

Il nous opposerait un refus inutile,

Nous reprendrions le siège et brûlerions sa ville. »

 

Il égorge, à ces mots, deux agneaux qui, sanglants

A terre sont jetés sans vie et palpitants.

Dans les coupes versé, le vin pur qui s'écoule,

Est répandu par terre au milieu de la foule.

Les Grecs et les Troyens, en invoquant les cieux,

Aux Dieux, à Jupiter, adressèrent leurs vœux:

 

« Si quelqu'un parmi nous trahissait ses serments,

Qu'il meure, disaient-ils, ainsi que ses enfants !

Et que, semblable au vin qui sous nos yeux ruisselle,

De son crâne brisé jaillisse sa cervelle,

Et qu'à d'autres que lui sa femme ouvre ses bras ! »

 

Tels sont leurs vœux; le ciel ne les exauça pas.

Le fils de Dardanus, Priam, prend la parole :

 

« Grecs et Troyens, dit-il, je  vais partir ; mon rôle

Est aujourd'hui fini : Pâris et Ménélas

Vont en venir aux mains, et je ne pourrais pas

Supporter la douleur qu'en mon cœur ferait naître

Le danger de mon fils : Jupiter est le maître

De donner la victoire ou de donner la mort :

C'est à lui de mon fils que je livre le sort. »

 

En achevant ces mots, ce vieillard vénérable

Remonte sur son char ; la tristesse l'accable.

Antênor l'accompagne, il a mis les agneaux

Sur le char, et vers Troie il pousse les chevaux.

Hector avec Ulysse ayant quitté leur place,

Ensemble du champ-clos déterminent l'espace,

Pour savoir qui des deux, lançant ses javelots,

Ouvrira le combat, ils préparent les lots.

 

Partout on fait des vœux, et l'une et l'autre armée

Par un commun désir semblait être animée ;

On entendait ces mots : « Roi souverain des Cieux,

Qui règnes sur l'Ida, fais que celui des deux

Qui de tant de combats fut la cause première,

Frappé d'un coup mortel morde enfin la poussière !

Qu'il soit précipité dans le sombre palais

De Pluton ! parmi nous que règne enfin la paix. »

 

Voilà leurs vœux : Hector en détournant la tête,

Pour agiter les lois dans un casque les jette :

C'est le sort de Pâris qui sortit le premier ;

Ensuite chaque chef et chaque cavalier,

Suivi de son cheval, à son poste se rend,

Chacun choisit sa place et va prendre son rang.

 

Pâris, époux d'Hélène, au combat se prépare,

D'une superbe armure il se couvre et sépare ;

Il attache à ses pieds des brodequins dorés ;

D'une agrafe d'argent ses deux bras sont parés ;

Il a couvert son corps de la cotte de mailles

De Licaon son frère, adaptée à sa taille.

A son grand baudrier, par des clous d'or tendu,

Resplendissant d'airain, son glaive est suspendu.

Il a couvert son corps d'une armure complète ;

Sur le casque brillant qu'il a mis sur sa tête,

De crins noirs avec grâce un panache flottait,

Et sa main balançait la lance qu'il portait.

 

Ménélas, d'autre part, qui vers Pâris s'élance,

Au combat préparé s'est armé de sa lance.

Arrivés au champ-clos, l'un vers l'autre avançant,

Ils se sont mesurés d'un regard menaçant.

Dans les camps opposés, tout à coup, à leur vue,

Une invincible horreur s'est partout répandue.

Ils s'arrêtent enfin : tous deux sont irrités,

Leurs glaives dans leurs mains reluisent agités.

Pâris, qui, le premier, d'une main intrépide,

Lance sur Ménélas un javelot rapide,

Atteint son bouclier ; mais le trait qu'il lança

N'en perça pas l'airain, sa pointe s'émoussa.

Ménélas à son tour, en brandissant sa lance,

Apprête un javelot et sur Pâris le lance :

 

« Grand Jupiter, dit-il, je t'invoque aujourd'hui :

Fais que, ce javelot arrivant jusqu'à lui,

Je puisse me venger d'une infâme adultère

Qui plongea dans le deuil mon âme hospitalière !

En apprenant sa mort, que l'on soit sans pitié

Pour un vil séducteur qui trahit l'amitié ! »

 

A ces mots, sur Pâris, lancé d'une main sûre,

Un trait qui part, l'atteint et perce son armure,

Déchire sa tunique, arrive jusqu'au flanc.

Pâris aurait péri ; mais soudain s'abaissant,

Le dard est dévié, sa pointe se relève.

Mais Ménélas s'approche, et saisissant son glaive,

Il en décharge un coup sur son casque, et soudain

L'épée en trois morceaux se brise dans sa main.

Alors, levant les yeux vers la voûte céleste :

« 0 Jupiter, dit-il, des Dieux le plus funeste,

Lorsqu'enfin j'espérais de pouvoir me venger,

Tu brises mon épée et tu viens m'outrager !

La valeur ne peut rien quand tu nous es  contraire. »

 

À ces mots de Pâris il saisit la crinière,

Qui flottait attachée au casque étincelant ;

Indigné, vers les Grecs il fuit en le traînant.

Mais par le poids du corps, du menton la courroie,

Comprimant le gosier, de l'air ferme la voie :

Pâris va s'étouffer ; d'un triomphe éclatant

Ménélas est certain, mais Vénus à l'instant

Arrive à son secours, et brisant la charnière,

Le casque dans sa main reste avec la crinière ;

Il est tordu, sa main l'a soudain rejeté,

Et dans le camp des Grecs les soldats l'ont porté.

 

Ménélas furieux reprend alors sa lance ;

Une seconde fois pour l'atteindre il s'élance ;

Mais Vénus, qui survient, le dérobe à ses coups ;

Aux Dieux tout est possible, et Vénus tout à coup,

L'entoure d'un nuage épais, et puis l'emporte,

Au palais de Priam arrive, ouvre la porte,

Dans sa chambre introduit son Pâris bien-aimé,

Et l'étend mollement sur un lit parfumé.

 

Elle part aussitôt et va chercher Hélène.

Qu'entourait sur la tour la jeunesse Troyenne ;

Avant de l'aborder elle emprunta la voix ,

D'une vieille, qu'Hélène a connue autrefois

Dans son palais, avant qu'elle eût quitté la Grèce.

D'Hélène, sous ses traits, s'approche la Déesse,

Tire sa robe et dit : « Venez vers votre époux :

Il demande à vous voir et soupire après vous.

Jamais on ne le vit plus beau ni plus aimable :

Ce n'est pas un soldat que la fatigue accable

Et qui vient du combat : c'est un homme charmant,

De la danse on dirait qu'il sort en ce moment. »

 

En attendant ces mots, Hélène s'est émue,

Car par elle aussitôt Vénus est reconnue :

Son cou blanc, son beau sein, ses yeux voluptueux,

Pour elle ont révélé cette reine des Cieux.

Elle lui répondit : « Déesse insidieuse,

J'entends, je reconnais votre voix captieuse.

Venez-vous donc encore ici pour me tromper,

Et d'un nouveau malheur voulez-vous me frapper ?

Pour un de vos amis venez-vous me séduire ?

En Grèce, en Méonie allez-vous me conduire,

Et choisir le moment où Ménélas vainqueur

Veut ravoir son épouse et lui rendre son cœur ?

Allez trouver Pâris, achevez votre ouvrage,

Allez le contempler, portez-lui votre hommage ;

Quittez des immortels le séjour glorieux,

Allez ! de sa beauté pour repaître vos yeux,

Devenez son épouse, ou du moins sa servante ;

Ma visite aujourd'hui serait inconvenante.

Je ne puis pas encor maîtriser mon émoi.

Si j'allais le trouver, que dirait-on de moi ? »

 

Vénus lui répondit avec un ton sévère :

« Ingrate, garde-toi d'exciter ma colère !

Crains que je t'abandonne, et si jamais un jour,

Un noir ressentiment succède à mon amour,

Des Grecs et des Troyens si j'entretiens la haine,

Quel sort sera le tien, infortunée Hélène ! »

 

Sans répondre à Vénus, tremblante de frayeur,

Hélène prend son voile, elle cède à la peur ;

Conduite par Vénus, muette, inaperçue,

Des femmes d'Ilion elle échappe à la vue.

 

Les voyant arriver, pour les laisser passer,

Les femmes de service allèrent se cacher.

Au haut de l'édifice, elles sont attendues,

Et toutes deux ensemble elles y sont reçues.

Hélène est introduite, et Vénus, souriant,

En face de Pâris met un siège élégant.

Et sans le regarder Hélène s'est assise :

« De te trouver ici j'ai lieu d'être surprise,

Dit-elle ; d'un combat que j'ai vu de mes yeux,

Est-ce ainsi que tu sors dispos et glorieux !

Ah ! que n'as-tu péri sous là main vengeresse

De l'époux qu'autrefois m'avait donné la Grèce !

Tu te vantais pourtant d'être un homme de cœur,

Sur lui de l'emporter en adresse, en valeur !

Ah ! s'il en est ainsi, recommence, courage !

Et qu'un nouveau combat entre vous deux s'engage.

Mais cache-toi plutôt !.. Aux, coups de Ménélas

Une seconde fois tu n'échapperais pas. »

 

Pâris lui répondit en ces termes :

« 0 femme ! D'un reproche sanglant n'afflige pas mon âme ;

Si dans notre combat Ménélas a vaincu,

Il le doit à Minerve, et j'en suis convaincu ;

J'aurai bientôt mon tour, et dans une autre épreuve,

Pâris de sa valeur saura donner la preuve ;

Dans l'Olympe il existe aussi des Dieux pour nous,

Mettons-nous donc d'accord, Hélène, unissons-nous.

Pour toi, de mon amour une plus vive flamme,

Jamais, en aucun temps, n'a brûlé dans mon âme,

Et pas même le jour où, sensible à ma voix,

Tu vins entre mes bras pour la première fois,

Lorsque, ensemble arrivés à l'île de Cronée,

Nous unîmes nos cœurs et notre destinée. »

 

A ces mots, il se lève, Hélène le suivit ;

Ensemble ils vont alors reposer dans leur lit.

Cependant Ménélas, furieux, dans l'arène,

Cherchait autour de lui le ravisseur d'Hélène ;

Personne dans le camp ne put le lui montrer,

Et si quelque Troyen eût pu le rencontrer,

Une l'eût point caché !... Partout on le déteste ;

Il est par les Troyens haï comme la peste.

 

Enfin Agamemnon s'écrie à haute  voix :

« Dardaniens, guerriers que d'ici j'aperçois,

Pâris a disparu, sa défaite est notoire,

Et c'est à Ménélas qu'appartient la victoire.

Aux clauses du traité, Troyens, soumettez-vous ;

Qu'Hélène et ses trésors rentrent enfin chez nous,

Et payez-nous aussi la juste redevance,

Dans le traité prévue et promise d'avance. »

 

A ces mots, qui partout dans le camp retentirent,

De leurs mains, de leur voix, tous les Grecs applaudirent.