eEs Troyens s'estant rendus à leurs enseignes, & ayant
ordre de leur General, marcherent en bataille contre les
Grecs faisant autant de bruit que font les Grues, alors,
que s'eslevant en l'air elles abandonnent les Provinces
les plus reculees du Soleil, tant pour s'exempter de la
rigueur d'un long Hyver, cherchant un air plus temperé,
que pour aller denoncer la guerre aux Pigmeez. Les Grecs
au contraire vindrent avec silence contre leurs
ennemis, longeant en eux mesmes, par quel moyen ils les
pourroient vaincre, & se defendre, ou pour mieux dire
comment ils pourroient parer & tuer leurs adversaires. A
leur abord tant pour l'impetuosité des deux armees, que
de celle des vents, une si grande quantité de poussiere
s'esleva en l'air, qu'a peine pouvoit-on voir la
longueur d'un ject de pierre. Je n'en sçauroy mieux
accomparer l'obscurité qu'aux brouillars, que le vent de
bise porte aux sommets des montaignes, quelquefois au
desavantage, au desplaisir des bergers, & à la faveur
des brigands. Ainsi qu'ils estoient pres d'en venir aux
mains les uns avec les autres. Paris trop beau pour
estre vaillant marchoit à la teste des Troyens defiant
avec faste le plus courageux des Grecs.
Il estoit armé de la peau d'un Leopart, avoit son arc
& sa trousse plaine de flesches, son espee au costé,
tenant en sa main deux darts acerez. Il n'eut si tost
faict son deffi, que Menelas à qui le faict touchoit de
plus pres qu'a personne, se resolut de respondre à son
cartel & le recognoissant à la face & à la contenance,
il fut aussi content, que peut estre le Lion affamé,
quant il trouve un cerf, un daim, ou un chevreuil
malmené par les veneurs & par les chiens. Soudain
desirant se venger de la honte que Paris luy avoit
faitte, saute en bas de son chariot tout armé qu'il
estoit, & se presenta devant Paris, avec tant de fureur
& de hardiesse, que Paris qui pour lors avoit mis tout
son courage en ses rodomontades, en eust tel effroy, qui
luy tourna les espaules, & se recula tout ainsi que
faict un partant, quand à l'improviste il rencontre un
serpent en son chemin, fremissant & tremblant de
crainte, portant plustost l'image de la mort, depeinte à
son visage, que la ressemblance d'un homme vivant.
Hector animé de la lascheté de son frère, luy dit en
colere ces paroles injurieuses, Toy miserable qui as
l'apparence d'un homme vaillant, & qui pourtant as les
effects d'un effeminé, qui n'es propre que parmy les
femmes bravache en tes paroles & lasche en tes actions,
homme di-je perdu de luxe, addonné à tes plaisirs, il
t'eust esté beaucoup plus honnorable, de n'estre jamais
né, que de laisser une infamie à ta posterité. Pleust à
Dieu que le jour de ton berceau eust esté celuy de ta
tombe, plustost que d'avoir commis un acte si honteux en
la presence de tant de gens de bien. Ne vois tu pas la
risee qu'en font les Grecs, & le plaisir qu'ils
reçoivent de ta lascheté ? Ceux mesme qui avoient
quelque estime de ta valeur, ou qui esgaloient ton
courage à ta mine, te font servir de fable, & disent que
tu as une belle apparance si tu avois le courage.
Autresfois as tu bien eu l'audace d'armer des vaisseaux
& de voyager en terre estrangere, où contre le droit
d'hospitalité, tu enlevas la femme de celuy qui t'avoit
receu trop humainement en la maison, au detriment de tes
parens, de ta patrie, & au deshonneur du nom Troyen. Et
maintenant tu n'as osé attendre au combat, celuy que tu
as offensé. Je ne puis attribuer cecy qu'à la crainte
que tu as eu de recevoir la mort des mains de celuy
auquel tu as ravy l'espouse, scachant bien qu'il avoit
juste subject de la quereller, & que ce te fut une
injustice de luy ravir. Il est vray que les advantages &
les faveurs que tu tiens de Venus, soit la beauté de
visage, la propreté des habitans, la douceur de la voix
& les autres charmes, avec lesquels on est bien venu
parmy les femmes, ne te garantiront point de mourir, si
tu te hazardes au combat, mais ta couardise a reduit les
Troyens à tel poinct que ceux qui avoient le plus
d'envie d'authoriser par leurs armes tes maléfices, sont
maintenant rebutez, d'espouser ta querelle, se trouvant
deceus de l’esperance qu'ils avoient en tes armes. Voila
pourquoy tu feras bien de te cacher derrière quelque
muraille où tu puisse estre en seureté Paris oyant les
outrages & les injures que son frère Hector luy disoit,
luy fist celle repartie. Hector je confesse que tu as
raison de me blasmer ainsi, & vois bien que la grandeur
de ton courage s'augmente d'autant plus que tu
l'exerces, de mesme que la cognée du Charpentier
s'affine & s'endurcit, plus elle est mise en usage.
Neantmoins tu ne devrois me reprocher les dons que je
tiens de la libéralité de Venus, veu qu'on doit faire
estat des avantages, que les Dieux nous octroyent selon
qu'ils jugent nous estre propres, & non pas ainsi que
nous le demandons. Et afin que tu n'estimes que je
manque de courage, si tu veux presentement que le
different de ceste guerre se vuide entre Menelas & moy,
commande que les Troyens & les Grecs mettent bas les
armes, & qu'à leur veue nous fassions nostre duel à
condition qu'Helene sera la recompense du vainqueur avec
toutes les richesses, pour lesquelles ceste guerre est
commencée. Que les Troyens se retireront dans leur
ville, & les Grecs en leur patrie. Hector fut
extremement rejiouy oyant la volonté de son frere bien
differente de l'action qu'il avoit faicts, & soudain
prenant une lance par le milieu, alloit de rang en rang
defendre à ses gens-d'armes d'aller plus outre, ce
qu'ils firent : mais les Grecs sans prendre garde aux
defenses d'Hector, poursuivoient leurs pointes lançant
dards, & javelots contre les Troyens jusques à tant
qu'Agamemnon sortit hors de ses troupes, les faisant
arrester, criant à haute voix : Cessez de plus combattre
peuple Grec, je voy Hector qui nous fait signe de
vouloir parlementer. Soudainement les Grecs se teureut &
mirent bas les armes au commandement de leur Roy. Hector
voyant un si grand silence entre les deux armées
commença de parler ainsi. Messieurs tant Grecs que
Troyens escoutez à ce coup ce que mon frere Alexandre
vous propose pour mettre fin a nos alarmes. Il est le
motif de ceste guerre, aussi seul en veut-il courre la
risque. Il est d'avis que l'on mette fin à ces combats,
& que luy & Menelas decident avec les armes le subject
de ceste querelle. Qu’Helene & ses thresors demeurent au
victorieux, & que dés le matin ou à l'heure méme chacun
s'en retourne chez luy comme il sera convenu & accordé
par serment mutuel.
Apres qu'Hector eust achevé de dire, Menelas rompit
ainsi le silence. Vous sçavez Messieurs tant Grecs que
Troyens, comme le faict me touche plus qu'à personne, &
que ma juste colere me sollicite de respondre. Je treuve
bon que vous Grecs apres tant de fatigues souffertes à
mon occasion, & vous Troyens pour soustenir l'injustice
de Paris, que desormais vous vous reposiez, & que luy &
moy decidions ceste querelle. Que sans venger la mort de
celuy qui sucombera sous les armes de son ennemy, chacun
retourne en sa maison. Et pour ratifier cest accord,
vous Troyens apportez un agneau blanc, Si une brebis
noire, afin de les immoler, le masle au Soleil, & la
femelle à la terre: & de nostre part nous en apporterons
un troisiesme que nous offrirons à Jupiter. Mais avant
toute autre chose faictes venir Priam, pour approuver
cest accord, afin que l'artifice de les enfans qui sont
coustumiers de violer leur foy ne face passer en fumee
ce qui est convenu entre nous : aussi bien l'inconstance
& la legereté est ordinaire à la jeunesse. Mais alors
que Priam aura donné sa parole il aura soin de la faire
maintenir, principalement quand il se representera les
choses passees, & prendra garde à ce qui peut advenir,
il jugera estre necessaire que la paix se conclue entre
les deux armees.
Les Grecs & les Troyens esperans par le discours de
Menelas estre desormais en repos s'en resjouyrent. Et
s'estant rangez vis à vis les uns des autres, ne
laissant que bien peu de distance entre les deux osts, &
ayant mis bas les armes, les deux Princes descendirent
de leur chariot. A l'heure mesme Hector envoya deux
messagers à Troye pour apporter les deux agneaux & pour
faire venir Priam approuver cest accord. Agamemnon de
son costé envoya Taltibies à ses nefs querir l'aigneau
destiné. Cependant que les Grecs & les Troyens
estoient sur les preparatifs de la paix, Iris messagere
des Dieux descendit du ciel & vint en la cité de Troye,
prenant la forme de Laodices fille de Priam, femme de
Helicaon fils d'Antenor, & belle sœur d'Helene, qui se
transportant en la maison de la belle Helene, pour
l'advertir du duel de Paris & de Menelas, la trouva
travaillant en une piece de tapisserie de haute lice de
couleur de pourpre, où elle y representoit les combats,
les rencontres, les saillies, & les faicts d'armes que
les deux armees avoient faicts à son occasion, tant elle
estoit spacieuse & grande. Et luy dit. Venez très-chère
espouse venez avec moy voire chose merveilleuse accordee
depuis peu entre les Troyens & les Grecs. Car vous les
verrez assis en repos à la barbe les uns des autres, en
la mesme campagne où ils s'entretenoient il n'y a pas
long temps, & c'est pour ce que Paris & Menelas doivent
combatre ensemble, pour voir auquel la fortune te
donnera pour femme, ils ont ainsi conclu que tu serois
le pris de leur victoire. Helene oyant ceste verité, eut
un grand desir de revoir son premier mary, ses parens &
sa patrie. Voyla pour quoy sans differer d'avantage,
elle print un voile de fin lin, & sortit de sa chambre,
arrousant son visage de ses larmes, suyvie des deux
sobrettes Aethra fille de Pithee, & la belle Clymene,
peu de temps apres elle arriva à la porte Scee, où elle
trouva le Roy Priam sur le rempart, avec force
Seigneurs, qu'un long aage avoit dispensé de la guerre,
qui devisoyent à l’ombre, ainsi que les cygales
gazouillent en Esté entre les fueilles, & ces Seigneurs
estoyent, Thymete, Pantus, Lampus, Clitus, tous
personnages d'estime & de merite, le vaillant Hiceaton,
le robuste Ucalegon, & Antenor qui n'eut en son temps
point de semblable en valeur, & maintenant homme de
Conseil, qui n'eurent plustost veu la belle Grecque,
qu'ils dirent entre-eux. A la vérité ce n'est pas de
merveille si la guerre est tant animée & de si longue
duree, pour ceste excellente beauté, qui ressemble
plustost sa Deesse que sa femme. Toutesfois encores
vaudroit-il mieux la rendre à ses parens quelque beauté
qu'elle aye, que de la retenir, pour les accidens & les
disgraces qui en peuvent arriver à nous & à nostre
posterité. Ces discours tenoient ces vieillards, & Priam
appela Helene & luy dit. Venez vous seoir aupres de moy
ma chere fille, pour voir vostre premiere mary & vos
parens, & ne pensez que je vous donne la coulpe de ceste
guerre, ny que je croye que vous soyez le subject de
tant de larmes que j'espans, mais bien aux Dieux qui
sont autheurs des disgraces que j'endure. Aprochez vous
donc ma fille, & me dites qui est celuy qui paroist
entre tous les autres plutost par sa gravité, & par sa
bonne mine que sa corpulence, il y en a d'autres plus
grands de corsage, mais je n'en vis jamais un qui
resentit mieux son bien que cestuy-cy. Helene luy
respondit, Sire le respect que je porte à vostre Majesté
me rend honteuse, & pleust-il à Dieu que j'eusse esté
morte lors qu'abandonnant mon mary, ma patrie, mes
compagnez, & ma fille unique, je suivy vostre fils, ces
malheurs ne seraient pas advenus, & n auroy tant vomy de
souspirs, ny jetté tant de larmes. Mais afin d'obéir à
vostre commandement, scachez que celuy duquel vous me
demandez le nom, est Agamemnon fils d'Atree, homme
vaillant & chef de tout ceste armee. Autrefois estoit-il
mon beau frere, s'il plaist à mon infortune que telle le
nomme comme frère de mon espoux.
O Agamemnon Prince fortuné, ce dit Priam, les Dieux &
les destins te sont bien amis, de te faire commander à
un si florissant exercite des Grecs, tel à la vérité que
je n'en vis jamais de semblable. Autrefois ay-je bien
veu un grand nombre de Phrygiens campez sur la riviere
de Sangar pour servir les Rois Otreus & Migdon, contre
les Amasones, au secours desquels j'accouru avec mes
forces & celle de mes amis, & fus crée General de toute
l'armee, belle & grande, mais non pas esgalle à
celle-cy.
Apres cela Priam voyant Ulisse interroge sa bru
derechef. Dy moy ma chere fille, qui est celuy moindre
de hauteur qu'Agamemnon, qui pourtant est plus large
d'espaules, d'estomac & qui a la taille bien
proportionnee, qui desarmé costoye avec vue telle
esperance les rangs des soldats Grecs, de mesme que
faict le belier pour r'allier le troupeau de brebis.
Helene luy respond, cestuy cy, est Ulisse lequel pour
avoir esté eslevé en Itaque Province rude & moutueuse,
est neantmoins homme poly, accord, inventif, & de bon
conseil. Alor le vieillard Antenor luy dit il est vray
ce que vous dictes Madame. Car luy & Menelas logerent
chez moy & les y traitay en amy, alors qu'ils vindrent
icy pour vous ravoir. Aussi remarquay-je bein l’esprit
de l’uns & de l’autre, & les graves conseils estans tous
deux debout pesle mesle en l'assemblee des Troyens.
Menelas paroissoit le plus grand, & assis Ulisses avoit
une façon plus venéerable. Quand il fut temps d'exposer
leur legation Melenas en fit l'ouverture en peu de mots
(aussi de son naturel parloir il peu) mais avec tant de
subtilité & de pointe qu'il n'y avoit rien à desirer, ny
à reprendre, bien qu'il fust plus jeune qu'Ulisse.
Quand ce fut à Ulisse à parler, il tint quelque temps
ses yeux fichez en terre, sans mouvoir son sceptre de
costé ny d'autre, non plus ne moins qu'un idiot. Vous
l'eussiez jugé alors ou extremement irritè, ou du tout
sans esprit. Mais apres avoir esbauché sa harangue qu'il
prononça avec asseurance, les belles paroles luy
croissoient à la bouche en aussi grande abondance que
les neiges tombent en Hyver : il n'y eut pas un de nous
si osé de luy respondre, ny mesme de luy contester, &
admirions bien son eloquence, d'avantage que son port.
Pour la troisiesme fois Priam en jettant sa veue sur
Ajax demanda à Helene, qui est cest autre Grec plus haut
de la teste, & plus large d'espaules, que tous les
autres ? C’est le fort Ajax dit elle le bouclier & le
rempart des Grecs, & cest autre qui est à son costé est
Idomenee Roy de Crète, suivy de tous les Princes de
ceste Isle, & servy comme un Dieu : il a plusieurs fois
logé chez nous passant pays à la priere de Menelas mon
mary l'en recognoy beaucoup d'autres, desquels je passe
le nom sous silence pour le desir que j'ay d'en voir
deux, Castor le bon gens darme, & Pollux le brave
Athlète mes freres. Je crain que le desplaisir qu'ils
ont de mon infamie ne les ait empesché de venir, on
qu'ils ne soient retournez à Sparte du milieu du chemin,
ne voulant plus suivre les armes ayant honte du blasme &
du deshonneur que je fais à nostre race. Helene faisoit
ces discours, mais ils estoient ensevelis en leur chere
patrie de Sparte il avoit long temps. Cependant qu'il
s'entretenoient ainsi, les Hérauts arriverent à la
ville, ayant déjà pris ce qui leur avoit esté commandé
de porter pour confirmer l'accord, à sçavoir deux
agneaux & un bouc de vin. Entre lesquels Idee portoit
un bassin & deux coupes d'or, & vint en cet équipage
dire sa legation au Roy Priam en telle sorte. Sire venez
promptement au camp, où les Princes Troyens & Grecs vous
attendent avec passion, aussi m'ont-ils le commandé de
vous venir appeler pour faire vue alliance entre-eux,
qui ne se peut faire sans vostre majesté. Ils ont
proposé de remettre le different de ceste guerre entre
Paris & Menelas qui les armes au poing, entre les deux
armées decideront auquel des deux qui sera victorieux,
demeurera Helene, & ses richesses, ainsi la paix se
fera, les Grecs retourneront en leur patrie, & nous
habiterons en nostre ville en repos, par un accord que
vous fetez ensemble.
Ces paroles estonnerent un peu le vieillard Priam,
toutesfois si fist-il mettre ses chevaux à son chariot
pour le porter où il estoit attendu. On luy ameine
soudainement, il y monte prenant les reines des chevaux,
Antenor se mit aupres de luy, & sortant par la porte
Scee s'en allerent de compagnie au camp des Grecs où
estant arrivez descendirent du chariot & marcherent au
milieu des leurs & de leurs ennemis. Agamemnon
accompagné, d'Ulisse voyant ces deux vieillards leur
allerent au devant, & les Hérauts de part & d'autre s'y
trouverent, aportant ce qui estoit necessaire, pour
conclure leur pacte. Premierement, ils verserent le vin
dans le bassin, & donnerent a laver à l'un & à l'autre
des Rois. Agamemnon tirant son cousteau qui selon la
coustume tenoit au foureau de son espee, rasa le poil
des testes de deux agneaux, & le fit distribuer aux
principaux des Grecs & des Troyens, puis levant les
mains aux cieux en la presence des assistans, fit ceste
priere à haute voix. Jupiter qui présidez souverainement
sur le mont Ida, & vous Soleil qui voyez & entendez
toute chose, vous fleuve, vous terre, & vous enfers qui
tourmentez après la mort ceux qui persidement violent
une alliance. Je vous supplie que celle que nous
traitions aujourd'huy, soit par vostre moyen saincte &
inviolable. Que si la fortune ou les armes sont si
favorables à Paris, qu'il prive Menelas de vie en ce
duel d'aujourd'huy, qu'Helene & toutes ses richesses luy
demeurent pour pris de sa victoire, & que nous
retournions avec nostre armee en nostre patrie. Au
contraire si Menelas triomphe de la vie & des armes de
Paris, que les Troyens rendent Helene avec tous ses
biens, & qu'ils donnent aux Grecs un honneste tribut,
tel qu'on jugera raisonnable qu'ils payeront
annuellement à nostre posterité. Et au cas qu'apres la
desroute & la mort de Paris, Priam & ses enfans ne
vueillent payer ce tribut, j'appelle à tesmoings les
mesmes Dieux que je persisteray à la vengeance de leur
foy violee, tant qu'eux ou nous soyons mis en desroute.
Ayant achevé de parler ainsi il tue les deux agneaux
masle & femelle, & ainsi sanglants & morts les mit à
terre, les autres versoient le vin dans le bassin,
faisant des vœux aux Dieux. Quelqu'un d'entre-eux
eslevant les yeux au ciel faisoit ceste priere. Vous
Jupiter le premier & le plus puissant des Dieux, & vous
autres Dieux vueillez permettre que le premier qui
enfreindra cest accord, ainsi que le vin coule sur la
terre, de mesme voye-il couler le sang de sa femme & de
les enfans esgorgez. Celuy-là faisoit telles prieres
toutesfois Jupiter ne les favorisa point, mais plustot
fit-il la sourde oreille.
Aussi tost apres le Roy Priam dit à l'assemblee.
Escoutez Messieurs les Grecs & Troyens, je n'ay pas si
peu de naturel que je puisse voir le combat de mon fils
bien-aymé, & de Menelas, voila pourquoy je m'en retourne
à la ville pour n'y point assister, Jupiter & les autres
Dieux sçavent bien lequel des deux est destiné à
mourir. Puis ayant dit ces paroles & mis les agneaux
dans son chariot, il y monta & print les reines, Antenor
montant aupres de luy s'en retournerent à la ville.
Hector fils de Priam & le noble Ulisse mesurerent un
lieu propre pour achever ce duel, puis mirent des
billets en un heaume pour jetter au sort lequel des deux
frapperoit le premier. Les deux armées regardant ce
spectacle, estoient en peine de l'evenement & de l'issuë
de ce combat, & dressant les mains en haut faisoient
des vœux, & les uns & les autres prioient ainsi. Jupiter
qui presidez en la montaigne Ida & qui avez une
tres-grande puissance, permettez que l'autheur de tant
de calamitez que nous souffrons descende aujourd'huy en
enfer, & que nous demeurions à jamais amis sans violet
aucunement cest accord. Ils faisoient telles prières.
Hector ayant le visage tourné frappa sur le heaume où
estoit le sort, il ne frappa long temps que le sort en
sortit, par lequel on recogneut que Paris devoit lancer
le premier dard. A mesme temps les Grecs & les Troyens
s'allèrent seoir au lieu où ils estoient auprès de leurs
chevaux. Paris s'arma premierement de ses cuissots de
ses genouillieres & de ses greves attachees avec des
boucles d'argent puis il endossa la cuirasse de son
frère Licaon (laquelle pourtant se trouva bien faicte
pou luy : il pendit son espee en escharpe, laquelle
estoit marquetée de clous d'argent, agença son escu sur
son epsaule, mit le casque en reste ayant une creste du
poil de la queue d'un cheval, si terrible à voir qu'au
seul mouvement elle sembloit menacer puis il print une
forte lance en sa main. D'autre costé Menelas le Martial
s'arma de toute pièce, se rendant au lieu assigné entre
les deux camps, marcherent l'un contre l'autre avec
telle gravité, telle audace, & telle contenance, se
menaçant des yeux, avec tant de fureur que les assistans
en fremissoient de crainte. S'estant ainsi approchez ils
lancerent leurs javelots en colère. Paris jetta le
premier sa lance & frappa dans l'escu de Menelas sans le
fausser, le fer rebouchant à cause de la bonté de
l'escu. Menelas accoudé sur sa lance fit ceste, prière.
Jupiter Roy des Rois je te prie de faire en sorte que je
me venge à ce coup de l'injure que premièrement j'ay
receuë de cestuy-cy & le fais succomber sous ma dextre
victorieuse, afin que doresnavant les hommes craignent
d'abuser du droit d'hospitaliré, & de procurer de
l'infamie à ceux qui leur font courtoisie, & de qui ils
ont receu des offices d'amis, & des tesmoignages
d'amitié.
Ayant achevé sa prière il darda sa lance contre Paris &
la rompit dans son escu perçant tout ce qu'elle
rencontra jusques à la chemise : & alors c'estoit fait
de luy s'il n'eust esquivé du corps, puis mettant la
main à son espee marquetee de clous d'argent, en martela
le casque de Paris avec tant d'ardeur & de violence, que
son espee se brisa en trois ou quatre lieux & luy tomba
des mains. Ce que voyant Menelas, commence tout hors de
soy de blasphemer contre le ciel en telle sorte. Jupiter
à ceste heure cognois-je bien que tu es le plus meschant
des Dieux : car en te priant j'avoy esperance que Paris
pour ses demerites recevroit par mes mains les peines
qu'il a deservies, & maintenant mon espee est en pieces,
ma lance sans effets est sortie de mes mains. Quoy
disant tout en colere se lance sur Paris & le prend par
la creste de son heaume, faicte, comme j'ay dit, de
queues de cheval, le tirant & trainant jusques auprès du
camp des Grecs, & l'euste estranglé avec la courroye de
l'armet qui luy serroit la gorge & l'empeschoit de
respirer, si Venus fille de Jupiter ne la fut venu
rompre, tellement que Menelas n'eut autre conqueste que
le casque qui luy demeura entre les mains, puis le jetta
soudainement entre les siens, qui le receuent avec
allegresse, & relevant sa lance ferree accourut à luy en
intention de le mettre à mort, mais Venus l'enleva & le
tira hors du camp invisiblement, estant environnee d'une
nue, & le porta en son riche palais dans une chambre
parfumée, puis alla trouver Helene dans une tour
assistée de plusieurs Dames Troyennes, & la tirant par
la robe, sous la semblance de Gree, ceste Damoiselle qui
estoit venue de Grece, avec Helene, femme agee & bonne
ouvriere en tapisserie, & à laquelle Helene monstroit
plus de privauté & se, fioit le plus. La tirant par la
robe, elle luy dit Madame, venez au logis, Paris vous
y attend & m'a commandé de vous venir appeller. Il est
en son lict Royal, si bien paré, & si beau que vous ne
diriez pas qu'il vient de combattre avec Menelas, mais
plustost le jugeriez vous sortir du bal, & que mesme il
a encor envie d'y retourner. Helene fut toute esmeuë du
discours de la Deesse, & apres l'avoir recogneue tant à
la beauté de son col, à la blancheur de son sein, qu'a
la splendeur de ses yeux, toute troublee luy tint ce
langage. Miserable pourquoy me veux tu encor decevoir ?
me veux tu encor mener en d'autres citez etrangeres bien
peuplees, ou eu Phrigie, ou en Meonie ou en quelque
autre part ou tu aye quelque amy particulier, Car je
suis asseuree que si Paris est vaincu que Menelas me
doit retirer de ceste odieuse maison, voila pourquoy tu
t'es ainsi desguisee pour me decevoir, & c'est pour le
trop d'affection que tu portes à Paris. Demeure
desormais avec luy, sans plus retourner au ciel, comme
si tu en avois oublié le chemin, conserve-le, & le
delivre de toutes embusches jusques à tant qu'il te
prenne pour espouse, ou du moins pour esclave.
Quand est pour moy, je ne retourneray
jamais en sa couche, autrement j'en seroy justement
blasmee & injuriee par les Troyennes, ce qui me seroit
parler le reste de mes jours, en soupirs, en douleur s&
en larmes. La Deesse Venus luy respond en colere,
miserable ne me fasche point d'avantage, de peur que je
ne t'abandonne : car si ma haine esgale une fois
l'affection que j'ay toujours eu pour toy, te rendant
odieuse aux Troyens & aux Grecs, tu périras
malheureu-sement. Ces paroles effayerent Helene fille de
Jupiter, & suivit secretement la Deesse, couverte d'un
voile blanc, sans en advertir les Dames de sa trouppe.
Et comme elles arriverent toutes deux en la somptueuse
chambre de Paris, ses servantes se retirerent, chacune
où elle avoit à faire. Helene ceste beauté, ou plustost
ceste Deesse entre les femmes, approchant du lict de
Paris s'assied vis à vis de luy en une chaire que la
joviale Venus luy avoit preparee, & sans autrement le
regarder, comme à demy courrroucee, elle luy dit. Quoy
donc Paris es tu retourné du combat, à la mienne volonté
que tu y fusse pery par la main de ce vaillant homme qui
fut autrefois mon premier espoux. A la vérité tu faisois
le vain auparavant & disois fastueusement que tu estois
plus courageux, plus fort & plus adroit que Menelas aye
encor la vanité de t'appeller en duel ; si tu me crois
cesse de le provoquer presomptueusement, si tu ne veux
mourir de sa main tresbuchant sous l'effort & le fer de
sa lance. Paris escoutant ces brocards tint ce discours
à Helene. Ma mie ne m'offenses point ainsi, Menelas m'a
vaincu par la faveur de Minerve, une autrefois je le
pourray vaincre ; car les Dieux nous sont aussi bien
amis qu'à luy, trefue à ces discours, resjouissons nous
amoureusement icy couchez ensemble, je n'eus jamais tant
de passion pour vous que j'en ay maintenant, ny pas
mesme quand levons enlevay de Lacedemone, que je vous
mis en mon vaisseau, & que je vous menay en l'isle de
Cranee, où je jouis la première fois de vostre amour.
Des discours ils veindrent aux effects, Paris se coucha
sur son lict, Helene le suivit bien tost apres, où tous
deux reposerent à leur aise. Menelas cependant erroit ça
& là parmy l’armee, ainsi qu'une beste sauvage, pour
voir s'il trouveroit Paris en quelque part car personne
ne luy en pouvoit dire aucune nouvelle, ny en l'armée
des Grecs, ny en celle des Troyens. Aussi ne l'eust on
osé receler de peur de violer l'accord, & tous en
general le haissoient & desiroient sa mort pour le salut
du public.
Eu ces entrefaittes Agamemnon General de l'armée des
Grecs, usoit de ces paroles. Escoutez Troyens, & vous
Dardaniens qui estes venus à leur secours, puis qu'il y
a apparence que le vaillant Menelas demeure victorieuse,
vous devez rendre la belle Helene & tous ses tresors,
avec un tribut raisonnable qui en memoire de ceste
victoire je payera à nous & à nos enfans. Agamemnon
tint ce langage qui fut approuvé des autres Grecs.