Livre III
Remonter Vue premières pages

   
 

 
Paris appelle Menelas en duel, pour decider le different de la guerre. Ils jurerent de part et d'autre qu'Helene seroit la recompense du victorieux. Venus ravit Paris hors du combat. Helene sur le rempart de Troy disant les noms des Grecs, à Priam, puis elle est menee en sa chambre avec Paris, par la Deesse Cypris, tant par force que par volonté.
 

eEs Troyens s'estant rendus à leurs enseignes, & ayant ordre de leur General, marcherent en bataille contre les Grecs faisant autant de bruit que font les Grues, alors, que s'eslevant en l'air elles abandonnent les Provinces les plus reculees du Soleil, tant pour s'exempter de la rigueur d'un long Hyver, cherchant un air plus temperé, que pour aller denoncer la guerre aux Pigmeez. Les Grecs au contrai­re vindrent avec silence contre leurs ennemis, lon­geant en eux mesmes, par quel moyen ils les pourroient vaincre, & se defendre, ou pour mieux dire comment ils pourroient parer & tuer leurs adversaires. A leur abord tant pour l'impetuosité des deux armees, que de celle des vents, une si grande quantité de poussiere s'esleva en l'air, qu'a peine pouvoit-on voir la longueur d'un ject de pierre. Je n'en sçauroy mieux accomparer l'obscurité qu'aux brouillars, que le vent de bise porte aux sommets des montaignes, quelquefois au desavantage, au desplaisir des bergers, & à la faveur des brigands. Ainsi qu'ils estoient pres d'en venir aux mains les uns avec les autres. Paris trop beau pour estre vail­lant marchoit à la teste des Troyens defiant avec faste le plus courageux des Grecs.

    Il estoit armé de la peau d'un Leopart, avoit son arc & sa trousse plaine de flesches, son espee au costé, tenant en sa main deux darts acerez. Il n'eut si tost faict son deffi, que Menelas à qui le faict touchoit de plus pres qu'a personne, se resolut de respondre à son cartel & le recognoissant à la face & à la contenance, il fut aussi content, que peut estre le Lion affamé, quant il trouve un cerf, un daim, ou un chevreuil malmené par les veneurs & par les chiens. Soudain desirant se venger de la honte que Paris luy avoit faitte, saute en bas de son chariot tout armé qu'il estoit, & se presenta devant Paris, avec tant de fureur & de hardiesse, que Paris qui pour lors avoit mis tout son courage en ses rodomontades, en eust tel effroy, qui luy tourna les espaules, & se recula tout ainsi que faict un partant, quand à l'improviste il rencontre un serpent en son chemin, fremissant & tremblant de crainte, portant plustost l'image de la mort, depeinte à son visage,  que la ressemblance d'un homme vivant.

    Hector animé de la lascheté de son frère, luy dit en colere ces paroles injurieuses, Toy miserable qui as l'apparence d'un homme vaillant, & qui pourtant as les effects d'un effeminé, qui n'es pro­pre que parmy les femmes bravache en tes paro­les & lasche en tes actions, homme di-je perdu de luxe, addonné à tes plaisirs, il t'eust esté beaucoup plus honnorable, de n'estre jamais né, que de laisser une infamie à ta posterité. Pleust à Dieu que le jour de ton berceau eust esté celuy de ta tombe, plustost que d'avoir commis un acte si honteux en la presence de tant de gens de bien. Ne vois tu pas la risee qu'en font les Grecs, & le plaisir qu'ils reçoivent de ta lascheté ? Ceux mesme qui avoient quelque estime de ta valeur, ou qui esgaloient ton courage à ta mine, te font servir de fable, & disent que tu as une belle apparance si tu avois le courage. Autresfois as tu bien eu l'audace d'armer des vaisseaux & de voyager en terre estrangere, où contre le droit d'hospitalité, tu enlevas la femme de celuy qui t'avoit receu trop humainement en la maison, au detriment de tes parens, de ta patrie, & au deshonneur du nom Troyen. Et maintenant tu n'as osé attendre au combat, celuy que tu as offensé. Je ne puis attribuer cecy qu'à la crainte que tu as eu de recevoir la mort des mains de celuy auquel tu as ravy l'espouse, scachant bien qu'il avoit juste subject de la quereller, & que ce te fut une injustice de luy ravir. Il est vray que les advantages & les faveurs que tu tiens de Venus, soit la beauté de visage, la propreté des habitans, la douceur de la voix & les autres charmes, avec lesquels on est bien venu parmy les femmes, ne te garantiront point de mourir, si tu te hazardes au combat, mais ta couardise a reduit les Troyens à tel poinct que ceux qui avoient le plus d'envie d'authoriser par leurs armes tes maléfices, sont maintenant rebutez, d'espouser ta querelle, se trouvant deceus de l’esperance qu'ils avoient en tes armes. Voila pourquoy tu feras bien de te cacher derrière quelque muraille où tu puisse estre en seureté Paris oyant les outrages & les injures que son frère Hector luy  disoit, luy fist celle repartie. Hector je confesse que tu as raison de me blasmer ainsi,  & vois bien que la grandeur de ton courage s'augmente d'autant plus que tu l'exerces, de mesme que la cognée du Charpentier s'affine & s'endurcit, plus elle est mise en usage. Neantmoins tu ne devrois me reprocher les dons que je tiens de la libéralité de Venus, veu qu'on doit faire estat des avantages, que les Dieux nous octroyent selon qu'ils jugent nous estre propres, & non pas ainsi que nous le demandons. Et afin que tu n'estimes que je manque de courage, si tu veux presentement que le different de ceste guerre se vuide entre Menelas & moy, commande que les Troyens & les Grecs mettent bas les armes, & qu'à leur veue nous fassions nostre duel à condition qu'Helene sera la recompense du vainqueur avec toutes les richesses, pour lesquelles ceste guerre  est commencée.   Que les Troyens se retireront dans leur ville, & les Grecs en leur patrie. Hector fut extremement rejiouy oyant la volonté de son frere bien differente de l'a­ction qu'il avoit faicts, & soudain prenant une lance par le milieu, alloit de rang en rang defendre à ses gens-d'armes d'aller plus outre, ce qu'ils firent : mais les Grecs sans prendre garde aux defenses d'Hector, poursuivoient leurs pointes lançant dards, & javelots contre les Troyens jusques à tant qu'Agamemnon sortit hors de ses troupes, les faisant arrester, criant à haute voix : Cessez de plus combattre peuple Grec, je voy Hector qui nous fait signe de vouloir parlementer. Soudainement les Grecs se teureut & mirent bas les armes au commandement de leur Roy. Hector voyant un si grand silence entre les deux armées commença de parler ainsi. Messieurs tant Grecs que Troyens escoutez à ce coup ce que mon frere Alexandre vous propose pour mettre fin a nos alarmes. Il est le motif de ce­ste guerre, aussi seul en veut-il courre la risque.  Il est d'avis que l'on mette fin à ces combats, & que luy & Menelas decident avec les armes le subject de ceste querelle. Qu’Helene & ses thresors demeurent au victorieux, & que dés le matin ou à l'heure méme chacun s'en retourne chez luy comme il sera convenu & accordé par serment mu­tuel.

    Apres qu'Hector eust achevé de dire, Menelas rompit ainsi le silence. Vous sçavez Messieurs tant Grecs que Troyens, comme le faict me touche plus qu'à personne,  & que ma juste colere me sollicite de respondre. Je treuve bon que vous Grecs apres tant de fatigues souffertes à mon occasion, & vous Troyens pour soustenir l'injustice de Paris, que desormais vous vous reposiez, & que luy & moy decidions ceste querelle. Que sans venger la mort de celuy qui sucombera sous les armes de son ennemy, chacun retourne en sa maison. Et pour ratifier cest accord, vous Troyens apportez un agneau blanc, Si une brebis noire, afin de les immoler, le masle au Soleil, & la femelle à la terre: & de nostre part nous en apporterons un troisiesme que nous offrirons à Jupiter. Mais avant toute autre chose faictes venir Priam, pour approuver cest accord, afin que l'artifice de les enfans qui sont coustumiers de violer leur foy ne face passer en fumee ce qui est convenu entre nous : aussi bien l'inconstance & la legereté est ordinaire à la jeunesse.  Mais alors que Priam aura donné sa parole il aura soin de la faire maintenir, principalement quand il se representera les choses passees, & prendra garde à ce qui peut advenir, il jugera estre  necessaire que la paix se conclue entre les deux armees.

     Les Grecs & les Troyens esperans par le discours de Menelas estre desormais en repos s'en  resjouyrent. Et s'estant rangez vis à vis les uns des autres, ne laissant que bien peu de distance entre les deux osts, & ayant mis bas les armes, les deux Princes descendirent de leur chariot. A l'heure mesme Hector envoya deux messagers à Troye pour apporter les deux agneaux & pour faire ve­nir Priam approuver cest accord. Agamemnon de son costé envoya Taltibies à ses nefs querir l'aigneau destiné.    Cependant que les Grecs & les Troyens estoient sur les preparatifs de la paix, Iris messagere des Dieux descendit du ciel & vint en la cité de Troye, prenant la forme de Laodices fille de Priam, femme de Helicaon fils d'Antenor, & belle sœur d'Helene, qui se transportant en la maison de la belle Helene, pour l'advertir du duel de Paris & de Menelas, la trouva travaillant en une piece de tapisserie de haute lice de couleur de pourpre, où elle y representoit les combats, les ren­contres, les saillies, & les faicts d'armes que les deux armees avoient faicts à son occasion, tant elle estoit spacieuse & grande. Et luy dit. Venez très-chère espouse venez avec moy voire chose merveilleuse accordee depuis peu entre les Troyens & les Grecs. Car vous les verrez assis en repos à la barbe les uns des autres, en la mesme cam­pagne où ils s'entretenoient il n'y a pas long temps, & c'est pour ce que Paris & Menelas doivent combatre ensemble, pour voir auquel la fortune te donnera pour femme, ils ont ainsi conclu que tu serois le pris de leur victoire. Helene oyant ceste verité, eut un grand desir de revoir son premier mary, ses parens & sa patrie. Voyla pour quoy sans differer d'avantage, elle print un voile de fin lin, & sortit de sa chambre, arrousant son visage de ses larmes, suyvie des deux sobrettes  Aethra fille de Pithee, & la belle Clymene, peu de temps apres elle arriva à la porte Scee, où elle trouva le Roy Priam sur le rempart, avec force Seigneurs, qu'un long aage avoit dispensé de la guerre, qui devisoyent à l’ombre, ainsi que les cygales gazouillent en Esté entre les fueilles, & ces Seigneurs estoyent, Thymete, Pantus, Lampus, Clitus, tous personnages d'estime & de merite, le vaillant Hiceaton, le robuste Ucalegon,  & Antenor qui n'eut en son temps point de semblable en valeur, & maintenant homme de Conseil, qui n'eurent plustost veu la belle Grecque, qu'ils dirent entre-eux. A la vérité ce n'est pas de merveille si  la guerre est tant animée & de si longue duree, pour ceste excellente beauté, qui ressemble plustost sa Deesse que sa femme. Toutesfois encores vaudroit-il mieux la rendre à ses parens quelque beauté qu'elle aye, que de la retenir, pour les accidens & les disgraces qui en peuvent arriver à nous & à nostre posterité. Ces discours tenoient ces vieillards, & Priam appela Helene & luy dit. Venez vous seoir aupres de moy ma chere fille, pour voir vostre premiere mary & vos parens, & ne pensez que je vous donne la coulpe de ceste guerre, ny que je croye que vous soyez le subject de tant de larmes que j'espans, mais bien aux Dieux qui sont autheurs des  disgraces que j'endure. Aprochez vous donc ma fille, & me dites qui est celuy qui paroist entre tous les autres plutost par sa gravité, & par sa bonne mine que sa corpulence, il y en a d'autres plus grands de corsage, mais je n'en vis jamais un qui resentit mieux son bien que cestuy-cy. Helene luy respondit, Sire le respect que je porte à vostre Majesté me rend honteuse, & pleust-il à Dieu que  j'eusse esté morte lors qu'abandonnant mon mary, ma patrie, mes compagnez, & ma fille unique, je suivy vostre fils, ces malheurs ne seraient pas advenus, & n auroy tant vomy de souspirs, ny jetté tant de larmes. Mais afin d'obéir à vostre commandement, scachez que celuy duquel vous me demandez le nom, est Agamemnon fils d'Atree, homme vaillant & chef de tout ceste armee. Autrefois estoit-il mon beau frere, s'il plaist à mon infortune que telle le nomme comme frère de mon espoux.

    O Agamemnon Prince fortuné, ce dit Priam, les Dieux & les destins te sont bien amis, de te faire commander à un si florissant exercite des Grecs, tel à la vérité que je n'en vis jamais de semblable. Autrefois ay-je bien veu un grand nombre de Phrygiens campez sur la riviere de Sangar pour servir les Rois Otreus & Migdon, contre les Amasones, au secours desquels j'accouru avec mes forces & celle de mes amis, & fus crée General de tou­te l'armee, belle & grande, mais non pas esgalle à celle-cy.

    Apres cela Priam voyant Ulisse interroge sa bru derechef. Dy moy ma chere fille, qui est celuy moindre de hauteur qu'Agamemnon, qui pourtant est plus large d'espaules, d'estomac & qui a la taille bien proportionnee, qui desarmé costoye avec vue telle esperance les rangs des soldats Grecs, de mesme que faict le belier pour r'allier le troupeau de brebis. Helene luy respond, cestuy cy, est Ulisse lequel pour avoir esté eslevé en Itaque Province rude & moutueuse, est neantmoins homme poly, accord, inventif, & de bon conseil. Alor le vieillard Antenor luy dit il est vray ce que vous dictes Madame. Car luy & Menelas logerent chez moy & les y traitay en amy, alors qu'ils vindrent icy pour vous ravoir. Aussi remarquay-je bein l’esprit de l’uns & de l’autre, & les graves conseils estans tous deux debout pesle mesle en l'assemblee des Troyens. Menelas paroissoit le plus grand, & assis Ulisses avoit une façon plus venéerable. Quand il fut temps d'exposer leur legation Melenas en fit l'ouverture en peu de mots (aussi de son naturel parloir il peu) mais avec tant de subtilité & de pointe qu'il n'y avoit rien à desirer, ny à reprendre, bien qu'il fust plus jeune qu'Ulisse.

     Quand ce fut à Ulisse à parler, il tint quelque temps ses yeux fichez en terre, sans mouvoir son sceptre de costé ny d'autre, non plus ne moins qu'un idiot. Vous l'eussiez jugé alors ou extremement irritè, ou du tout sans esprit. Mais apres avoir esbauché sa harangue qu'il prononça avec asseurance, les belles paroles luy croissoient à la bou­che en aussi grande abondance que les neiges tombent en Hyver : il n'y eut pas un de nous si osé de luy respondre, ny mesme de luy contester, & admirions bien son eloquence, d'avantage que son  port.

   Pour la troisiesme fois Priam en jettant sa veue sur Ajax demanda à Helene, qui est cest autre Grec plus haut de la teste, & plus large d'espaules, que tous les autres ? C’est le fort Ajax dit elle le bouclier & le rempart des Grecs, & cest autre qui est à son costé est Idomenee Roy de Crète, suivy de tous les Princes de ceste Isle, & servy comme un Dieu : il a plusieurs fois logé chez nous passant pays à la priere de Menelas mon mary l'en recognoy beaucoup d'autres, desquels je passe le nom sous silence pour le desir que j'ay d'en voir deux, Castor le bon gens darme, & Pollux le brave Athlète mes freres. Je crain que le desplaisir qu'ils ont de mon infamie ne les ait empesché de venir, on qu'ils ne soient retournez à Sparte du milieu du chemin, ne voulant plus suivre les armes ayant honte du blasme & du deshonneur que je fais à nostre race. Helene faisoit ces discours, mais ils estoient ensevelis en leur chere patrie de Sparte il avoit long temps.  Cependant qu'il s'entretenoient ainsi, les Hérauts arriverent à la ville, ayant déjà pris ce qui leur avoit esté commandé de porter pour confirmer l'accord, à sçavoir deux agneaux & un bouc de vin.  Entre lesquels Idee portoit un bassin & deux coupes d'or, & vint en cet équipage dire sa legation au Roy Priam en telle sorte. Sire venez promptement au camp, où les Princes Troyens & Grecs vous attendent avec passion, aussi m'ont-ils le commandé de vous venir appeler pour faire vue alliance entre-eux, qui ne se peut faire sans vostre majesté. Ils ont proposé de remettre le different de ceste guerre entre Paris & Menelas qui les armes au poing, entre les deux armées decideront auquel des deux qui sera victorieux, demeurera Helene, & ses richesses, ainsi la paix se fera, les Grecs retourneront en leur patrie, & nous habiterons en nostre ville en repos, par un accord que vous fetez ensemble.

    Ces paroles estonnerent un peu le vieillard Priam, toutesfois si fist-il mettre ses chevaux à son chariot pour le porter où il estoit attendu. On luy ameine soudainement, il y monte prenant les reines des chevaux, Antenor se mit aupres de luy, & sortant par la porte Scee s'en allerent de compa­gnie au camp des Grecs où estant arrivez descendirent du chariot & marcherent au milieu des leurs & de leurs ennemis. Agamemnon accompagné, d'Ulisse voyant ces deux vieillards leur allerent au devant, & les Hérauts de part & d'autre s'y trouverent, aportant ce qui estoit necessaire, pour conclure leur pacte.  Premierement, ils verserent le vin dans le bassin, & donnerent a laver à l'un & à l'autre des Rois. Agamemnon tirant son cousteau qui selon la coustume tenoit au foureau de son espee, rasa le poil des testes de deux agneaux, & le fit distribuer aux principaux des Grecs & des Troyens, puis levant les mains aux cieux en la presence des assistans, fit ceste priere à haute voix. Jupiter qui présidez souverainement sur le mont Ida, & vous Soleil qui voyez & entendez toute chose, vous fleuve, vous terre, & vous enfers qui tourmentez après la mort ceux qui persidement violent une alliance. Je vous supplie que celle que nous traitions aujourd'huy, soit par vostre moyen saincte & inviolable. Que si la fortune ou les ar­mes sont si favorables à Paris, qu'il prive Menelas de vie en ce duel d'aujourd'huy, qu'Helene & toutes ses richesses luy demeurent pour pris de sa victoire, & que nous retournions avec nostre armee en nostre patrie. Au contraire si Menelas triomphe de la vie & des armes de Paris, que les Troyens rendent Helene avec tous ses biens, & qu'ils donnent aux Grecs un honneste tribut, tel qu'on jugera raisonnable qu'ils payeront annuel­lement à nostre posterité. Et au cas qu'apres la desroute & la mort de Paris, Priam & ses enfans ne vueillent payer ce tribut, j'appelle à tesmoings les mesmes Dieux que je persisteray à la vengeance de leur foy violee, tant qu'eux ou nous soyons mis en desroute. Ayant achevé de parler ainsi il tue les deux agneaux masle & femelle, & ainsi sanglants & morts les mit à terre, les autres versoient le vin dans le bassin, faisant des vœux aux Dieux. Quelqu'un d'entre-eux eslevant les yeux au ciel faisoit ceste priere. Vous Jupiter le premier & le plus puissant des Dieux, & vous autres Dieux vueillez per­mettre que le premier qui enfreindra cest accord, ainsi que le vin coule sur la terre, de mesme voye-il couler le sang de sa femme & de les enfans esgorgez. Celuy-là faisoit telles prieres toutesfois Jupiter ne les favorisa point, mais plustot fit-il la sourde oreille.

    Aussi tost apres le Roy Priam dit à l'assemblee. Escoutez Messieurs les Grecs & Troyens, je n'ay pas si peu de naturel que je puisse voir le combat de mon fils bien-aymé, & de Menelas, voila pourquoy je m'en retourne à la ville pour n'y point assister, Jupiter & les autres Dieux sçavent bien le­quel des deux est destiné à mourir. Puis ayant dit ces paroles & mis les agneaux dans son chariot, il y monta & print les reines, Antenor montant aupres de luy s'en retournerent à la ville. Hector fils de Priam & le noble Ulisse mesurerent un lieu propre pour achever ce duel, puis mirent des billets en un heaume pour jetter au sort lequel des deux frapperoit le premier. Les deux armées regardant ce spectacle, estoient en peine de l'evenement & de l'issuë de ce combat,  & dressant les mains en haut faisoient des vœux, & les uns & les autres prioient ainsi. Jupiter qui presidez en la montaigne Ida & qui avez une tres-grande puissance, permettez que l'autheur de tant de calamitez que nous souffrons descende aujourd'huy en enfer, & que nous demeurions à jamais amis sans violet aucunement cest accord. Ils faisoient telles prières. Hector ayant le visage tourné frappa sur le heaume où estoit le sort, il ne frappa long temps que le sort en sortit, par lequel on recogneut que Paris devoit lancer le premier dard. A mesme temps les Grecs & les Troyens s'allèrent seoir au lieu où ils estoient auprès de leurs chevaux. Paris s'arma premierement de ses cuissots de ses genouillieres & de ses greves attachees avec des boucles d'argent puis il endossa la cuirasse de son frère Licaon (laquelle pourtant se trouva bien faicte pou luy : il pendit son espee en escharpe, laquelle estoit marquetée de clous d'argent, agença son escu sur son epsaule, mit le casque en reste ayant une creste du poil de la queue d'un cheval, si terrible à voir qu'au seul mouvement elle sembloit menacer puis il print une forte lance en sa main. D'autre costé Menelas le Martial s'arma de toute pièce, se rendant au lieu assigné entre les deux camps, marcherent l'un contre l'autre avec telle gravité, telle audace, & telle contenance, se menaçant des yeux, avec tant de fureur que les assistans en fremissoient de crainte. S'estant ainsi approchez ils lancerent leurs javelots en colère. Paris jetta le premier sa lance & frappa dans l'escu de Menelas sans le fausser, le fer rebouchant à cause de la bonté de l'escu. Menelas accoudé sur sa lance fit ceste, prière.  Jupiter Roy des Rois je te prie de faire en sorte que je me venge à ce coup de l'injure que premièrement j'ay receuë de cestuy-cy & le fais succomber sous ma  dextre victorieuse,  afin que doresnavant les hommes craignent d'abuser du droit d'hospitaliré, & de procurer de l'infamie à ceux qui leur font courtoisie, & de qui ils ont receu des offices d'amis, & des tesmoignages d'amitié.

   Ayant achevé sa prière il darda sa lance contre Paris & la rompit dans son escu perçant tout ce qu'elle rencontra jusques à la chemise : & alors c'estoit fait de luy s'il n'eust esquivé du corps, puis mettant la main à son espee marquetee de clous d'argent, en martela le casque de Paris avec tant d'ardeur & de violence, que son espee se brisa en trois ou quatre lieux & luy tomba des mains. Ce que voyant Menelas, commence tout hors de soy de blasphemer contre le ciel en telle sorte. Jupiter à ceste heure cognois-je bien que tu es le plus meschant des Dieux : car en te priant j'avoy esperance que Paris pour ses demerites recevroit par mes mains les peines qu'il a deservies, & maintenant mon espee est en pieces, ma lance sans effets est sortie de mes mains.    Quoy disant tout en colere se lance sur Paris & le prend par la creste de son heaume, faicte, comme j'ay dit, de queues de cheval, le tirant & trainant jusques auprès du camp des Grecs, & l'euste estranglé avec la courroye de l'armet qui luy serroit la gorge & l'empeschoit de respirer, si Venus fille de Jupiter ne la fut venu rompre, tellement que Menelas n'eut autre conqueste que le casque qui luy demeura entre les mains, puis le jetta soudainement entre les siens, qui le receuent avec allegresse, & relevant sa lance ferree accourut à luy en intention de le mettre à mort,  mais Venus l'enleva & le tira hors du camp invisiblement, estant environnee d'une nue, & le porta en son riche palais dans une chambre parfumée, puis alla trouver Helene dans une tour assistée de  plusieurs Dames Troyennes, & la tirant par la robe, sous la semblance de Gree, ceste Damoiselle qui estoit venue de Grece, avec Helene, femme agee & bonne ouvriere en tapisserie, & à laquelle Helene monstroit plus de privauté & se, fioit le plus. La tirant par la robe, elle luy dit   Madame, venez au logis, Paris vous y attend & m'a commandé de vous venir appeller. Il est en son lict Royal, si bien paré, & si beau que vous ne diriez pas qu'il vient de combattre avec Menelas, mais plustost le jugeriez vous sortir du bal, & que mesme il a encor envie d'y retourner. Helene fut toute esmeuë du discours de la  Deesse, & apres l'avoir recogneue tant à la beauté de son col, à la blancheur de son sein, qu'a la splendeur de ses yeux, toute troublee luy tint ce langage. Miserable pourquoy me veux tu encor decevoir ? me veux tu encor mener en d'autres citez etrangeres bien peuplees, ou eu Phrigie, ou en Meonie ou en quelque autre part ou tu aye quelque amy particulier, Car je suis asseuree que si Paris est vaincu que Menelas me doit retirer de ceste odieuse maison, voila pourquoy tu t'es ainsi desguisee pour me decevoir, & c'est pour le trop d'affection que tu portes à Paris. Demeure desormais avec luy, sans plus retourner au ciel, comme si tu en avois oublié le chemin, conserve-le, & le delivre de toutes embusches jusques à tant qu'il te prenne pour espouse, ou du moins pour esclave.

    Quand est pour moy, je ne retourneray jamais en sa couche, autrement j'en seroy justement blasmee & injuriee par les Troyennes, ce qui me seroit parler le reste de mes jours, en soupirs, en douleur s& en larmes. La Deesse Venus luy respond en colere, miserable ne me fasche point d'avantage, de peur que je ne t'abandonne : car si ma haine esgale une fois l'affection que j'ay toujours eu pour toy, te rendant odieuse aux Troyens & aux Grecs, tu périras malheureu-sement. Ces paroles effayerent Helene fille de Jupiter, & suivit secretement la Deesse, couverte d'un voile blanc, sans en advertir les Dames de sa trouppe. Et comme elles arriverent toutes deux en la somptueuse chambre de Paris, ses servantes se retirerent, chacune où elle avoit à faire. Helene ceste beauté, ou plustost ceste Deesse entre les femmes, approchant du lict de Paris s'assied vis à vis de luy en une chai­re que la joviale Venus luy avoit preparee, & sans autrement le regarder, comme à demy courrroucee, elle luy dit. Quoy donc Paris es tu retourné du combat, à la mienne volonté que tu y fusse pery par la main de ce vaillant homme qui fut autrefois mon premier espoux. A la vérité tu faisois le vain auparavant & disois fastueusement que tu estois plus courageux, plus fort & plus adroit que Menelas aye encor la vanité de t'appeller en duel ; si tu me crois cesse de le provoquer presomptueusement, si tu ne veux mourir de sa main tresbuchant sous l'effort & le fer de sa lance. Paris escoutant ces brocards tint ce discours à Helene. Ma mie ne m'offenses point ainsi, Menelas m'a vaincu par la faveur de Minerve, une autrefois je le pourray vaincre ; car les Dieux nous sont aussi bien amis qu'à luy, trefue à ces discours, resjouissons nous amoureusement icy couchez ensemble, je n'eus jamais tant de passion pour vous que j'en ay maintenant, ny pas mesme quand levons enlevay de Lacedemone, que je vous mis en mon vaisseau, & que je vous menay en l'isle de Cranee, où je jouis la première fois de vostre amour. Des discours ils veindrent aux effects, Paris se coucha sur son lict, Helene le suivit bien tost apres, où tous deux reposerent à leur aise. Menelas cependant erroit ça & là parmy l’armee, ainsi qu'une beste sauvage, pour voir s'il trouveroit Paris en quelque part car personne ne luy en pouvoit dire aucune nouvelle, ny en l'armée des Grecs, ny en celle des Troyens. Aussi ne l'eust on osé receler de peur de violer l'accord, & tous en general le haissoient & desiroient sa mort pour le salut du public.

Eu ces entrefaittes Agamemnon General de l'armée des Grecs, usoit de ces paroles. Escoutez Troyens, & vous Dardaniens qui estes venus à leur secours, puis qu'il y a apparence que le vaillant Menelas demeure victorieuse, vous devez rendre la belle Helene & tous ses tresors, avec un tribut raisonnable qui en memoire de ceste vi­ctoire je payera à nous & à nos enfans. Agamemnon tint ce langage qui fut approuvé des autres Grecs.