Livre I
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Crises Prestre d'Apollon estant baffoué par Agamemnon eut recours à son Dieu qui courroucé contre le General de l'armée, chastia les soldats pour la faute du chef. Achille ayant compassion de la perte des Grecs fit tenir conseil à la solicitation de Minerve. Calchas interprete des dieux dit le suject de la contagion, & le moyen d'appaiser Apollon. Achille eust different contre Agamemnon lequel usant de son authoritee en rendant Criseide à son pere, fit enlever Briseide des tentes d'Achille: qui ne pouvant souffrir cest affront se retira en ses nefs avec serment de n'assister les Grecs & mesme pria Thetis sa mere de faire tant aupres de Jupiter, que les Troyens eurent tel avantage sur les Grecs, qu’Agamemnon recogneust l'injure qu'il luy avoit faicte.

 

ce coup Deesse, aydez moy à representer le courroux obstiné d'Achille quelles disgraces en receurent des Grecs, & combien il mourut de Princes, de Seigneurs, de Gens-darmes, Grecs & Troyens avant leur temps, lesquels n'eurent autre sepulture que les estomacs des chiens & des oyseaux. Il n'est la besoing de s'enquerir lequel des Dieux fut autheur de cest esclandre, Apollon de l'advis & de l'adveu de Jupiter suscita ce divorce entre Achille & Agamemnon General des Grecs, parce qu'estant irrité contre Agamemnon il empesta l'armee des Grecs en sorte que les soldats perissoient à veuë d'œil, pource qu'il avoit injurié & baffoué Crises son Prestre, lequel vint au camp des Grecs, avec forces presens pour la delivrance de sa fille. Puis se trouvant au conseil des Princes Grecs, portant un sceptre d'or couronné de mesme que celuy d'Apollon, tint particulierement ce langage à Agamemnon & à Menelas son frere, avec des humilitez & des paroles de foye.

    Vous enfans d'Atree, & vous autres Princes, que les Dieux favorisent vostre dessein, vous faisant triompher de la ville de Troye, & retourner en vostre patrie ainsi que vous desirez, je vous supplie tres humblement avoir compassion d'un pere affligé, luy rendant sa fille unique, le soustien de sa vieillesse, & recevoir de moy le pris de sa rançon : rendez donc ce respect au Dieu Apollon, duquel je suis Prestre, & auquel appartiennent les ornements que je porte.

     Les Grecs esmeus de pitié déclarent à haute voix que ceste pucelle fut rendue à son desolé pere, disant entr'eux que c'estoit une chose pieuse & equitable, tant pour l'excellence des presens qu'il offroit pour la franchise de sa fille, que pour la dignité de Prestre d'Apollon, qu'il y avoit du peril à l'esconduire veu la justice de sa demande, & la faveur qu'il avoit de son Dieu.

    Agamemnon ne fut pas de cest advis, au contraire se mettant en colere de la demande legitime de Crises, & s'offençant que les Princes luy eussent si tost accordee, usa de ces termes poussé de fureur & de colere. Vieillard je te defends de te trouver  jamais en nos tentes, ny en lieu où nous soyons fors presentement de ma presence, autrement peu te serviront les sceptres & les couronnes de ton Dieu Apollon, car je t’asseure que Criseide ne sera jamais separee d'avecques moy : j'ay intention de la conduire en Argos mon pays, & la tiendray en ma maison, où elle fillera ma toile & sera mon lict.

    Voyla pourquoy je te commande de t'esloigner de ma veue, & si tu desires de retourner sain & sauve en ta province, prends garde de ne me plus irriter.

    Comme Agamemnon eust proféré ces paroles Crises ce triste vieillard estonné, partit du camp des Grecs sans autre réplique que des larmes : estant un  peu esloigné de leur armee il fit en souspirant ceste priere au grand Dieu Apollon Fils de Jupiter & de Latone, Apollon Smynthee, que les citadins de Crise, de Cille, de Tenedos ont en si grande reverence, Phebus à l'arc d'argent, je te supplie si mes offrandes t'ont jamais esté aggreables, & si tu as receu les fumees des taureaux & des chevres, que j'ay sacrifiees à ton autel, il te plaise exaucer la priere d'un père atristé, & de lancer tes dards au camp des Grecs avec telle violance, qu'ils soient punis des peines qu'ils m'ont faict souffrir, & des larmes que j'ay inutilement espandues pour la liberté de ma fille.

    Crises ayant achevé sa priere, Apollon l'entendit, descendant du Ciel, flamboyant d'ire & de courroux, ayant son arc & ses flesches pendues au col, son carquois & sa trousse, avec que lesquels il faisoit grand bruit, & vint au camp des Grecs, comme affublé d'une nuée puis s'en estant un peu esloigné neuf jours durant & autant de nuicts, avec un bruit merveilleux, il darda ses flesches mortelles, & contagieuses sur eux desquelles premierement il tua les montures & les chiens, & puis apres les hommes : en  sorte que de jour en jour les corps des morts estoient bruslez, & ensevelis en grand nombrer mais le dixiesme jour de la contagion survenue entre les Grecs, Junon ayant compassion de l'adversité de ceux qu'autre tant de soin elle avoit pris en sa tutelle, mit en l'esprit d'Achille de faire tenir conseil entre les Grecs, pour l'accident arrivé, comme en effect les Grecs tindrent conseil & sollicitation d'Achille : & comme ils furent assemblez & assis, Achille se leva, & adressant ses paroles à Agamemnon  parla de la sorte.

    Agamemnon à ce que je puis recognoistre, nous serons contraints de retourner en nos maisons (pourveu encor que le retour nous soit permis) sans effectuer nostre entreprise, plustost que mourir icy en ceste calamité, car je voy bien que la pluspart des Grecs sont morts, tant par armes que par contagion : & pour ce sujet je suis d'advis que pour ces funestes disgraces on consulte quelque Prestre, quelque devin, ou quelque interprete des songes, & le faut supplier avec affection de nous declarer la cause du courroux d’Apollon, qu'il execute sur nous avec tant de violence, & nous faire sçavans s'il reçoit nos vœux, & nos Hecatombes à contre-cœur, par quel moyen nous le pourrons appaiser, si ce sera en luy sacrifiant des aigneaux & des chevres, le priant de nous delivrer de ceste contagion qu'il nous fait ressentir.

    Achille n'eust plustost mis fin à sa harangue, se rasseant à sa place, que Calchas, fils de Nestor, homme expert en la cognoissance des choses advenir, ce qu'il tint de la libéralité d'Apollon qui donnoit  plus de foy à ses augures comme sçachant les choses presentes, futures, passees : aussi estoit il en telle, estime entre les Grecs, qu'ils l'avoyent constitué conducteur de leur navigation, pour la creance qu'ils avoient à ses prophéties, usa de ce langage à Achille.

     Vous Achille aymé de Jupiter, je diray en la presence & en l'assemblee des Grecs, le sujet du courroux du Dieu Apollon. Si vous me le commandez, aussi me promettrez vous avec serment, que vous ne m'abandonnerez point, ny d'effect & ny de parole : mais que vous me donnerez secours, si je tombe en quelque peril de ma personne, pour avoir revele telles choses : Car je suis bien aisseré d'encourir la haine de celuy auquel les Grecs obeyssent, & croy mesme qu'il ne me suffiroit pas, Achille, que vous me prinssiez pour ce coup en vostre protection me delivrant du danger present, mais aussi que vous m'en affranchissiez pour l'advenir. Car vous sçavez que le Prince une fois irrité contre un  moindre, bien qu'il dissimule son mal talent, si est ce qu'il lui reste tousjours quelque souvenir de l'offence qui luy a esté faicte,  & cherche de jour en  jour le moyen d'accomplir sa mauvaise volonté, s'efforçant de prendre vengeance de celuy qui luy a despleu : & partant, Achille, s'il vous plaist que je manifeste l'Oracle, en disant la cause de ceste contagion, respondez moy, & me jurez, ainsi faisant de me defendre, & conserver ma personne de tous perils presens & advenir, Achille luy fit ceste response.

     Calchas, ne crains aucunement de descouvrir publiquement les secrets de ton esprit, touchant cest augure : car je te jure & promets par Apollon chery de Jupiter, duquel tu veux declarer l'oracle & l'intention, que tant que je vivray il n'y aura homme entre les Grecs si osé qui t'offence ny d'effect ny de parole pour ce suject, & te confirme par serment qu'aucun ne mettra les mains sur toy, ny mesme Agamemnon, bien que tu vueille ou entende parler de luy, combien qu'il y aye une puissance absolue sur tous les Princes icy assemblez.   

  Alors Calchas despouillant toute crainte respondit ainsi. Achille, il est vray qu'Apollon n'est pas irrité contre nous pour les causes que vous avez alleguees, mais pource que Crises son Prestre a este injurieusement menacé par Agamemnon, & qu'il ne luy a pas voulu rendre Criseide sa fille, encores qu'il eust offert des riches presens pour sa rançon.

   Ne doutez point que cette peste n'augmente jusques à ce que Criseide soit rendue à son pere : je vous dis rendue, sans aucune rançon, pour ce que  nous avons refusé celle qu'il nous a presentee. Davantage il faudra aller vers Crises avec une Hecatombe qi’il offrira pour victime, & pour purger l'offence que nous luy avons faicte en le calomniant. & chassant honteusement alors par ses prie­res nous serons reconciliez avec Apollon. Calchas ayant tenu ce langage au Conseil & en l’assemblee des Grecs, s'assied en sa place, Agamemnon se leve, faisant lire à son visage sa colere, & son ire, jettans ses yeux flamboyant sur Calchas luy parla de la sorte.

    Interprete de malheurs qui m'es tousjours con­traire en tes responses, ne prediras-tu jamais quelque chose de bonne fortune, & de la prosperité d'Agamemnon ?  Tu as dit qu'a mon occasion, les Grecs ont esté affligez de ceste presente contagion, pour avoir comme tu dis refusé les dons de Crises, pour la rançon de Criseide, & pour ne l'avoir rendue à son pere tu as cela de mauvais que tu ne me veux point admonester en particulier, mais au contraire tu me blasonne & me pique en pleine assemblee.

    Vous Princes & vous Chevaliers & vous autres Grecs, je vous confesse (à librement parler) que je suis passionné de Criseide, avec laquelle je desirois finir mes jours en ma maison, la cognoissant plus digne de ma couche que Clytemnestre ma femme tant parce qu'elle la surpasse en beauté de corps & d'esprit, qu'en humeur & en toute autre chose qui despend de la femme : Toutesfois si le conseil à trouvé bon qu'elle soit rendue, je n'y veux contrevenir car je ne desire pas que mon plaisir particulier soit cause de la perte de tous les Grecs, mais je vous advertis que c'est à vous autres Grecs à prevoir qu’en perdant Criseide, je sois recompensé, afin qu'estant le premier entre vous je ne sois seul privé de ce qui m'estoit escheu en partage.

    Achille alors luy fit ceste réplique : Tres haut & tres puissant Agamemnon, dites nous, com­me il seroit possible aux Princes Grecs de vous recompenser maintenant, veu que nous n'avons plus rien en commun pour le faire & pource que nous avons gaigné par le droit des armes, es villes que nous avons destruittes, & qui a esté distribué entre les Princes & les Chevaliers, ce seroit une chose hors de propos de le retracter, & en faire des nouveaux partages. mais voicy un expedient : Rendez ceste pucelle à Apollon, ainsi qu'il commande estre rendue, & nous vous promettons de vous donner le triple, voire le quadruple, s'il plaist à Jupiter que Troye tombe à nostre puissance.

    Agamemnon, fit ceste repartie à Achille. O vaillant Achille encore que tu sois en grande estime & en grand honneur : si ne me dois-tu bailler ce conseil, & moins me le persuader. Desires-tu que je rende cette pucelle à son pere, & que je sois frustré du loyer de mes armes, & que tu jouysses de la recompense qui t'a esté distribuee ? Je te dis que veritablement les Grecs amenderont la perte que je fais, & qu'ils chercheront quelque chose bastante pour réparer mon dommage & pour me rendre content. Et si quelqu'un y resiste, & j'executeray moy-mesme mes paroles & ma volonté, m'addressant à celuy des Grecs que je trouveray bon, luy ostant ce qui me sera le plus aggreable, sans avoir esgard à la personne ny à la qualité, soit à toy Achille, soit à Ajax, soit à Ulysse, combien qu'il s'en offence, ou s'en fasche. Et quant au fait duquel il est maintenant question, j'accorde que Criseide soit promptement conduitte à son pere, avec nef nocher & offrandes, & choisissant quelqu'un des principaux de la Grece : ayant charge & pouvoir convenable à telle legation, ou bien Ajax, ou bien toy mesme Achille qui es le plus audacieux de tous les Grecs, afin d'apaiser par prieres & par victime Apollon courroucé contre les Grecs.    

     Achille regardant Agamemnon de travers, prononça ces propos- Homme artificieux, imprudent & frauduleux, dis-moy desormais qui t'obeyra, ny qui vueille avec une prompte allegresse aller au combat par  ton commandement ? Je veux bien que tu scaches que je ne suis point icy venu pour haine particu­liere que je porte aux Troyens, afin de les combattre, ny pour me venger d'aucune injure que j'en aye receue, ny pour avoir bruslé mes terres, mes parcs, ny pour avoir pris mes bœufs, mes chevaux, ou enlevez de mon Royaume ? car il y a une longue distance de terre & de mer entre mon pais de Pithie, & celuy de Troye : Mais toy moins eshonté que le reste des hommes, tu scais bien que nous sommes venus traverser tant de mers à ton suject : seulement, pour te gratifier, & pour venger l'injure commune de ton frere Menelas & de toy : encores nous mesprises-tu, n'ayant avec ton regard de chien, autre considération de ces choses & de ce que j'ay peu meriter partant de faicts d'armes, & de travaux, ayant plus fait de proüesses, & plus travaillé à la ruine des places des Troyens, qu'aucun autre des Grecs. Tu me menace de m'oster ce qui a este octroyé à mon courage, & aux effects de mes victoires, bien que tu aye tousjours pris une plus grande part que moy en la distribution de nostre butin, & des despouilles de nos ennemis : toutesfois je me suis contenté de ce qui m'a esté donné sans rien exiger des autres. Et pour autant que tu veux mettre en effect tes menaces je te déclare dés à present que je m'en vay en ma maison en mon pays de Pithie, ou il me sera plus utile d'estre que de demeurer icy : t'advertisant qu'à mon despart j'ay opinion que l'honneur que tu me desnie te sera cher vendu.

    Achille achevans de parler ainsi, Agamemnon commence sa response de telle sorte. Departs soudainement si tu en as volonté, car je ne te prieray jamais de demeurer ny pour mon respect, ny pour mon interest, ne t’attens pas si tu ne veux point demeurer avec moy, plusieurs autres y demeureront qui ne suivront pas ton exemple, ils me seront honneur, & me porteront du respect : Jupiter mesme qui est bien a estimer, m'assistera. Je veux aussi que tu sçaches, qu'entre tous les autres Roys tu m'as toujours porté une dent de haine & d'envie, n'aymant rien autre chose que les combats & les batailles, & bien que tu excede en force corporelle tous les autres cela ne vient pas de toy, mais de la libéralité des Dieux. Va donc en ta patrie commander à tes Mirmidons exerce sur eux ton Empire, car de mon vivant tu n'auras point de puissance ny de credit de commander entre ces Princes & ne te sera permis d'y dominer, tant que je seray en la dignité en laquelle je suis constitué. Apprens seulement que je fais bien peu d'estat de toy voire mesme je te mesprise & bien que tu sois en cholere, si ne te prieray-je point de demeurer. Je te veux mesme faire cognoistre que tout ainsi que l'on m'oste ceste pucelle qui m’avoit esté  dosnnee par sort, je prendray celle que la fortune t'avoit concédée, & comme Criseide sera promptement enlevee de mes tentes & r'envoyee à son pere : ainsi raviray-je Briseide de tes navires, & la feray venir chez moy, pour te faire cognoistre, que je suis ton superieur, estant esleve en plus grande authorité que toy, & les autres desormais ne seront si peu respectueux de me parler si témérairement que tu fais, pour s'opposer à mes volontez.

    Ces discours se faisant, Achille pousse de colere & de fureur  deliberoit de deux choses une, ou de tuer Agamemnon avec son espee de laquelle il estoit armé, en troublant le Conseil par ce moyen, ou de refrener son ire, surmontant sa passion & sa fureur de son courage, ce neantmoins en ceste deliberation, il avoit l’espee nue à la main, comme Pallas à poinct nommé descendit du Ciel, par le commandement de Junon, pour appaiser le different d'Agamemnon & d'Achille, car Junon aymoit esgallement ces deux Princes, qui contestoient ensemble combien que Pallas ne fut veue que d'Achille, si est-ce qu'elle le print par les cheveux avec sa main reluisante, apres avoir esté effrayé du regard & de l'attouchement de la Deesse, nonobstant qu'il fut transporté de colere, si la recogneut-il, apres avoir jetté ses yeux sur elle, luy tenant ce langage. Fille de Jupiter, pourquoyes tu icy venue ? est-ce pour voir l'outrage & la honte que je reçoy d'Agamemnon, laquelle tout presentement je luy feray ressentir,  avec le trenchant de mon espee, pour l'injure qu'il m'a faite : son orgueil & son insolence me contraignent de luy oster la vie, sans differer plus long temps, ce qu'il ne peut eviter, tant je suis animé contre luy, de haine & de rancœur,  auquel respondit Pallas.

    Achille, je ne suis pas descendue du Ciel, pour voir la vengeance que tu veux prendre de injure que tu as receue : Mais je suis icy venue pour refrener ta passion, & appaiser l'ardeur de ton courage, & empescher les effects de ta volonté. Ce n'est pas de mon propre mouvement, mais par le conseil de Junon, qui vous affectionne tous deux esgalement, qui m'a sollicitee d'accourrir icy promptement : qui est cause que je te prie d'acquiescer à mon conseil, donnant un frein à ta fougue : remets ton espee au fourreau, contestant de parole, & non point avec le glaive & pour te donner plus de sujet de bailler quelque relasche à ta fureur, escoute ces  prédictions.

    Le temps viendra (donne foy aux paroles de Pallas qui te le proteste) qu'Agamemnon de sa propre volonté t'offrira des presens trois fois plus grands pour t'appaiser, Achille alors obeyssant à Pallas luy réplique ainsi. Deesse Pallas, encores que j'evite le liberé de me venger d'Agamemnon de l'occire, si est-ce qu'il est plus raisonnable que j'obeysse aux commandements de vous autres Dieux, qu'à mes passions car celuy qui suit les ordonnances celestes, est aymé des Dieux & exaucé en ses requestes. Quoy disant il remet son espee au fourreau, & Pallas se retire au Ciel avec Jupiter & sa trouppe. Ce neantmoins Achille poursuit Agamemnon de semblables injures. Sac à vin qui a la façon d'un chien & ceur d'un cerf, qui n'eus jamais le courage de presenter une bataille avec ton armee, ny d'assieger les places difficiles à prendre, ainsi qu'un homme valeureux doit faire.  Juge un peu que ce t'est une belle proüesse de ne partir de l'enclos de ton camp, pour y ravir & retenir le partage, la solde & le butin que les enfans de Mars ont conquis au peril de leurs vies, & au hazard de leurs personnes. Et si quelqu'un avoit la hardiesse de contredire, tu scais, que tu es un Ty­ran qui exige du peuple la substance de son travail

    Voila pourquoy, si ceux sur lesquels tu presides avoient du courage, de l'honneur, & quelque ressentiment de Noblesse, aujourd'huy tu mettrois fin aux injurieuses calomnies que tu nous fais, t'asseurant avec verité, afin que tu n'en doutes aucunement, & te jurant solemnellement  par le Sceptre de vtousk les Princes Grecs, destiné pour faire justice au peuple & pour mettre en practique les loix de Jupiter, lequel tout ainsi qu'apres avoir esté arraché de son arbre, & fabriqué des mains de son ouvrier n'a jamais produit branche ne rameaux, & ne pourra jamais reverdir : de mesme je t'asserme qu'Achille ne se mettra en peine des affaires des Grecs pour quelque necessité qu'ils ayent de moy, jamais ne les deffendray des mains de l'homicide Hector, afin mesme Agamemnon que ton affliction s'augmente d'autant plus que moins tu les pourras secourir, & que par un si grand repentir, tu puisses estre tellement affligé qu'on ne face plus de cas de toy, ayant ainsi mesprisé le plus excellent de tous les Grecs : & ce disant jetta par terre le Sceptre enrichy de cloux dorez, puis il s'assied en son siege.

    Tout soudain Nestor Prince des Phileiens se leva, homme d'une grande éloquence & authorité de la bouche duquel sortoyent des paroles emmiellées, homme grave & sage, aussi estoit-il désja en son troisiesme aages ayant vescu en bonne reputation, avec plusieurs personnages de merite desja decedez, lequel comme prudent & advise attira ces paroles de son coeur à sa bouche, les addressant aux deux Princes Achille & Agamemnon. O disgrace ! ô infortuné malheur, quelle affliction, & quelle tristesse recevra la Grece, au contraire quel contentement sera-ce à Priam, à ses enfans & à ses alliez quand ils scauront que vous deux les premiers en conseil & en armes, estes maintenant en terme de vous combattre pour vostre querelle particuliere, je vous prie autant que faire se peut, que l’un ou l'autre suive mon conseil, car je suis comme vous voyez beaucoup plus aagé que vous & mes advis n'ont jamais esté desdaignez, voire mesme de plus grands personnages que vous n'estes : aussi n'ay je jamais veu ny entendu de semblables hommes, avec lesquels toutesfois j'ay familierement vescu, qui fussent plus dignes d'estre esgalez aux Dieux, comme Pirios, Thesee, Drias, Crineus, Exodius, & Polipheme, les plus forts & les plus vaillans de leur siecle, qui ont presté le colet aux Centaures habitans les montagnes, qui pourtant m'appelerent à leurs secours de ma province de Pilie bien que s’elle fust bien esloignee de leur patrie, allant à la guerre avec eux, & me trouvant à des batailles & à des rencontres, ou je donnay preuve de mon courage & de ma force par des actions tant signalees, que j'estoy l'envie à tout le monde de s'attacher à moy, & combien qu'ils fussent plus puissans & plus redoutez que vous n'estes, si me demandoient-ils bien souvent conseil, & le suivoient, vous devez faire le mesme: voila pourquoy Agamemnon tu ne dois te servir de ton authorité à l'endroit d'Achille, pour luy ravir celle que les Grecs luy ont baillée pour sa part du butin, mais luy en laisse jouyr comme d'une chose bien acquise. Et toy aussi Achille n'entre point en contention avec le Roy, & ne t'esgalle pas à luy de parole : car Jupiter luy a donné vue telle dignité que jamais autre mortel n'en eust une pareille, & encores que tu le surmonte en force corporelle ou que tu aye pris ton estre d'une Deesse, si est-ce qu'Agamemnon est plus puissant que toy, ayant authonté sur plusieurs. Pour toy Agamemnon, il faut cesser de te colerer contre Achille, & je mettray peine de l'adoucir & de le desaigrir, car il est comme tu scais le rempart de tous les Grecs.

     Agamemnon repartit ainsi à Nestor. Vieillard la parole est véritable mais tu vois que cest homme veut supediter, commander, exceller, & vaincre tout le monde, toutesfois si je puis son esperance, sera vaine, car encore qu'il ait ceste faveur des Dieux d'estre le plus vaillant aux armes, & de précéder tous les autres les effects de la guerre, ils ne luy ont pas octroyé le pouvoir d'injurier & d'outrager un chacun.

     Achille interrompant son propos avec impa­tience, luy dit. Estimes-tu que je sois comme un pusilanime, & qu'on me tienne comme un homme de neant ? Si tu croy que je doive fleschir à tous tes commandemens, commande à d'autres qu'à moy : car si je puis tu seras frustré de ton esperance, & veux bien que tu te souvienne de mes paroles. Je ne suis pas deliberé de contester ny d'entrer en duel avec toy, ny avec autre pour Briseide, combien que vous autres Princes m'ayez baillé en pur don ce que vous m'ostez. Mais quand aux autres choses qui m'appartiennent, jamais personne ne les aura contre ma volonté : afin de faire voir l'expérience de mon dire aux Princes & à toy & pour adjouster plus de foy à mes parolles, ils verront tantost ruisseler le sang de ton corps, par l'effort de celle lance avec laquelle je te mettray à mort. Comme ces deux Princes contestoient ensemble, le conseil fut rompu, & chacun se separa. Achille accompagné de son amy Patrocles & de ses autres compagnons d'armes se retira en les tentes.

    Agamemnon fit embarquer Criseide en un Vaisseau avec vingt Pilotes, desquels il avoit fait eslection & force hosties pour les immoler, faisant Ulisse chef de cet embarquement, puis voyant demarer ce navire & les voiles dressees, Agamemnon commanda aux Grecs de nettoyer le camp, ce qu'ils firent, & jetterent leurs immondices dans la mer. Alors les Grecs chacun en son particulier sacrifioit à Apollon sur le bord de la mer, cestuy-cy un taureau celuy la un mouton, & cest autre un bouc, & vous eussiez veu une perpetuelle lueur sur les bords de la mer pour la quantité des feux qu'on y faisoit, vovant facilement monter au ciel la fumee des sacrifices.

    Cependant que les Grecs estoient occupez à leurs oblations, Agamemnon encores outré de colere pour les propos ; qu'Achille luy avoit dit, appella Talcibies & Eribate ses heraux desquels il avoit esprouvé la fidélité en d'autres occasions, & leur tint ce langage, allez dés à present és tentes d'Achille, & m'amenez Briseide par la main, & si Achille fait quelque refus de vous la bailler, dites luy de ma part que je l'iray prendre à main forte, avec grande compagnie qu'il en aura crainte : les heraulx ayant receu ce fascheux commandement de leur Prince, allerent aux ten­tes d'Achille sur le rivage de la mer, bien que ce ne fust pas de leur consentement où estans arrivez & voyant Achille assis devant sa tente qui les recogneut (n'estant pas trop joyeux de leur arrivee) aussi n'osoient ils approcher plus pres de luy, pour luy exposer leur commission ains demeuroient debout redoutant la fureur, & le regard du Roy, Achille encor irrité, ayant honte de luy porter tel legation. Achille prenant garde à leur frayeur & à la honte qu'ils avoient de luy parler, & comme il fut adverty du suject de leur arrivee, il leur dit ces paroles : je vous salue Messagers de Jupiter, Anges des hommes approchez vous de moy car vous ne me faites point d'injure, ny de desplaisir de venir icy, je sçay bien que c'est Agamemnon qui vous y a contrains, & vous a faict commandement d'emmener Briseide : parquoy vous cher cher Patrocle menez luy la pucelle: & luy livrez & je vous prie estre temoins tant envers les Dieux immortels qu'envers les hommes, & mesme en­vers ce cruel Roy qui vous à envoyez icy, que s'il advient quelque necessité aux Grecs, & qu'on me prie de m'y trouver qu'ils n'auront aucun secours de moy & ne les assisteray en quelque sorte que ce soit en leur plus urgente & derniere necessité parcque je voy bien qu'Agamemnon n'a point de ressentiment de choses passees ny de souvenir des predictions & du conseil de Calchas & ne regarde point pour qu'elle occasion ses compagnons meurent de jour en jour en leurs navires & non pas au combat.

    Ces choses ayans esté proposees aux heraux par Achille, Patrocle obeissant à son amy bailla la pucelle aux heraux la menant hors de la tente où elle estoit les heraux l'ayant receue la menent au quartier d'Agamemnon malgré elle ne voulant cheminer que par force.

    Alors Achille s'esloignant de la presence des autres commence à jeter des larmes, & s'asseant seul sur le bord de la mer escumeuse, en portant sa veue sur l'onde & les mains jointes faisoit telle plainte.

    Vous ma mere ! pourquoy m'avez-vous fait naistre avec telle fatalité qu'il me faille mourir en la fleur de mes ans.

    Jupiter pour adoucir l'aigreur de mon destin m'avoit promis de recompenser la briesvete de mes jours d'une gloire perpetuelle, & neanmoins il ne m'a point voulu faire tant d'honneur que de me laisser Briseide, vous voyez comme Agamemnon me l'a ravie pour me deshonorer d'avantage, encore que les Grecs me l'eussent baillee pour legitime recompense de mes labeurs, de mes faits héroiques & des peines que j'ay souffertes en les assistant courageusement. Achille accompagnant, ces discours de ses larmes, il entendit venir sa mere du profond des ondes, où lors elle estoit avec son vieillard de pere, & forçant hors de l'eau en forme d'une nue, s'asseant aupres de son fils, & le prenant de sa main délicate, luy usa de ce langage.

    Pourquoy pleure-tu, mon fils ? quelle est la grande douleur & la tristesse qui t'a saisi le cœur ? Je te prie de ne rien celer à ta mere, afin que je cognoisse ta melancolie, & ce que tu as sur le coeur aussi bien que toy. Achille luy respond avec pleurs & souspirs.

    Vous scavez ma mere la verité du fait, il n'est ia besoin de vous attedier d'avantage : il est vray que nous assiegeasmes Thebes, & l'ayant saccagee nous amenasmes avec nous le butin qui fut partagé entre-nous : Agamemnon de l'advis des Grecs eust Criseide pour son partage, comme le plus digne & le plus beau present de toutes les despouilles, & digne d'estre offerte à un tel personnage.  Peu de temps apres Crises pere de Criseide vint avec de grands dons, & de riches presens pour rachepter sa fille, apportant mesme le Sceptre d'or enrichy des couronnes de Phoebus, qui se retirant vers les Princes Grecs, & particulierement vers Agamemnon, & Menelas son frere, les supplia tres-humblement de luy rendre sa fille : Aux prieres duquel tous les Princes de la Grece furent d'advis que la fille fut rendue à son pere, disant que c'estoit une chose equitable, de rendre content celuy qui presentoit de riches presens pour la rançon de sa fille, que mesme le Prestre d'Apollon ne devoit estre esconduit pour une requeste si legitime: Agamemnon seul y contredit, & luy commanda de sortir du camp apres l’avoir injurie, menassé & baffoué extremement, Crises estant party, Apollon irrité, & ayant compassion de Crises qui le prioit (aussi estoit-il cherement aymé) affligea les Grecs d'une peste si contagieuse, que plusieurs ayant ressenty ces flesches ont rendu l'esprit. Il y eust un sage Augure qui dit, que l'ire d'Apollon nous avoit suscité ceste contagion. Je fus le premier qui conseillay, & persuaday d'appaiser le courroux d'Appollon, qui mit Agamemnon en telle rage contre moy, qu'il me menassa de paroles altieres, & depuis a effectué ses menaces. Car Criseide n'a plustost esté r'envoyee à son pere avec present, qu'il envoya vers moy ses hérauts pour m'enlever Briseide, que je tenois de la liberalité des Grecs, & de fait il me l'a ostee, parquoy je vous supplie ma mere, de secourir vostre fils si vous avez quelque pouvoir, & pour mieux effectuer ma priere, vous irez au ciel treuver Jupiter, le cœur duquel vous tenez obligé : Je scay aussi que pluiseurs fois il a pris vostre conseil, pour le merite qu'il recognoissoit en vos paroles & en vos actions. Il me souvient estant encor en la maison de mon pere vous avoir ouy dire que vous aviez eu l'honneur de luy sauver la vie, quand Neptune, Junon, Pallas & les autres dieux l’assaillirent pour le prendre, le lier & le mettre à mort, que lors ayant pitié de sa condition, & de sa personne vous allastes vers Briaree, & fistes tant qu'a vostre priere il se transport au ciel, où estant adossé & associé à Jupiter se servit des forces paternelles, qui apporta tant de frayeurs aux autres Dieux que leur dessein passant en fumée, leur conseil fut dissipé par l'entremise Ageon & de Jupiter.

    Voila pourquoy ma mere, je vous prie aller vers Jupiter vous mettre à genoux devant luy, afin de luy remettre en memoire les bons offices & les services que vous luy avez rendus, vous suppliant derechef s'il vous est possible que vous faciez tant pour moy, qu'il vous accorde d'estre en sorte favorable aux Troyens, qu'ils tournent les Grecs en fuitte, qu'ils les mettent à mort, qu'ils les exterminent, qu'ils les chassent avec crainte jusques dans leurs nefs, afin qu'en général ils portent la peine du merite d'Agamemnon, & afin qu'Agamemnon puisse cognoistre qu'il est l'origine &  la source de tous ces maux, pour avoir mesprisé le plus fort, le plus courageux & le plus redouté de !es Grecs.

    Thetis ayant entendu la harangue de son fils luy respondit avec pleurs & larmes. Helas pour quoy t'ay-je jamais mis au monde pour participer à tant d'afflictions où je te voy estre subject à la mienne volonté que tu peusses sans disgraces & sans traverses, palier le peu de temps que tu dois vivre.

    Car encores que ta vie soit briefve, tu es destiné à une mort tres cruelle entre tous les Princes de ton siecle, dequoy je suis affligée & desplaisante.  Helas ! faut-il miserable mere que je suis, que pour telle occasion je t'aye fait naistre, nourry & eslevé; si tendrement en ma maison, ce neantmoins j’effectueray ta requeste autant qu'il me sera possible me transportant vers Jupiter, pour voir s'il me vou­dra accorder ce que tant affectuesement tu m'as demandé, mais il est necessaire de l'attendre L'espace de douze jours jusques à ce qu'il soit retourné du banquet des Ethiopiens, car il partit hier avec tous les dieux pour y aller, cependant j'iray au ciel attendre son arrivee, & à son retour je le suppliray en sorte & avec telle confidence que j'espere obtenir  de luy l'accomplissement de ma requeste. Et pour ton regard il ne faut point que durant ce temps-là tu te trouves és combats  és assemblees, ny és conseils des Grecs, afin qu'ils puissent cognoistre ton ire & ton courroux. Thetis ayant ainsi entretenu son fils s'en alla au ciel estant affligée pour deux occasions à scavoir la haine qu'elle portoit à Agamemnon & pour l'affection maternelle qu'elle portoit à son fils Achille. Comme Thetis & Achille son fils parloyent ensemble, Ulyssse & les compagnons qui conduisoient Criseide, firent telle diligence qu'ils arriverent en isle de Crise, où apres avoit ancré leur navire au rivage de la Mer porterent leurs hosties, leurs sacrifices, & menerent Criseide au temple d'Apollon, où ils la rendirent es mains de son pere, luy faisans ce discours.

    Crises, Agamemnon Prince des Grecs m'a commandé de vous amener vostre fille, avec victimes &c sacrifices, afin d'appaiser le courroux d’Appollon,  par ce moyen.  Crises receut alors sa fille avec passion, commandant que les offrandes & les sacrifices fussent mis sur l'autel, avec splendeur & magnificence, lequel il avoit préparé pour ce sujet. Ces choies faictes comme il les avoit proposees, apres avoir lavé les mains, & qu'on eust mis les pains & les gasteaux d'orge sur table, Crises levant les mains au Ciel fit hautement en la presence de toute l'assistance ceste priere à Apol­lon.

   O grand Dieu Apollon qui presides avec ton arc d'argent és isles de Crises & de Tenedon, si autrefois tu me fis ceste faveur d'entendre & d'exaucer ma priere, je te supplie de me faire tant d'honneur estant ton Prestre, de prester l'oreille à mes requestes : & si à ma sollicitation tu as chastié les Grecs par peste excessive, que maintenant pour l'amour de moy tu les en vueilles delivrer, faisant ceder ceste contagion qui les persecute. Crises ayant mis fin à sa priere, Apollon l'entendit & l'exauça, puis apres sa requeste accomplie, ils occirent les hosties sur l'autel, ostant les peaux & coupant en deux les cuisses des bestes immolées : tout soudain le vieillard Crises y mit le feu & apres que le vin rouge fut presenté, le sacrifice fut consumé par le feu les ministres & adolescens de Crises assistoient, servoient & travailloient à ce qui estoit necessaire pour les sacrifices : fes cuisses des victimes immolées estant totalement consumees, premierement on mit griller les trippes & les entrailles sur les charbons, les mangerent à leur desjeuné, les autres membres furent mis en pieces & tranchez par morceaux, les mettant à la broche, & les faisant rostir en diligence ; puis estant rostis on les mit sur table pour la refection des assistans qui beuvoient les uns aux autres, presentant les coupes, les couronnes, & les verres pleins de vin à chacun selon sa qualité. Ulysse & les compagnons demeurerent le jour entier chantans des hymnes de louange : & des cantiques à l'honneur d'Apollon, qui en recevoit une volupté secrette en les escoutant avec attention & avec plaisir.

    Apres que le jour eut sait place à la nuict, Ulysse & ses compagnons se retirerent en leur vaisseau, reposant jusques à l'aube du jour : puis estans esveillez dans leurs tentes, ils mirent les voiles au vent pour prendre la route de leur camp. Apollon favorisant leur dessein envoya un vent aggreable en leur navire : alors eussiez vous entendu bruire les fleuves comme la proue qui est vue partie du vaisseau fendoit les eaux : & voguerent avec si bon vent qu'en bref ils parvindrent au camp des Princes de Grece où estans arrivez s’en retournerent chacun en son quartier.

    Pendant les allees & venues d'Ulisse & de sa trouppe, Achille n'entra point en la bataille, au conseil, ny és pavillons de pas un des Princes : il demenroit en ses tentes triste & mélancolique, desireux d'entendre soudainement quelques alarmes, ou quelques combats aux navires des Grecs, afin de voir leur peril ou leur suitte. Or le douziesme jour apres Jupiter & les autres Dieux estans de retour les festins des Ethiopiens Thetis se resouvenant de la promesse qu'elle avoit faicte à son fils sortit des ondes de la mer, & monta au Ciel un ma­tin & trouva Jupiter assis au plus haut des Cieux sans autre compagnie des Dieux, elle commença de luy manier la joue avec sa main gauche, & le menton avec la dextre, le priant avec des paroles emmiellées en ceste sorte.

    Pere Jupiter si entre les autres Dieux, j'ay merité quelque faveur de toy ou d'effect ou de langa­ge, je te supplie de m'accorder ce qu'une mere infortunée te requiert pour mon fils infortuné. Mon fils a receu une grande injure en l'armee des Princes des Grecs Agamemnon pour luy faire honte & par un mepris de sa personne luy a ravy la pucele que les autres Grecs luy avoient donnee pour luy faire honneur & pour la recompense de ses armes : voila pourqnoy je te prie de prendre sa cause en main & de venger l’injure qu'il a receue, en favorisant les armes des Troyens & leurs entreprises jusques à tant quel les Grecs luy ayent restitué son honneur, & qu'ils l'ayent recompense selon son merite, & reparé la honte qu'ils ont faicte à mon fils.

    Thetis ayant usé de ces propos à Jupiter qui ne luy ayant fait une assez prompte response, l'embrassa avec plus de passion & poursuvuit ses premiers discours en ceste sorte. Jupiter ou tu m'accorderas ce que si passionnement je te demande, ou tu m'en esconduiras avant que je t'abandonne, aussi n'y a il rien qui te puisse maintenant empescher de me respondre, car je desire recognoistre le credit que j'ay aupres de toy, entre les autres dieux. Jupiter travaillé de soucy & de fascherie fit ceste response à Thetis.

    O Thetis quelle dure condition m'impose tu presentent, & en quel trouble d'esprit me mets tu par ta requette, tu veux que j’encoure la haine de Junon mon espouse, qui ne cesse tous les jours de me reprocher avec blasme & avec plaintes, que je suis plus favorable aux Troyens que non pas eux Grecs Dy moy Thetis que dira Junon, quand elle me verra pancher à l'avancement des Toyens, & tourner le dos aux entreprises des Grecs, je te prie toutesfois partir d'icy, afin qu'elle ne soit advertie de ta venue, te promettant que tes prieres me seront recommandées eu sorte que je te satisferay à tes desirs & à ta volonté. Et pour te bailler vue plus grande asseurance d'entretenir ma parole je te l'octroye par mon chef qui est le tesmoignage plus recommandé entre les dieux pour effectuer leur promesse : & lequel ne peut jamais estre revoqué ny rendu inutile. Quoy disant Jupiter octroya la querelle de Thetis avec un replissement de sourcil, qui fit trembler les cieux & evaporer de sa chevelure celeste des liqueurs & des odeurs d'ambrosie.

    Jupiter & Thetis ayant communiqué ensemble, se départirent, Thetis descendit sons les ondes, & Jupiter se retira en ses demeures ordinaires, à l'abord duquel aucun des Dieux ne fut si osé de demeurer assis en son siege, ains se levant vindrent au devant de Jupiter, qui apres s'estre assis en son trosne, & Junon ayant veu Thetis discourir avec luy s'approchant au plus pres de sa personne luy parla assez aigrement. Vien ça quelle conference a eu avec toy la plus decevante de toutes les Deesses c'est ton plaisir de faire toutes choses en mon absence sans me les communiquer, & de les accomplir sans prendre mon conseil, comme tu les as déterminées en ta fantasie. Jupiter pere des Dieux & des hom­mes replique de la sorte à Junon. Ne te persuade point Junon & ne t'avance de sçavoir mes conseils, mes intentions, ny mes deliberations : car je veux bien que tu scaches qu'il te seroit  bien difficile de sçavoir (encores que tu sois ma femme) sinon ce que je te voudray dire, aussi les sçaurois-tu : plustost qu'aucun autre des Dieux : voila pourquoy tu ne me dois interroger, ny si curieusement t'en enquérir, parce que je n'ay volonté de le declarer à pas un des autres Dieux. Junon repart en ceste façon. Cruel Jupiter, quelle parolle m'as-tu maintenant prononcée tu scais bien que je n'ay pas accoustumé de t'interroger, ny de m'enquérir de ce que tu dis aux autres Dieux : mais c'est bien la verité que tu te cache ordinairement de moy, ne voulant en ma presence deliberer d'aucune chose que tu aye si resolue, ce qui travaille mon esprit & me met en inquiétude & en soupçon que Thetis qui est venu ce matin te parlée, t'embrasser, ne t'aye prié de venger l’injure d'Achille à la perte & à la confusion des Grecs. Jupiter luy respondit ainsi. Insensee demoniacle tu as tousjours quelque ombrage de moy, & me treuve bien empesché comme je te pourray celer mes deliberations ny mes effets. Apprend seulement que tu te peines eu vain, ta malice me remet en  mémoire  mes promesses, & me sollicite de les accomplir.

    Et si ainsi est que tu ayes quelque défiance, que t'importe-il quand c'est ma volonté d'en user ainsi : tais-toy & tu seras sage, & t'assiés prenant bien garde de n'estre desobeissante ny rebelle à mon Commandement,  tu ne veux que ton chef ressente le pouvoir de ma dextre, furieusement qu'aucun des Dieux ne te pourra secours, Junon fut estonnee des menaces de Jupiter, laquelle la baisse pour lors son audace, & la fierté de son courage, de quoy les autres Dieux eu furent contristez.

    Alors Vulcan le boiteux ayant compassion de la mere Junon l'aplaudissant avec un humble langage luy parla de cestes façon. Ma mere je crains que vostre distention avec Jupiter nostre pere ne soit de longue durée : & qui est plus à craindre, que (vous Dieux immortel) n'entriez en différent & en question pour les hommes mortels, & qu'obligeant les autres Dieux à vostre dispute, vous nous priviez d'un si beau festin : car vous scauez qu'en semblables differens les plus mauvaies causes ont  souvent le prix. Parquoy ma mere je vous supplie de ne paroistre desobeissante ny rebelle à mon pere, afin que rudement irrité il ne vous reproche  vostre desobeissance. J'ay peur qu'en troublant ce banquet nostre pere qui est le plus sort des Dieux, estraigne tous les autres de se lever de leur siege,  voila pourquoy je vous prie de luy parler plus moderement afin que nous soyons paisiblement avec luy. Et achevant de parler ainsi, Vulcan print une coupe plaine & la presente à Junon (ceste coupe estoit artistement élaborée) disant : Ma mere portez patiemment vostre ennuy : & bien que vous ayez quelque suject de vous plaindre, toutesfois vous devez patienter & endurer que le commandement de Jupiter soit exécute, afin que je ne sois contrainst avec tristesse & langueur d'estre tesmoing de tant d'afflictions que Jupiter vous feroit ressentir, sans vous pouvoir assister ma tres-douce mere, contre le plus cruel & le plus fier des dieux, de quoy j'ay fait experience, à mon dommage & à mon desplaisir, qui me fait avoir crainte pour vous, car il vous souvient bien que vous voulant delivrer de ses mains, comme il vous outrageoit qu'il tour­na sa fureur sur moy en vous quittant & me prenne par un pied me jetta du ciel en terre, ainsi que le jour commençoit à esclorre, & ne cessay tout le jour jusques au soir de tomber par l'air tant que j'arrivay en l’isle de Lemnos, où je fus secouru par les habitans de l'isle, qui me treuvant à demy mort me reabiliterent & restaurerent.

    Junon ayant ouy ces paroles modéra la colere, & sousriant print la coupe de la main de son fils Vulcan & gousta de ce bon vin, autant en fit Vulcans puis il presenta à boire aux autres dieux, servant pour ce coup d'eschanson. Comme Vulcan alloit ainsi volontairement entre les dieux estant à table, ils rirent de la deformité de Vulcan le boiteux, durant le festin, lequel finit sur le vespre. Alors Apollon commença à jouer d'une harpe enrichie de plusieurs pierreries, avec luy les Muses & les Deesses tour à tour chanterent melodieusement, & apres avoir rassasiez les corps de viande, & les esprits d'armonie, les dieux se retirerent en leur maison environ le Soleil couché pour se reposer, car ils ont chacun un domicile basti par Vulcan, souverain ouvrier, & Jupiter entre en sa chambre se coucha à son lict accoustumé, & Junon avec luy.