Es Princes grecs en
leurs Vaisseaulx se meirent
Pour reposer & tres
bien s’endormirent.
Agamemnon seul ayant
la Pensée
De grief Soucy
durement oppressée
Fut sans Repos. Et
comme on voit souvent
Tonner, Plouvoir,
Gresler, faire grand Vent,
Et Esclairer, quand
Juppiter fouldroye,
Ou quand la Neige en
ces bas Lieux envoye.
Ne plus ne moins
sortoient Souspirs, Regretz,
De l’Estomach du
grand Pasteur des Grecs :
Son Ctjeur trembloit,
& l'Ame tres dolente
Sentoit en soy
Angoisse violente
Mesmes alors que son
Regard jectoit
Au Camp Troien, qui
gueres loing n'estoit:
Ou il voyoit de
grandz Feuz alumez,
Oyoit grand Bruict,
Criz non accoustumez,
Et les Haulxboys, &
Fleustes qui sonnoient,
Dont tous les Lieux
prochains en resonoyent.
D’aultre part, quand
il tournoit la Veue
Dessus sa Gent,
Crainctisve & despourveue,
Qu’il contemploit
mornes, & endormis,
Et prestz à cheoir
es Mains des Ennemyz,
Douleur griefue qui
le faschoit,
Tous ses cheveux de
la Teste arrachoit
Tendant les Mains,
invoquant Juppiter,
Pour à pitié le
cuyder inciter.
En ce Combat
d'Esprit insupportable,
Il luy sembla que le
plus proufitable
Seroit d'aller
prompteinent esveiller
Le Viel Nestor, son
prudent Conseiller,
Et avec luy faire
quelque Ouverture
De bon Conseil,
affin que la Rompture
Qu'il craignoit
tant, fust ailleurs destournée,
Et que sa Gent ne
fust exterminée.
Estant debout,
il prend son Vestement
Accoutumé, & chausse
promptement
Ses bons Souliers.
Aprés cela il charge
Sur son Espaule une
Peau belle & large
D’ung grand Lion
traynant jusques en Terre:
Puis prend ung Dard,
& ceint sa Cymeterre.
Ce temps pendant
que ce Roy s'acoustrois,
Menelaus d'aultre
costé n'estoit
Moins soucieux, ains
de Craindte & de Dueil
Qui le tenoit, ne
peult onc clorre l'Oeil :
Considerant le
perilleux Danger
De tant de Grecs,
lesquelz pour le venger
Avoient passé la
Mer, faisans la Guerre
Aux fortz Troiens, y
pensans Gloire acquerre.
Adonc se leve, &
dessus son Corps mect
Son bel Harnoys, &
au Chef son Armet.
Sur le Doz prend la
Peau d’ung Liepard,
La Lance en Main,
puis soudainement part,
Et s’en va droict
aux Vaisseaux pour trouver
Agamemnon, & le
faire lever.
Si le trouva ainsi
qu'il achevoit
De s'abiller. Son
Frere qui le voit
En est joyeux :
Menelaus s'avance
Au prés de luy, & a
parler commance.
Mon Frere Aisné,
Qui te faict entreprendre
Presentement ainsi
les Armes prendre ?
Vouldroys tu point
quelque Grec inciter
D'aller de Nuict les
Troiens visiter
Comme Espyon ? je
doubte grandement
Qu’on n’obeysse à
ton commandement.
Et s'il advient que
quelcun le parface,
Dire le fault Homme
de grande Audace.
Agamemnon
respondit lors, Mon Frere
Et toy de moy avons
tres grand asfaire
De bon Conseil, pour
noz Gens soulaiger
Et preserver les
Vaisseaulx de danger.
Mesme voyant que
Juppiter s’adonne
Aux Ennemys, & qu'il
nous habandonne.
Je n'ay jamais veu
ny ouy compter,
Qu’ung Homme seul
peust tant executer
De Vaillantz Faictz,
comme par sa Prouesse
A faict : Hector au
jourdhuy sur la Grece.
Il n'est de Dieu ny
de Deesse Filz,
Et toutesfois il
nous a Desconfitz.
Et croy pour vray
qu'aux Gregeois souviendra
De cest Effroy tout
le temps qui viendra,
Je suis d'advis
doncques que tu t'en voises
Diligemment jusques
aux Nefz Gregeoises
Devers Ajax & le bon
Roy de Crete :
Pour les prier tous
deux a ma Requeste,
De s'en venir au
Conseil. Je verray
D'aultre costé, si
mener je pourray
Le Viel Nestor
jusques au Guet: pour veoir
Comme on pourra a
nostre Faict: pourveoir.
Son Filz est Chef,
avec Merionés,
De ceulx qui sont
pour le Guet ordonnez.
Et pense bien qu'aulcun
d'eulx ne fauldra
D'executer ce que
Nestor vouldra.
Menelaus dict :
lors. Je te demande,
Quand j'auray faict:
ce que ton Vueil commande:
Ne veulx tu pas que
vers toy je retourne
Incontinen ou que la
je sejourne
Les attendant, pour
avec eulx venir ?
Il vauldra
mieulx au prés d'eulx te tenir,
Afin (dict il) que
nul ne se forvoye,
S'il advenoit qu’ilz
prinssent aultre Voye,
Car en ce Camp y a
plusieurs Sentiers,
Qui leur seroient
tenir divers Quartiers.
Oultre cela le te
veulx conseiller,
Qu'en t'approchant
d'eulx pour les esveiller,
Tres humblement & a
Voix doulce & basse
Nommes leur Nom,
leur Estat, & leur Race,
Sans leur tenir
Propoz Audacieux,
Ains tout Courtois,
Begnin & Gracieux.
Il nous convient toy
& moy travailler
De faire ainsi, &
nous appareiller
Doresnavant, à
mainct Faict indécent.
Puis que le Dieu
Juppiter s'y consent.
Agamemnon ayant
si bien instruict:
Menelaus, part
doulcement sans Bruyct
Et va si bien qu'il
arrive en peu d'heure
Dedans la Tente, ou
faisoit sa demeure
Le Roy Nestor. Adone
s'est approché
Du bon Viellard,
lequel trouva Couché
Dedans le Lict. Son
Harnoys reluysant,
Son bel Armet, deux
Dardz, l'Escu pesant
Estoient au prés, &
la riche Ceincture,
Dont il se ceinct:
quand il prend son Armure,
Menant aux Champs
les Grecs d'ardant Courage,
Sans succomber soubz
le Faix du viel Eage.
Nestor sentant
de son Lict approcher
Agamemnon, &
coyement Marcher;
Haulsa la Teste, &
l'ayant appuyée
Dessus son Coulde,
en Persone ennuyée,
Luy dict ainsi. Qui
es tu, qui de Nuict:
Vas ainsi seul par
ce Camp, qui te duict:
Dedans ces Nefz ?
Qui t'a en queste mys,
Voyant ainsi les
aultres endormys ?
Cerches tu point
ores quelque Mulet ?
Tes Compaignons
t'ont ilz laissé seulet,
Les cerches tu ? dy
moy quelle Fortune
T'ameine icy a ceste
Heure importune ?
Si rien te fault ne
le vueilles celer,
Et ne l’approche
autrement sans parler.
O Roy Illustre,
O la Gloire, & Renom
De tous les Grecs,
je suis Agamemnon,
Agamemnon Dolent &
Malheureux :
Que Juppiter Cruel &
Rigoreux
A tant chargé de
Honte & Vitupere,
Qui rien que mal de
ma Vie n'espere.
Je viens a toy,
pource que je ne puis
Prendre Repoz en l'estat
que je suis.
L'extreme Soing, le
Soucy nom pareil
Que j’ay des Grecs,
m'empesche le Sommeil.
Et suis conduit à
telle Honte & Craincte
Que mon Cueur
tremble, & mon Ame est attaincte
De Desespoir puis
les jambes me faillent,
Pour les Doleurs qui
mon las Cueur assaillent.
A ceste cause, Amy,
& que je voy
Que tu ne dors ainsy
non plus que moy,
Je te supply d'adviser
le moyen,
De nous saulver de
ce Peuple Troien.
Sus, leive toy. Et
puis si bon te semble)
Allons nous en
jusques au Guet ensemble,
Afin de voir si les
Souldards laissez
Pour cest Effect
sont endormyz, lassez
Du grand Travail.
Las, noz Ennemyz sont
Bien prés de nous, &
ne scavons s'ilz ont
Quelque vouloir
ceste Nuict : nous surprendre,
Sans qu'on se puisse
aulcunement defendre.
Ainsi parla.
Surquoy le Roy Nestor,
Luy reipondit:
Penses tu bien qu'Hector,
De Juppiter soit
tant favorisé,
Qu’il mette a fin ce
qu'il a devisé ?
Nenny Nenny, je
pense quant à moy,
Qu'il est luy mesme
en grand peine & esmoy
Pour Achillés, &
doubte qu’il l’appaise
Aveques toy,
laissant l'Ire maulvaise.
Au demeurant je m’appareilleray,
Pour te suyvir & si
esveilleray,
Aveques toy, Ulyssés
le subtil
Diomedés le fort,
Megés gentil,
Et le second Ajax
dict Oilée,
Dont la prouesse est
en Grece extollée
Or pleust aux Dieux
que quelcun s'en allast
Devers le grand
Ajax, & l'appellast.
Idomenée & luy ont
leurs grans Tentes,
Assez de nous
loingtaines & distantes.
Que n'est venu
Menelau icy ?
A il si peu de cure
& de Soucy ?
Luy qui devroit
veiller incessamment
Au prés des grands
les priant humblement,
Peult il dormir &
te laisser le Soing
De ceste Guerre en
si tres grand Besoing ?
Certainement quelque
benivolenee,
Que j’aye a luy, &
quelque reverence,
Que l'on luy doibve,
il fault que je le pousse
De motz piquantz & à
luy me courrousse:
Tu ne scaurois m'en
garder: Nonobstant
Que tu luy sois
grand Amytie portant.
Agamemnon
derechef respondit,
Digne Viellard,
Aultresfois t’ay je dict
Et supplié de le
vouloir tencer.
Quand ne vouloit au
travail s'avancer.
Non que Paresse, ou
trop grande ignorance,
L'en ayt gardé: mais
la ferme asseurance,
Qui a de moy
regardant à mes faictz,
Et me laissant tout
seul porter le faix.
Quant a present,
point ne fault qu'on l’accuse
Comme il me semble,
ains est digne d'excuse.
Il a esté le premier
esveillé,
Puis est venu vers
moy appareillé,
De m'obeyr. Si l'ay
soubdain transmys
Devers Ajax, &
aultres noz amys.
Allons nous en, je
suis seur qu'ilz viendront,
Devant le Fort au
Guet, & s'y tiendront.
Menelaus leur aura
faict entendre,
De ne faillir &
venir, & d'attendre.
Lors dict
Nestor, si ton Frere germain
Se montre ainsi
diligent & humain,
Comme tu dis, &
qu'il prie ou commande,
Modestement, toute
la Greque bande
Le servira, & luy
seront honeur,
Autant qu'a toy qui
es leur Gouverneur.
Disant ces motz,
il laisse promptement
Son Lict mollet, &
prend son vestement
Beau& Royal soubz
ses piedz à lié
Les beaulx Souliers
de Cuyr tres delié
Apres vestit une
Robe vermeille,
De fine Laine, &
tres riche à merveille:
Car elle estoit bien
fort elabourée,
Et s'attachoit dune
Boucle dorée.
Estant vestu, il
prend sa Lance forte,
En sa main Dextre, &
soubdain se transporte
Au Pavillon
d'Ulyssés, si l'excite
Criant tout hault, &
de lever l'incite.
Lequel oyant la Voix
du Viel bon Homme,
Tout en sursault
habandonne son Somme,
Et sort dehors, en
leur disant. Pourquoy
Vaguez vous seulz
ainsi en ce Temps Coy
Et tenebreux ? Quel
danger, quel desfault
Est advenu, & qu'est
ce qui vous fault ?
O Prudent Filz
de Laertés, ne soys
Esmerveillé, si tu
nous appercoys,
(Dict lors Nestor)
car la Necessité
Nous a menez a ceste
extrémité.
Vien aprés nous,
afin d'aller trouver
Ung aultre Roy, & le
faire lever,
Pour consulter sur
la Forme & Conduire
De Batailler, ou de
prendre la Fuytte.
Quand Ulyssés
eut Nestor entendu,
Soubdainement son
Escu a pendu
Sur son Espaule, &
puis les a suivyz.
Si ont trouvé la
Tente viz à viz
Du fort Gregeois
Diomedés, qui lors
(Armé du tout) s'estoit
couché dehors,
Ayant soubz soy une
grand Peau de Beuf,
Et soubz la Teste
ung beau Tapis tout neuf.
Ses Compaignons, ses
Souldards & Gensdarmes
Dormoyent aupres,
ayans pendu leurs Armes
Tout à l’entour,
leurs Lances & Bouclers
Qui reluysoient,
comme sont les Esclers.
Le Viel Nestor
menant Bruyt : s'approcha
Du noble Grec, & le
Corps luy toucha
De son Talon, & en
le reprenant
Luy dist ainsi. Quoy ?
dors tu maintenant,
Filz de Tidée ? Es
tu si endormy
Saichant si prés le
Camp de l'ennemy ?
N'entens tu pas à
leurs Cris, que la Plaine
Dicy au prés en est
couverte & pleine ?
Diomedés oyant
Nestor s’esveille,
Et luy respond,
Certes je m'esmerveille,
De toy Viellard qui
es si endurcy
A supporter tant de
peine & soucy.
Dont vient cela que
ton esprit ne cesse
De travailler ? N'as
tu point de jeunesse
Aupres de toy, pour
les Roys appeller,
Sans qu'il te saille
ainsi par tout aller ?
Certes ouy : mais ta
Nature vive,
Jamais n est lasse,
& ne peult estre oysive.
Il est tres vray
Amy, & n'as dict rien,
Respond Nestor, que
je ne saiche bien.
J’ay des Enfans tres
preux, j’ay Serviteurs
Et mamtz subjectz,
tous ardans Zélateurs
De mon repos ayans
volunté grande
De m'obeyr en ce que
je commande.
Mais le danger & le
Péril urgent,
Auquel je voy & nous
&c nostre Cent,
Ne me permect : que
par tout je n'assiste.
Bien cognoissant
qu'il fault que l’on resiste
A ceste fois : car
si trop l’on demeure,
On ne scauroit
garder que tout n'y meure.
Or maintenant, puis
que tu as Pitie
De ce vieulx Corps,
va t’en par Amytie,
Faire venir Ajax
dict Oilée,
Et avec luy Megés
Filz de Philée.
Diomedés
incontinent vestit
Une grand Peau de
Lion, & partit
(Sans oublier sa
longue & forte Darde)
Si va devers ces
deux Grecs, & ne tarde
A les trouver, puis
soubdain les invite
De s'en venir au
Chef de l'Exercite.
En peu de temps
tous les Princes & Ducz
Dessus nommez, se
sont au Guet renduz.
Pas n'ont trouve
ceulx qu'ilz avoyent commys
A faire Guet, mornes
ny endormys.
Ains tous Veillans
par Ordre, & escoutans,
En bons Souldards, &
rusez Combatans.
Car tout ainsi que
les Mastins qui gardent
Les grandz Tropeaux,
de tous costez regardent
Si le Lion descend
de la Montaigne,
S'il sort du Boys,
ou vient par la Campaigne,
Pour assaillir les
Brebis & Moutons:
Dont les Bergers
disposez aux Cantons
De leur beau Parc,
sont grand Tumulte & Bruict,
De peur qu'ilz ont
d'estre surpris la Nuict.
Et n'est Sommeil si
pressant qui les garde,
Que l’on ne face une
soigneuse garde.
Semblablement, voire
d'ardeur plus forte,
Se contenoit la
Gregeoise Cohorte.
Car le Sommeil en
leurs Yeulx perissoit,
Et le Desir de
veiller leur croissoit.
Ausquelz Nestor trop
joyeulx de les voir
Si ententifz a faire
leur Debvoir,
Disoit ainsi. Mes
Enfans tres ayrnez
Veillez, veillez, &
ne vous endormez,
A celle fin que l'Ennemy
ne puisse
Executer dessus nous
sa Malice,
Nous surprenant à
faulte de bon Guet,
Qui nous seroit ung
merveilleux Regret.
Disant ces motz (Suyvy
des Roys) il passe
Hors les Fosséz, &
vient droict à la Place,
Pleine de Mortz, ou
Hector avoit faict:
Le jour devant en
Armes maint beau faict,
Continuant jusques à
la Nuict noire,
Sa glorieuse &
insigne Victoire.
Estans venuz les
bons Princes s'assirent
Tout bas en Terre, &
a parler se meirent:
Ayans aussi appelle
en conseil
Merionés combateur
nom pareil,
Et le vaillant &
preux Thrasymedés,
Apres les Roys des
plus recommandez.
Adonc Nestor la
fleur des Chevaliers,
Leur dict ainsi : O
Amys singuliers,
Lequel de vous a
tant de Confidence
En son esprit tant
de Force & Prudence,
Qu’il ose aller
jusque au Camp des Troiens,
Pour l'espier, &
chercher les moyens
D'entendre au vray
s’ilz veulent s’emparer
Les Champs prochains
& gaigner leur Maison
Ayans occis de Grecs
si grand foison ?
Il le scaura en
prenant Prisonnier
Quelque Troien
demeuré le dernier,
Ou bien (peult estre)
il orra les Propos,
Qu'ilz ont ensemble
en prenant le Repos.
Et s'il revient vers
nous sain, & rapporte
Entierement, comme
tout s'y comporte,
Dire pourra qu'il
aura mérité, Gloire
Immortele en la
Posterité,
Et davantaige il
aura pour Guerdon
De son labour, de
nous maint riche Don.
Il n'est Patron de
Nesf qui ne luy baille,
Une Brebis noire de
grasse taille,
Et son Aigneau
Present à vray parler
Qu'on ne scauroit
passer ou esgaler:
Et ne fera jamais
Festin tenu,
Ou il ne soit
toujours le bien venu.
Ainsi parla :
mais ceulx qui l'entendirent
D'ung bien long
temps mot ne luy respondirent.
Diomedés aprés
devant les Roys,
Ouvrit la Bouche &
dict à claire voix.
Le noble esprit qui
dans mon Cueur repose
Me solicite, & veult
que je m'expose
Des maintenant comme
preux Champion
A ce danger de
servir d'Espion.
Et le seray, proveu
que l’on me donne,
Ung Compaignon qui
de rien ne s'estonne
Car je scay bien que
le Conseil de deux
Est plus certain en
faict si hasardeux
Que n'est d’ung seul
: Car l’on s’entre conseille,
D'ou sort aprés
l'Audace nom pareille.
Mais l'Homme seul
tant soit sort & puissant,
Bien Resolu, & son
faict: cognoissant,
Quand vient au point
il en est plus tardif,
Et quelque sois plus
Timide & Crainctif.
Les Roys oyans
l'entreprise louable
De ce sort Grec,
eurent vouloir semblable.
Les deux Ajax
soffrirent de le suyvre :
Merionés vouloit
mourir & vivre
Aveque luy.
Thrasymedés bien fort
Le desiroit:
Menelaus le Fort
S'y presenta, Et
Ulyssés le Sage,
Dict qu'il iroit
hazarder ce Passage
Sans craindre rien.
Et pour vray estoit il
Le plus Acort des,
Grecs, & plus Subtil.
Agamemnon dict
lors, voyant l'Emprise
Continuer: O Amy que
je prise
Comme mon Cueur,
Puis que tu voys chascun
Prest de te suyvre,
esliz entre eulx quelcun
A ton plaisir, qui
soit le plus Adroit
Pour resister quand
on vous assauldroit.
Et garde toy, que
par Honte ou Vergoigne
Ton jugement de
raison ne s'esloigne.
N’advise pas si tost
au grand Lignage,
Comme au bon Sens, &
au Hardy Courage.
Ce te seroit ung
extreme Malheur,
Prendre le pire, &
laisser le meilleur.
Ainsi disoit
Agamemnon, doubtant
Que l’on choysist
Menelaus, d'autant
Qu’il estoit Riche,
& de grand Parenté.
Puis que le Choix
est à ma Volunté
Dict le preux Grec,
doibz je mectre en oubly
Cet Ulyssés, de
Prudence ennobly ?
L'Esprit duquel est
tout accoustumé
Aux grandz Dangers,
& qui est tant aymé
Des Dieux Haultains,
mesmement de Minerve
Qui en ses Faictz le
dirige, & conserve ?
Certainement avec
ceste noble Ame,
Je penserois
eschapper de la Flamme
D'ung Feu ardent, &
m'en retourner sain,
Tant je le scay de
grand Prudence plein.
Je te supply
(dict Ulyssés) ne chante
Icy mes Faictz, ne
me blasme ne vante
Devant ces Roys, qui
scavent de long temps
Mon Impuissance, ou
bien ce que j’entens.
Allons nous en,
desja la Nuict se passe:
Les Astres ont
avancé long espace
De leur Chemin,
l'Aube se monstrera
Sans trop tarder qui
le jour portera :
Et ceste Nuict aura
peu de durée,
Car de troys partz
la tierce est demeurée.
Disant ces motz
les deux Grecs Renommez,
Des assistans ont
esté bien Armez
Thrasymedés bailla
sa grand Espée
(A deux trenchans
poinctue & bien trempée)
Au fort Gregeois,
qui de venir pressé
Avoit son glaive en
la Tente laissé
Et son Escu: Aprés
luy meit en Teste
Ung sien Armet sans
Pannache & sans Creste
Faist de bon Cuyr de
Taureau, on le nomme
Ung Cabaslet, armure
de Jeune homme.
Merionnés à
Ulyssés presente
Son Arc, sa Trousse,
une Espée pesante,
Et quant & quant ung
bel accoustrement
Faict pour le chief
bien &: tres proprement.
Car il estoit de
sort Cuyr par dedans
Bien extendu, le
dehors fut des dentz,
De mainct Sangler,
rengées par tel ordre,
Qu'il n'est
trenchant qui peult par dessus mordre
Et davantaige oultre
la dure Peau,
On povoit mectre au
dedans ung Chappeau.
Autilochus en
l'antique Saison,
L'avoit trouvé
sossyant la Maison,
D’ung Amyhtor Filz
d'Ormenus, assise
Dans Eléon la forme
tres exquise.
Du Cabaslet, feit
qu'il en honora
Amphidamas, lequel
en demoura
Par ung long temps
Possesseur, puis le donne
Au preux Molus, &
Molus l'habandonne
A son Enfant, qui
tousjours le porta,
Mais pour ce coup au
fin Grec le presta.
Estans
Armez(comme dict est) ilz partent,
Et de la Troupe en
peu de temps s'escartent.
En s'en allant
Minerve leur envoye
Ung grand Heron, qui
chante, & les costoye :
Point ne l’ont veu,
obstant la Nuict obscure,
Mais joyeulx sont de
si bonne Advanture:
Et mesmement Ulyssés
qui entend
Tres bien l’Augure,
en est aise & content.
Si commença à
dresser sa Priere
A la Deesse, en
devote Maniere.
Entens à moy
Fille de Juppiter
Ou Dame Pallas qui
daignes assister
A mes Travaulx, Dame
qui me confortes
En tous Perilz, me
guydes & supportes.
Octroye moy
aujourd’huy tant de Gloire,
Que je retourne aux
Nefz plein de Victoire.
Et que nous deux
achevions tel Ouvrage,
Que les Troiens en
recoyvent Dommage.
Diomedés aussy
devotement
Feit sa Priere, &
dict tout bassement.
Escoute moy, O
Deesse Gentille
Tritonia, tant bien
aymée Fille
De Juppiter, foys ma
guyde Prospere,
Comme tu fus a
Tideus mon Pere,
Alors qu'il fut
Ambassadeur transmys
Vers les Thebains,
afin de faire Amys
Eulx & les Grecs.
Certes à son Retour
Il leur monstra de
sa Force ung bon Tour
Par ton moyen, O
prudente Deesse.
Las, donne moy la
Force & Hardiesse,
Qu'il eut adonc, &
me conduyz de sorte,
Qu'a mon honeur de
l’emprise je sorte.
Et je promectz de
faire Sacrifice,
Sur ton Autel d'une
belle Genisse,
Qu’on n’aura veu
encores labourer.
Je luy feray ses
Cornes bien dorer :
Puis te sera de bon
cueur presentée,
Si ma priere est de
toy acceptée.
Ainsi prioient
les deux nobles Gregeois:
Dont la Deesse
enclinant à leurs voix
Et Oraisons,
pleinement accorda
A chascun d'eulx ce
qu'il luy demanda.
Lors vont avant,
deux Lions ressemblantz
Mectans les piedz
sur les Corps fraiz sanglantz :
Dont la Campaigne
estoit presque couverte,
Tant fut des Grecs
excessive la perte.
Pas ne laissa
Hector dormir les siens
De son costé, car
les plus anciens,
Et plus expers feit
venir en sa Tente,
Pour leur monstrer
clairement son entente.
Lequel de vous
(dict il) me veult promectre,
D'executer ce que
luy vue il commectre:
Et il sera en honeur
avancé,
Et qui plus est tres
bien récompensé:
En recevant de moy,
pour ses travaulx,
Ung Chariot mené de
deux Chevaulx,
Les plus exquis de
l'Armée Gregoise ?
De luy ne veulx fors
seulement qu'il voise,
Jusques aux Nefz des
Ennemys, entendre,
S'ilz ont encor
vouloir de nous attendre.
S'ilz sont le Guet
ainsi que de coustume,
En leurs Vaisseaulx.
Ou comme je presume,
Estans batus ilz
pensent de souyr
Couvertement qu'on
ne les puisse fouyr.
Ainsi parla, mais
nul qui l'entendit,
Ung tout seul mot
alors ne respondit.
En ce Conseil
ung Troien assistoie
Nommé Dolon, qui
Filz unique estoit
Au bon Hérault dict
Eumedes, pour lors
Tres abondant en
Biens & en Thresors.
Ce Dolon cy fut tres
laid de Corsage,
Mais aultrement
dispoz a l'avantage,
Et de son Pere aymé
& honoré,
Comme estant seul de
six Filz demouré,
Lequel pensant a la
belle promesse,
Du Preux Hector,
soubdain de bout se dresse,
Et dict ainsi.
Hector, Ardent courage,
Force mon cueur à
prendre ce voyage:
Pour rapporter si
les Grecs se desposent
A la defense ou à
fouyr proposent.
Et le seray, mais
comme Chef loyal,
Tu jureras par ton
Sceptre Royal,
De me donner le beau
Char d'Achillés,
Et les Coursiers qui
y sont ateslez.
Et quant à moy, ne
crains poinct que je frustre
En rien qui soit ton
entreprise illustre,
Car j'iray droict
dans les Vaisseaulx des Grecs,
Voire du Chef, &
scauray leurs segretz.
Alors Hector
haulsant le Sceptre en l'air,
Luy respondit Puis
que tu veulx aller,
Ou je t’ay dist, par
Juppiter qui Tonne,
Je te prometz que
nulle aultre persone
Ne montera sur ces
Courtiers exquis,
Que toy Dolon. Tu
les auras conquis
Tres justement. Or
done d'iceulx hérite,
Pour le Loyer digne
de ton Merite.
De pareilz motz
le noble Hector jura
A son Troien mais il
se parjura.
Si le semond de
partir tout à coup,
Surquoy Dolon prend
la Peau d'ung vieulx Loup
Dessus son Dos,
ayant son Arc tendu,
Soubi le Manteau à
l'Espaule pendu,
Et sur la Teste une
Salade neusve
De Cuyr de Bouc
endurcy à l'espreuve.
Puis en sa main ung
beau & luysant Dard,
Se contenant en
asseuré Souldard.
Estant Armé il
part sans sejourner:
Mais ce sera sans
jamais retourner,
Trop grandement est
deceu s’il espere
Reveoir Hector,
encores moins son Pere:
Et va si tost, qu'en
peu de temps il gaigne
Ung grand Chemin par
la belle Campaigne.
Lors Ulyssés qui
n'avoit aultre Soing
Qu’a son voyage,
apperceut de bien Loing
Venir Dolon. Si dict
à son Amy
Diomedés, voicy ung
Ennemy
Venant du Camp des
Troiens je me fie,
Ou bien qu'il sert
aux Ennemys d'Espie,
Ou bien qu'il vient
despouiller quelque Corps
De ceulx qui sont à
la Bataille mortz:
Il sera bon de le
laisser passer
Encores oultre, &
aux Nefz s'avancer,
Nous le suyvrons
soubdain estans derriere,
Et le prendrons de
facile maniere.
Advise bien
toutesfois s’il s'efforce
De s'enfouyr, que
l'on le chasse à force
Vers noz Vaisseaulx,
le faisant esloigner
Du Camp Troien qu'il
cuydera gaigner.
Suy le de prés avec
ta longue Lance
Tant qu'on entende à
ce Coup ta vaillance.
Disant ces motz
les deux Grecs se desvoyent
Entre les Mortz.
Puis escoutent, & voyent
Leur Espion qui s'en
alloit grand erre.
Quand ilz l'ont veu
loing d'eulx autant de Terre,
Qut les Muletz
accouplez deux à deux
En labourant
gaignent devant les Beufz
Qui sont tardifz :
Incontinent ilz sortent,
De leur Embusche, &
vers luy se transportent.
Dolon oyant leur
Bruict pensa qu'ilz fussent
Quelques Troiens qui
partager volusient
Aveques luy,
empeschans son Marché.
Ce temps pendant les
Grecs l'ont approché,
D’ung ject de Dard
: lequel appercevant
Quelz ilz eiloient,
gaigna tost le devant
A pleine course : Et
les deux Gregeois partent
Qui de ses pas (tant
soit peu) ne s'escartent.
Qui aura veu deux
Leuriers quelque soys
Et la presser
tellement que la Beste,
Pense que ainsi ces
Princes valeureux,
Donnoient la chasse
au Troien malheureux.
Lequel n'avoit nul
moyen d’eschapper
Ains se voioyt plus
sort envelopper.
Tant a souy
Dolon à vau de Routte
Que peu faillist
qu'il n'entranst en l'Escoute,
Et Guet des Grecs:
mais Pallas la Déesse
Accreut pour lors la
Force & la Vitesse
Au courageux
Diomedés, doubtant
Qu’ung aultre Grec
fust l'Honeur emportant
De l'avoir pris : Si
l'attainct : & l'arreste,
En luy disant, Garde
toy sur ta Teste
De passer oultre:
aultrement tu n'as garde
De m'eschapper, &
mourras de ma Darde.
Disant cela, il
la jecte, & luy passe
Bien prés du Col
Dolon plus froid que Glace,
S'arreste court, &
de Peur si fort tremble,
Qu'on oyt ses Dentz
se marteler ensemble.
Les nobles Grecs
hors d'aleine surujennent,
Et le Troien
attrapent & retiennent:
Lequel jectant
abondance de Larmes
Leur dict ainsi. O
valeureux Gendarmes,
Saulvez ma Vie, & je
l'achepteray
Tant qu'on vouldra,
& me racheteray.
Mon Pere est riche
ayant en sa Maison
Or, Fer, Arain, &
Joyaulx à foison,
Qu'il donnera
saichant que je suis vif
Entre voz mains
Prisonnier & Captif.
Lors Ulyssés
remply de grand Prudence
Luy dict ainsi.
Troien pren Confidence,
En ton esprit de
chasse ceste Craindre,
Qui t'a surpris,
d'avoir la vie extaincte.
Et compte au vray
sans point me decevoir
Ce que je vueil ores
de toy scavoir.
Quelle entreprise as
tu, venant de Nuict,
Vers nostre Camp
tout seulet & sans Bruyct,
Mesmes saichant qu'à
ceste heure les Hommes
Sont en repoz
dormans de profonds Sommes,
Mais viens tu point
pour quelque mort souiller
Du jour passé, &
pour le despouiller ?
Hector t'a il
presentement transmis,
Pour Espier que sont
ses Ennemys ?
Es tu venu de son
Auctorité,
Ou de ton gré, dy
moy la Vérité ?
Alors Dolon tout
crainctif & tremblant,
Mieulx ung Corps
mort qu'Homme vif ressemblant,
Luy dict ainsi,
Hector par sa parole
M'a tant chargé d'esperanee
frivole,
Qu'a son vouloir, je
suis icy venu:
Dont je me treuve
ores circonvenu.
Il m'a promis d'Achillés
la monture
Et Chariot,
hazardant l'advanture
De ce voyage, & que
je luy revele,
De vostre Camp
quelque seure nouvelle.
Cest à savoir si
vous delibérez
D'entrer en Mer, ou
si vous demeurez,
Pour tenir bon. Sur
tout que je regarde
Quel Guet on faict,
si les Nefz sont sans garde.
Lors Ulyssés avec
ung fainct soubrire
Luy dict: ami je voy
bien par ton dire,
Que ton esprit a ung
bien desiré,
Trop grand pourtoy,
& trop desmesuré.
Car ces Coursiers
sont de Nature telle
Qu'impossible est à
persone mortelle
De les dompter si ce
n'estoit leur Maistre,
Que Juppiter a faict
de Thetis naistre,
Mais je te pry
Compte moy sans mentir,
Alors qu’Hector t’a
pressé de partir,
Ou estoit il ? Son
Harnoys tant famé,
Ou le met il quand
il est desarmé ?
En quel endroit
logent ses bons Chevaulx,
Et Chariotz apres
leurs grans travaulx ?
Dy moy encor si ses
gens sont couchez
Dedans leurs Lictz,
de Batailler faschez,
Ou s'ilz sont Guet ?
Se veulent ilz tenir
Encor aux Champs, &
dessus nous venir
Demain matin ? ou
reprendre leur voye,
Victorieux pour
retourner à Troie ?
Lors dict Dolon,
le vous advertiray,
Certainement, &
point n'en mentiray.
Le preux Hector à
mon depart estoit
Prés du Tombeau d'llus,
ou consultoit
Avec les grands, des
choses necessaires,
Pour debeller (s'il
peult) ses adversaires.
Et quant au Guet
dont tu m'as demandé,
Il est certain
qu'Hector l'a commandé:
Mais les Souldards
n'obeissent en rien
A son vouloir, &
s'endorment tres bien.
Tant seulement les
Troiens par contraindre
Sont quelques Feux
o& veillent, de la craincte
Qu'ilz ont de perdre
Enfans, Femmes, Cité,
Et ne sont rien que
par necessité:
Les Estrangiers leur
en laissent le Soing
Leur Femmes sont,
comme ilz disent, trop loing.
Ulyssés veult
entendre plus avant,
Et l’interrogue,
Ores say moy scavant,
D'ung aultre faict,
& point ne le me cele.
Les Estrangiers
logent ilz pesle mesle
Parmy Troiens, ou
s'ilz ont leurs Quartiers
Tous separez ? je l'orray
voluntiers.
Quant à cecy
qu'a present me demandes,
le te diray comme
logent les Bandes,
Sans te tromperies
Cares, les Peons,
Leslegiens, Pelasges,
& Caucons,
Sont tous Campez le
long de la Marine.
D'aultre coste,
tirant vers la Colline
Dicte Thymbra,
campent les Lyciens,
Les Phrygiens, Meons
& Mysiens.
Mais de quoy sert
qu'ainsi je vous recite
Par le menu le
Troien exercite ?
Si vous avez volunté
d'y aller,
Vous trouverez en
tout vray mon parler.
Les Thraciens
nouvellement venuz
Se sont encor loing
de nous contenuz,
Mectans à part leurs
Bandes & Charroy:
Entre lesquelz j’ay
veu Rhesus leur Roy,
Et ses Courtiers
merveilleux & puissans
En grand blancheur
la Neige surpassans,
Lesquelz on peult
aux Ventz comparager
Tant ilz sont
promptz quand il fault desloger.
sJ’au veu son Char
compose par Art gent
De deux metaulx, Or
fin, & clair Argent:
Et son Harnois tout
d'Or, si admirable
Qu'il n'en est point
au monde de semblable.
Et croy pour vray
qu’ung Homme soit indigne
D'avoir sur soy
Armure tant insigne,
Certainement elle
sierroit trop mieulx
A Juppiter, ou à
quelcun des Dieux.
Donc vous ayant du
tout acertenez,
Je vous supply menez
moy en voz Nefz.
Ou me laissez lyé
estroictement
En ce lieu cy: Puis
allez promptement,
En nostre Camp, ou
pourrez à l'Oeil voir
Si j’ay voulu en
rien vous decevoir.
Diomedés lors de
travers regarde
Le poure Espie, &
luy dicf Tu n'as garde
De m'eschapper Ne
metz en tes espritz
Espoir de vivre,
encor qu'on ayt appris
Chose de toy qui
servir nous pourra.
Je scay tres bien
que quand on te lairra
Des maintenant aller
en liberté,
Une aultre fois tu
auras volume
De visiter nostre
Camp, & viendras,
Pour l'espier, ou
bien nous assauldras.
Mais si tu meurs,
comme est en ma puissance,
Tu ne seras jamais
aux Grecs nuysance.
Ainsi luy dict.
Et Dolon qui pensoit
Le convertir, prés
de luy s'avancoit,
Pour luy toucher le
Menton doulcement,
Et le prier: mais
sur ce pensement
De son Espée ung si
grand Coup luy rue
Dessus le Col qu'il
l'abbat & le tue
Couppant les Nerfz,
dont la Teste s'en vole
En murmurant encor
quelque parole.
Incontinent ont
prins son Cabasset,
De peau de Bouc & le
gentil Corpsfet
De peau de Loup, son
Dard, ses Arcz tenduz.
Puis Ulyssés a ses
bras extenduz
Devers le Ciel: &
tenant ces Harnois,
Prioit ainsi Pallas
a basse voix.
Resjouy toy Deesse
de l'Offrande
Qu'on te presente
ainsi qu'a la plus grande,
Et la plus digne
entre les Immortelz
A qui l’on doibt
dresser Veux & Autelz.
Doresnavant ta Deité
haultaine
Aura de nous
Oblation certaine.
Mais ce pendant Dame
fay nous la Grace,
Que nous allons au
lieu ou ceulx de Thrace
Sont endormys : fay
nous voir leurs Armures,
Leur beaulx
Coursiers, & Char plein de Dorures.
Quand l'Oraison
du Grec fut achevée,
Encor ung Coup il a
sa main levée
Bien hault en l'air,
puis a faict ung Monceau,
De ces Habitz & a
ung Arbrisseau
Les a penduz, aprés
coupe & branche
D’ung
Tamarin ung grand Rameau & branche,
Pour luy servir de Marque ou de brisée,
Et que la voye en
{bit mieulx advisée
A leur retour. Cela
faict: ilz cheminent
Parmy les Mortz &
trouver determinent
Les Thraciens s'y
ont tant cheminé
Qu’lz sont venuz au
lieu déterminé.
Trouvé les ont
couchez & endormys
A troys grands Rengs,
car ainsi s'estoient mys
Et au plus prés de
chascun, l'Equipage
De son Harnoys, sa
Monture, & Bagage.
Rhesus dormoit au
mylieu de ses Gens,
Et es chevaulx
exquis & diligens, tre les jjens.
Bien prés de luy, au
Chariot liez
De grands Licoulz
riches & deliez.
Lors Ulyssés
voyant ce Desarroy,
Dict, Compaignon,
Certes voycy le Roy,
Et les Chevaulx que
Dolon nous disoit
Quand de ce Camp à
plein nous instruysoit.
Or maintenant il
fault que tu t'efforces
(Mieulx que devant)
à demonstrer tes Forces
Pas ne convient icy
porter en vain
Sallade en Teste &
Espée en la Main.
Fay l'ung des deux,
ou ces Coursiers deslie,
Et j'occiray ceste
troupe faillye.
Ou si tu veulx que
tost je les destache,
Prens ton Espée & a
ces gens t'attache.
Ainsi luy dict,
lors Pallas la Deesse,
Au fort Gregeois
accreut la Hardiesse:
Si les occit &
découpe à merveille,
Tant que du Sang la
place en est vermeille:
Oyant souspirs &
plainctz interrompuz
De ceulx qui sont
detrenchez & rompuz.
Car tout ainsi
qu'ung Lion d'aventure.
Trouvant Brebis, ou
Chievres sans closture,
Et sans Berger, sur
icelles se rue,
Puis les abbat de sa
Griphe & les tue:
Ne plus ne moins le
Gregeois despeschoit
Les Thraciens,
aulcun ne l'empeschoit.
Douze en passa
par le fil de l'Espée,
Tant que la Place en
fut toute occupée,
Mais Ulyssés ainsi
qu'il leur donnoit
Le coup mortel
sboubdain les entraynoit,
Et faisoit voye,
afin que les Coursiers
Qu’il desiroit,
partissent voluntiers:
Et n'eussent
craincte en marchant par dessus,
Pour n'en avoir
oncques plus apperceuz.
Diomedés jusques
au Roy arrive
Pour le treziesme, &
de vie le prive.
Trop doulcement
dormoit, mais le poure homme
Fut endormy d'ung
mortifere Somme,
Que celle Nuict le
Grec luy apporta,
Avec Pallas qui en
tout assista.
Ce temps pendant
Ulyssés mect grand peine
A deslier les
Chevaulx, & les meine
Hastivement parmy la
multitude,
En les frappant de
son Arc fort & rude:
Car il n'eut pas l'advis
de scavoir prendre,
Le beau Fouet
craignant de trop attendre.
Quand il se veit
ung petit esloigné,
Et son Amy encor
embesoigné:
Soubdain le husche,
& siffle de facon,
Qu’il entendit
incontinent le Son.
Diomedés ce pendant
discouroit
(Sans se bouger)
pour scavoir qu'il seroit.
Assavoir mon s'il
devoit emmener
Le Char tout plein
d' Armure, & le traisner
Par le Timon, ou le
prendre aultrement
Sur son Espaule, &
partir promptement:
Ou s’il devoit encor
perseverer,
A tuer Gens, ains
que se retirer.
De ces troys poinctz
estoit l’entendement
Du vaillant Grec
agité grandement.
Surquoy Pallas a
ses faictz assistente
De ton exploict : va
t'en & ne sejourne:
A celle fin que ton
Corps s'en retourne
En tes Vaisseaulx
seurement & sans craincte.
Doubter te fault la
Retraite contraincte
Qui t'adviendra, si
quelque Dieu concite,
Pendant cecy, le
Troien exercite.
Diomedés des
qu'il a entendu
Ce bon Conseil,
promptement s'est rendu
Vers Ulyssés. Adonc
chascun d'eulx monte
Sur les Coursiers,
qui ont l’alleure prompte:
Car Ulyssés les
pressoit tant d’aller
Av tout son Arc,
qu'il les faisoit voler.
D'aultre costé
Phoebus à l'Arc d'argent,
Pour les Troiens se
monstra diligent,
Car lors qu'il veit
que Minerve parloit,
Au vaillant Grec, &
apres luy alloit;
Tout indigné du
Dommage advenu,
Soubdainement est
aux Troiens venu.
Entre lesquelz il
voulut esveiller
Hippocoon Oncle &
grand Conseiller
Du Roy Rhesus lequel
en se levant,
Et ne voyant ainsi
qu'au paravant
Les beaulx
Coursiers, ains la place couverte
D'hommes occis,
soubdain cognut la perte:
Alors s’escrie &
pleure à chauldes Larmes
En regretant les
Thraciens Gensdarmes,
Mesmes Rhesus,
Rhesus qu'il a nommé
Son cher Nepveu, son
Prince tant aymé.
A ces grands
cris, tout le Camp se troubla,
Et quant & quant la
plus part s'assembla,
Dessus le lieu, pour
voir la Nouveaulté,
S'esmerveillant de
telle cruaulte,
Et disoient tous,
que trop hardy courage
Avoient les Grecs de
faire tel ouvrage.
Quand les deux
Roys qui s'en alloient, se veirent
Tout justement au
lieu, ou a mort meirent
Leur Espyon, Ulyssés
arresta
Les beaulx Chevaulx,
raultrese desmonta,
Pour luy bailler
l'habit ensanglanté,
Ce qu'il a faict: &
puis est Remonte,
Et vont si bien
qu'en peu d'heure ilz se rendent
En leur Vaisseaulx,
ou les Grecs les attendent.
Entre les Roys
Nestor premierement
Ouyt ung Bruict &
cognut clairement,
Qu'ilz arrivoient.
Adonc dict,
O Pasteurs de peuple
Grec, O prudentz Conducteurs
De ce beau Camp,
diray je point mensonge,
Ou verité comptant
ce que je songe ?
Certainement mon
Cueur veult que je croye
Ce mien advis avant
que je le voye,
Ung certain Bruict ;
de Cheval galoppant
Presentement m'est
l'Oreille frappant.
Or pleust aux Dieux
quenoz deux Champions
Eussent esté si
subtilz Espions,
Qu'en eschappant des
perilleux dangers,
Peussent mener deux
beaulx Coursiers legers:
Mais trop je crains
que ces grands personages,
Ayent enduré
quelques mortelz dommages.
A peine avoit ces
troys motz achetez,
Que les deux Roys
sont illec arrivez,
Et descenduz, lors
chascun les accolle
Chascun leur dict
une bonne parole,
Et mesmement le viel
Nestor s'adresse
A Ulyssés. O gloire
de la Grece
Digne d'honeur, je
te prie me dire,
De ces Chevaulx que
je vous voy conduyre,
Tant excellentz en
blancheur admirable,
Et aux rayons du
clair Souleil semblable,
Les avez vous sur
les Troiens gaignez ?
Ou quelque Dieu les
vous a il donnez ?
Long temps ya qu'aux
Combatz je me treuve
Contre Troiens, ou
je fais claire preuve
De ma vertu, sans
que je m'en retire
Pour ma vieillesse,
on me cache au navire,
Mais je n'ay veu
oncques en la Bataille,
Ces deux Coursiers
n'y aultre de leur Taille.
Si croy pour vray qu
aucun des plus grands Dieux
(De vostre bien &
salut curieux)
Vous en a faict ung
present honorable.
Juppiter est à tous
deux secourable,
On le faict bien, &
Pallas l'invincible
Vous favorise autant
qu'il est possible.
Prudent Nestor,
Filz du bon Nelëus
(Dict Ulyssés)
Chevaulx trop plus esleuz,
Pourroient les Dieux
facilement donner
Quant ilz
vouldroient ung mortel guerdonner.
Car leur puissance
est à donner plus grande,
Qu'il n'est de
prendre à l'homme qui demande.
Quanta ceulx cy ilz
sont en Thrace nez,
Et de nouveau par
Rhesus admenez
En ce payst mais il
n'a plus d'envie
De batailler, ayant
perdu la vie.
Diomedés luy a le
couteau mys
Dedans la Gorge, & a
douze endormys
Au pres de luy.
Quant à ce vestement
Ainsi sanglant, C’estoit
l’accoutrernent
D'ung Espion, que
nous avons surpris,
Et mys a mort apres
avoir apris
Ce qu'il scavoit
voyla tout en effecr
Entierement ce que
nous avons faict.
Disant ces motz,
ses Courtiers a passez
Demenant joye,
oultre les grands Fossez,
Suyuy des Roys qui
faisoient tres grand feste
De leur voyage &
heureuse conqueste.
Quand Ulyssés fut
en la riche Tente
Du compaignon, alors
il diligente
De bien lier ses
Chevaulx, & les loge
Soigneusement dedans
la mesme Loge :
Et au reng mesme, ou
la belle monture
Du fort Gregeois,
mangeoit Pain & pasture.
Quant aux habitz
de Dolon, il les pose
Dedans sa Nef sur la
poupe, & propose
En faire ung jour à
Pallas Sacrifice,
Et luy offrir à
jamais son Service.
Bien tost apres
ces deux Grecs de valeur
Se cognoissans
oppressez de chaleur,
Et de sueur, dedans
la Mer entrerent
Pour se laver, &
tres bien se froterent
Le Col, le Dos, les
Jambes, & les Cuisses,
Ostans du Corps
toutes les Immondices.
Estans ainsi
refreschiz & bien netz,
Dedans des Baingz
soufz bien ordonnez,
S'en sont entrez, &
quant & quant leurs Corps
Ont este oinctz d'huyle
par le dehors,
Puis sont allez
manger, prians Minerve :
Qu'en tous leurs
faictz les dirige & conserve:
En respandant du Vin
à pleine Tasse,
(Pour Sacrifice) au
mylieu de la Place.