Livre IX
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 es   Forts   Troiens estoient ainsi rengez,

Faisans le Guet : mais les Grecs, asfligez

D'avoir perdu leur Gent & la Campaigne

Estoient dolents. Car la Fuyte Compaigne

De froide Craincte, iceulx avoit menez

Honteusement jusques dedans leurs Nefz.

 

    Et tout ainsi que l’on peult veoir souvent

La Mer Pontique agitée du Vent

Dict Boreas, ou Zephyrus, sortans

Des Montz de Thrace, & les Flotz agitans

Si fierement, qu'ilz sont que la noire Vnde

Est eslevée hors de la Mer profonde.

Semblablement se trouvoient les Espritz

Des Princes Grecs, tous esmeuz & surpris.

Entre lesquelz, Agamemnon estoit

Celuy qui plus au Cueur se tormentoit.

 

    Si commanda aux Heraulx de prier

Chascun des grandz (doulcement sans crier)

De se vouloir assembler en sa Tente,

Pour leur monstrer clerement son Entente.

Ce qui fut faict : Tous les Roys s'y rendirent

Aussy soubdain que son Vueil entendirent.

 

    Estans assis selon leur Ordre & Place,

Agamemnon (monstrant dolente Face)

Se meit debout, jectant la Larme tendre,

Que l’on voyoit par sa joue descendre,

Ne plus ne moins que l'Eau d’une Fonteine

Fortant d'ung Roch, coule parmy la Plaine.

Si dict ainsi souspirant griesuement.

 

Trop m'a traicté Juppiter rudement

(O Princes Grecs) & encores ne cesse

De me Plonger en plus grande Tristesse.

Il me promist jadis que je mectroye

En Feu & Sang, ceste Ville de Troie.

Et maintenant (dont trop je m'esmerveille)

Tout le Rebours me commande & conseil

Cest assavoir qu'ores je me destourne

De l'Entreprise, & qu'en Grece retourne :

Ayant perdu l'Honeur, la Renommée,

Et la pluspart de ma puissante Armée.

Ainsi le veult ce grand Dieu, qui abaisse

Quand il luy plaist toute Force & Haultesse.

Qui les Citez plus grandes extermine,

Rez Pied, rez Terre, & mect tout en Ruine.

Puis qu'ainsi va, je suis d'advis qu'on suyve

Sa Volutée : & que plus on n'estrive.

Allons nous en, aussy bien nostre Peine

Seroit icy trop inutile & vaine.

 

    Tout le Conseil ayant leur Chef ouy,

Fut ung long temps Muet & Esbahy :

Jusques à tant que le Preux & Dispos

Diomedés entama le Propos.

Filz d'Atreus (dict il) ton Ignorance

Me persuade une grande Asseurance

Presentement, ayant ouy ton dire,

De te Respondre, & de te Contredire.

Doncques ne soys contre moy irrité,

Ne contre aulcun : puis que la Liberté

Et juste Loy du Conseil est qu'on peult

Mectre en avant la Sentence qu'on veult.

Je te supply, dy moy ores sans Faincte,

Quand as tu veu ce Camp si plein de Craincte,

Tant mal expert aux Assaultz & Alarmes,

Qu'il leur convienne ainsi laisser les Armes ?

As tu si mal leur Cueur consideré ?

As tu si peu de leur Force esperé.

Qu'il soit besoing à ta simple Requeste,

Habandonner la Troiene Conqueste,

Certainement l'Injure est par trop grande,

De Mespriser si valeureuse Bande.

Mais ce n'est rien, tu en es Coustumier,

J'en ay souffert moy mesmes le Premier,

Jeunes & Vieulx de ce Camp scavent comme

Tu m'as tenu aultresfois pour ung Homme

Lasche & Craintif, sachant trop mieulx causer,

Qu'aux grandz Dangers de Guerre m'exposer.

Et puis qu'il vient à Propos de respondre,

Je te diray ces motz, pour te confondre. 

Les Dieux haultains t'ont departy l'Honeur

De porter Sceptre, & d'estre Gouverneur

De ce grand Ost : Mais de Force & Courage

Et bon Conseil, qui est grand Avantage

En faict de Guerre, ilz t'ont voulu priver,

Et ne pourrais à ce But arriver.

Garde toy donc desormais d'entreprendre

D'injurier les Grecs, ou les reprendre.

Et si tu as Fantasie ou Soulcy

En ton Esprit, de t'en fouyr d’icy:

Monte sur Mer, vat'en, ton Equipage

Est desja prest sur le Bord du Rivage.

Qui en brief temps, sans nul Adversité,

Te conduyra jusques en ta Cité.

Les aultres Grecs icy feront sejour,

En attendant le tant desiré jour,

Qu'on prendra Troie. Et s'ilz ont le vouloir

De s’en aller, mectans à nonchaloir

La belle Emprise, Esthenclus sera

Avecques moy, qui ne se lassera

De demeurer, jusques à tant qu'on voye

La fin du tout. Bien certains que la voye

Qu’avons tenue, arrivans en ces lieux,

Fut enseignée & monstrée des Dieux.

 

    Cest Oraison du Preux Filz de Tidée,

Fut grandement des Grecs recommandée:

Louans tout hault son Advis singulier.

Sur quoy Nestor le prudent Chevalier

Se meit debout, & à luy s'adressant,

Respond ainsi. Certes tu es puissant

Et fort en Guerre, Et pour donner Conseil:

En verité tu n'as point de pareil

Entre les Roys qui sont de mesmes eage.

Et ne croy point qu'il y ait personaige

En tout le Camp, qui dommageable treuve

Ce tien Advis, voire qui ne l'appreuve.

Mais tu n'es pas venu jusques au bout

De ce qu'il fault, tu n'as pas dict le tout

Je qui suis Vieulx, & tel que je pourrois

Estre ton Pere, & de tous ces bons Roys,

Acheueray. Et quand on m'entendra,

Je pense bien que nul ne contendra,

Pour reprouver mon Conseil proufitable.

Car par trop est Cruel & Detestable,

Tres malheureux, & de la vie indigne,

L'homme qui ayme une Guerre intestine.

Ce qu'il fault faire à present, veu la Nuict,

Est de Souper : & quant & quant sans Bruict:

Asseoir le Guet: auquel fauldra commectre

De jeunes Gens, les disposer & mectre

Entre le Mur & Fossé, pour entendre

Si les Troiens tascheroient nous surprendre.

Quant est de toy Agamemnon, tu doibs

(Comme il me semble) assembler tous ces Roys

A ton Souper. Tu n'as aulcun default

Pour les traicter, de tout cela qu'il fault.

Et mesmement ta Tente est toute pleine

De vin souef  que  de Thrace on t’ameine.

Lors en Soupant s’offrira tel Discours,

Qui servira de Conseil & Secours.

Certainement l’on en a grand besoing,

Car l'Ennemy n'est de nous gueres loing.

Las qui est cil qui se peut eliouyr,

Voyant leurs Feux, & les povant ouyr ?

Voicy la Nuict laquelle si nous sommes

Gens de bon Sens, & bien advisez Hommes,

Nous saulvera. Mais estans endormiz,

Nous tumberons es Mains des Ennemiz.

 

    Ainsi parla, Et l'ayant escouté,

Le tout fut faict : selon sa Volunté.

Incontinent Sept Princes entreprindrent

D'aller au Guet, & Sept Centz Souldards prindrent

Avecques eux, l’ung fut Thrasymedés

Filz de Neflor aulcre Lycomedés

Filz de Creon, Ascalaphus le Tiers,

Merionés feit le Quart voluntiers:

Aphareus, IalmenuS Deiphyre,

Trop mal aysez à vaincre & desconfire,

Feirent les Sept. Lesquelz, & leurs Gensdarmes

Tres bien muniz de leurs Lances & Armes,

Entre le Mur & le Fossse meirent

Toute la Nuict, & point ne s’endormirent:

Faisants du Feu, mangeans, se promenans,

Ayans l'Oreille & l'Oeil aux Survenans.

 

    D'aultre Costé, Agamemnon mena

Avecques soy les Roys, & leur donna

Bien à Souper. Lesquelz si bien mangerent

Que Fain & Soif de leurs Corps estrangerent.

Apres souper, Nestor (dont la Prudence

Et bon Conseil estoient de l'assistence

Tres bien cogneuz) sa Parole adressa

Au Chef de Guerre, & ainsi commenca.

 

    Prince d'honeur, mon parler ne sera

Que de toy seul : par toy commencera,

Et prendra fin. Puis qu'il est ordonné

Que par toy soit ce Peuple gouverné.

Puis que les Dieux t'ont donné le Pouvoir

Sur tous les Grecs, on doibt appercevoir

Plus qu'en aultruy, de Conseil & de Force

En ton Esprit lequel fault que s'esforce

Incessamment d'Ouyr, de Consulter,

Et quelquefois de bien Executer.

Et mesmement lors que l’on t'admoneste

De quelque faict, proufitable & honeste.

En ce faisant, rien ne sera trouvé

Sortant de toy, qui ne soit appreuvé.

Cela me meut ores de t'adviser

D'ung bon Conseil, qu'il fault auctroriser

Et enfuyuir, sans point me contredire:

Comme tu feis, alors que par grand Ire

Contre Achillés s’esmeuz & courroussas.

Et qui pis est, si tref fort l’offensas,

Que Briseis, qu'on luy avoit donnée,

Fut de sa Tente en tes Vaisseaux menée.

L'injure fut trop grande d'irriter

Tel Personage, ayme de Juppiter,

Et de grandz Dieux. Parquoy fault que l’on pense,

De reparer (si l on peut) ceste Offence.

Et l'appaiser par beaulx Dons precieux :

Ou par moyen de parler Gracieux.

 

    Agamemnon soubdain luy respondit.

Digne Vieillard, tout ce que tu as dict,

Est trop certain, la Faulte dont m'accuses,

Fut par moy faicte il n'y a point d'excuses.

Je l’offencay, & voy bien que Ioutrage

A faict souffrir aux Grecs ce grand  Dommage.

Juppiter l'ayme, & l'homme aymé d'ung Dieu,

Tient en ung Camp de beaucoup d'Hommes lieu.

Et vault trop mieulx, qu'une Troupe effrénée,

Qui ne peult estre à peine gouvernée.

Mais tout ainsi que seul je l'offensay

Injustement, je veulx faire l'Essay

De l'appaiser, luy donnant en Guerdon,

De mes Thresors maint beau & riche Don;

Lesquelz je vois presentement nommer,

Si en pourrez la Valeur estimer.

Premierement sept Trepiers excellentz,

Qui n’ont jamais touché Feu: dix Talentz

D'Or pur & fin : Vingt Chaulderons bruniz

D'Arain luysant: Douze Coursiers garniz

De beaulx Harnois, qui ont par leur Vitesse

Plusieurs grandz Pris raporté de la Grece.

Et ne devroit se nommer indigent,

C’il qui seroit pourveu de tant d'Argent,

Et de Thresor, comme par leurs travaulx

M'ont faict gaigner aultrefois ces Chevaulx.

Oultre cela sept Femmes, qui de Grace

Ont surpassé la Feminine Race :

Sachans ouvrer de Broderie exquise :

Que j'euz pour moy, quand Lesbos fut conquise

Par Achillés.Neammoins avec elles

Je luy rendray la Fleur des Damoiselles,

Sa Briseis : si Pure & peu Souillée,

Comme le jour qu'elle me fut baillée,

En luy juant mon Sceptre & Royaulté,

Que je n'ay eu aulcune Privaulté

Avecques elle : Oncques ne s’est Couchée

Dedans mon Lict, onc ne  l’ay approchée

Pour y toucher : comme les Hommes peuvent,

Quand seul à seul avec Femmes se treuvent.

Voyla le Don & le Riche Present,

Qu’il recevra de moy, pour le present.

Et si les Dieux favorisent l'Emprise

La commencée, & que Troie soit prise:

Je me consens, que sur le Sac il charge

D'Or & d'Arain, une Nef grande & large.

Et qu'il choysisse entre les Citoyenes,

Jusques à Vingt des plus belles Troienes

Hors mise Heleine. Apres estant venu

En mon Pays, de moy sera tenu

Comme Orestés mon Enfant tres aymé.

Et s’il luy plaist à Mariage entendre,

Je le prendray voluntiers pour mon Gendre,

En luy donnant à choysir de mes Filles,

J'en nourrys trois pudiques & Gentilles,

Chrysotemis la Blonde, & la Prudente

Laodicé, avec la Diligente

Iphianasia. Or qu'il en prenne l'une,

Sans assigner pour le Dot, chose aulcune.

Car de ma Part si bien Douer l'espere,

Qu’om n'aura point encores veu qu'ung Pere

 (Tant fust honeste & Royalle Party)

Ayt tel Douaire à Fille departy.

Je bailleray Sept Citez bien fermées,

Pleines de Gens, & Riches renommées :

Toutes joignans prés de la Mer de Pyle.

Cest assavoir Enopa, Cardamyle,

Pheres divine, Hira environnée

De beaulx Fruitiers, Pedasos en Vinée

Tres planteureuse, Epea la flourie,

Et Anthia qui est pour la Prairie

Recommandée. En ces Sept bonnes Villes

Il trouvera les Gens si tres civiles,

Que de leurs biens tousjours luy donneront,

Et comme ung Dieu presque l'honoreront.

Voulans leurs Corps & Richesses soubzmectre

A la Justice, & povoir de son Sceptre.

Ce sont les dons, ce sera le Bienfaict,

Qu'il recevra si cest Accord se faict.

Que plaise aux Dieux (O Vaillant Achillés)

Que nos Debatz soient tous annichilez.

Ainsi te soit Pluton favorisant,

Que ceste Paix tu ne soys refusant.

Ainsi Pluton m'octroye tant de Grace,

Que tout ainsi qu'en biens je te surpasse,

Et en long Eage, il face de maniere,

Que par toy soit receue ma Priere.

 

    Lors par Nestor, ayant bien entendu

Agamemnon, fut ainsi respondu.

Filz d'Atreus, tous ces Dons racontez,

Par Achillés devront estre accepte

Car ilz sont grandz. Parquoy fault qu'on pourvoye

De mectre tost Ambassadeurs en Voye,

Par devers luy, j’en scauray bien choysir

Trois suffisans filz y prenent plaisir.

Le bon Phénix jadis son Précepteur

Pour le Premier, qui sera conducteur

De l'Ambassade : Ajax pour le Second,

Et pour le Tiers Ulyssés le Facond.

Lesquelz seront suyuiz de deux Heraulx,

Eurybatés & Odius feaulx.

Or ce pendant pour le Faict approuver,

Il nous convient à tous les mains laver.

Apportez l'Eau Heraulx, & vous Gregeois

(Chascun à part) suppliez ceste fois

A Juppiter, que la Légation

Sorte l'Effect de nostre Intention.

 

   Les deux Heraulx incontinent verserent

De l'Eau es mains des Princes, qui dresserent

Leurs Oraisons aux Dieux : & cela faict

Beurentdu Vin. Puis ayans satisfaict

A l’Appetit, les Ambassadeurs sortent.

Ausquelz Nestor prie encor qu'ilz enhortent

Si dextrement Acliillés, qu’ilz obtiennent

Bonne Responce, avant qu'ilz s'enviennent.

Mesme Ulyssés par son prudent Langage,

Face si bien qu'il vainque son Courage.

 

    Ainsi sen vont les Princes députez

 En grand Desir d'estre bien escoutez:

Prians chascun au Dieu de la Marine,

Que la Colere ainsi haulte & maligne

Du Vaillant Grec, soit doulce & abaissée,

Pour achever leur Charge commencée.

 

    Or sont venuz droict aux Vaisseaux & Tentes

Des Mirmydons, tres belles & patentes.

Et ont trouvé Achillés qui chantoit

Sur la Viole, & son cueur delectoit

Par la Musique en disant Vers & Hymnefs

Des Dieux haultains, & des Mortelz insigne.

 

    Ceste Viole estoit la nompareille

En sa Doulceur, tant belle que merveille,

Paincte tres bien : aiant son Chevalet

De fin Argent, gentil & propelet.

Laquelle fut par Achillés gaignée,

Au temps du Sac de Thebes ruynée.

Thebes j'entens du Roy Aetion,

Qui fut par luy mise à Destruction.

Or chantoit il, n'ayant pour Compaignie

Que Patroclus, escoutant l’Armonie.

 

    Quand Achillés veid ces Princes venuz,

Lesquelz avoit de longue main tenuz

Ses bons Amys, il ne voulut faillir

De se lever, & de les recueillir,

S'esmerveillant. Patroclus se leva

Pareillement recevoir les va.

Lors Achillés leur dict : Bien venuz soyent

Les bons Amys & Seigneurs qui me voyent

Dedans mes Nefz, par bonne affection.

Certainement la Visitation

M'est agréable. Et bien que mon Courroux

Soit aigre & grand si n'est il pas pour vous.

De tout mon Cueur vous ayme & aymeray :

Et tousjours bien de vous estimeray.

 

    Disant ces motz (avecques Face humaine)

Les introduit, & puis asseoir les meine,

L’ung aprés l'aultre, en beaulx Sieges esleuz,

Environnez de grans Tapis Veluz.

Et quant & quant, à Patroclus commande

De tirer hors sa Coupe la plus grande:

Et du Vin pur, pour leur en presenter.

Car ceulx qui sont venuz me visiter

(Ce disoit il) sont Vaillantz Chevaliers:

Oultre cela mes Amys singuliers.

 

    Quand Patroclus le vouloir entendit

De son Amy, soubdain feit ce qu'il dict.

Et davantage il print ung Chaulderon,

Faisant grand Feu dessoubz & environ:

Dedans lequel il meit de bonne grace,

Tout le cymier d'une Chievre bien grasse:

Et d'ung Mouton. Puis la belle Eschinée

D'ung Pourceau tendre engressé de l’année.

 

   Autumedon & Achillés trencherent

Le Residu, & tres bien l'embrocherent:

Ce temps pendant que Patroclus allume

Ung Feu bien clair, & garde qu'il ne fume.

 

    Estant le Bois bien embrasé, & bon

A faire Rost, il estend le Charbon

Tres proprement auquel furent couchez

Tous les Loppins qu'on avoit embrochez:

Jectant du Sel dessus, pour leur donner

Gouil délicat, & les assaisonner.

 

    Quand tout fut prest, Patroclus prend du Pain

D'ung beau Pennier, qu'il portoit en sa Main:

Et sert à Table. Achillés faict ranger

Les Princes Grecs, les priant de Menger.

Et quant & quant il prend luy mesme Place

 Tout au deuant d'Ulyssés Face à Face.

Encores plus à Patroclus commande,

De faire aux Dieux l'accoustumée Offrande.

Ce qui fut faict. Si mangerent & beurent

Tout à loisir, & ainsi qu'ilz voulurent.

 

    Aprés Soupper, le Chef de L’ambassade

Le bon Phenix, feit une basse Oeillade

A Vlyssés. Lequel bien entendant

A quoy estoit ceste Oeillade tendant,

Prend une Coupe, & Achillés invite

De boire à luy. O des Gregeois l'eslite

(Dict il alors) Il convient, ce me semble,

Puis que l'on a repeu si bien ensemble,

Que par toy soit l'intencion cognue,

Qui à causé icy nostre Venue.

Si tu nous as abondamment traictez,

Agamemnon nous avoit Bancquetez

Auparavant : mais ce bon Traictement,

Ne nous scauroit donner Contentement.

Le temps present aultre chose demande,

Que de penser ainsi à la Viande.

Tout nostre Soing maintenant est de voir,

Comment pourrons à nostre faict pourvoir.

Et d'inventer quelque prudent moyen,

De resister à ce Peuple Troien:

En desendant, que par eulx noz Vaisseaux

Ne soient bruslez, & nous mortz à monceaux.

Ce qu'on ne peult nullement eviter,

S'il ne te plaist ta puissance exciter:

Et te vestir de Force & bon Courage,

Pour nous, garder de ce cruel Dommage.

Les Ennemys se sont desja Campez

Aupres de nous. Ilz ont tous Oceupez

Les lieux prochains, faisants Feux, menans Joye:

Se promettans de ne rentrer en Troie,

Que tous les Grecs ne soient exterminez,

Et mis à mort, voire dedans les Nefz.

Encores plus, pour leur Audace accroistre,

On a peu voir en leur Camp apparoistre,

Le Fouldre ardant à la main dextre, Signe

Tres apparent de leur Victoire insigne.

Le fort Hector enflé de la Victoire

Du jour passé, & du secours Notoire

De Juppiter, ne desire aultre chose

Que de voir l'Aube : & alors il propose

(Tant il est Brave, Horrible, Furieux,

Et Mesprisant les Hommes & les Dieux)

Brusler les Nefz Deffaire nostre Armée:

Et nous Meurtrir, Estouffans de Fumée.

Ceste Menace à noz espritz comblez

De froide Craincte, & grandement troublez.

Doubtans qu'il soit ainsi predestiné,

Et que les Dieux ayent la determiné,

Que tout cest Ost, aprés longue Demeure,

Soit mis en Route, & qu'en ce Pays meure.

Or si tu as différé jusque à ores

De nous aider (bien que trop tard encores)

Reprens ton cueur, & tes forces excite,

Pour garantir ce dolent Exercite.

Car aultrement aprés la Perte faicte,

Marry seras (voyant la grand Dessaicte

De tes amys) de n'avoir eu le Soing

A les saulver, quand en estoit besoing.

Il vauldroit mieulx, afin de n'encourir

En cest Erreur, de tost les secourir.

Et prevenir l'irréparable perte,

Qui ne scatiroit estre plus recouverte.

Certes (Amy) je suis bien souvenant,

Que Peleus quant tu fus cy venant,

(Meu de pitié & chaulde affection

De Pere à Filz) te feit instruction

Bonne & honefte & dont pour le devoir,

 Je te la veulx ores ramentevoir,

A celle fin que ton esprit l'observe.

Filz (disoit il) la Déesse Minerve,

Avec Juno, te donneront assez

Cueur Magnanime, & Membres renforcez:

Mais il les fault embellir en partie,

D'honesteté d'Amour & Modestie.

En te gardant de Simulation,

Et d'Appétit de Vindication.

Et ce faisant des Jeunes & des Vieulx

Prisé seras: & t'en aimeront mieulx.

Ainsi te dict ainsi te commanda

Le bon Vieillard, quant icy te manda:

Mais tu n'es plus de ces beaulx dictz records.

Helas Amy, oublie ces Discords.

Revien en grace : avec ton Chef de guerre.

Qui delirant ta bonne Grace acquerre,

Te faict : par nous offrir & presenter

Tous les beaulx Dons, que je te vois compter.

En premier lieu sept Trepiers neufz & ronds

Dix Talentz d'or, vingt luisans Chaulderons.

Douze Courliers, qui ont louvent conquis      

A bien courir, plusieurs pris tres exquis.

Et qui aurait tant d'Or & de Richesse,

Que ces Chevaulx ont gaigné par Vitesse

A leur Seigneur, il luy pourroit suffire,       

Et ne devroit jamais poure se dire.

Avec cela, Sept Femmes nom pareilles

En Broderie, & Belles à merveilles:

Qu'il eut alors que Lesbos fut pillée,

Par ton effort. Et te sera baillée

Ta Briseis : sur quoy il interpose

Son grand Serment, ne luy avoit faict chose

Contre raison. Que jamais n'est Montée

Dessus son Lict : Qu'il ne l'a fréquentée:

Aulcunement, pour avoir Plaisir d'elle,

Comme le Malle en prend de la Femmelle.

Tous ces beaulx Dons seront presentement        

Icy livrez faisant l'appoinctement.

Et si les Dieux permectent qu'on destruise

Troie la Grand, & qu'aprés on divise,

Le beau Pillage, il consent que tu charges

D'Or & d'Argent une des Nefz plus larges

Seul à par toy : avec vingt Citadines

Toutes d'eslite, & de tel Maistre dignes

Et si tu veulx (celle Guerre finie)

Estre avec luy, hantant la Compaignie.

Aymé seras comme son Filz unique

Dict Orestés. Et si ton cueur s’applique

A prendre Femme, il te donra le choix

De sa Maison. Il a de Filles trois:

La premiere est Chrysothemis la Blonde:

Laodicé Prudente la seconde:

Iphianassa la tierce Tres louées,

Pour les Vertus dont elles sont Douées.

De ces trois la, s’il te vient à plaisir,

Tu pourras lors la plus Belle choysir,

Et la conduire a l'Hostel de ton Pere,   

Sans rien bailler. Car luy mesmes espere

Si grand Douaire, & Riche t’assigner,

Qu'on n’a point veu, à nul Pere donner

Autant à Fille. Il a intention

De mectre adonc en ta Possession,

Sept grans Citez pres de la Mer, peuplées.

De Citoiens, & de grands Biens meublées

Cest assavoir Enopa la gentille,

Cardamyla, & Hira la fertille,

Pheres divine, Epea la puissante,

Et Anthia, en Pastiz florissante:

Puis Pedasos estimée Tres noble

Et planteureuse à cause du Vignoble.

 En ces Citez tu seras Honoré,

Ainsi qu’ung Dieu servy & reveré,

Les Citoiens vivans soubz la Police

De ton beau Sceptre, & Royale Justice :

Voilà les Dons, voila la Recompense

Que recevras, en oubliant l’Offence.

Si tu ne veulx faire compte de l'Offre

Que l'on te saict, ny de cil que le t’offre,

N'auras tu pas au moins Compassion

De tes Amys, & de ta Nation ?

N’auras tu pas vouloir de secourir

Ces poures Grecs, sans les laisser perir ?

Qui te seront comme aux Dieux obligez ?

Se cognoissans saulvez & deschargez

Par ton moyen : Chose louable, & telle

Qui t'acquerra une Gloire immortelle.

Et mesmement veu l’occasion bonne,

Que tu auras d'esprouver ta Persone

Encontre Hector : lequel ores se vante

(Tant il est plain de superbe Arrogante)

Qu’en tout ce Camp ny a Grec à luy Per:

Ny qui luy puisse à la fin eschapper.

 

    Quand Achillés eut ouy l'Oraison

Du subtil Grec. Certes il est raison

O Ulyssés, qu'à tes dictz je responde

Tout franchement, afin qu'on ne se sonde,

Ne toy ny aultre à me venir fascher

Pensant de moy aultre chose arracher.

Tout ce que j'ay une fois retenu

En mon Esprit, sera entretenu.

Celuy qui dict de la Bouche une chose,

Et dans son Cueur le contraire propose,

Est tant hay de moy en toutes sortes,

Comme je hays les infernales Portes.

Doncques entends ores ma volunté:

Et ce que j'ay conclud & arresté.

Impossible est au Roy Agamemnon,

A vous Gregeois, & aultres Roys de nom,

De me conduire à ce poinct, que je mecte

Encor ung Coup pour vous l'Armet en Teste.

Puis que je voy cil qui s'est efforcé

De vous aider, si mal recompensé.

Et qu'on ne faict non plus cas d'ung Vaillant,

D'ung bon Gendarme, & hardy Asssaillant,

Que d'ung Oysif, d'ung Lasche, qui ne part

Du Pavillon : & qu'il a plus De part

Aux grandz Butins, & plus d'Auctorité

Que celuy la qui l'aura merité.

Cecy je dis pour moy, qui ay souffert

Tant de Travaulx & qui me suis offert

Aux grans Dangers, ayant maintes Nuictées

Entierement sans dormir Exploitées.

Et tout pour vous, Estant de mesme Soing

Que l'Oiselet, qui vole prés & loing

Cherchant Pasture à ses Petitz, qui sont

Encor sans Plume en leur Nid, & qui n'ont

Aulcun povoir de prendre l'Air champestre:

Et ne scauroient d'eulx mesmes se repaistre.

Chascun scait bien les Prises & Ruines

Des grans Citez : des Isles voisines

De ce Pays. Car mes forces Navales

En ont conquis douze des Principales.

En Terre ferme, onze ont esté vaincues

Par mon Effort, & subjectes rendues.

Dont le Butin comme vous scavez bien,

Fut apporté, sans en excepter rien

A vostre Chef : lequel à son plaisir

L'a dispensé, & s'est bien sceu saisir

De la pluspart. Moy & les aultres Princes

En avons eu les Portions bien Minces.

Et nonobstant que du Partage faict,

Chascun se tint content, & satisfaict,

Moy mesmement : Neantmoins par Malice,

Par Tyrannie, & cruele Injustice,

Agamemnon m'a tres bien despouillé

Du peu de Bien que l'on m'avoit baillé.

Que toutesfois assez grand j'estimoye,

Tant seulement pource que je l'aimoye.

C'est Briseis. Or donc qu'il l'entretienne

Tant qu'il vouldra, & pour Sienne la tienne.

Respondez moy, Qui est la cause expresse,

Qui a mené tant de Princes de Grece

Jusques icy ? Par quel Droict & Conseil

Agamemnon a faict tant d'Appareil

De bons Souldards ? Est ce pas pour l'Envie

De recouvrer leur Heleine ravye ?

Son Frere & luy pensent ilz estre telz,

Et feulz au monde entre tous les mortelz,

Aymans leur Femme ? Ont ilz le jugement

Si aveuglé, de ne voir clairement,

Que tout bon cueur honore & faict estime

De sa Compaigne, ou Femme legitime.

Quand est à moy, j’ay eu Sens & Espritz,

Du Feu d'Amour pour Briseis espris.

Et l'honoroys de semblable maniere

Qu’une Espousée, encor que Prisoniere.

Mais vostre Chef, tout droict pervertissant,

Me la ostée, & en est jouissant.

Et maintenant ayant ce Tort receu,

Aiant esté si laschement deceu :

Par doulx parler & fainctif, il s'essaye

De refermer celle ulcerée Playe ?

Nenny, nenny, Voise si bon luy semble

Avec les Grecs, & avec toy ensemble

Se conseiller, & pense de soy mesme

Se tirer hors de ce Danger extreme.

Helas voyez en quelle Adversité

Il est tumbé, par sa Perversité.

Son Mur, son Fort, les Fossez, & Palliz,

Vous gardent ilz d'estre ores assailliz

Du fort Hector ? Certes lors que j'estoye

Avecques vous, & pour vous Combatoye,

Tant s’en falloit qu'il s'osast approcher,

Qu'on ne l'a veu oncques Escarmoucher:

Que tout au prés de la Porte Troiene

Dicte Scea, doubtant la Force mienne.

Ung jour advint, qu'il me voulut attendre

Prés du Fousteau: Mais je luy feis tost prendre

Le grand Chemin, & seur ne se trouva,

Jusques à tant que dans Troie arriva.

Or maintenant puis que tout le Plaisir

Que j'avois lors, me tourne à Desplaisir

Puis que je n'ay vouloir de m'employer

Aulcunement, ne ma Force esssayer

Encontre Hector. Demain matin j'espere

Partir dicy : si j’ai le Vent prospere

A mon Depart je seray Sacrifice

A Juppiter, pour le rendre propice.

Et quant & quant prenant la haulte Mer,

Tu pourras voir (O Ulyssés) Ramer

Mes grands Vaisseaulx, Lesquelz (si par Neptune

Sont preservez, & ne courent Fortune)

Dedans trois jours me conduiront à Phthie,

Mon bon Pays Chargez une partie

D'Arain vermeil, de Fer blanc, de fin Or,

Et d'aultres biens & précieux Thresor.

Sans oublier les Pucelles exquises,

Que j'ay, moy seul, à la Guerre conquises.

Car du Butin, pour ma part advenu,

Agamemnon la tresbien retenu.

A ceste cause (Amy) tu pourras dire

Publiquement à tous les Grecs, que l'Ire

Que j'ay est juste : & qu'il soient advisez,

Pour ne se voir de leur Chef abusez,

Ainsi que moy, Dont je me veulx garder

Doresnavant, & ne le regarder

Jamais en Face. Aussi je croy (Combien

Qu'il soit sans Honte, & qu'il n'ait en soy rien

De vertueux) Aumoins sa Conscience

Le garderoit d'endurer ma Presence.

Et sil vouloittant se laisser aller,

Que de cuyder avecques moy parler,

Je ne pourrois ma Fureur contenir:

Dont plus grand mal luy pourroit advenir.

Suffise luy de m'avoir mal Traicté.

Suffise luy que son Iniquité

Le Ronge & Mine, ainsi qu’ung Esperdu

Ayant le Sens entierement perdu.

Et quant aux dons qu'il me faict presenter,

Autant s'en fault, que les vueille accepter,

Que le Donneur, & Tes Dons sont plus fort

Hayz de moy, que la cruelle Mort.

Non s’il m'offroit dix fois, vingtz fois autant,

Non s’il estoit tout son bien presentant

Avec celuy qu'on Amene & Ramene

En deux Citez Thebes & Orchomene.

Thebes je dis la ville Egyptiene,

Tant Populeuse illustre & Ancienne:

D'ou, sans cesser, par Cent Maistresses Portes

On voit sortir Biens de diverses sortes:

Car tous les jours, plus de deux cens Chartées

Par chasque Porte, en sont hors transportées.

Et pour le tout en brief propos resouldre,

Quand tout le Sable, & la terrestre Pouldre

Seraient nombrez, & que l’on m'Offriroit

Autant de bien, cela ne suffiroit.

Impossible est que je soys jamais aise,

Ne que mon Ire encontre luy s'appaise,

Jusques a tant que je voye la Peine

Correspondant à l'Injure inhumaine.

 

     Tu m'as touché encores ce me semble

Ung aultre poinct, c'est de nous joindre ensemble,

En espousant quelcune de ses Filles,

Qu'il dict avoir Pudiques & Gentilles.

Certainement quand sa Fille seroit.

Comme il la vente, & quelle passeroit

Venus Dorée, en parfaicte Beaulté,

En diligence, Honeur, & Chasteté

Dame Pallas: Point ne fault qu'il espere

De se nommer à jamais mon Beau pere.

Cherche s’il veult en Grece aultre persone

De son Calybre, & sa Fille luy donne.

Car de ma part, si les Dieux me permettent

D'aller chez moy, ainsi qu'il me promettent,

Par le vouloir de Peleus j'auray

Femme pour moy, que lors j'Espouseray.

En Achaie & Phthie est grand foison

De Riches Roys : aians en leur Maison

Mainte Pucelle, & qui prendront plaisir,

Que l'en puisse une à mon souhait choisir.

Ce que veulx faire, estimant mieulx de vivre

En paix ainsi, & ma Volupté fuyure,

Qu’à l'advenir à mon tresgrand Dommage

Mourir en Guerre, en la fleur de mon eage.

Tous les grands Biens, les joyaulx, la Richesse    

Qui fut à Troie, avant qu'on vint de Grece

Pour l’assieger Tout le Meuble sacré

Qui est au temple à Phœbus Consacré,

N'est suffisant à reparer ma Vie,

Si hors du Corps m'est une fois Ravie.

Beufz, & Moutons, Trepiers, Choses semblables

Et grandz Coursiers sont tousjours recouvrables.

Mais l'Ame humaine alors qu'elle est partie,   

Jamais ne tourne au Corps d’ou est sortie.

Thetis ma Mere aultrefois m'a compté,

Que je ne puis de mort estre exempté:

Et que ma vie a esté assignée

De prendre fin, par double Destinée.

Si je demeure icy faisant la Guerre,

Je pourray Gloire immortelle conquerre.

Mais j'y mourray. Et si je m'en retourne

En ma Maison : & que la je sejourne,

Mes ans seront tres longs, vivant en Heur,

Mais despouillé de Gloire & grand Honeur

Quant est à moy, j'ay advisé de prendre

Ce seur Party, sans rien plus entreprendre.

Et m'est advis que vous seriez tresbien

De faire ainsi, veu que n'avancez rien:

Et que l'on a l'Esperance perdue,

Que Troie soit entre voz mains rendue.

Mesmes voyant Juppiter & les Dieux,

A la garder estre si curieux.

Donques amys Ajax, & Ulyssés,

Allez vous en, & icy me laissez.

Allez vous en pour les Grecs advertir

De ma Responce, & de mon Departir.

A celle fin que les plus Vieulx advisent

Quelque aultre Voye & mieulx leurs faictz con-

Recognoissans qu'ilz n'ont rien avancé,    (duisent

Depuis le temps que je fus offensé.

Le viel Phenix ceste Nuict à dormira

Dedans ma Tente, & Demain s'en ira

Avecques moy : au moins s'il veult venir,

Pas ne je veulx maulgré luy retenir.

 

    De l'Oraison si Brusque & du Refuz    

Furent les Roys estonnez & consuz

Par ung long temps : mais Phénix le prudent,

Qui discouroit le peril evident

De tout le Camp, jectant la Larme tendre

Recommenca. S'il ne te plaist entendre

(O Prince illustre) au salut de l'Armée:     

Et que tu as ceste Ire confermée

Et ton esprit y voulant la Mer passer:

Helas comment me pourras tu laisser

Mon tres cher Filz ? moy qui te fus donné

Pour Condusteur quant tu fus cy mené.

Le propre jour que Peleus permit

Ton partement, deslors il me commist

Aupres de toy, pour ta jeunesse instruire,

De ce que peut à jeune Prince duire:  

En te faisant de parole & de faict,

Vaillant en Guerre & Orateur parfaict

L'Adolescence assez flexible & tendre,

Ne povoit pas trop bien ces poinctz entendre

Sans Precepteur : aussi ces dons suffisent

A ung bon Prince, & tres fort l'auctorisent.

Doncques ayant eu de toy charge expresse,

Est il possible (O Filz) que je te laisse ?

Certes nenny. Non quand les Dieux haultains

Qui sont tousjours, en leur conseil certains,

Me promectroient de faire Rajeunir

Ce Corps la Vieil, & du tout revenir

Tel qu'il estoit, lors que je fus forcé

D'habandonner mon Pere courroucé,

Dict Amyntor & les biens qu'il tenoit

Dedans Hellade, ou pour lors il regnoit

Le Courroux vint par une Damoiselle

Qu'il cherissoit tres gratieuse & belle,

L'entretenant trop mieulx que son Espouse.

Surquoy ma Mere indignée & jalouse,

Qui bien l'amour du Mary cognoissoit,

A joinctes mains, tous les jours me pressoit

De me vouloir de la Dame approcher,

Tant que je peusse avec elle coucher:

A celle fin que la faulte cognue,

Jamais ne fust du Pere entretenue.

Ce que je feis. A ma Mere obey.

Dont Amyntor fut bien fort esbahy.

Et du courroux qui pour lors l'agita,

Dessus mon Chef grands Mauldissons jecta

En invoquant les Furies damnables,

Et prononçant plusieurs motz excecrables.

Entre lesquelz, il pria que je feusse

Du tout sans Hoirs : & que jamais je n’eusse

Aulcuns Enfans, au moins qu'il deust porter

En son Giron, ou les faire allaicter.

Si croy pour vray que sa Plaincte dressée,

Fut de Pluton ouye & exaulcée.

Parquoy saichant sa Malédiction,

Soubdainement j’euz ferme intention

De le laisser : & de ne me tenir

En sa Maison, quoy qu'il deust advenir.

Mes Compaignons, mes Amys, mes Voisins,

Mes Alliez, & bien proches Cousins

Voyans cela, ne cessoient de tascher

Par tous moyens, mon despart empescher.

Et pour ce faire, ilz adressoient leurs veux

Aux Dieux haultains, immolans Brebiz, Beufz,

Et gras Pourceaulx, lesquelz ilz rostissoient

Commodement, & puis s'en nourrissoient :

Beuvans du Vin souef à grand foison,

Que le Vieillard avoit en sa Maison.

Encores plus par neuf entieres Nuictz,

Feirent bon Guet, ayans fermé les Huys:

Veillans par ordre en la Court, en la Porte

Du grand Palais, afin que je ne sorte.

Finablement leurs grands Feuz allumez

Leur Vigilance & Guetz accoustumez,

Furent perduz. Car la dixiesme Nuict

Je m’en fouy, & forty hors sans bruyt.

Sans que Valetz, Chambrieres, ou Garde,

De mon depart : se print aulcune garde.

Estant dehors je traversay les Landes

De mon Pays, bien fertiles & grandes.

Et m'en vins droict ton bon Pere trouver,

Qui me receut. Et pour mieulx approuver

En mon endroit sa bonne affection,

Soubdain il meit en ma possession

Plusieurs grands biens, & me feit Gouverneur

De Dolopie. au reste tant d'Honeur,

Tant de Faveur, & de benivolence,

Qu'à ung Enfant yssu de sa semence.

En ce temps la, Achillés tu nasquis:

Parquoy je fus de Peleus requis,

Bien tost aprés de soigner & d'entendre

A gouverner l'Enfance encores tendre :

Ce que je feis. Ta force incomparable,

Et ce beau Corps, aux celestes semblable,

Au prés de moy à prins nourrissement.

Puis est venu à tel accroissement.

Je t'ay nourry, non seulement Pourtant 

Que je t’ay mois, mais tu m'estois portant

Si grand Amour, qu'il estoit impossible

Qu’on te rendist voluntaire & flexible,

A rien qui fust, si de moy ne venoit.

Si quelque fois soupper on te menoit

Hors mon Hostel, on travailloit en vain :

Rien ne mengeois qui ne vint de ma main.

Qui te vouloit rendre amiable & doulx,

Il te faloit mectre sur mes Genoux.

Si je voulois rien te faire gouster,

Il me faloit en mascher & taster.

Et bien souvent du Vin à toy baillé,

En vomissant m'as l'estomach souillé

Ainsi que sont les petitz Enfancons

A leur Nourrice, en diverses facons.

Tous ces travaulx de bon cueur j'enduroye

En te servant Car je consideroye,

(Estant ainsi privé de geniture)

Que j'estois Pere, au moins par Nourriture.

Et que j'aurois (advenant la Vieillesse)

Appuy tres seur en toy, pour ma foiblesse.

Ce brief discours que t'ay voulu compter,

N'est seulement que pour t'admonester,

Mon tres cher Filz, & prier qu'il te plaise

Dompter ton Cueur, & ceste Ire maulvaise.

Les immortelz (lesquelz ont leur Nature       

Plus noble en tout que n'a la Créature)  

Estans priez des humains, condescendent     

A leur requeste, & placables se rendent.

Et n'est Peché ou grand Faulte commise,

Qui ne leur soit (en les priant) remise.

 

    Tu doibs scavoir (mon Filz) que les Prieres

Oraisons sont Filles droicturieres       

De Juppiter, suivans par tout l'Injure,

Laquelle est bien plus Robuste & plus Dure  

Qu'elles ne sont. Car la Priere est Lousche,

Boiteuse, & Foible : & l'Injure est Farousche,

Et bien allant tellement qu'elle avance 

Plus de Chemin, & tousjours les devance.

Lors pas à pas les Foiblettes la suyvent.

Et s'il advient qu'en mesme lieu arrivent,  

Et quelles soient de bon cueur acceptées  

Du personage auquel sont presentées:

Incontinent à Juppiter supplient

En sa faveur, & à son Gré le plient.

Ei au rebours si l’on faict plus de compte

De ceste injure, elles pleines de Honte

De leur Rebut, vont le tout rapporter

Aux Dieux haultains: les prians qu’arrester

Facent l'Injure,  en la propre Maison

De c’il qui n'a ouy leur Oraison.

Certes mon Filz, tu doibs pour le devoir

De ton Honeur, ces Dames recevoir.

Mesmes voyant les Presens de valeur,

Qui à l'accord donnent plus de Couleur.

Quand nostre Chef serait Opiniastre,

Tenant son Cueur, & tant Acariastre,

Qu'il ne vouldroit à toy s'humilier,

Ne par beaulx Dons te reconcilier:

Je n'oserois te conseiller de faire

Rien pour les Grecs, tant fust urgent l'Affaire.

Mais quand je voy l'Offre si belle & grande,

 Et le desir dont ton Amour demande,

Il m'est advis que tu seras tresbien,

De t'adoulcir, & ne reffuser rien.

A quoy te doibt induire la Prouesse

De ces deux Roys, les plus nobles de Grece :

Qui sont venuz vers toy Ambassadeurs.

Quand ne seroit que pour les Demandeurs,

Leur dignité requiert bien que l’on face

Pour eulx grand chose, entretenant leur Grace.

A celle fin qu'apres on ne te nomme,

Ung Desdaigneux & trop Arrogant homme.

Au temps passé les Heroes antiques,

Si d’adventure avoient Noises ou Piques

Contre quelzcuns, en fin avec le temps

Ilz s'appaisoient, & demeuroient contens.

Et bien souvent par Priere ou par Don,

A l'Ennemy faisoient Grace & Pardon.

 

Il me souvient d'une Histoire notable

A ce propos, & qui est véritable,

Que je te veulx (au moins s’il m'est permis)

Ores compter, & à vous mes Amys.

Les Curetois contre ceulx d'Etolie,

Qui desendoient Calydon assaillie,

Feirent jadis la Guerre autant mortele   

Qu'il en fut onc & de Furie telle;

Qu’on veit par Mort beaucoup d'Hommes failliz

Des Assaillans, & plus des assailliz.

Mais pour vous faire au vray la Source entendre

De ceste Guerre, il fault le compte prendre

Ung peu plus haute. En Calydon regnoit

Oeneus ung bon Roy, qui donnoit

De ses beaulx Fruictz chascun an les Primices

Aux Immortelz, leur faisant Sacrifices.

Or il advint (ou bien par son vouloir,

Ou par oubly ) qu'il meit à nonchalloir

Diane chaste, & ne luy feit offrande:

Dont ellcprint Indignation grande

Encontre luy : & pour bien le punir,

Feit ung Sanglier dedans ses Champs venir  

Horrible & fier, qui luy feit grand dommage :

Tuant ses Gens & gastant le Fruictage.

Maintz beaulx Pommiers, maintz Arbres revestuz

De Fleur & Fruict, en furent abbatuz.

Et de sa Dent aguisée & poinstue,

Le Bled gasté, & la Vigne tortue,

Meleager le Filz de ce bon Roy

Voyant ainsi le piteux Desarroy

De son Pays, & de sa Gent troublée,

Proposa lors de faire une assemblee

De bons Veneurs, & Levriers pour chasser

L'horrible Beste, & sa Mort pourchasser.

Ce qui fut faict maintes Gens s’y trouverent:

Qui contre luy ses Forces esprouverent.

Mais à la fin, le Sanglier inhumain

Receut la Mort de sa Royale main.

Estant occis, deux grandes Nations

Pour la Despouille, eurent contentions.

Les Curetois disoient la meriter,

Ceulx d'Etolie en vouloient heriter.

Voila d'ou vint proprement la Querele,

Qui meut entre eulx ceste Guerre cruele.

 

    Doncques estant Calydon assiegée

Des Curetois elle fut soulagée

Par la vertu du preux Meleager,

Par quelque temps. Et n'osoient se bouger

Les Assiegeans (bien qu’ilz feussent grand nombre)

Craignans souffrir par luy mortel encombre.

Mais il advint que Fureur & Courroux

(Qui sont aigrir les espritz bons & doulx

Des plus constans) dedans son Ame entrerent

Soudainement, & si tres fort l'oultrerent,

Qu’il proposa de mectre ius les Armes,

Sans plus hanter les Combatz & Alarmes.

Cette Colere ainsi chaulde & amere,

Vint du debat qu'il eut avec sa Mere

Dicte Althea : laquelle estoit dolente

Que son Enfant eust par Mort violente

Son Frere occis. Dont elle s'escrioit,

Baisant la Terre : & à Pluton prioit

Qu'a son dict : Filz, pour la faulte punir,

Luy deust ung jour mort pareille advenir.

 

       Meleager adverty de cecy,

En avoit prins tel Despit & Soucy,

Qinl n'alloit plus en Guerre ne venoit,

Ains Solitaire en l’Hostel se tenoit:

Accompaigné de son Espouse amable

Cleopatra de beaulté admirable.

 

    Cleopatra fut Fille de Marpise

La belle Nymphe aymée & puis conquise

Du Dieu Phoebus, vers lequel son Mary

Dict ldeus (trop jaloux & marry)

Osa jadis le Combat entreprendre,

A tout son Arc, pour la luy faire rendre:

Mais il ne sceut contre Phœbus ouvrer

Si bien, qu'il peust sa Femme recouvrer.

Dont ses Parens jecterent Larmes maintes:

Mesmes la Mere. Et tesmoignant ses plaintes,

Voulut qu'il fust ung nouveau Nom donné   

A la Ravie; & dicte Alcyoné.

 

    Or pour venir à mon premier Propos,

Meleager se tenant en Repos,

Les Ennemys cognoissans ce Default,

Soubdainement livrerent ung Assault

A Calydon, battans les Tours, les Portes,

Et s'efforceans d'entrer par toutes fortes.

Dont les plus grands de la poure Cité

(Estans reduictz à la necessité

D’estre forcez) Meleager prierent

De leur aider: mais point ne le plierent.

Par devers luy vindrent aussi les Prestres,

Le supplier en faveur de leurs Maistres :

En luy offrant une grand Portion

De leurs beaulx Champs, à son Election.

Aprés ceulx la, Oéneus son Pere

Vient à son Huys, & convertir l'Espere.

Par devant luy se mect à deux Genoux,

Et luy requiert de laisser ce courroux,

Pour secourir la Ville la perdue:

Mais point ne fut sa Priere entendue.

Autant en feit sa Mere, à joinctes mains:

Tous ses Amys, tous ses Freres germains:

Mais on ne sceut si bien son Cueur ployer,

Qu'il se voulut à leur aide employer.

 

    Ce temps pendant les Ennemys passerent

Sur la Muraille & la Cité forcerent,

Et ne fut lors cruaulté delaissée:

Telle qu'on faict en Ville ainsi forcée.

 

    Adonc sa Femme oyant la Crierie,

L'effroy piteux, le Feu, la Tuerie

 

   Des Citoiens, toute deschevelée

Vers son Mary, à grand course est allée.

O cher Espoux (disoit elle en pleurant)

Je te supply saulve le demourant,

Qui est petit. La les Peres & Filz,

Jeunes, & Vieulx, sont mortz & desconfitz.

Et s’il y a Femmes encores vives,

On les emmeine Esclaves & Captives.

Meleager oyant ceste parole,

Tout enflammé, & plein de Chaulde cole,

Subitement prend ses Armes & fort,

Et faict si bien qu'il chasse ou met à Mort

Les Ennemys, & la Ville saulva.

Mais toutesfois, trop bon on ne trouva

Le sien Secours, comme estant tard venu:

Et qu'il avoit aidé & subvenu.

Aux Etoliens non pas à leur requeste,

Mais au Desseing & vouloir de sa Teste.

Las Dieu te gard (Achillés) de penser    

A faire ainsi de nous, & nous laisser

Jusqu'au Besoing la l'esprit qui te meine,

Ne le permecte. Helas quelle grand peine

Ce te seroit, en voyant le Feu mis

En nos Vaisseaux, & puis les Ennemys :

Nous découper. Certes ton grand Effort

Serviroit peu à nostre Reconfort.

Il vault trop mieulx (mon Filz) que tu t'esforces

Presentement, à employer tes Forces,

Pour le salut de la dolente Armée:

Tant pour les Dons, que pour la Renommée

Qui t'en viendra. Car si tu veulx attendre

Encor plus tard, avant que les defendre:

De ton Secours & tardisve defence,

Jamais n'auras Honeur ne Recompence.

 

    A tant se teut Phénix le Gouverneur.

Lors Achillés respondit. De l’honeur

Dont as parlé & des Biens qu’on presente

Je n'ay besoing. Assez je me contente

Que mon Honeur, ma Gloire, ma Louange

Viennent de Dieu, qui mon Injure venge.

Il me suffit de la Faveur Divine

Que je recoy. Parquoy je determine

Me gouverner selon sa volunté.

Tant que ce Corps pourra estre porté

De mes Genoux. Tant que l'Ame & le Corps

Demeureront en leurs premiers Accordz,

Veu ne sera, que de mes Nefz je sorte

Pour secourir les Grecs en quelque sorte.

Et quant à toy (O bon Phénix) escoute

Mon jugement & dans l'esprit le boute.

Il m'est advis que tu n'as poinct Raison

De me prier, par exquise Oraison

Et triste Pleur, moy qui suis ton Amy,

Voulant complaire à mon grand Ennemy.

Plus beau seroit à toy, plus raisonable

De te monstrer Amy, & secourable

A ceulx que j'ayme, & de suyure mon gré.

Veu mesmement nostre Estat & degré,

Qui est pareil possedans par moitié

Tous noz grans biens, en entiere amitié.

Au demourant ces deux Princes iront

Faire Responce aux Grecs, & leur diront

Ma volunté: & toy ne bougeras

D'avecques moy, mais icy logeras,

Pour ceste Nuict. Et quant l'Aube viendra,

Entre nous deux adviser conviendra

Du partement ou de nostre Sejour,

En attendant plus convenable jour.

 

    Disant ces motz, à Patroclus feit signe

De faire ung Lict : pour le Vieillard insigne:

Beau & mollet, afin qu'il reposast,

Et qu'au partir desja se disposast.

 

    Le Preux Ajax Telamon cogneut bien,

Oyant cela, qu'on ne profitoit rien

A le prier : si dicta Ulyssés,

Allons nous en mon Amy, cest assés.

Je ne voy point qu'on puisse mectre fin

A ce Propos. Allons nous en, afin

De raporter aux Roys qui nous attendent,

Nostre Responce, aultre qu'ilz ne pretendent.

Cest Homme cy est sans Raison, sans Honte :

Plein de Superbe, & qui ne tient plus Compte

De ses Amys. En Resolution

De fuyure en tout sa folle Intention.

Il s'est trouvé plusieurs grans Personages,

Ayant souffert execrables Oultrages:

Jusques à veoir, par Excez inhumains,

Leurs Filz occiz, & leurs Freres germains:

Qui toutesfois ont pardonné l'Offense,

Par doulx parler, ou prise Recompense.

Voire si bien qu'ilz ont veu voluntiers,

Avec le temps, au prés d'eulx les Meurtriers.

Les Immortelz (Achillés) t’ont osté

Ceste Doulceur & Debonnaireté   

Qui sans avoir grande Injure soufferte

Mort de Parent, ou aultre griesve Perte.

(Fors seulement d'une simplette Femme)

Si grand Fureur as logée en ton Ame.

Et pour laquelle on t'en presente & donne

Jusques à Sept, & la mesme Persone.

L'accompaignant, pour mieulx te contenter,

De si beaulx Dons qu'on pourroit soubhaiter.

Je te supply (dict Achillés) advise

A ce dessus, &  tant ne nous mesprise.

Garde le droict de l'Hospitalité

Que tu nous doibs : pense à la qualité

De ceulx qui sont Ambassadeurs transmis,

Qui ont esté tousjours tes bons Amys.

 

    Le Remuant Achillés respondit:

Divin Ajax, tout ce que tu m'as dict:

Me semble bon, & voy bien qu'il ne vient

Que d'Amitié mais quand il me souvient

Du Tort souffert par moyen ceste Guerre:

Si grand Colere alors le Cueur me serre,

Que je ne puis mon Ire contenir.

Mesmes voyant qu'on m'a voulu tenir

Comme ung Banny, taschant à despriser

Moy, qu'on devoit sur tous auctoriser.

A ceste cause, Amys, sans plus contendre,

Allez vous en, faictes à tous entendre

Ma Volunté : C'est que je ne propose

Pour les Gregeois jamais faire aultre chose.

A tout le moins jusque à ce que je voye

Le fort Hector, & les Souldards de Troie,

Mectre le Feu aux Pavillons & Nefz

Des Myrmidons, &les Grecs ruinez

Tout à l'entour de ma Tente. Combien

(A mon advis) qu'Hector ne sera rien:

Et n’osera s'en approcher, de Craincte

D'y recevoir quelque mortele Attaicte.

Ainsi parla. Sur quoy la noble Troupe

Chascun à part, prend une ronde Coupe,

Boyvent ung peu, le demourant respandent :

L'offrant aux Dieux, ausquelz se recommandent.

Puis Ulyssés, comme le plus scavant,

Prend son Congé, & se met tout devant.

 

    Ce temps pendant, on dresse promptement

Ung tres beau Lict, accoustré gentement

De Materas, de Linge, & de Courtine

Tres deliez, & d’une Panne fine

Pour Couverture; auquel Phénix se meit

Sans Compaignie, & tres bien s'endormit.

 

    Bien tost aprés, en une Riche Couche,

Le Vaillant Grec se repose & se Couche.

Avec lequel, pour prendre ses Esbas,

S'en vint Coucher la Fille au Roy Phorbas,

(Roy de Lesbos) dicte Diomedée,

Pour son beau Tainct : de plusieurs regardée.

 

    Son Compaignon pour avoir son Délict,

Semblablement se meit dedans ung Lict:

Et avec soy pour Dormir amena

La belle Iphis, qu Achillés luy donna,

Lors que Scyros la Cité bien construicte,

Par son Effort fut pillée & destruicte.

 

    En peu de temps les Princes arriverent

Au Camp des Grecs : & le Conseil trouverent 

Encor ensemble, en la Royale Tente.

A leur venue ung chascun leur presente

Du Vin à boire, en mainte riche Tasse.

On les salue, on leur offre une Place.

Voulans avoir la Cognoisssance entiere

De leur Exploict, & Fons de la Matiere.

 

    Adonc le Chef à Ulyssés s'adresse, 

En luy disant. O Gloire de la Grece

Noble Ulyssés, je te pry nous compter,

Si Achillés veut noz Dons accepter.

Quel bon Rapport, quelle bonne Esperance

Nous portez vous, de nostre Delivrance.

A il dompté son Courage severe

Encontre nous, ou bien s'il persevere.

 

    Puis qu'il convient que le vray je te dye:

Son Ire n'est morte ne refroidie

(Dict Ulyssés) ains tous les jours augmente

De plus en plus, & se faict vehemente.

A ton Amour, à tes Dons il renonce.

Et qui pis est, il nous a faict Responce,

Si bon te semble, adviser de toy mesme,

A te tirer de ce Danger extreme.

Et que demain venant l'Aube du jour

Il partira (sans plus faire sejour)

De ce Pays. En nous admonestant,

De nostre Part en vouloir faire autant:

Puis qu'on ne peut trouver aulcune yssue

De ceste Guerre, en Misere tissue:

Et que les Dieux proposent secourir

Ceulx de Phrygie, & nous faire mourir.

Le Preux Ajax & les Heraulx ensemble

Tesmoigneront cecy, si bon leur semble :

Ayans ouy tout le Propos tenu.

Quant à Phenix, il est la retenu

Par Achillés, en son Lict dormira :

Et puis s'il veult aucy luy s'en ira.

Non que par luy soit contraint du despart

S’il ny consent, comme il dict de sa Part.

 

    Les Princes Grecs & toute l'assemblée

Fut grandement esbahie & troublée,

Oyans cela : & furent long Espace 

Sans dire mot, & sans haulser la Face :

Jusques à tant que le Grec d'excellence

Diomedés va rompre le Silence.

 

    Agamemnon tu ne fus pas bien Sage,

De luy transmectre Ambassade ou Message

Pour le prier, & Dons luy presenter.

Il est Superbe, &tu l'as faict monter

Encores plus par ta Legation,

En grand Orgueil, & vaine Elation.

Laissons le la, qu'il voise ou qu'il demeure,

Il combatra lors que viendra son heure :

Et que les Dieux gueriront sa Pensée,

Qui est ainsi de Fureur oppressée.

Quant est à nous finissans ce Propos :

Allons Repaistre, & prendre le Repos.

Demain matin lors que l'Aube viendra,

Chascun de nous en Armes se tiendra

Devant les Nefz : tant la Chevalerie

Et Chariotz, que nostre Infanterie.

La te fauldra Agamemnon monstrer

Ta grand Vaillance, & si bien t’accoustrer

Que l’on te voye aux premiers Rencz Combatre

Et les Troiens desconfire & abbatre.

 

    Ainsi parla, dont il fut bien loué,

Et son Conseil des Princes advoué.

Suyvant lequel chacun d'eulx se retire :

Et va dormir en sa Tente ou Navire.