Livre VI
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es dieux ayans la bataille laissée,

La Noise fut soubdain recommencée

Entre Grégeois, & Troiens, plus cruele

Qu’auparavant. Mainte Darde mortele

De tous costéz fut lancée, & receue.

Si qu'on jugeoit tres doubteuse l'yssue

De ce jour la ; veu les mortz abbattuz

Parmy la Plaine : ou le Fleuve Xanthus,

Et Simöis estendent leurs Rivages,

Bien revestuz d'Arbrisseaulx & d'Herbaiges.

 

    Le preux Ajax Telamon, seur Rempart

Du Camp des Grecs, fut celuy de sa part,

Qui le premier rompist le Renc Troien :

Donnant aux siens l’ouverture & moyen

D'estre vainqueurs. Si jecta  mort en place

Ung des meilleurs, & grandz Princes de Thrace,

Dict ; Acamas le frappant sur la Teste,

Au propre lieu ou le Pannache & Creste

Sont en l'armet : tant que le Fer entra

Dans la Cervelle, & au Front penetra :

Dont la douleur de la blessure creuse,

Couvrit ses Yeulx d'une nuyct tenebreuse.

 

    Diomedés meit à mort Axylus

Filz de Teuthras, l'ung des Souldards esleuz,

Qui fut pour lors en la Troiene Armée.

Il habitoit en la Ville fermée

Dicte Arisba, ou par honesteté

Avoit souvent logé & bien traicté

Maint Estranger : Mais tout ce bon vouloir

Et traictement, ne luy peust tant valoir,

Qu'il rencontrast en ce mortel effort

Hoste ou Amy, pour luy donner confort.

Calesius aussy son Serviteur,

Et des Chevaulx fidele Conducteur,

Fut enferré luy tenant compaignie :

Et cheut en terre, à la Face ternie.

 

    Euryalus avoit la desconfitz

Opheltius, Dresus, quand les Filz

De l'Ancien Bucolion receurent

Le coup mortel de sa main : & ne sceurent

Se garantir, l’ung Pedasus nommé,

L'aultre Esepus Gendarme renommé,

Freres jumeaulx. La Nymphe Abarbarée

Dicte Naïs gentile & honorée,

Les enfanta au dict Bucolion

Secretement, lors qu'il vint d'Ilion

Sur la Montaigne, afin de s’esjouyr

Et de l'amour de la belle jouyr:

Qui lors estoit vue simple Bergere

Gardant Brebiz, en la verte Fougere.

Il estoit Filz du Roy Laömedon :

Mais il quicta & meit à l'habandon

Pere, & Pays, espris de l'Estincelle

Du feu d'Amour, pour la gente Pucelle.

 

   En mesme Renc le fort Meneptoleme

Occist Astyle, & cheut en bas tout blesme.

A Pidytés fut la Teste coupée

Par Ulyssés d'ung coup de son Espée.

Aretaön blessé fut par Teucer :

Tant qu’il le feit en Terre renverser.

Antilochus le gentil Combatant

Filz de Nestor, en sceut bien faire autant,

Encontre Ablen : car sa Lance luy passe

Tout à travers, dont soubdain il treipasse.

 

    Agamemnon les voyant abbatuz,

Pousse en avant, & desfeit Elatus.

Ceste Elatus avoit grand heritaige,

Et se tenoit au prés du beau Rivage

De Satnyon, dans Pedase la Ville,

Bien hault assise, opulente & Civile.

Puis Phylacus fut occis en fuyant

Par Leïtus. Eurypylus voyant

De tous les siens le vaillant portement,

Il esbransla son Dard subitement,

Et d'ung seul coup Melanthius toucha

Si rudement, que bas mort le coucha.

 

   Menelaus qui avoit bonne envie

De se monstrer, prist Adrestus en vie,

Il s'en fuyoit : Mais de male adventure

Son Chariot & sa belle Monture

A ung grand tronc de Tamarin, hurterent

Si lourdement, qu'en terre le jecterent.

Dont le Timon sut soubdain esclatté,

Et les Chevaulx sentans la liberté,

Prindrent leurs cours vers la Cité de Troie,

Laissant leur Maistre estendu par la voye.

Menelaus donc ques qui le suyvoit,

S'arreste court, aussy tost qu'il le voit

Ainsi tumbé, & dessus luy se lance

Pour le tuer, avec sa longue Lance :

Mais le Troien usant d'ung parler doulx,

De luy s'approche, en baisant ses Genoux.

 

Filz d'Atreus, ie te supplie Accorde

A ce dolent Vie & Misericorde.

Si tu le fais comme je le demande,

Tu recevras pour moy Rançon tres grande.

Mon Pere est riche, ayant en sa maison

Or, Fer, Arain, & Joyaulx à foison,

Qui seront tiens, & tout ce qu'il aura

Pour me R’avoir, quand au vray il scaura

Que je suis vif, donc pour faire conqueste

De tant de bien, accorde ma Requeste.

Rien ne luy sceut Menelaus nier :

Et ia vouloit le garder Prisonnier,

Et le bailler aux siens pour le conduire

Tres seurement en sa Tente ou Navire.

Mais le rebours de son vouloir advint,

Car le grand Grec Agamemnon survint

Sur le Marché, qui tres fort s’en fascha,

Et à son Frere ainsi le reprocha.

O grand Couard, dont te vient le vouloir

D'avoir pitié, & ainsi te douloir

Des faulx Troiens ? T'ont ilz faict plaisir tel,

Estans receuz jadis en ton Hostel ?

Ont’ilz de toy merité si grand bien

De les sauluer ? Or il n'en sera rien.

Ilz mourront tous, & Masles & Femmelles :

Voire les Filz qui tettent les Mammelles,

Et ceulx qui sont au Ventre de leur Mere,

Tous par noz Mains receuront Mort amere.

Estanc leur Ville en brïef temps occupée :

Et passeront par le fil de l'Espée.

 

    Par ce propos le grand Grec divertit

Menelaus, qui bien tost consentit

A son Conseil. Et lors d'une Secousse

Son Prisonnier de luy chasse & repousse.

Dessus lequel Agamemnon se rue,

Et d'ung seul coup par le Ventre le tue.

Mais pour tirer son javelot dehors,

Il fut contrain à luy monter sur le corps.

 

    Ce temps pendant, Nestor qui combatoit

D'aultre costé, les Grecs admonestoit,

Disant ainsi.O amys tres vaillans

Servans de Mars, Courageux assaillans,

Continuez, Poursuyvez la victoire,

Qui ia vous est presentée & notoire.

Chargez dessus, & ne vous employez

A Butiner, que premier ne voyez

Que tous soient mortz, Faictes vos Dardz fouiller

Dedans leurs Corps, ains que les despouiller :

Pour en aprés la Victoire gaignée,

Tout à loysir employer la journée

A les fouiller, pour charger ung matin

Noz grans Vaisseaulx, de ce riche Butin.

 

    Disant ainsi, il enflamma leurs cueurs

Si tres avant, qu'ilz se veirent vainqueurs :

Et les Troiens mis en necessité

De s'enfouyr, & gaigner la Cité :

Laissans le Camp, Si le saige Helenus

Filz de Priam, ne les eust retenuz.

Lequel voyant ceste cruele Chasse,

Dict à Hector, & Eneas en Face.

Puis que la charge & l'entiere Conduycte

De nostre Gent, est en voz deux reduycte,

Comme les deux Princes plus esprouvez

De nostre pars. Mes amyz vous devez

A ce jourdhuy faire tant que la perte

Ne soit airisi dommageuse, & aperte.

Tenez donc bon, monstrez vous diligens

Devant la Porte, à rassembler voz gens :  

Les enhortant encore à la Bataille,

S'ilz n'ont vouloir, qu'on les tue & detaille

Entre les bras de leurs Femmes piteuses :

Qui les voyans fouyr seront honteuses.

Et ce pendant nous serons tout devoir

De soustenir, bien que nostre povoir

Soit affoibly : Mais il nous sera force,

Car le besoing nous y contrainct & force.

 

    Quant est à toy O  Hector, tu iras,

Si tu m'en crois, dedans Troie, & diras

A Hecuba nostre Mere benigne,

Qu'en assemblant la troupe féminine

De la Cité, plus chaste & honorable,

Elle s'en voise au Temple venerable

De l’invincible & prudente Minerve :

Et des habitz qu'elle tient en reserue

Dans son Palais, prenne le plus gentil,

De riche estoffe, & ouvrage subtil,

Pour l'aller mectre avec cueur simple & doulx,

Devotement sur les divins Genoux

De la Deesse, & la d'humble maniere :

Faire ses veux, & dresser sa priere.

Luy promectant, pour la rendre propice,

Par chascun an solennel Sacrifice

De douze Beufz, ou Toreaux non domptez,

A pareil jour en son Temple portez.

Et qu'il luy plaise en sa Tutele prendre

Femmes, Enfans, & ce peuple deffendre :

En esloignant tant qu'il sera possible

De la Cité, le Cruel & Terrible

Diomedés. Lequel est, ce me semble

Plus belliqueux, que tous les Grecs ensemble.

Je n’ay point veu noz Gens abandonner

Ainsi leurs Rencz, ne tant fort s'estonner

Pour Achillés, qu'on dict de Thetis Filz :

Comme à present je les voy desconfictz,

Par la fureur de ce Grec redoubtable,

Qui n'est à nul, qu'à soy mesmes semblable.

 

    Ainsi parla Helenus le prudent :

Bien cognoissant le peril evident

De tous les liens. Hector condescendit

A son vouloir, dont bien tost descendit

Du Chariot. Et tenant deux beaulx Dards

Soubdain se mesle entre ses fortz Souldards.

Puis comme Chef Hardy, & Magnanime,

Encor ung coup, au Combat les anime.

Et faist si bien qu'a sa seule requeste,

Les bons Troiens retournent faire Teste.

 

    Adonc les Grecs, furent contrainctz cesser

De les poursuyvre, & la Place laisser.

Car les voyans si tres audacieux,

Ilz eurent peur, que quelque Dieu des cieulx

Fut descendu, pour Secours leur donner,

En les faisant au Combat retourner.

Surquoy, Hector confermant leur couraige,

Leur dict  ainsi, de gracieux langaige.

O mes Amys, O valeureux Troiens,

(Tant Estrangiers Souldards, que Citoiens)

C'est maintenant, qu'il se fault trouver hommes.

Souvienne vous du danger ou nous sommes,

Je vous supplie : & monstrez la Prouesse,

Dont tant souvent vous m'avez faict promesse

Marchez avant avec hardy visaige,

Jusques à tant que je face ung voyage

Dans llion, pour enhorter nos Femmes,

La bonne Royne, & aultres vielles Dames,

D'aller prier les Dieux, & leur promettre

Veux solennelz ; & qu'ilz nous vueillent mettre.

Hors de danger. Le prince de Noblesse,

Ces motz siniz, soudainement les laisse :

Et s'en va droict, en la Cité de Troie,

Portant l'Escu, dont la noire Courroye

Qui l’environne, ainsi qu'il s'en alloit,

De son Espaule aux Talons devaloit.

 

    Ce temps pendant, se presenta Glaucus,

Illustre Filz du bon Hippolochus,

Pour s'esprouver en Combat singulier.

Contre lequel le puissant Chevalier

Diomedés fort avant, & se monstre

Prest aut combat. Mais avant la rencontre,

Estant la prés le Vaillant & Dispos

Diomedés, usa de ces propoz :

O Champion, entre tous les humains

Tres fort & Preux, qui veulx venir aux mains

Aueques moy, dy nous, s’il ne t'ennuye,

Quel est ton Nom. j'ay bien fort grand envie

De le scavoir. Car onc par cy devant

Je ne t'ay veu en Guerre si avant :

Tu es hardy, & garny d'Esperance,

Comme je voy : & qui prens asseurance

De soustenir l'Effort impetueux,

Du coup venant de mon Bras vertueux.

Malheureux sont des Peres ung grand nombre,

Dont les Enfans, par dangereux encombre,

Ont hazardé en Bataille m'attendre :

Leur ayant faict l'ame aux Enfers descendre.

Mais te voyant à present avancer

Si hardyment, contrainct: suis de penser,

Qu'ung Dieu tu sois de la hault descendu :

Ou ung mortel, Folastre, & Esperdu.

S'il est ainsi que tu sois quelque Dieu,

Des maintenant je te quitte le lieu.

Je ne veulx pas encourir le danger

De Licurgus : lequel fut trop Léger

Encontre iceulx. Dont il eut, pour la peine,

Vie dolente, & puis la mort villaine.

Jadis advint, sur le Mont de Nysa,

Que Licurgus les Femmes advisa,

Qui sont service à Bacchus en ses festes,

Portante les Ceps de vigne sur leurs Testes :

Si les suyvit, & leur feit tant de craincte,

Que sans mercy, chascune fut contraincte

Laisser tumber la Corone sacrée,

Dont le bon Dieu s'esjouyst, & recrée.

Car le Meurtrier durement les piquoit

D’ung Esguillon, puis apres s'en moquoit.

Et qui pis est, il fut si Temeraire,

Qu’il proposa le Dieu mesmes desfaire :

Et luy donna tres rudement la Chasse,

Faisant grand bruit, & usant de Menace

Mais Bacchus lors à grand course eschappa :

Et se garda que point ne l'attrapa.

Se venant joindre à Thetis mariniere,

Qui le receut d'amiable maniere

Dedans la Mer, encor tremblant de peur

De cheoir es mains de ce cruel Gripeur.

De ce Forfaict, les grans Dieux se fascherent

Trop durement, & le venger tascherent :

Privans des yeulx Licurgus quelque temps.

Finablement de cela non contens,

Comme j'ay dist, pour du tout le punir,

Feirent sa vie en misere finir.

Or s’il te plaist, presentement declaire,

Quel est ton Nom, aussi qui fut ton Pere,

Sans me tromper : Et si tu n'es divin,

Mais des humains qui mangent Pain & Vin,

Approche toy, s’il te prend quelque envie,

Icy laisser soudainement ta vie.

 

    Adonc Glaucus, avec Grace & Audace,

Luy respondit. T'enquiers tu de ma Race ?

Le Genre humain est fragile, & Muable

Comme la Fueille, & aussi peu durable.

Car tout ainsi qu'on voit les Branches vertes,

Sur le Printemps, de fueilles bien couvertes,

Qui par les ventz d'Autumne & la Froidure,

Tumbent de l'Arbre, & perdent leur verdure,

Puis derechef, la Gelée passée,

Il en revient en la place laissée :

Ne plus ne moins est du lignaige humain :

Tel est huy vis, qui sera mort demain.

S'il en meurt ung, ung aultre vient à naistre :

Voila comment se conserve leur estre.

Mais si tu as si grande volunté

D'entendre au vray mon Sang, &Parenté,

Je la diray : combien qu'elle est cognue

Presque de tous, & illustre tenue.

Au beau pays d'Arges la renommée

Pour ses Pastiz, est la Cité famée,

Dicte Ephyra : en laquelle habiterent

Mes bons Parens, & Sceptres y porterent.

Le premier fut Sysiphus tres puissant

Filz d'Eolus, de grandz biens joissant.

Qui engendra Glaucus duquel nasquit

Bellerophon, qui tant d'honeur acquit.

Auquel les Dieux par Singularité

Feirent la Grace & Libéralité,

(Oultre la Forme & Beaulte indicible)

De le pourveoir d'une force invincible.

 

    En ce temps la, en Grece dominoit

Ung Roy nommé Proëtus, qui tenoit

Beau coup de biens : Soubz le povoir duquel,

(Par le vouloir du grand Dieu immortel)

Bellerophon fut nourry en jeune cage,

Faisant honeur tousjours à son Lignage.

Mais ce dict Roy, par apres conspira

Encontre luy, & sa mort procura :

Non de son gré. Ce fut à la requeste

De son Espouse Andya deshoneste.

Laquelle estant de Luxure enflammée

Faire ne sceut qu'elle peust estre aymée

Du jouvenceau : Bien qu'elle le priast

Incessamment pleurast & s'escriast.

Parquoy voyant ne povoir proffiter

En son Ardeur, vint à se despiter:

Tant que l'Amour vehemente sortie,

Fut promptement en Hayne convertie.

Si vint ung jour, à son Mary plourant,

Avec maintien d'ung corps quasi mourant,

Et dict ainsi ; Il fault que te disposes

D'executer l'une de ces deux choses :

Mourir toy mesme, ou bien faire mourir

Bellerophon, qui a voulu courir

Sur ton Honeur: desirant se mesler

Avecques moy, Voire & me violer,

Quand il a veu que par doulce parole

N’accomplissois son Entreprinse folle.

Ainsi parla la meschante Trahystresse,

Sur quoy le Roy plein d'ire, & de Tristesse

Fut tout esmeu : & proposa sur l'heure

De se venger sans plus longue demeure.

Mais pour autant qu'il estoit Domestique,

Il advisa que ce serait inique,

Le faire occire ainsi en sa Maison ;

Et ay ma mieulx vser de Trahyson.

Lors composa Lettres pernicieuses,

Pleines de Dol, faulses, malicieuses :

Qu'il adressa à Rheon son beau Pere

Roy de Lycie, en luy mandant l'affaire :

Et le priant, qu'il feit par mort finir

Le Messager, sans le laisser venir.

Quand Proëtus eust escript, il envoie

Le jouvenceau, lequel se meit en voye,

Guidé des Dieux, se faict tant qu'il arrive

En la Lycie, au lieu ou se derive

Xanthus le fleuve arrousant la Province.

A l'arriver il fut receu du Prince

Humainement, & durant Neuf journées

Furent Banquetz, & Festes ordonnées :

Pour l'honorer, & mis sur les Autelz

Neuf Beufz d'eslite, aux grandz Dieux Immortelz.

Sur le Dixiesme, alors que l'aube claire

Monstra le jour, le dict Roy delibere

Scavoir pourquoy Bellerophon estoit

Vers luy venu, & si Lettres portoit

De son beau Filz : lequel luy presenta

Le faulx Paquet : Si leut tout, & nota

La trahyson & Crime pretendu.

Apres saignant n'avoir rien entendu,

Deliberant toutesfois de parfaire

Le Contenu, & le Porteur desfaire :

Premierement il voulut essayer

Au vray sa force, & le feit employer

A mestre à mort la Beste redoubtable,

Dicte Chimere ; autant espoventable

Qu’il en fut onc : Monstre que les grandz Dieux,

Pour se venger des forfaictz odieux

Des faulx humains, avoient mise en nature

De fort estrange & hideuse figure.

Car le Devant de son corps, & la Teste,

Estoit Lion : le Mylieu de la beste

Sembloit à Chievre  & le Derriere estoit

Comme ung Dragon. En oultre elle jectoit

Et vomissoit flammes de feu terrible :

Au demeurant Cruele le possible.

Bellerophon toutesfois l'assaillit

Soubz le vouloir des Dieux & ne faillit

A son Desseing : Car apres grande peine,

Il l'estendit roide morte en la plaine.

Cela parfaict, encore il combatit

Les Solymois : & mortz les abbatit.

Et m’a lon dit, qu il faisoit grand estime,

D'avoir ainsi vaincu la gent Solyme.

Oultre cela, le Roy charge luy donne

De s’esprouver contre mainte Amazone :

Mais il estoit pourveu de si grant cueur,

Qu'il les occist, & demoura vainqueur.

Finablement voulant l’en despescher,

Secretement feit ung nombre embuscher

De Lyciens, au pres d'une Fontaine,

Pour l'assallir mais l'emprise fut vaine.

Car pas ung seul de ceste Trahyson

Ne retourna jamais en la Maison

Tous les deffeit. Dont le Roy esbahy,

Se repentist de l'avoir tant trahy :

Et cognut bien, que ceste grand victoire

Venoit des Dieux : Ausquelz estoit notoire

Son Innocence. Adonc changea propoz,

Et advisa pour son Aise, & Repoz

Le retenir, & luy faire Avantage :

En luy donnant sa Fille en mariage

Et pour avoir de luy ferme Amitié,

De son pays luy donner la moictié.

Ce qui fut faict. La pucelle gentille

Luy fut baillée, & le Champ plus fertille

Pour habiter. De ceste Dame belle,

Il eust deux Filz, avec une Femelle.

Isander fut le premier, le deuxieme

Hippolochus, plain de vaillance extreme :

La belle Fille eust nom Laödomie :

Que Juppiter voulust avoir Amye.

Et enflammé de l'Amoureux brandon,

Il l’engroissa du divin Sarpedon.

Bellerophon n’arresta pas long temps,

Qu'il irrita, & rendit mal contens

Les Dieux haultains. Dont devint solitaire,

Et commença à soy mesme desplaire:

Errant tout seul, ainsi qu’ung Phrenétique,

Parmy son Champ : qu'on nomma Erratique,

Pour c'est effect : Depuis par grief malheur,

Son filz Isandre, homme de grand valeur,

En combatant, & d'Estoc, & de Taille

Les Solymois fut occis en bataille:

Par le Dieu Mars. Laodomie aussi

Fut par Diane occise sans mercy.

Et ne resta des trois, qu'Hippolochus :

Qui m'engendra : & me nomma Glaucus.

Si ma transmis en la Troiene guerre

Avec beaucoup de Souldards de sa Terre :

Me commandant d'emploier mes Espris

A la Vertu, acquerant Los & Pris

Entre les bons pour ne degenerer

De mes parens : qu'on à veu decorer

De renommée, en la Cité d'Ephyre,

Et en Lycie. Or je t’ay voulu dire

A ta priere, & mon Nom, & ma Race :

Et ce qui m'a conduit en ceste place.

 

    Diomedés presta long temps l'oreille

Au fort Glaucus. Puis remply de merveille,

Et resjouy de ce qu'il luy compta,

Son javelot droict en terre planta.

Et d'ung parler bening & amyable,

Luy dist ainsi Chevalier venerable,

J’ay entendu clairement par tes dictz 

Qu'entre les tiens les miens, fut jadis

Amitié grande, & Hospitalité,

Qu'on doit garder en la Posterité.

Oënëus mon grand Pere logea

Bellerophon chez soy, d'ou ne bougea

Durant vingt jours : le traitant en effect:

Comme son Hoste, & vray Amy parfaict

Puis advenant le jour de son depart,

Par Amitié, chascun feit de sa part

A son amy ung Present honorable,

Pour tesmoigner l'Alliance durable.

Oënëus bailla une Ceincture

Bien estoffée, & de riche Brodure :

Au Cabinet de ses Harnois choisie,

Taincte en couleur de Pourpre Cramoisie.

Bellerophon donna ung Gobelet

D'or reluysant, poly, & rondelet:

Que j'ay laisse en ma maison, venant

En ceste Guerre ou sommes maintenant.

 

   Quant à mon Pere, & au tien, je ne scay

S'il ont entr'eulx d'Amitié faict l'essay.

Je le perdy, quand j'estois en Enfance :

Lors qu'il alla avec grande puissance

En la Cité de Thebes, ou fina :

Et plusieurs Roys de Grece qu'il mena.

Or quant à nous, puis que l'amour insigne

A mis ainsi de bien loing sa racine,

Je suis d'advis qu'on la doit maintenir.

Dont s'il advient qu'il te faille venir

Doresnavant au beau pays de Grece,

Tu pourras prendre en mon logis adresse :

Ton bon Amy, ton Hoste je seray,

A tousjours mais. Et quand je passeray

En ton pays, j'en seray tout autant,

T'ayant pour Hoste, & pour Amy constant.

Et pour avoir souvenance parfaicte

De cest Accord, & Alliance faicte,

Si l'on se trouve au Combat par rencontre

Destournons nous ne venons à l'encontre.

Assez avons d'ennemys ce me semble,

Des deux costez, sans batailler ensemble.

Et davantaige, asm que l'assistance

Ait de cecy parfaicte cognoissance,

Et qu'on ne trouve à l'advenir estrange

Nostre amytié, il convient faire ung Change :

Delivre moy s’il te plaist ton armure,

Et tu auras la mienne forte & dure.

 

    Disant cela des Chevaulx descendirent :

Et puis la main l'ung à l'aultre tendirent.

Diomedés ses armes despouilla,

Faictes d'Arain, & icelles bailla

Au dict: Glaucus, qui soubdain habandonne

Son bel Harnois d'or fin, & le luy donne.

Juppiter lors osta jiugement

Au Licien, faisant ce changement :

Car son Harnois tant sumptueux estoit

De grand valeur, & qui en pris montoit

Jusque à cent Beufz. Mais cil qu'il avoit pris,

Povoit valoit neuf Beufz, de juste pris.

 

    Le preux Hector, ce pendant arriva

En la Cité, ou de Femmes trouva

Ung tres grand nombre à l’entrée des Portes

L'interrogans de moult diverses sortes.

L'une vouloit scavoir de son cher Pere,

Ou de son Filz : & l'aultre de son Frere,

Ou du Mary. Pour satisfaire ausquelles,

Il ne leur dict, sur l'heure aultres nouvelles :

Leur remonstrant qu elles devoient prier

Les Dieux haultains immoler & crier,

Pour le salut de toute la Cité.

Qui la estoit en grand necessité.

 

    Partant de la, le Prince vertueux

Vient arriver au Palais sumptueux   

Du Roy Priam. Ce grand Royal manoir,

Estoit basty tout de beau Marbre noir :

Dedans lequel pour ses Enfans loger,

Le Roy Priam avoit voulu renger

Chambres Cinquante, au mylieu disposées :

Ou ilz couchoient avec leurs Espousées.

Puis vis à vis en avoit faict bastir

Jusques à Douze, afin de les partir

Aux grands Seigncurs, qui ses Filles prenoient

En mariage, & prés luy se tenoient.

 

    Sur le droict poinct qu'Hector le ans entra,

Sa vielle mere Hecuba rencontra :

Qui s'en alloit pour visiter sa Fille

Läodicés, de toutes plus gentille.

Si l’arresta, & luy tenant la main,

Luy dict ainsi, avec visaige humain.

Pourquoy as tu ta Gent ainsi laissée

Mon tres cher Filz, est ce chose pressée ?      

Je croy que ouy. Certes les Grecs desfont

Tous les Troiens : & croy que desja sont

Bien pres des murs. Cela te faict haster,

Venant prier le grand Dieu Juppiter,

Pour leur salut. Mais mon cher Filz arreste

Encor ung peu : afin que je t'appreste

Du Vin souef, ains que Sacrifier:

Duquel boiras pour te fortifier,

Et recréer ce Corps deja fasché

Du long Travail ou tu es empesché.

Car le Bon Vin a tres grande vertu,

De renforcer l'homme las, & batu.

 

    N 'apporte point du vin, & ne m'en donne      

(Dict lors Hector) de peur que ma personne

Ne s'affoiblisse : & que par trop en boire

Il ne m'advienne à perdre la memoire

De mon devoir. Puis ce seroit mal faict,

Qu’ung Chevalier polu, & tout infaict

De Sang humain, de Sueur & Poulsiere,

Sans se laver, feit aux Dieux sa priere.

Mais toy ma Mere, assemble les Troienes

Dames d’estat, & aultres Cytoienes.

Puis la premiere (en leur monstrant exemple)

Va supplier à Minerve, en son Temple.

Et pour la rendre envers toy favorable,

Presente luy l'habit plus honorable

De tous les tiens, le mectant humblement

A ses Genoux, & la devotement

Fay luy priere, & luy dresse tes Veux :

Luy promettant chascun an, douze Beufz

Gras, non domptez ; & qu'elle preigne en garde

Ce pouvre peuple, & que la Cité garde :

En esloignant de tes Murailles sacres,

Diomedés, qui faict tant de Massacres

De noz subjectz. Or quant à moy, j'yray

Trouver Paris mon Frere, & luy diray

Qu’il voise au Camp : Ne scay s’il le vouldra,

Ne quel propoz, ou Mine me tiendra.

Que pleust aux Dieux, que la Terre s’ouvrist

Dessoubz ses piedz; l'engloutist, & couvrist.

Certainement les Dieux l'ont mis au monde,

Pour la Ruine, ou tristesse profonde

Du Roy Priam, & de tous ses Enfans,

Qui sans luy seul seroient trop triumphans.

O que j'aurois maintenant de plaisir,

Si j'entendois que mort le vint saisir.

Je dirois bien ma dolente Pensée,

Vuyde du mal qui la tient oppressée

Apres ces motz le noble Prince part,

Et Hecuba s’en va de l'autre part

Droict au logis & commande à ses Femmes

D'aller prier toutes les nobles Dames

Pour s'en venir. Ce faict, Tres esplourée

Entre dedans sa Chambre bien parée,

Et bien sentant : puis en ses Garde robes,

Ou elle avoit ung grand nombre de Robes

De riche estoffe, à Figures exquises,

Que son beau Filz Paris avoit conquises

Dedans Sidon. lesquelles il donna

A Hecuba, deslors qu'il admena

La belle Grecque. Entre toutes la Dame

En choisist une odorant comme Basme,

La mieulx tissue, & de Couleur duysante,

Du plus beau lustre, & autant reluysante

Comme une Estoille : Aussi la tenoit elle

Au fond du Coffre, ainsi que la plus belle.

Et puis s’en va de cueur devotieux,

Avec grant Troupe, au Temple spacieux

De la Deesse : assis droit au mylieu.

Du grand Palais. Venues en ce lieu,

Par Theano la Femme d'Antenor

Furent ouvertz les huys faictz de fin or :

Car elle avoit des Troiens charge expresse

De ce beau Temple, & en estoit Prestressee.

 

   Estans illec, les Dames arrivées

A piteux criz, & les Mains eslevées,

Feirent leurs veux Et Theano la digne

Meit doulcement la Robe tant insigne

Sur les Genoux de Pallas, puis commence

Prier ainsi. O divine clemence,

Chaste Minerve, O seure Gardiene,

De ce Chasteau, & de la gent Troiene,

Je te supply exaulce l'Oraison,

Que l'on te faict : icy en ta Maison.

Pour donner fin à noz Pleurs, & Regretz,

Nous te prions, que le plus fort des Grecs

Diomedés, devant la porte Scée

Soit abbatu, & sa Lance froissée.

Et cela faict : nous sacrifierons

Sur ton Autel douze Beufz, & serons

Par chascun an, ung service semblable :

Si tu nous es au besoing secourable.

Ainsi prioit Mais l'oraison dressée

Ne fut en rien de Pallas exaulcée.

 

    Pendant cecy, Hector d'aultre costé

S'estoit desja au Logis transporté

Du beau Paris : qui fut ung Edifice

Tres excellent, & de grand Artifice.

Lequel, Troiens Architectes exquis

Avoient basty comme il estoit requis :

Garny de Court, Chambres, Cuysine, Salle :

Joignant au pres la Maison principale

Du Roy Priam. Ce Prince vertueux

Vint droit à l'huys du Logis sumptueux,

Tenant en main une Lance Acérée

Longue dix piedz à la poinste dorée.

Et veid dedans Alexandre son Frere,

Embesoigné à ung honeste affaire.

Il fourbissoit son Escu, son Armure,

Et de ses Arcs luy mesme ostoit l'ordure.

Aupres du quel avec ses Chambrieres

Sëoit Heleine ; & pour les rendre ouvrieres,

Elle employoit son Esprit & Couraige,

A leur monstrer quelque subtil ouvraige.

 

    Adonc Hector, le voyant de la Porte,

(Tres courrousssé) parla de ceste forte.

O malheureux, qui est ce qui te tient     

Oysis icy ? Quelle Ire te retient

En ta maison, Saichant par ton moyen,

Perir ainsi tout le peuple Troien,

Et la Cité, peu s'en fault estre prise,

Qui a pour toy ceste Guerre entreprise ?

Certainement tu prendrois bien l'Audace,

Voyant quelqu'ung habandonner la Place,

De l'accuser. Toutesfois tu te caches     

Presentement comme le Chef des Lasches.

Va promptement va faire ton devoir:

Si tu ne veulx (sans guere tarder) voir

Ceste Cité surprise, & desolée :

Et par le feu Grégeois soudain bruslée.

 

   Le beau Paris, en se voyant tencer      

Si rudement, respondit sans penser.       

O frere Hector puis que l'intention

De ton courroux vient d'une affection

Bonne & honeste, il te plaira m'entendre,

Et mon excuse entres bonne part prendre.

Ce n'est Courroux, Offence, ne Rancune

Qui me detient : je n'en ay point aucune

Contre les miens. Ce n'est que mon malheur,

 Et pour cuyder appaiser ma douleur

Avec le temps : Or la gentille Heleine

Que tu voys la, estoit ores en peine

De m'enhorter, avec ses doulx Propoz

Les Armes prendre, & laissser le Repos.

Ce que vueil faire : Et me dit bien le cueur,

Que je seray au jourdhuy le vainqueur.

Car la victoire est de telle maniere,

Qu'elle se monstre aux hommes journaliere.

Parquoy attens, jusque à ce que je soye

Armé du tout, Ou si veulx, prens la voye,

Je te fuyuray : & sans estre trop loing,

Tu me verras prés de toy, au besoing.

 

    De sa responce Hector le Magnanime

Ne feit semblant d'en faire aulcune estime.

Sur quoy Heteine au pres de luy s'avance

Tres humblement, en doulce contenance,

Et puis luy dict. O beau Frere honorable,

(S'il est permjs  femme miserable

Telle que moy, qui ne suis qu’une Chienne,

Que ce beau nom de ta Seur je retienne)

Or eust voulu Juppiter, la journée

Que l'on me veit en ce vil monde née,

Qu’ung Torbillon de vent impétueux,

M'eust transportée en ung lieu montueux,

Ou dans la Mer pour ma vie finir,

Sans me laisser à ce malheur venir.

Mais puis que c'est par le consentement

Des Dieux haultains, que je soye Instrument

De tant de maulx, Au moins devoys je avoir

Meilleur Mary, & qui sceust mieulx pourveoir

A son affaire : Homme qui entendit

Quand on l'accuse ou quand on le mauldit.

Mais cestuy cy n'a sens ne Cognoissance

De ce qui peult luy apporter Nuysance.

Et cognois bien qu'a male fin viendra

Doresnavant, ce qu'il entreprendra.

Or maintenant mon Frere noble, & cher,

Je te supply d'entrer & t'approcher

En cette Chaire, Helas poure dolente,

Je voy & sens la peine violente,

Que tu soubsliens pour ces deux meschans corps.

Ausquelz les Dieux (de noz forfaictz records)      

Ont reservé tres malheureuse yssue,      

Qui en tous lieux sera chantée, & sceue.

 

    Au doulx parler d'Heleine respondit

Le preux Hecton Tout ce que tu m'as dict,

(Bien qu'il ne peult que d'amour proceder)

Ne me pourroit ores persuader

Aulcun Sejour, j'ay bien chose en ma Teste

Qui me deffend que point je ne m'arreste :

Mais que je voise au Camp, pour le Confort

Des bons Troiens, qui me desirent fort.

Et quant à toy Dame, je te conseille

Soliciter cestuy qu'il s'appareille

Pour me fuyuir. Il sera sagement,

Si de luy mesme il vient diligemment

Avecques moy :ou meprcnt au sortir.

Car j'ay desir, avant que de partir,

De visiter ma maison, ma Famille,

Mon tres cher Filz, & ma Femme gentille,

Je ne scay pas s’il sera le plaisir

Des Dieux haultains, me donner le loysir

De les reveoir à l'aise quelque aultre heure :

Ou s'ilz vouldront qu'a ce jourdhuy je meure.

 

    Disant ces motz, il adresse ses pas

Vers son Logis : mais il n'y trouva pas

Andromacha la Princesse honorée.

Elle s’estoit en la Tour retirée

Et Ton Enfans n'ayant aueques elle

Qu’une Nourrisse ou simple Damoiselle :

Et la pensoi taux Combatz & Allarmes

De son Espoux, respandant maintes larmes.

 

    Adonc Hector aux Servantes s’adresse

En leur disant. Ou est vostre Maistresse ?

Est elle point allée visiter

Ses belles Seurs, ou pour s'exerciter,

Et oublier ses douloureuses peines,

Allée voir mes bonnes Seurs germaines ?

Ou dictes moy, si estant advertie

Des veux qu'on faict, elle seroit partie,

Avec ma Mere, & sa devote Bande

Pour à Pallas presenter son Offrande ?

 

   Puis qu’il te Plaist la verité scavoir

(Respondit l'une) elle n'est allé voir

Ses belles Seurs, Ne tenir compaignie

A Hecuba :Las la Dame Ternye,

(De toy Hector ung peu trop curieuse)

Portant maintien de Femme furieuse,

S'en est courue, aveques son doulx Filz,

Droict en la Tour, croiant que desconsitz

Soient les Troiens : & qu'en ceste journée,

Ta vie soit du tout exterminée.

 

    Oyant ces motz, Hector plus ne sejourne,

Mais en tenant mesme chemin retourne,

En traversant les Rues, & Ruelles

De la Cité bien Amples, & tres belles,

Pour s'en venir à la Porte nommée,

Porte Scéa droict: ou estoit l'Armée.

 

    Lors d'avanture, Andromacha venoit

Par mesme Rue, & son Enfant tenoit

Entre ses Bras, son cher Filz premier né.

Auquel Hector avoit Nom donné

Scamandrius : mais Troiens le nommoient

Astyanax, pour ce qu'ilz l'affermoient

Estre engendré de cil qui les gardoit :

A quoy le nom proprement s'accordoit.

 

   Joyeux fut lors, plus qu'on ne scauroit dire,

Le preux Hector, & se meit à soubzrire :

Voyant l'Enfant, aussi beau, & plaisant

Comme une Estoille au clair Ciel reluysant.

Mais'son Espouse avec grand abondance

De pleurs & plainctz, au prés de luy s’avance

Tres humblement, & luy serrant la main,

Dict lors ainsi. Cruel & inhumain

Envers les tiens, l'Audacieux courage

Te destruira en la fleur de ton eage.

Que veulx tu faire : auras tu point pitié

De cest Enfant, & de mon Amytié ?

Penses tu point à la fin douloureuse,

Que sousffrira la poure malheureuse

Demeurant Veusue au jourdhuy, si tu sors

Hors la Cité secourir tes Confortz ?

Il est certain que tous les Grecs conspirent

Encontre toy, & rien plus ne desirent,

Que te meurtrir Mais ains qu’il soit ainsi,

Ouvre toy Terre, & sans nulle mercy,

Devore moy. Quel plaisir, quel soulas,

Pourray je avoir si je te pers ? Helas

Est il Amour, ou Pitié conjugale,

Qu'on puisse dire à ceste mienne esgale ?

Prendray je en gré ung jour la compaignie

D'aultre Mary ? Non certes, je le nye :

Jamais Plaisir ne me scauroit venir

Qui me privast de ton doulx souvenir.

Iray je donc pour consolation

Chez mes parens ? O griesve passion:

Ilz sont tous mortz. Le divin Achillés

Apres qu'il eust Buttinez & Pillez

Leurs grands tresors, & la ville rasée

Dicte Thebé de toutes gens prisée,

Cruellement souilla ses fortes mains

Au sang du Pere, & des Freres germains :

Lesquelz estoient fors & vaillans Gensdarmes.

Pas ne voulut despouiller de ses armes

Le Roy mon Père : il le feit mectre en Cendre

Entierement, sans les armes luy prendre :

Car ilz craignoit les grandz Dieux courrousser.

Et si luy feit ung Sepulchre dresser,

Au tour duquel Nymphes Orestiades

Prenant plaisir soubz les vertes Fueillades,

Ont faict planter d'Ormeaulx ung tres grand nombre,

Pour y coucher plus doulcement à l'vmbre.

Le Pere occis, il tua de son Arc

Les sept Enfans, qui lors gardoient le Parc

En Cilicie : & la Royne ma Mere,

Pleine d'angoisse & de tristesse amere,

Fut retenue, & faicte prisonniere :

Laquelle apres sceut trouver la maniere

De se ravoir, en payant grand Rancon.

Mais depuis peu par estrange facon,

Estant Diane encontre elle irritée,

L'a de son Arc à mort précipitée.

Vela comment (O cher Hector) demeure

Andromacha : Tu luy sers pour ceste heure

De Pere, Mere, & de Frere, & d'Espoux :

Ton noble corps tient la place de tous

En mon endroist. Parquoy le t’admonneste

De m'ostroier une seule Requeste. 

Ayes pitié de cest Enfant bening

Qui par ta mort de mourroit Orphenin

Et te souvienne aussi de la Chestive,       

Qui ne pourroit demeurer Veusve & Vive.

Arreste toy icy en ceste Tour,

Pour la garder : & assemble à l'entour

De ce figuier, ou la muraille est basse,

Quelzques Souldards, pour deffendre la Place.

Car on a veu deja par quatre fois,

Les deux Ajax, & mainctz aultres Grégeois,   

Idomenée, avec le Preux & fort       

Diomedés faire tous leur esfort

Pour y monter, & croy quilz ont l'adresse

De quelque Augure, ou c'est grand hardiesse.

 

    Ce que tu dis (O tres doulce Compaigne,

Dict lors Hector ; muet & jour m’acompaigne.

Long temps-ya que mon esprit travaille

De mesme Soing, sans trouver rien qui vaille.

Je crains la Honte à jamais reprochable

Que me seroit ce Peuple miserable

Me cognoissant de la Guerre esloigner,

Ou l'on m’a veu st tres bien besoigner.

Et puis le Cueur par son honesteté

Ne se veult faire aultre qu'il à esté :       

Ains me prouoque aux Armes, pour la Gloire,

Dont il sera en tous Siecles memoire.    

Je scay tres bien qu'ung jour le temps viendra,

Que le Gregeois ceste Ville prendra:

Et que Priam, mes Cousins, mes Parens,

Freres germains, & aultres Adherens,  

Seront occis. Mais mon affection

Ne peult avoir tant de compassion

De Pere, Mere, & Freres, & Amys,

(Estans ainsi à villaine mort mis)

Que j'ay de toy. C'est ce qui plus m'aggrave.

Mesmes penfant que tu seras Esclave

De quelque Grec, qui t'en amenera

En son pays, & te condamnera

D'ourdir la toille & filer sans sejour :

Puis au matin, & au plus hault du jour

Aller quérir de l'eau en la fontaine :

Qui te sera insupportable peine:

Mais le besoing alors t'y contraindra.

Et de cecy bien souvent adviendra,

Que les Passans diront : Voila la Femme

Du Preux Hector : qui acquist Los & Fame

Entre les siens, quand les Grecs assiegerent

Troie la Grand, & puis la saccagerent

Quelle douleur pourras tu lors avoir,

Oyant ainsi mon Nom ramentevoir,

Et te voyant de moy destituée,

Pour en Servaige estre constituée ?

Certes tres grand. Mais avant que ceste oeuvre

Puisse advenir, je veulx que Terre coeuvre

Ce triste corps : & que la Mort me prive

D'ouyr les plainstz de ma Femme captive.

 

   Disant ces motz, le Prince de valeur

Dissimulant sa Tristesse & Douleur,

Tendit les mains, pour avoir en ses Bras

Son petit Filz, Popin, Doillet, & Gras,

Lequel voyant l'Armet & le Pannage

Horrible & fier soubdain tourne visaige

Pleure, s'escrie, & sa Nourrice appelle,

Baissant le Chef sur sa ronde Mammelle

Adonc le Pere & la Mere benigne    

Rirent entre eulx, de la petite Mine

De leur Enfant. Sur quoy Hector laissa

Son grand Heaulme en terre & s'avanca

Prenant son Filz. Si l'accolle & le baise

Humainement, tout rauy de grand aise :

Et le tenant doulcement en ses mains,

Prioyt ainsi : O grandz Dieux souverains,

Octroiez moy ung jour que cest Enfant

Entre les siens soit Preux & Triumphant

Comme je suis & luy faictes l'honeur

D'estre aprés moy des Troiens Gouverneur

Tant que l’on die (en le voyant prospere)

Certes le Filz a surpassé le Pere.

Et s’il advient que sa main rude & forte

Soit Vainqueresse, & les Despouilles porte

Des Ennemyz, que sa Mere le voye,

Pour luy remplir l'entendement de joye.

 

    Apres ces motz, il livre promptement

Son Enfancon, qui fut subitement

Prins de la Mere et le prenant ainsi,

Il la vit & : l'armoyer aussy :

Dont eut pitié,  pour la consoler,

D'elle s'approche, & la vint Accoller,

En luy disant : O ma Çompaigne aymable:

Laisse ce dueil, & facon lamentable :

Ne te soucye ainsi de mon Trespas :

Mourir convient, tu ne l'ignores pas.

Et n'est humain, qui se puisse venter, 

De se povoir de la Mort exempter.

Car des le jour de la Natavité

Sommes subjectz à la Mortalité.   

Quant est de moy, bien cher l'acheptera,

Qui de ce corps la Vie m'ostera.     

Car ne peult estre aucunement finée,

Jusques au temps mis à ma Destinée.

Donc je te prie (O Espousce chere)

Doresnavant faire joyeuse chere,

Sans te douloi r: va ten à ton Mesnage,

Et la t'exerce à tixtre quelque ouvrage,

Ou à filler avec tes Chambrieres,

Leur commandant d'estre bonnes Ouvrieres

Au demourant les Hommes auront soing

De la Bataille : & seront au besoing

Ce qu'il convient Moy mesme le premier

M'y trouveray : car j'en suis coustumier.

 

    Disant cecy, il reprend son Armet

Estant à terre, & sur son Chef le mect.

Andromacha retourne en sa maison:

Jectant souspirs & larmes à foison.

 

    Tout aussy tost qu'en l'Hostel arriva,

Grand quantité de Servantes trouva

Qui la voyans dolente & Esplorée,

(Jectans grandz Criz, à voix desmesurée)

Plouroient Hector, disan t: Il en est faict,

Plus ne verrons le Chevalier parfaict

Car il mourra au jourdhuy par les mains

De ces Grégeois cruelz, & inhumains.

 

    D'aultre costé Paris point n'arresta,

Mais promptement s'arma & l'appresta

Et de courir apres Hector ne cesse,

Se confiant de sa Force & Vitesse.

Car tout ainsi qu’on voit en beau plein jour,

Aulcunesfois ung Cheval de sejour,

Lequel aprés avoir faict la rompture

De son Licol, son Estable, ou Closture,

Gaigne les Champs, faisant mille Alguerades,

Haulse la Teste, & jeste des Ruades :

Puis s'en va droict au beau Ruysseau, ou Fleuve

Pour se laver, & d'avanture treuve

Quelques Jumentz dessus le verd Rivage,

Ou il sesgaye, & appaise sa Rage.

Tel se monstra Paris beau & puissant,

Par la Cité courant & bondissant :

Duquel l'Armure & Boucler nom pareil

Resplendisloit comme le clair Souleil.

Si vint au poinct : qu'Hector vouloir sortir,

Ayant ia faict : Andromacha partir.

Adonc luy dict : O mon bon Frere Aisné,      

J’ay tres grand tort d'avoir tant sejourné,

N'estant venu si tres soubdainement,

Que j'en avoys de toy commandement.

 

    Cest tout à temps, respond le fort Troien :

Et n’est aulcun qui sceust trouver moyen

Tant preux soit il, de te povoir reprendre,

Quand tu vouldras faictz d'Armes entreprendre.

Tu es Leger, & Fort à l'avantaige :

Mais trop souvent plein de lasche Courage,

Et qui ne veulx d'ung seul pas t'avancer,

Ne ton Plaisir & Volupté laisser.

Cela me fasche, & mesmes quand j'entens

Souventesfois les Troiens (mal contens

D'avoir souffert travaulx intolerables)

Tenir de toy propos vituperables.

Or allons donc noz forces exposer

Contre les Grecs. Nous pourrons appaiser

Tous ces propotz s'il est ung jour permis

Ayans chasse d'icy noz Ennemys,

Qu'on puisse mectre au dessus des Autelz,

Condigne Offrande aux grands Dieux immortelz.