es dieux ayans la
bataille laissée,
La Noise fut
soubdain recommencée
Entre Grégeois, &
Troiens, plus cruele
Qu’auparavant.
Mainte Darde mortele
De tous costéz fut
lancée, & receue.
Si qu'on jugeoit
tres doubteuse l'yssue
De ce jour la ; veu
les mortz abbattuz
Parmy la Plaine : ou
le Fleuve Xanthus,
Et Simöis estendent
leurs Rivages,
Bien revestuz d'Arbrisseaulx
& d'Herbaiges.
Le preux Ajax
Telamon, seur Rempart
Du Camp des Grecs,
fut celuy de sa part,
Qui le premier
rompist le Renc Troien :
Donnant aux siens
l’ouverture & moyen
D'estre vainqueurs.
Si jecta mort en place
Ung des meilleurs, &
grandz Princes de Thrace,
Dict ; Acamas le
frappant sur la Teste,
Au propre lieu ou le
Pannache & Creste
Sont en l'armet :
tant que le Fer entra
Dans la Cervelle, &
au Front penetra :
Dont la douleur de
la blessure creuse,
Couvrit ses Yeulx
d'une nuyct tenebreuse.
Diomedés meit à
mort Axylus
Filz de Teuthras, l'ung
des Souldards esleuz,
Qui fut pour lors en
la Troiene Armée.
Il habitoit en la
Ville fermée
Dicte Arisba, ou par
honesteté
Avoit souvent logé &
bien traicté
Maint Estranger :
Mais tout ce bon vouloir
Et traictement, ne
luy peust tant valoir,
Qu'il rencontrast en
ce mortel effort
Hoste ou Amy, pour
luy donner confort.
Calesius aussy son
Serviteur,
Et des Chevaulx
fidele Conducteur,
Fut enferré luy
tenant compaignie :
Et cheut en terre, à
la Face ternie.
Euryalus avoit
la desconfitz
Opheltius, Dresus,
quand les Filz
De l'Ancien Bucolion
receurent
Le coup mortel de sa
main : & ne sceurent
Se garantir, l’ung
Pedasus nommé,
L'aultre Esepus
Gendarme renommé,
Freres jumeaulx. La
Nymphe Abarbarée
Dicte Naïs gentile &
honorée,
Les enfanta au dict
Bucolion
Secretement, lors
qu'il vint d'Ilion
Sur la Montaigne,
afin de s’esjouyr
Et de l'amour de la
belle jouyr:
Qui lors estoit vue
simple Bergere
Gardant Brebiz, en
la verte Fougere.
Il estoit Filz du
Roy Laömedon :
Mais il quicta &
meit à l'habandon
Pere, & Pays, espris
de l'Estincelle
Du feu d'Amour, pour
la gente Pucelle.
En mesme Renc le
fort Meneptoleme
Occist Astyle, &
cheut en bas tout blesme.
A Pidytés fut la
Teste coupée
Par Ulyssés d'ung
coup de son Espée.
Aretaön blessé fut
par Teucer :
Tant qu’il le feit
en Terre renverser.
Antilochus le gentil
Combatant
Filz de Nestor, en
sceut bien faire autant,
Encontre Ablen : car
sa Lance luy passe
Tout à travers, dont
soubdain il treipasse.
Agamemnon les
voyant abbatuz,
Pousse en avant, &
desfeit Elatus.
Ceste Elatus avoit
grand heritaige,
Et se tenoit au prés
du beau Rivage
De Satnyon, dans
Pedase la Ville,
Bien hault assise,
opulente & Civile.
Puis Phylacus fut
occis en fuyant
Par Leïtus.
Eurypylus voyant
De tous les siens le
vaillant portement,
Il esbransla son
Dard subitement,
Et d'ung seul coup
Melanthius toucha
Si rudement, que bas
mort le coucha.
Menelaus qui
avoit bonne envie
De se monstrer,
prist Adrestus en vie,
Il s'en fuyoit :
Mais de male adventure
Son Chariot & sa
belle Monture
A ung grand tronc de
Tamarin, hurterent
Si lourdement, qu'en
terre le jecterent.
Dont le Timon sut
soubdain esclatté,
Et les Chevaulx
sentans la liberté,
Prindrent leurs
cours vers la Cité de Troie,
Laissant leur
Maistre estendu par la voye.
Menelaus donc ques
qui le suyvoit,
S'arreste court,
aussy tost qu'il le voit
Ainsi tumbé, &
dessus luy se lance
Pour le tuer, avec
sa longue Lance :
Mais le Troien usant
d'ung parler doulx,
De luy s'approche,
en baisant ses Genoux.
Filz d'Atreus, ie te
supplie Accorde
A ce dolent Vie &
Misericorde.
Si tu le fais comme
je le demande,
Tu recevras pour moy
Rançon tres grande.
Mon Pere est riche,
ayant en sa maison
Or, Fer, Arain, &
Joyaulx à foison,
Qui seront tiens, &
tout ce qu'il aura
Pour me R’avoir,
quand au vray il scaura
Que je suis vif,
donc pour faire conqueste
De tant de bien,
accorde ma Requeste.
Rien ne luy sceut
Menelaus nier :
Et ia vouloit le
garder Prisonnier,
Et le bailler aux
siens pour le conduire
Tres seurement en sa
Tente ou Navire.
Mais le rebours de
son vouloir advint,
Car le grand Grec
Agamemnon survint
Sur le Marché, qui
tres fort s’en fascha,
Et à son Frere ainsi
le reprocha.
O grand Couard, dont
te vient le vouloir
D'avoir pitié, &
ainsi te douloir
Des faulx Troiens ?
T'ont ilz faict plaisir tel,
Estans receuz jadis
en ton Hostel ?
Ont’ilz de toy
merité si grand bien
De les sauluer ? Or
il n'en sera rien.
Ilz mourront tous, &
Masles & Femmelles :
Voire les Filz qui
tettent les Mammelles,
Et ceulx qui sont au
Ventre de leur Mere,
Tous par noz Mains
receuront Mort amere.
Estanc leur Ville en
brïef temps occupée :
Et passeront par le
fil de l'Espée.
Par ce propos le
grand Grec divertit
Menelaus, qui bien
tost consentit
A son Conseil. Et
lors d'une Secousse
Son Prisonnier de
luy chasse & repousse.
Dessus lequel
Agamemnon se rue,
Et d'ung seul coup
par le Ventre le tue.
Mais pour tirer son
javelot dehors,
Il fut contrain à
luy monter sur le corps.
Ce temps
pendant, Nestor qui combatoit
D'aultre costé, les
Grecs admonestoit,
Disant ainsi.O amys
tres vaillans
Servans de Mars,
Courageux assaillans,
Continuez,
Poursuyvez la victoire,
Qui ia vous est
presentée & notoire.
Chargez dessus, & ne
vous employez
A Butiner, que
premier ne voyez
Que tous soient
mortz, Faictes vos Dardz fouiller
Dedans leurs Corps,
ains que les despouiller :
Pour en aprés la
Victoire gaignée,
Tout à loysir
employer la journée
A les fouiller, pour
charger ung matin
Noz grans Vaisseaulx,
de ce riche Butin.
Disant ainsi, il
enflamma leurs cueurs
Si tres avant, qu'ilz
se veirent vainqueurs :
Et les Troiens mis
en necessité
De s'enfouyr, &
gaigner la Cité :
Laissans le Camp, Si
le saige Helenus
Filz de Priam, ne
les eust retenuz.
Lequel voyant ceste
cruele Chasse,
Dict à Hector, &
Eneas en Face.
Puis que la charge &
l'entiere Conduycte
De nostre Gent, est
en voz deux reduycte,
Comme les deux
Princes plus esprouvez
De nostre pars. Mes
amyz vous devez
A ce jourdhuy faire
tant que la perte
Ne soit airisi
dommageuse, & aperte.
Tenez donc bon,
monstrez vous diligens
Devant la Porte, à
rassembler voz gens :
Les enhortant encore
à la Bataille,
S'ilz n'ont vouloir,
qu'on les tue & detaille
Entre les bras de
leurs Femmes piteuses :
Qui les voyans fouyr
seront honteuses.
Et ce pendant nous
serons tout devoir
De soustenir, bien
que nostre povoir
Soit affoibly : Mais
il nous sera force,
Car le besoing nous
y contrainct & force.
Quant est à toy
O Hector, tu iras,
Si tu m'en crois,
dedans Troie, & diras
A
Hecuba nostre Mere benigne,
Qu'en assemblant la
troupe féminine
De la Cité, plus
chaste & honorable,
Elle s'en voise au
Temple venerable
De l’invincible &
prudente Minerve :
Et des habitz
qu'elle tient en reserue
Dans son Palais,
prenne le plus gentil,
De riche estoffe, &
ouvrage subtil,
Pour l'aller mectre
avec cueur simple & doulx,
Devotement sur les
divins Genoux
De la Deesse, & la
d'humble maniere :
Faire ses veux, &
dresser sa priere.
Luy promectant, pour
la rendre propice,
Par chascun an
solennel Sacrifice
De douze Beufz, ou
Toreaux non domptez,
A pareil jour en son
Temple portez.
Et qu'il luy plaise
en sa Tutele prendre
Femmes, Enfans, & ce
peuple deffendre :
En esloignant tant
qu'il sera possible
De la Cité, le Cruel
& Terrible
Diomedés. Lequel
est, ce me semble
Plus belliqueux, que
tous les Grecs ensemble.
Je n’ay point veu
noz Gens abandonner
Ainsi leurs Rencz,
ne tant fort s'estonner
Pour Achillés, qu'on
dict de Thetis Filz :
Comme à present je
les voy desconfictz,
Par la fureur de ce
Grec redoubtable,
Qui n'est à nul,
qu'à soy mesmes semblable.
Ainsi parla
Helenus le prudent :
Bien cognoissant le
peril evident
De tous les liens.
Hector condescendit
A son vouloir, dont
bien tost descendit
Du Chariot. Et
tenant deux beaulx Dards
Soubdain se mesle
entre ses fortz Souldards.
Puis comme Chef
Hardy, & Magnanime,
Encor ung coup, au
Combat les anime.
Et faist si bien
qu'a sa seule requeste,
Les bons Troiens
retournent faire Teste.
Adonc les Grecs,
furent contrainctz cesser
De les poursuyvre, &
la Place laisser.
Car les voyans si
tres audacieux,
Ilz eurent peur, que
quelque Dieu des cieulx
Fut descendu, pour
Secours leur donner,
En les faisant au
Combat retourner.
Surquoy, Hector
confermant leur couraige,
Leur dict ainsi, de
gracieux langaige.
O mes Amys, O
valeureux Troiens,
(Tant Estrangiers
Souldards, que Citoiens)
C'est maintenant,
qu'il se fault trouver hommes.
Souvienne vous du
danger ou nous sommes,
Je vous supplie : &
monstrez la Prouesse,
Dont tant souvent
vous m'avez faict promesse
Marchez avant avec
hardy visaige,
Jusques à tant que
je face ung voyage
Dans llion, pour
enhorter nos Femmes,
La bonne Royne, &
aultres vielles Dames,
D'aller prier les
Dieux, & leur promettre
Veux solennelz ; &
qu'ilz nous vueillent mettre.
Hors de danger. Le
prince de Noblesse,
Ces motz siniz,
soudainement les laisse :
Et s'en va droict,
en la Cité de Troie,
Portant l'Escu, dont
la noire Courroye
Qui l’environne,
ainsi qu'il s'en alloit,
De son Espaule aux
Talons devaloit.
Ce temps
pendant, se presenta Glaucus,
Illustre Filz du bon
Hippolochus,
Pour s'esprouver en
Combat singulier.
Contre lequel le
puissant Chevalier
Diomedés fort avant,
& se monstre
Prest aut combat.
Mais avant la rencontre,
Estant la prés le
Vaillant & Dispos
Diomedés, usa de ces
propoz :
O Champion, entre
tous les humains
Tres fort & Preux,
qui veulx venir aux mains
Aueques moy, dy
nous, s’il ne t'ennuye,
Quel est ton Nom.
j'ay bien fort grand envie
De le scavoir. Car
onc par cy devant
Je ne t'ay veu en
Guerre si avant :
Tu es hardy, & garny
d'Esperance,
Comme je voy : & qui
prens asseurance
De soustenir
l'Effort impetueux,
Du coup venant de
mon Bras vertueux.
Malheureux sont des
Peres ung grand nombre,
Dont les Enfans, par
dangereux encombre,
Ont hazardé en
Bataille m'attendre :
Leur ayant faict l'ame
aux Enfers descendre.
Mais te voyant à
present avancer
Si hardyment,
contrainct: suis de penser,
Qu'ung Dieu tu sois
de la hault descendu :
Ou ung mortel,
Folastre, & Esperdu.
S'il est ainsi que
tu sois quelque Dieu,
Des maintenant je te
quitte le lieu.
Je ne veulx pas
encourir le danger
De Licurgus : lequel
fut trop Léger
Encontre iceulx.
Dont il eut, pour la peine,
Vie dolente, & puis
la mort villaine.
Jadis advint, sur le
Mont de Nysa,
Que Licurgus les
Femmes advisa,
Qui sont service à
Bacchus en ses festes,
Portante les Ceps de
vigne sur leurs Testes :
Si les suyvit, &
leur feit tant de craincte,
Que sans mercy,
chascune fut contraincte
Laisser tumber la
Corone sacrée,
Dont le bon Dieu s'esjouyst,
& recrée.
Car le Meurtrier
durement les piquoit
D’ung Esguillon,
puis apres s'en moquoit.
Et qui pis est, il
fut si Temeraire,
Qu’il proposa le
Dieu mesmes desfaire :
Et luy donna tres
rudement la Chasse,
Faisant grand bruit,
& usant de Menace
Mais Bacchus lors à
grand course eschappa :
Et se garda que
point ne l'attrapa.
Se venant joindre à
Thetis mariniere,
Qui le receut
d'amiable maniere
Dedans la Mer, encor
tremblant de peur
De cheoir es mains
de ce cruel Gripeur.
De ce Forfaict, les
grans Dieux se fascherent
Trop durement, & le
venger tascherent :
Privans des yeulx
Licurgus quelque temps.
Finablement de cela
non contens,
Comme j'ay dist,
pour du tout le punir,
Feirent sa vie en
misere finir.
Or s’il te plaist,
presentement declaire,
Quel est ton Nom,
aussi qui fut ton Pere,
Sans me tromper : Et
si tu n'es divin,
Mais des humains qui
mangent Pain & Vin,
Approche toy, s’il
te prend quelque envie,
Icy laisser
soudainement ta vie.
Adonc Glaucus,
avec Grace & Audace,
Luy respondit. T'enquiers
tu de ma Race ?
Le Genre humain est
fragile, & Muable
Comme la Fueille, &
aussi peu durable.
Car tout ainsi qu'on
voit les Branches vertes,
Sur le Printemps, de
fueilles bien couvertes,
Qui par les ventz d'Autumne
& la Froidure,
Tumbent de l'Arbre,
& perdent leur verdure,
Puis derechef, la
Gelée passée,
Il en revient en la
place laissée :
Ne plus ne moins est
du lignaige humain :
Tel est huy vis, qui
sera mort demain.
S'il en meurt ung,
ung aultre vient à naistre :
Voila comment se
conserve leur estre.
Mais si tu as si
grande volunté
D'entendre au vray
mon Sang, &Parenté,
Je la diray :
combien qu'elle est cognue
Presque de tous, &
illustre tenue.
Au beau pays d'Arges
la renommée
Pour ses Pastiz, est
la Cité famée,
Dicte Ephyra : en
laquelle habiterent
Mes bons Parens, &
Sceptres y porterent.
Le premier fut
Sysiphus tres puissant
Filz d'Eolus, de
grandz biens joissant.
Qui engendra Glaucus
duquel nasquit
Bellerophon, qui
tant d'honeur acquit.
Auquel les Dieux par
Singularité
Feirent la Grace &
Libéralité,
(Oultre la Forme &
Beaulte indicible)
De le pourveoir
d'une force invincible.
En ce temps la,
en Grece dominoit
Ung Roy nommé
Proëtus, qui tenoit
Beau coup de biens :
Soubz le povoir duquel,
(Par le vouloir du
grand Dieu immortel)
Bellerophon fut
nourry en jeune cage,
Faisant honeur
tousjours à son Lignage.
Mais ce dict Roy,
par apres conspira
Encontre luy, & sa
mort procura :
Non de son gré. Ce
fut à la requeste
De son Espouse Andya
deshoneste.
Laquelle estant de
Luxure enflammée
Faire ne sceut
qu'elle peust estre aymée
Du jouvenceau : Bien
qu'elle le priast
Incessamment
pleurast & s'escriast.
Parquoy voyant ne
povoir proffiter
En son Ardeur, vint
à se despiter:
Tant que l'Amour
vehemente sortie,
Fut promptement en
Hayne convertie.
Si vint ung jour, à
son Mary plourant,
Avec maintien d'ung
corps quasi mourant,
Et dict ainsi ; Il
fault que te disposes
D'executer l'une de
ces deux choses :
Mourir toy mesme, ou
bien faire mourir
Bellerophon, qui a
voulu courir
Sur ton Honeur:
desirant se mesler
Avecques moy, Voire
& me violer,
Quand il a veu que
par doulce parole
N’accomplissois son
Entreprinse folle.
Ainsi parla la
meschante Trahystresse,
Sur quoy le Roy
plein d'ire, & de Tristesse
Fut tout esmeu : &
proposa sur l'heure
De se venger sans
plus longue demeure.
Mais pour autant
qu'il estoit Domestique,
Il advisa que ce
serait inique,
Le faire occire
ainsi en sa Maison ;
Et ay ma mieulx vser
de Trahyson.
Lors composa Lettres
pernicieuses,
Pleines de Dol,
faulses, malicieuses :
Qu'il adressa à
Rheon son beau Pere
Roy de Lycie, en luy
mandant l'affaire :
Et le priant, qu'il
feit par mort finir
Le Messager, sans le
laisser venir.
Quand Proëtus eust
escript, il envoie
Le jouvenceau,
lequel se meit en voye,
Guidé des Dieux, se
faict tant qu'il arrive
En la Lycie, au lieu
ou se derive
Xanthus le fleuve
arrousant la Province.
A l'arriver il fut
receu du Prince
Humainement, &
durant Neuf journées
Furent Banquetz, &
Festes ordonnées :
Pour l'honorer, &
mis sur les Autelz
Neuf Beufz d'eslite,
aux grandz Dieux Immortelz.
Sur le Dixiesme,
alors que l'aube claire
Monstra le jour, le
dict Roy delibere
Scavoir pourquoy
Bellerophon estoit
Vers luy venu, & si
Lettres portoit
De son beau Filz :
lequel luy presenta
Le faulx Paquet : Si
leut tout, & nota
La trahyson & Crime
pretendu.
Apres saignant
n'avoir rien entendu,
Deliberant
toutesfois de parfaire
Le Contenu, & le
Porteur desfaire :
Premierement il
voulut essayer
Au vray sa force, &
le feit employer
A mestre à mort la
Beste redoubtable,
Dicte Chimere ;
autant espoventable
Qu’il en fut onc :
Monstre que les grandz Dieux,
Pour se venger des
forfaictz odieux
Des faulx humains,
avoient mise en nature
De fort estrange &
hideuse figure.
Car le Devant de son
corps, & la Teste,
Estoit Lion : le
Mylieu de la beste
Sembloit à Chievre
& le Derriere estoit
Comme ung Dragon. En
oultre elle jectoit
Et vomissoit flammes
de feu terrible :
Au demeurant Cruele
le possible.
Bellerophon
toutesfois l'assaillit
Soubz le vouloir des
Dieux & ne faillit
A son Desseing : Car
apres grande peine,
Il l'estendit roide
morte en la plaine.
Cela parfaict,
encore il combatit
Les Solymois : &
mortz les abbatit.
Et m’a lon dit, qu
il faisoit grand estime,
D'avoir ainsi vaincu
la gent Solyme.
Oultre cela, le Roy
charge luy donne
De s’esprouver
contre mainte Amazone :
Mais il estoit
pourveu de si grant cueur,
Qu'il les occist, &
demoura vainqueur.
Finablement voulant
l’en despescher,
Secretement feit ung
nombre embuscher
De Lyciens, au pres
d'une Fontaine,
Pour l'assallir mais
l'emprise fut vaine.
Car pas ung seul de
ceste Trahyson
Ne retourna jamais
en la Maison
Tous les deffeit.
Dont le Roy esbahy,
Se repentist de
l'avoir tant trahy :
Et cognut bien, que
ceste grand victoire
Venoit des Dieux :
Ausquelz estoit notoire
Son Innocence. Adonc
changea propoz,
Et advisa pour son
Aise, & Repoz
Le retenir, & luy
faire Avantage :
En luy donnant sa
Fille en mariage
Et pour avoir de luy
ferme Amitié,
De son pays luy
donner la moictié.
Ce qui fut faict. La
pucelle gentille
Luy fut baillée, &
le Champ plus fertille
Pour habiter. De
ceste Dame belle,
Il eust deux Filz,
avec une Femelle.
Isander fut le
premier, le deuxieme
Hippolochus, plain
de vaillance extreme :
La belle Fille eust
nom Laödomie :
Que Juppiter voulust
avoir Amye.
Et enflammé de
l'Amoureux brandon,
Il l’engroissa du
divin Sarpedon.
Bellerophon n’arresta
pas long temps,
Qu'il irrita, &
rendit mal contens
Les Dieux haultains.
Dont devint solitaire,
Et commença à soy
mesme desplaire:
Errant tout seul,
ainsi qu’ung Phrenétique,
Parmy son Champ :
qu'on nomma Erratique,
Pour c'est effect :
Depuis par grief malheur,
Son filz Isandre,
homme de grand valeur,
En combatant, &
d'Estoc, & de Taille
Les Solymois fut
occis en bataille:
Par le Dieu Mars.
Laodomie aussi
Fut par Diane occise
sans mercy.
Et ne resta des
trois, qu'Hippolochus :
Qui m'engendra : &
me nomma Glaucus.
Si ma transmis en la
Troiene guerre
Avec beaucoup de
Souldards de sa Terre :
Me commandant d'emploier
mes Espris
A la Vertu,
acquerant Los & Pris
Entre les bons pour
ne degenerer
De mes parens :
qu'on à veu decorer
De renommée, en la
Cité d'Ephyre,
Et en Lycie. Or je
t’ay voulu dire
A ta priere, & mon
Nom, & ma Race :
Et ce qui m'a
conduit en ceste place.
Diomedés presta
long temps l'oreille
Au fort Glaucus.
Puis remply de merveille,
Et resjouy de ce
qu'il luy compta,
Son javelot droict
en terre planta.
Et d'ung parler
bening & amyable,
Luy dist ainsi
Chevalier venerable,
J’ay entendu
clairement par tes dictz
Qu'entre les tiens
les miens, fut jadis
Amitié grande, &
Hospitalité,
Qu'on doit garder en
la Posterité.
Oënëus mon grand
Pere logea
Bellerophon chez soy,
d'ou ne bougea
Durant vingt jours :
le traitant en effect:
Comme son Hoste, &
vray Amy parfaict
Puis advenant le
jour de son depart,
Par Amitié, chascun
feit de sa part
A
son amy ung Present honorable,
Pour tesmoigner
l'Alliance durable.
Oënëus bailla une
Ceincture
Bien estoffée, & de
riche Brodure :
Au Cabinet de ses
Harnois choisie,
Taincte en couleur
de Pourpre Cramoisie.
Bellerophon donna
ung Gobelet
D'or reluysant,
poly, & rondelet:
Que j'ay laisse en
ma maison, venant
En ceste Guerre ou
sommes maintenant.
Quant à mon Pere,
& au tien, je ne scay
S'il ont entr'eulx
d'Amitié faict l'essay.
Je le perdy, quand
j'estois en Enfance :
Lors qu'il alla avec
grande puissance
En la Cité de Thebes,
ou fina :
Et plusieurs Roys de
Grece qu'il mena.
Or quant à nous,
puis que l'amour insigne
A mis ainsi de bien
loing sa racine,
Je suis d'advis
qu'on la doit maintenir.
Dont s'il advient
qu'il te faille venir
Doresnavant au beau
pays de Grece,
Tu pourras prendre
en mon logis adresse :
Ton bon Amy, ton
Hoste je seray,
A tousjours mais. Et
quand je passeray
En ton pays, j'en
seray tout autant,
T'ayant pour Hoste,
& pour Amy constant.
Et pour avoir
souvenance parfaicte
De cest Accord, &
Alliance faicte,
Si l'on se trouve au
Combat par rencontre
Destournons nous ne
venons à l'encontre.
Assez avons d'ennemys
ce me semble,
Des deux costez,
sans batailler ensemble.
Et davantaige, asm
que l'assistance
Ait de cecy
parfaicte cognoissance,
Et qu'on ne trouve à
l'advenir estrange
Nostre amytié, il
convient faire ung Change :
Delivre moy s’il te
plaist ton armure,
Et tu auras la
mienne forte & dure.
Disant cela des
Chevaulx descendirent :
Et puis la main l'ung
à l'aultre tendirent.
Diomedés ses armes
despouilla,
Faictes d'Arain, &
icelles bailla
Au dict: Glaucus,
qui soubdain habandonne
Son bel Harnois d'or
fin, & le luy donne.
Juppiter lors osta
jiugement
Au Licien, faisant
ce changement :
Car son Harnois tant
sumptueux estoit
De grand valeur, &
qui en pris montoit
Jusque à cent Beufz.
Mais cil qu'il avoit pris,
Povoit valoit neuf
Beufz, de juste pris.
Le preux Hector,
ce pendant arriva
En la Cité, ou de
Femmes trouva
Ung tres grand
nombre à l’entrée des Portes
L'interrogans de
moult diverses sortes.
L'une vouloit
scavoir de son cher Pere,
Ou de son Filz : &
l'aultre de son Frere,
Ou du Mary. Pour
satisfaire ausquelles,
Il ne leur dict, sur
l'heure aultres nouvelles :
Leur remonstrant qu
elles devoient prier
Les Dieux haultains
immoler & crier,
Pour le salut de
toute la Cité.
Qui la estoit en
grand necessité.
Partant de la,
le Prince vertueux
Vient arriver au
Palais sumptueux
Du Roy Priam. Ce
grand Royal manoir,
Estoit basty tout de
beau Marbre noir :
Dedans lequel pour
ses Enfans loger,
Le Roy Priam avoit
voulu renger
Chambres Cinquante,
au mylieu disposées :
Ou ilz couchoient
avec leurs Espousées.
Puis vis à vis en
avoit faict bastir
Jusques à Douze,
afin de les partir
Aux grands Seigncurs,
qui ses Filles prenoient
En mariage, & prés
luy se tenoient.
Sur le droict
poinct qu'Hector le ans entra,
Sa vielle mere
Hecuba rencontra :
Qui s'en alloit pour
visiter sa Fille
Läodicés, de toutes
plus gentille.
Si l’arresta, & luy
tenant la main,
Luy dict ainsi, avec
visaige humain.
Pourquoy as tu ta
Gent ainsi laissée
Mon tres cher Filz,
est ce chose pressée ?
Je croy que ouy.
Certes les Grecs desfont
Tous les Troiens : &
croy que desja sont
Bien pres des murs.
Cela te faict haster,
Venant prier le
grand Dieu Juppiter,
Pour leur salut.
Mais mon cher Filz arreste
Encor ung peu : afin
que je t'appreste
Du Vin souef, ains
que Sacrifier:
Duquel boiras pour
te fortifier,
Et recréer ce Corps
deja fasché
Du long Travail ou
tu es empesché.
Car le Bon Vin a
tres grande vertu,
De renforcer l'homme
las, & batu.
N 'apporte point
du vin, & ne m'en donne
(Dict lors Hector)
de peur que ma personne
Ne s'affoiblisse : &
que par trop en boire
Il ne m'advienne à
perdre la memoire
De mon devoir. Puis
ce seroit mal faict,
Qu’ung Chevalier
polu, & tout infaict
De Sang humain, de
Sueur & Poulsiere,
Sans se laver, feit
aux Dieux sa priere.
Mais toy ma Mere,
assemble les Troienes
Dames d’estat, &
aultres Cytoienes.
Puis la premiere (en
leur monstrant exemple)
Va supplier à
Minerve, en son Temple.
Et pour la rendre
envers toy favorable,
Presente luy l'habit
plus honorable
De tous les tiens,
le mectant humblement
A ses Genoux, & la
devotement
Fay luy priere, &
luy dresse tes Veux :
Luy promettant
chascun an, douze Beufz
Gras, non domptez ;
& qu'elle preigne en garde
Ce pouvre peuple, &
que la Cité garde :
En esloignant de tes
Murailles sacres,
Diomedés, qui faict
tant de Massacres
De noz subjectz. Or
quant à moy, j'yray
Trouver Paris mon
Frere, & luy diray
Qu’il voise au Camp
: Ne scay s’il le vouldra,
Ne quel propoz, ou
Mine me tiendra.
Que pleust aux
Dieux, que la Terre s’ouvrist
Dessoubz ses piedz;
l'engloutist, & couvrist.
Certainement les
Dieux l'ont mis au monde,
Pour la Ruine, ou
tristesse profonde
Du Roy Priam, & de
tous ses Enfans,
Qui sans luy seul
seroient trop triumphans.
O que j'aurois
maintenant de plaisir,
Si j'entendois que
mort le vint saisir.
Je dirois bien ma
dolente Pensée,
Vuyde du mal qui la
tient oppressée
Apres ces motz le
noble Prince part,
Et Hecuba s’en va de
l'autre part
Droict au logis &
commande à ses Femmes
D'aller prier toutes
les nobles Dames
Pour s'en venir. Ce
faict, Tres esplourée
Entre dedans sa
Chambre bien parée,
Et bien sentant :
puis en ses Garde robes,
Ou elle avoit ung
grand nombre de Robes
De riche estoffe, à
Figures exquises,
Que son beau Filz
Paris avoit conquises
Dedans Sidon.
lesquelles il donna
A Hecuba, deslors
qu'il admena
La belle Grecque.
Entre toutes la Dame
En choisist une
odorant comme Basme,
La mieulx tissue, &
de Couleur duysante,
Du plus beau lustre,
& autant reluysante
Comme une Estoille :
Aussi la tenoit elle
Au fond du Coffre,
ainsi que la plus belle.
Et puis s’en va de
cueur devotieux,
Avec grant Troupe,
au Temple spacieux
De la Deesse : assis
droit au mylieu.
Du grand Palais.
Venues en ce lieu,
Par Theano la Femme
d'Antenor
Furent ouvertz les
huys faictz de fin or :
Car elle avoit des
Troiens charge expresse
De ce beau Temple, &
en estoit Prestressee.
Estans illec, les
Dames arrivées
A piteux criz, & les
Mains eslevées,
Feirent leurs veux
Et Theano la digne
Meit doulcement la
Robe tant insigne
Sur les Genoux de
Pallas, puis commence
Prier ainsi. O
divine clemence,
Chaste Minerve, O
seure Gardiene,
De ce Chasteau, & de
la gent Troiene,
Je te supply exaulce
l'Oraison,
Que l'on te faict :
icy en ta Maison.
Pour donner fin à
noz Pleurs, & Regretz,
Nous te prions, que
le plus fort des Grecs
Diomedés, devant la
porte Scée
Soit abbatu, & sa
Lance froissée.
Et cela faict : nous
sacrifierons
Sur ton Autel douze
Beufz, & serons
Par chascun an, ung
service semblable :
Si tu nous es au
besoing secourable.
Ainsi prioit Mais
l'oraison dressée
Ne fut en rien de
Pallas exaulcée.
Pendant cecy,
Hector d'aultre costé
S'estoit desja au
Logis transporté
Du beau Paris : qui
fut ung Edifice
Tres excellent, & de
grand Artifice.
Lequel, Troiens
Architectes exquis
Avoient basty comme
il estoit requis :
Garny de Court,
Chambres, Cuysine, Salle :
Joignant au pres la
Maison principale
Du Roy Priam. Ce
Prince vertueux
Vint droit à l'huys
du Logis sumptueux,
Tenant en main une
Lance Acérée
Longue dix piedz à
la poinste dorée.
Et veid dedans
Alexandre son Frere,
Embesoigné à ung
honeste affaire.
Il fourbissoit son
Escu, son Armure,
Et de ses Arcs luy
mesme ostoit l'ordure.
Aupres du quel avec
ses Chambrieres
Sëoit Heleine ; &
pour les rendre ouvrieres,
Elle employoit son
Esprit & Couraige,
A leur monstrer
quelque subtil ouvraige.
Adonc Hector, le
voyant de la Porte,
(Tres courrousssé) parla de ceste forte.
O malheureux, qui est ce qui te tient
Oysis icy ? Quelle
Ire te retient
En ta maison, Saichant par ton moyen,
Perir ainsi tout le peuple Troien,
Et la Cité, peu s'en fault estre prise,
Qui a pour toy ceste Guerre entreprise ?
Certainement tu prendrois bien l'Audace,
Voyant quelqu'ung habandonner la Place,
De l'accuser. Toutesfois tu te caches
Presentement comme
le Chef des Lasches.
Va promptement va
faire ton devoir:
Si tu ne veulx (sans
guere tarder) voir
Ceste Cité surprise,
& desolée :
Et par le feu
Grégeois soudain bruslée.
Le beau Paris, en
se voyant tencer
Si rudement,
respondit sans penser.
O frere Hector puis
que l'intention
De ton courroux
vient d'une affection
Bonne & honeste, il
te plaira m'entendre,
Et mon excuse entres
bonne part prendre.
Ce n'est Courroux,
Offence, ne Rancune
Qui me detient : je
n'en ay point aucune
Contre les miens. Ce
n'est que mon malheur,
Et pour cuyder
appaiser ma douleur
Avec le temps : Or
la gentille Heleine
Que tu voys la,
estoit ores en peine
De m'enhorter, avec
ses doulx Propoz
Les Armes prendre, &
laissser le Repos.
Ce que vueil faire :
Et me dit bien le cueur,
Que je seray au
jourdhuy le vainqueur.
Car la victoire est
de telle maniere,
Qu'elle se monstre
aux hommes journaliere.
Parquoy attens,
jusque à ce que je soye
Armé du tout, Ou si
veulx, prens la voye,
Je te fuyuray : &
sans estre trop loing,
Tu me verras prés de
toy, au besoing.
De sa responce
Hector le Magnanime
Ne feit semblant
d'en faire aulcune estime.
Sur quoy Heteine au
pres de luy s'avance
Tres humblement, en
doulce contenance,
Et puis luy dict. O
beau Frere honorable,
(S'il est permjs
femme miserable
Telle que moy, qui
ne suis qu’une Chienne,
Que ce beau nom de
ta Seur je retienne)
Or eust voulu
Juppiter, la journée
Que l'on me veit en
ce vil monde née,
Qu’ung Torbillon de
vent impétueux,
M'eust transportée
en ung lieu montueux,
Ou dans la Mer pour
ma vie finir,
Sans me laisser à ce
malheur venir.
Mais puis que c'est
par le consentement
Des Dieux haultains,
que je soye Instrument
De tant de maulx, Au
moins devoys je avoir
Meilleur Mary, & qui
sceust mieulx pourveoir
A son affaire :
Homme qui entendit
Quand on l'accuse ou
quand on le mauldit.
Mais cestuy cy n'a
sens ne Cognoissance
De ce qui peult luy
apporter Nuysance.
Et cognois bien qu'a
male fin viendra
Doresnavant, ce
qu'il entreprendra.
Or maintenant mon
Frere noble, & cher,
Je te supply
d'entrer & t'approcher
En cette Chaire,
Helas poure dolente,
Je voy & sens la
peine violente,
Que tu soubsliens
pour ces deux meschans corps.
Ausquelz les Dieux
(de noz forfaictz records)
Ont reservé tres
malheureuse yssue,
Qui en tous lieux
sera chantée, & sceue.
Au doulx parler
d'Heleine respondit
Le preux Hecton Tout
ce que tu m'as dict,
(Bien qu'il ne peult
que d'amour proceder)
Ne me pourroit ores
persuader
Aulcun Sejour, j'ay
bien chose en ma Teste
Qui me deffend que
point je ne m'arreste :
Mais que je voise au
Camp, pour le Confort
Des bons Troiens,
qui me desirent fort.
Et quant à toy Dame,
je te conseille
Soliciter cestuy
qu'il s'appareille
Pour me fuyuir. Il
sera sagement,
Si de luy mesme il
vient diligemment
Avecques moy :ou
meprcnt au sortir.
Car j'ay desir,
avant que de partir,
De visiter ma
maison, ma Famille,
Mon tres cher Filz,
& ma Femme gentille,
Je ne scay pas s’il
sera le plaisir
Des Dieux haultains,
me donner le loysir
De les reveoir à
l'aise quelque aultre heure :
Ou s'ilz vouldront
qu'a ce jourdhuy je meure.
Disant ces motz,
il adresse ses pas
Vers son Logis :
mais il n'y trouva pas
Andromacha la
Princesse honorée.
Elle s’estoit en la
Tour retirée
Et Ton Enfans
n'ayant aueques elle
Qu’une Nourrisse ou
simple Damoiselle :
Et la pensoi taux
Combatz & Allarmes
De son Espoux,
respandant maintes larmes.
Adonc Hector aux
Servantes s’adresse
En leur disant. Ou
est vostre Maistresse ?
Est elle point allée
visiter
Ses belles Seurs, ou
pour s'exerciter,
Et oublier ses
douloureuses peines,
Allée voir mes
bonnes Seurs germaines ?
Ou dictes moy, si
estant advertie
Des veux qu'on
faict, elle seroit partie,
Avec ma Mere, & sa
devote Bande
Pour à Pallas
presenter son Offrande ?
Puis qu’il te
Plaist la verité scavoir
(Respondit l'une)
elle n'est allé voir
Ses belles Seurs, Ne
tenir compaignie
A Hecuba :Las la
Dame Ternye,
(De toy Hector ung
peu trop curieuse)
Portant maintien de
Femme furieuse,
S'en est courue,
aveques son doulx Filz,
Droict en la Tour,
croiant que desconsitz
Soient les Troiens :
& qu'en ceste journée,
Ta vie soit du tout
exterminée.
Oyant ces motz,
Hector plus ne sejourne,
Mais en tenant mesme
chemin retourne,
En traversant les
Rues, & Ruelles
De la Cité bien
Amples, & tres belles,
Pour s'en venir à la
Porte nommée,
Porte Scéa droict:
ou estoit l'Armée.
Lors d'avanture,
Andromacha venoit
Par mesme Rue, & son
Enfant tenoit
Entre ses Bras, son
cher Filz premier né.
Auquel Hector avoit
Nom donné
Scamandrius : mais
Troiens le nommoient
Astyanax, pour ce
qu'ilz l'affermoient
Estre engendré de
cil qui les gardoit :
A quoy le nom
proprement s'accordoit.
Joyeux fut lors,
plus qu'on ne scauroit dire,
Le preux Hector, &
se meit à soubzrire :
Voyant l'Enfant,
aussi beau, & plaisant
Comme une Estoille
au clair Ciel reluysant.
Mais'son Espouse
avec grand abondance
De pleurs &
plainctz, au prés de luy s’avance
Tres humblement, &
luy serrant la main,
Dict lors ainsi.
Cruel & inhumain
Envers les tiens,
l'Audacieux courage
Te destruira en la
fleur de ton eage.
Que veulx tu faire :
auras tu point pitié
De cest Enfant, & de
mon Amytié ?
Penses tu point à la
fin douloureuse,
Que sousffrira la
poure malheureuse
Demeurant Veusue au
jourdhuy, si tu sors
Hors la Cité
secourir tes Confortz ?
Il est certain que
tous les Grecs conspirent
Encontre toy, & rien
plus ne desirent,
Que te meurtrir Mais
ains qu’il soit ainsi,
Ouvre toy Terre, &
sans nulle mercy,
Devore moy. Quel
plaisir, quel soulas,
Pourray je avoir si
je te pers ? Helas
Est il Amour, ou
Pitié conjugale,
Qu'on puisse dire à
ceste mienne esgale ?
Prendray je en gré
ung jour la compaignie
D'aultre Mary ? Non
certes, je le nye :
Jamais Plaisir ne me
scauroit venir
Qui me privast de
ton doulx souvenir.
Iray je donc pour
consolation
Chez mes parens ? O
griesve passion:
Ilz sont tous mortz.
Le divin Achillés
Apres qu'il eust
Buttinez & Pillez
Leurs grands
tresors, & la ville rasée
Dicte Thebé de
toutes gens prisée,
Cruellement souilla
ses fortes mains
Au sang du Pere, &
des Freres germains :
Lesquelz estoient
fors & vaillans Gensdarmes.
Pas ne voulut
despouiller de ses armes
Le Roy mon Père : il
le feit mectre en Cendre
Entierement, sans
les armes luy prendre :
Car ilz craignoit
les grandz Dieux courrousser.
Et si luy feit ung
Sepulchre dresser,
Au tour duquel
Nymphes Orestiades
Prenant plaisir
soubz les vertes Fueillades,
Ont faict planter
d'Ormeaulx ung tres grand nombre,
Pour y coucher plus
doulcement à l'vmbre.
Le Pere occis, il
tua de son Arc
Les sept Enfans, qui
lors gardoient le Parc
En Cilicie : & la
Royne ma Mere,
Pleine d'angoisse &
de tristesse amere,
Fut retenue, &
faicte prisonniere :
Laquelle apres sceut
trouver la maniere
De se ravoir, en
payant grand Rancon.
Mais depuis peu par
estrange facon,
Estant Diane
encontre elle irritée,
L'a de son Arc à
mort précipitée.
Vela comment (O cher
Hector) demeure
Andromacha : Tu luy
sers pour ceste heure
De Pere, Mere, & de
Frere, & d'Espoux :
Ton noble corps
tient la place de tous
En mon endroist.
Parquoy le t’admonneste
De m'ostroier une
seule Requeste.
Ayes pitié de cest
Enfant bening
Qui par ta mort de
mourroit Orphenin
Et te souvienne
aussi de la Chestive,
Qui ne pourroit
demeurer Veusve & Vive.
Arreste toy icy en
ceste Tour,
Pour la garder : &
assemble à l'entour
De ce figuier, ou la
muraille est basse,
Quelzques Souldards,
pour deffendre la Place.
Car on a veu deja
par quatre fois,
Les deux Ajax, &
mainctz aultres Grégeois,
Idomenée, avec le
Preux & fort
Diomedés faire tous
leur esfort
Pour y monter, &
croy quilz ont l'adresse
De quelque Augure,
ou c'est grand hardiesse.
Ce que tu dis (O
tres doulce Compaigne,
Dict lors Hector ;
muet & jour m’acompaigne.
Long temps-ya que
mon esprit travaille
De mesme Soing, sans trouver rien qui vaille.
Je crains la Honte à jamais reprochable
Que me seroit ce Peuple miserable
Me cognoissant de la Guerre esloigner,
Ou l'on m’a veu st tres bien besoigner.
Et puis le Cueur par son honesteté
Ne se veult faire
aultre qu'il à esté :
Ains me prouoque aux
Armes, pour la Gloire,
Dont il sera en tous Siecles memoire.
Je scay tres bien
qu'ung jour le temps viendra,
Que le Gregeois
ceste Ville prendra:
Et que Priam, mes
Cousins, mes Parens,
Freres germains, &
aultres Adherens,
Seront occis. Mais
mon affection
Ne peult avoir tant
de compassion
De Pere, Mere, &
Freres, & Amys,
(Estans ainsi à
villaine mort mis)
Que j'ay de toy.
C'est ce qui plus m'aggrave.
Mesmes penfant que
tu seras Esclave
De quelque Grec, qui
t'en amenera
En son pays, & te
condamnera
D'ourdir la toille &
filer sans sejour :
Puis au matin, & au
plus hault du jour
Aller quérir de
l'eau en la fontaine :
Qui te sera
insupportable peine:
Mais le besoing
alors t'y contraindra.
Et de cecy bien
souvent adviendra,
Que les Passans
diront : Voila la Femme
Du Preux Hector :
qui acquist Los & Fame
Entre les siens,
quand les Grecs assiegerent
Troie la Grand, &
puis la saccagerent
Quelle douleur
pourras tu lors avoir,
Oyant ainsi mon Nom
ramentevoir,
Et te voyant de moy
destituée,
Pour en Servaige
estre constituée ?
Certes tres grand.
Mais avant que ceste oeuvre
Puisse advenir, je
veulx que Terre coeuvre
Ce triste corps : &
que la Mort me prive
D'ouyr les plainstz
de ma Femme captive.
Disant ces motz,
le Prince de valeur
Dissimulant sa
Tristesse & Douleur,
Tendit les mains,
pour avoir en ses Bras
Son petit Filz,
Popin, Doillet, & Gras,
Lequel voyant
l'Armet & le Pannage
Horrible & fier
soubdain tourne visaige
Pleure, s'escrie, &
sa Nourrice appelle,
Baissant le Chef sur
sa ronde Mammelle
Adonc le Pere & la
Mere benigne
Rirent entre eulx,
de la petite Mine
De leur Enfant. Sur
quoy Hector laissa
Son grand Heaulme en
terre & s'avanca
Prenant son Filz. Si
l'accolle & le baise
Humainement, tout
rauy de grand aise :
Et le tenant
doulcement en ses mains,
Prioyt ainsi : O
grandz Dieux souverains,
Octroiez moy ung
jour que cest Enfant
Entre les siens soit
Preux & Triumphant
Comme je suis & luy
faictes l'honeur
D'estre aprés moy
des Troiens Gouverneur
Tant que l’on die
(en le voyant prospere)
Certes le Filz a
surpassé le Pere.
Et s’il advient que
sa main rude & forte
Soit Vainqueresse, &
les Despouilles porte
Des Ennemyz, que sa
Mere le voye,
Pour luy remplir
l'entendement de joye.
Apres ces motz,
il livre promptement
Son Enfancon, qui
fut subitement
Prins de la Mere et
le prenant ainsi,
Il la vit & :
l'armoyer aussy :
Dont eut pitié,
pour la consoler,
D'elle s'approche, &
la vint Accoller,
En luy disant : O ma
Çompaigne aymable:
Laisse ce dueil, &
facon lamentable :
Ne te soucye ainsi
de mon Trespas :
Mourir convient, tu
ne l'ignores pas.
Et n'est humain, qui
se puisse venter,
De se povoir de la Mort exempter.
Car des le jour de la Natavité
Sommes subjectz à la Mortalité.
Quant est de moy,
bien cher l'acheptera,
Qui de ce corps la Vie m'ostera.
Car ne peult estre
aucunement finée,
Jusques au temps mis
à ma Destinée.
Donc je te prie (O
Espousce chere)
Doresnavant faire
joyeuse chere,
Sans te douloi r: va
ten à ton Mesnage,
Et la t'exerce à
tixtre quelque ouvrage,
Ou à filler avec tes
Chambrieres,
Leur commandant
d'estre bonnes Ouvrieres
Au demourant les
Hommes auront soing
De la Bataille : &
seront au besoing
Ce qu'il convient
Moy mesme le premier
M'y trouveray : car
j'en suis coustumier.
Disant cecy, il
reprend son Armet
Estant à terre, &
sur son Chef le mect.
Andromacha retourne
en sa maison:
Jectant souspirs &
larmes à foison.
Tout aussy tost
qu'en l'Hostel arriva,
Grand quantité de
Servantes trouva
Qui la voyans
dolente & Esplorée,
(Jectans grandz
Criz, à voix desmesurée)
Plouroient Hector,
disan t: Il en est faict,
Plus ne verrons le
Chevalier parfaict
Car il mourra au
jourdhuy par les mains
De ces Grégeois
cruelz, & inhumains.
D'aultre costé
Paris point n'arresta,
Mais promptement s'arma & l'appresta
Et de courir apres
Hector ne cesse,
Se confiant de sa
Force & Vitesse.
Car tout ainsi qu’on
voit en beau plein jour,
Aulcunesfois ung
Cheval de sejour,
Lequel aprés avoir
faict la rompture
De son Licol, son
Estable, ou Closture,
Gaigne les Champs,
faisant mille Alguerades,
Haulse la Teste, &
jeste des Ruades :
Puis s'en va droict
au beau Ruysseau, ou Fleuve
Pour se laver, &
d'avanture treuve
Quelques Jumentz
dessus le verd Rivage,
Ou il sesgaye, &
appaise sa Rage.
Tel se monstra Paris
beau & puissant,
Par la Cité courant
& bondissant :
Duquel l'Armure &
Boucler nom pareil
Resplendisloit comme
le clair Souleil.
Si vint au poinct :
qu'Hector vouloir sortir,
Ayant ia faict :
Andromacha partir.
Adonc luy dict : O
mon bon Frere Aisné,
J’ay tres grand tort
d'avoir tant sejourné,
N'estant venu si
tres soubdainement,
Que j'en avoys de
toy commandement.
Cest tout à
temps, respond le fort Troien :
Et n’est aulcun qui
sceust trouver moyen
Tant preux soit il,
de te povoir reprendre,
Quand tu vouldras
faictz d'Armes entreprendre.
Tu es Leger, & Fort
à l'avantaige :
Mais trop souvent
plein de lasche Courage,
Et qui ne veulx d'ung
seul pas t'avancer,
Ne ton Plaisir &
Volupté laisser.
Cela me fasche, &
mesmes quand j'entens
Souventesfois les
Troiens (mal contens
D'avoir souffert
travaulx intolerables)
Tenir de toy propos
vituperables.
Or allons donc noz
forces exposer
Contre les Grecs.
Nous pourrons appaiser
Tous ces propotz
s'il est ung jour permis
Ayans chasse d'icy
noz Ennemys,
Qu'on puisse mectre
au dessus des Autelz,
Condigne Offrande
aux grands Dieux immortelz.