Livre V
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Allas voulant sur tous faire apparoistre

Diomedés, & sa louange accroistre

Entre les Grecs par quelque bel ouvrage :

Divinement luy meit plus grand courage

Dedans l’esprit : plus de Force & Roydeur

En sa persone, & plus claire Splendeur

Dessus l'Armet, & en l’Escu pesant.

Car son Harnoys sut aussy reluysant

Comme l'estoille Autonnale eslevée

La hault au Ciel, lors qu'en Mer est lavée.

Et le mena la puissante Déesse

Tout à beau pied, au plus fort de la presse.

 

     Or en ce temps, entre les Citoyens

Du Roy Priam, L'ung des riches Troiens

Estoit Darés le Prestre, qui servoit

Au Dieu Vulcan : & deux enfans avoit:

L'ung Phegëus, le second dict Idée,

Dont la vaillance estoit recommandée

Au Camp Troien sur tous aultres gendarmes.

Ces deux voyans ainsi luyre les armes

Du fort Gregeois, ne voulurent faillir

Du Chariot rudement l'assaillir.

Si le vont joindre, & Phegëus s'avance

A luy jecter ung rude coup de Lance :

Qui ne feit rien : car la poincte glissa

Dessus l’Espaulle, & point ne le blessa.

Diomedés ne rua pas en vain

Le Dard mortel, il en frappa soubdain

Son ennemy droict parmy la Mamelle :

Dont il receut mort subite & cruelle :

Et trebuscha du Chariot en terre.

 

    Le Frere occis, Ideus à grand erre

Laissa le Char, sans faire resistence

Aulcunement. Et certes sa defence

Ne l'eust gardé, qu’il ne fust mort en place.

Mais Vulcanus par sa divine grace

Le preserva, le couvrant d'une Nue

Ayant pitié de la desconvenue

Du bon Darés, Lequel en grand tristesse

(Privé d'Enfans) eut finy sa Vieillesse.

Voyant ainsi ceste honteuse fuyte,

Diomedés n'en feit aultre poursuyte :

Tant seulement les beaux Chevaulx donna

A ung des siens, qui aux Nefz les mena.

 

    Quand les Troiens ces Freres apperceurent,

L'ung Desconsit, l'aultre mort, ilz conceurent

En leurs espritz une peur merveilleuse :

Ingeans pour eulx la Guerre perilleuse.

Sur quoy Pallas du Dieu Mars s’approcha :

Et en la main doulcement le toucha,

Disant ainsi. O Mars sanguinolent,

Mars Furieux, Terrible, & Violent,

Qui demolis ainsi que bon te semble

Villes, Chasteaux, & les hommes ensemble

Est il conclud, que toy & moy serons

Tousjours bandez, & que ne laisserons

Grecs & Troiens ensemble batailler,

Sans plus avant contendre, & travailler

Pour leur debat : afin qu'il soit notoire

Ou Juppiter donnera la victoire ?

Quant est à moy, je Conseille & advise,

Qu'il est meilleur laisser ceste entreprise.

Allons nous en, & gardons d'irriter

Encontre nous L'ire de Juppiter.

 

    Disant ces motz  la prudente Déesse

Le tira hors, peu à peu de la presse :      

Et le mena reposer au Rivage

De Scamander, soubz ung plaisant vmbrage.

 

   Apres cecy l'Ost Troien perdit cueur:

Et s'enfuyoit, dont le Gregeois vainqueur

Les poursuyuoit. Et lors les Capitaines

Monstrerent bien leur provesses haultaines.

 

    Agamemnon principal chef de Guerre,

Meit ung grand Duc des Alizons par terre

Dict Odius, luy donnant en l'Eschine

Si rude coup, que parmy la Poitrine

Passa le Dard : dont il luy feit lascher

Son Chariot, & en bas tresbuscher.

Et ouyt lon clerement le murmure

Du corps tremblant, & de sa riche Armure.

 

    Idomenée occist aussy Phestus

Filz de Meon, excellent en vertus.

Ce dist Phestus persone tres gentile,

Avoit laissé sa Province fertile

Dicte Tarné, pour honeur acquérir,

Mais contrainct : fut subitement mourir,

Car le Cretois luy vint donner tout droict

Du javelot dedans le costé droict.

Si cheut en bas, de tenebres surpris

De noyre mort, duquel le corps fut pris

Par les Souldards, & soubdain despoillé:

Et puis laisse tres sanglant & soillé.

 

    Menelaus monstra bien sa vaillance

D'aultre costé, car de sa rude Lance

Il meit à mort Camandre le Veneur:

Auquel Diane avoit faict tant d'honeur

De luy bailler l'industrie & courage,

Pour assaillir mainte Beste saulvage.

Mais la Déesse & son bel exercice,

D'Arc & Carquois luy fut lors mal propice

Car en fuyant blessé sut par derriere:

Dont il tumba tout mort en la poulsiere.

 

   Merionés tua le Charpentier

Dict Phereclus, si duict en son mestier,

Qu'il n'est ouvrage excellent ou subtil,

Qu'il ne taillast avecques son oustil:

Tant il estoit de Minerve la Saige

Favorizé, par divin avantage.

C'estoit celuy qui à Paris Troien

Dressa les Nefz, instrument, & moyen

De tant de maulx : & qui à sa Cité

Forgea malheur, & dure adversité :

A soy aussy pour n'avoir entendu

Le vueil des dieux, qui lavoyent defendu

Or mourut il sans en avoir revanche

D'ung coup de Dard,  rcecu dedans la Hanche

Qui luy passa tout oultre en la Vessie,

Dont il sentit soubdain l'Ame transsie:

Et cheut en bas sur ses Genoux, pleurant

Amerement quand il se veit mourant.

 

    Megés aussy vaillamment combatif:

Car Phegeus à la mort abbatit.

Ce Phegeus estoit preux & gaillard,

Et Filz bastard d'Antenor le Vieillard,

Lequel jadis Theano belle Mere

Avoit nourry, pour complaire à son Pere,

Trescherement, & en si grand estime,

Comme ung des liens Aisné & légitime.

La receut mort, par douloureux meschef,

D'ung coup de Dard, qui entra dans son Chef

Jusques aux dentz, dont cheut emmy la Plaine:

La Bouche ayant de Fer & de Sang pleine.

 

    Bien pres du corps du Bastard d'Antenor,

Qui estoit Prestre, & servoit au sainct Temple

De Scamander lequel pour son exemple

Et bonnes meurs, se faisoit honorer.

Si fust contrainct sur le Champ demeurer :

Car il receut ung si grand coup d'Espée,

Qu’il eut la main dextre tout net coupée.   

Dont noire mort subitement le prit,

Et l'aveugla luy ravissant l’Esprit.

 

    Durant le temps que ces Roys batailloient,

Et les Troiens la rompuz detailloient :

A peine eust l’on Diomedés cognu,

Ne pour Gregeois, ou pour Troien tenu.

Parmy le Camp paissoit sans arrester,

Ne trouvant rien qui luy peust resister.          

Car  ainsi que parmy la Campaigne,

Ung Fleuve grand tumbant de la montaigne,

Dissipe tout : & ne trouve Closture,

Levée, ou Pont, qu'il n'en face rompture,

En estendant son cours impetueux

Sur Vignes, Prez, & Jardins fructueux :

Sont bien souvent les Champs gras & fertiles,

Sont pleins de Sable, & renduz inutiles.

Semblamement la vaillance & audace

De ce Gregeois, se faisoit faire place,

Rompant Troiens sans trouver resistence,     

Ne Bataillon qui se meist en defence.     

  

    Lors Pandarus voyant ainsi chassée

La gent Troiene & : toute dispersée,

Benda son Arc, proposant embrocher

Diomedés, & tout mort le coucher.

Si luy jecta ung de ses traictz de passe,

Qui luy faulsa le bort de la Cuyrasse

Dessus l'espaule, & dans la chair entra

Assez profond, comme le sang monstra

Qui en sortit bien tost abondamment.

Sur quoy l'Archer commença bravement

A s’escrier. O Troiens valeureux,

Venez cy veoir le coup adventureux

De ma Sagette : Approchez vous amys,

Et prenez cueur ung des grans ennemys

Est la blessé : & croy qu'il ne pourra

Guere durer, mais bien tost se mourra

S'il est ainsi qu’Apollo ne me frustre

De mon desir, & ma victoire illustre.

 

    Ainsi disoit Pandarus glorieux

Penfant avoir este victorieux   

Du valllant Grec : lequel sentant la playe,

Soubdain recule, & de rien ne s'esmaye:

Mais son amy Sthenelus feit descendre

Du Chariot, luy priant vouloir prendre

Tout doulcement le traict, & le tirer

Ains que le mal peust croistre & empirer.

Ce qui fut faict, Si descend &c luy jecte

Le mieulx qu'il peult la piquante Sagette:

Et la tirant fut la Boucle dorée

De son harnois, de noir sang coulourée.

 

    Diomedés se trouvant allegé

Ung peu du mal qui l'avoit affligé,

A  haulte voix dressant au ciel la teste,

Feit à Pallas sa devote requeste :

Disant ainsi. O Deesse indomptable,

Fille au grand Dieu Juppiter redoubtable,

Entens à moy. Octroye la demande,

Que de bon cueur ton servant te demande.

S'il est ainsi qu'à Tidëus mon Pere,

Et à son Filz, tu as este prospere

Souventesfois aux belliques effortz,

Contre ennemys dommageables & sortz:

Je te supply me vouloir secourir

A ceste fois que je face mourir

Ce grand venteur, qui tant se glorifie

M'avoir blessé, & qui defia se fie

(Appercevant couler mon sang vermeil)

Que jamais plus ne verray le Souleil.

 

     Ceste oraison par le Grec prononcée,

Fut de Minerve ouye & exaulcée:

Si vint à luy, & soubdain le renforce,

En luy donant aux membres double force.

Apres luy dict. Va maintenant combatre

Plus hardiment, & ne te fains d'abbatre

Tes ennemys : Car la vaillance extreme

De ton feu Pere, est ores en toy mesme.

Oultre cela je t'ay osté la Nue

Devant tes yeulx si longuement tenue :

A celle fin que tu cognoisses mieulx

En bataillant les Hommes & les Dieux.

Mais garde toy si nul Dieu se presente

Encontre toy, que ta main ne consente

De l’oultrager Si ce n'est que la belle

Venus y vint : lors monstre toy rebelle,

Faisant sentir, si tu peux la rudesse

De ton fort bras à la molle Deesse.

 

    Disant ces motz, Minerve le laissa

Tout courageux: Adonc il s'avanca

Vers les Troiens, en se jectant sur eulx.

Et bien qu'il fust Rude & adventureux,

Et prompt en guerre, avant qu’estre blessé,

Il se trouva pour l'heure renforcé

De plus d’ung tiers : desirant se venger,

Comme ung Lion, que le simple Berger

Aura blessé d'une Sagette ou Darde

Dedans le parc, pour faire bonne garde

De son troupeau : dont la beste irritée

Du coup receu sera plus despitée :

Et le Berger craintif s'estonnera,

Parc & brebis lors habandonnera

Du tout au vueil de ce Lion sauvage,

Qui luy sera ung merveilleux dommage :

Et sortira du Parc comme vainqueur :

De mesme sorte, & d'aussi royal cueur,

Le sort Gregeois aux Troiens se mesla

Tremblantz de peur esgarez ça & la.

 

    Astynous, & Hypenor grandz Ducz,

Surent adonc par luy mortz estenduz :

L'ung de sa lance à travers la Mammelle,

L'aultre du coup de sa large Allumelle,

Qu'il luy donna, ou l'Espaule est conjoincte

Avec le col, sans poinct faillir la joincte:

Si rudement que son Espaule ostée

D'avec le Corps fut en terre portée.

 

    Apres cela il meit à mort Abante,

Et Polydus enfans d'Eurydamante

Le Devineur, qui scavoit sans mensonges

Interpréter propheties, & songes.

Mais du vieillard ne fut pas devinée,

De ses enfans la dure Destinée.

 

    Encor par luy furent mortz abbatuz,

En mesme reng Thoon, avec Xanthus

Uniques Filz de Phenops personnage

Tres opulent : Mais qui par son vieil eage

Estoit privé d'aultres enfans avoir.

Or luy convint ses grandz biens & Avoir

Laisser aillieurs, Chosequi est en somme

Dure à porter à ung Pere vieil homme.

 

    Diomedés passant oultre rencontre

Un chariot luy venant à l'encontre estoient

Preux & vaillantz, lesquelz bien combatoient;

Dictz Echemon & Chromyus, qui furent

Occiz par luy, & bas en terre cheurent.

Car tout ainsi que le Lion superbe

Tres affamé vient trouver dessus l'herbe,

Quelle troupeau de Beufz, desquelz s'efforce

En tirer ung hors de la troupe à force,

Et luy mectant sa griffe dure & forte

Dessus le Col, il le trayne ou l'emporte.

Ne plus ne moins le Gregeois hazardeux,

Vint à les joindre, & les tira tous deux

Du Chariot, & de leur sang souilla

La forte main : Apres les despouilla:

Puis le harnois & Chevaulx feit conduire

Par ses amys en sa Tente ou Navire.

     

    Quand Eneas veit Troiens mal menez

Si rudement, Blessez, Occiz, Traynez:

Tout par l'effort d'ung seul qui les fouloit,

Et dissipoit tout ainsi qu'il vouloit :

Soubdain partit & se meit en la Presse,

Ou il la veit la plus forte & espesse:

Cerchant par tout, & demandant aux siens

De Pandarus le Duc des Liciens.

Si le trouva. Et lors de grand courage

Luy dict ainsi. O gentil personage,

Ou est ton Arc, & Sagettes poinstues

Dont te ventois ? sont elles point rompues ?

Ceste grand gloire & louange esclarcie,

Qui par ce Camp, & par toute Licie

T'a faict: priser donnant aux Gregeois craincte,

Est elle point obscurcie ou extaincte ?

Las, prens ton Arc, mectz dessus la Sagette

La plus mortelle, & droictement la jecte

(Priant les Dieux, que ce ne soit en vain)

Contre ce Grec tant rude & inhumain :

Qui destruit tout, tout occist, & decoupe,

Mettant à mort les plus fortz de la troupe,

J'ay tres grand peur que ce soit quelque Dieu

Trop courroussé, descendu en ce lieu

Pour corriger nostre faulte ou malice,

Estant frauldé du divin sacrifice.

S'il est ainsi, porter le fault tout doulxt

Car des grands Dieux trop dur est le courroux.

 

   Noble Troien, à veoir sa contenance,

(Dict Pandarus) ce Grec a la semblance

Du prudent Filz de Tidëus: il porte

Pareil Escu, Armet de mesme sorte :

Ung grand Pannache, & ses Chevaulx aussi

Me sont penser, qu'il peult bien estre ainsi.

Je n'oserois toutesfois l’affermer

Certainement, ne mortel estimer

Celuy qui faict si valeureux faictz d'armes,

Ou c'est ung Dieu couvert d'humaines armes,

Ou ung mortel, auquel les Dieux assistent

Secretement: & pour luy seul resistent,

En destournant les coupz à luy transmis.

Et qu'il soit vray, je pensois l'avoir mis

De ma Sagette au plus profond d'Enfer:

Mais je le voy au combat s'eschauffer

Plus que devant. Et quant j'ay bien pensé,

Quelque grand Dieu est ores courroussé

Encontre moy, je n'ay rien qui me faille

Pour m’esquipper, & renger en bataille :

Mes Chariotz fortz & resplendissantz,

Et mes Chevaulx tant légers & puissantz,

Ne sont icy ; Helas contre raison

Laissez les ay bien loing en ma maison.

Vnze j'en ay armez, & bien uniz

D'Orfeverie, & Brodure garniz:

Chascun ayant de mesme deux Chevaulx

Promptz & adroictz pour endurer travaulx,

Qui tous les jours mengent à Gresche pleine

De l'Orge blanc, du Seigle & de l'Aveine.

Le bon vieillard Lycaon au depart

Me conseilla & dict qu'en ceste epart

Je les menasse, afin de faire entendre

Comme j'en scay assaillir ou defendre.

Si ne vouluz (dont me doibs esbahyr)

Au bon conseil du vieil Pere obeyr:

Tant seulement pour ce que j'avois craincte

(Voyant ainsi ceste Cité contrainte)

Que mes Chevaulx n'eussent la nourriture

Acoustumée. Et par male adventure,

Men suis venu tout à pied, les laissant,

Me confiant de l'Arc rude & puissant,

Auquel je n'ay aulcun secours trouvé,

L'ayant desja bien souvent esprouvé.

Deux de mes traictz, ont jusqu'au vis dardez

Menelaus, & puis Diomedés :

Mais les cuydant a mort precipiter

Je n’ay rien faict, sinon les irriter.

Dont puis nommer à bon droit la journée

Que je prins l'Arc, assez mal fortunée.

Et que je vins aveques mes Souldardz,

Combatre icy, soubz Troiens estendardz :

Pour secourir Hector le noble Prince,

Et les subjectz de sa belle Province.

Mais Si les Dieux me donnent le povoir

De quelque jour Femme &Pays reveoir,

Je suis content que par triste meschef

Quelque estranger puisse couper mon chef :

Si je ne mets Arc, Sagette, Carquois,

Dedans le feu, puis qu'ilz m'ont ceste fois

Ainsi trompé, & que la peine prise

Ne m'a servy en si bonne entreprise.

 

    Ainsi disoit Pandarus de Licie:

 Dont Eneas luy dist, Ne te soucye

 O Pandarus, mais ung peu te console,

Mectant à part ceste volunté fole.

Allons plustost, assaillir par ensemble

Ce fort Gendarme, au moins si bon te semble.

Monte dessus mon Chariot, pour veoir

Si mes Chevaulx seraient bien leur devoir :

S'ilz sont legers, & s'ilz ont bonne bouche

Pour obeyr à celuy qui les touche.

 Soit pour courir, ou soit pour Arrester,

Pour Approcher, Galopper, ou Volter:

Et s’ilz pourroient à la necessité

Nous ramener tous sains en la Cité.

Fay l'ung des deux, ou bien sers moy de Guyde,

Et de Carton, pour leur regir la bride:

Ce temps pendant que je m'efforceray

De le combatre, ou bien je le seray.

 

    Il est meilleur que tu faces l'office,

(Dict Pandarus) car ilz seront service

Au Conducteur qui leur donne à menger,

Plus voluntiers qu'à ung aultre estranger.

Puis s’il faloit nous retirer, je crains

Que les Chevaulx prenans aux dentz les frains,

Feussent restifz : desirans la voix claire,

De celuy la qui tousjours les modere :

Dont adviendroit que le Grec aggresseur,

Pourrait apres en estre possesseur.

Gouverne donc tes Chevaulx, & me laisse

Faire l'essay de ma force & prouesse.

 

    Disant ces motz, les deux gentilz Souldards

Faisans bransler bien fierement leurs Dards,

Marchent avant lesquelz furent cognuz

Par Sthenelus qui dict, Voicy venuz

Deux ennemys, contre nous (Amy cher)

Fort desirans nous joindre & approcher.

Tous deux sont fors, l'ung experimenté

De tirer droict, l'aultre tousjours venté

Entre Troiens pour preux & magnanime,

Filz d'Anchisés, qui se love & estime

D’estre conceu de Venus l’amoureuse:

Doncques voyans l'attente dangereuse,

Je te supply reculons ung petit,

Et ne te preigne ainsi grand appetit

De t'avancer, de peur que ceste envie

De batailler, ne nous couste la vie.

Diomedés trop mal content d'ouyr

Son compaignon luy parler de fouyr.

Respondit lors en Colere soubdaine.

Ne pense pointpar ta parole vaine

Mespoventer, ou mettre en mes espritz

Aulcune peur, je ne l'ay point apris.

Grand deshoneur me seroit qu'on me vist

Ainsi fouyr, sans que nul me suivist.

Je suis encor assez puissant & fort,

Pour resister à trop plus grand effort

Et qu'il soit vray à present je ne veulx

Prendre Chevaulx, ne Chariot pour eults.

Trouver les voys : La Deesse Minerve

Ceste Vistoire à moy tout seul reserve:

Et pense bien, que l'ung deulx y mourra:

A tout le moins que leur Char demourra.

Parquoy, Amy, bien pres de moy te tien,

Et tous mes dictz en memoire retien.

S'il est ainsi que ces deux Troiens meurent,

Ou que blessez dessus le Camp demeurent,

Advise lors de mener sans attente,

Leur chariot, & Chevaulx en ma Tente.

Ces beaulx Chevaulx sont yssuz de la Race

Des grandz Coursiers, dont Juppiter feit grace

Au prince Tros, quand il voulut ravir

Ganymedés, pour au ciel le servir.

Et n'en est point de courage pareil,

Soubz la belle Aulbe, & soubz le clair Souleil.

Jadis Anchise y sceut tres bien ouvrer

Pour la semence & race en recouvrer :

Car prevoyant que de Laomedon,

Il n'en pourroit jamais finer en don,

Secretement il meit ses jumentz belles

Dans les Haraz, & furent les femelles

Des fortz Roussins couvertes dont il eut

Six beaulx Poulains. Et des six il voulut

Quatre en nourrir pres de soy par grand soing,

Pour luy servir quelque jour au besoing.

Desquelz il a à Eneas donnez

Ces deux icy tant richement aornez,

Que tu vois la. O quelle belle proye,

Si Juppiter la victoire m'ostroye.

 

    Ainsi parloit le Gregeois, qui cuydoit

Qu'il adviendroit ainsi qu'il l'entendoit.

Et ce pendant les Troiens sont couruz

Droict contre luy. Si dict lors Pandarus

O Grec cruel, puis que la faulte est telle

Que ma Sagette oultrageuse, & mortelle

Ne t'a peu faire aulcune violence :

Essayer veulx derechef si ma lance,

Pourra trouver par ton Harnois la voye.

Disant ces motz si rudement l’envoye,

Qu'il luy faulsa le Boucler venant joindre

A la Cuyrasse : & ne peut oultre poindre.

Ce neantmoins pensant l'avoir desfaict,

Cria bien hault Certef il en est faict:

Diomedés ce coup ta penetré

Jusques au Ventre, & tellement entré,

Que tu ne peulx desja te soustenir:

Dont je me doibs pour bien heureux tenir.

 

    Diomedés ayant ce coup receu,

Sans s’esfrayer luy dist Tu es deceu

Comme je voy, car tu n'as eu puissance

De m'apporter Encombrier ou nuysance :

Mais de ma part tout aultrement sera,

Car ceste Lance à mort te blessera:

Et la n'aurez de moy aulcune Tresve,

Qu'au sang de l'ung de vous deux ne l'abreuve.

Disantces motz, rudement la jecta

Vers Pandarus. Lors Pallas la porta,

Et dirigea droistement en la face

Du Licien, qui tout oultre luy paisse:

Et luy coupa les Yeulx, le Nez, les Dens,

Avec la Langue, & demoura dedens

Une grand part du Fer & du Baston,

Estant la poincte au dehors du Menton.

Si tumba mort : dont les Chevaulx tremblerent,

Oyans le son des armes qui branslerent.

Armes luysans, & bien elabourées,

Mais de clair sang tainctes & coulourées.

 

    Quand Eneas veit la desconfiture:

Comme ung Lion,se meit à l'adventure :

Bien sort s'escrie, & soubdain se hazarde :

Tenant l'Escu en sa main & sa Darde :

Deliberant donner mortel rencontre,

Au premier Grec qui viendroit à l'encontre.

Mais le Gregeois advisé print alors

Ung grand Caillou, lequel deux hommes forts   

Du temps present ne pourraient soublever,

Et d'iceluy vint Eneas grever

Dessus la Cuysse, & si fort le blessa,

Que tous les Nerfz & Muscles luy froissa :

Dont fut contrainct demy mort tresbuscher

Sur les genoulx, & la terre toucher

Avec les mains, prest d'avoir mort amere,

Sans le secours que luy donna sa Mere :

Qui prevoyant le perilleux danger

De son cher Filz, vint pour le descharger

De ce grand faix. Et pour plus seure garde,

(En l'embrassant) l'envelope, & le garde

De son manteau comme d’ung Boulevert.

Car aultrement il eust este couvert

De mille dardz. Cela faict, la Deesse

Feit son effort, le tirer de la Presse.

 

    Lors Sthenelus, qui n’avoit oublié

Ce dont l'Amy l’avoit tant supplié,

Retire à part ces Chevaulx, & vint prendre

Ceulx d'Eneas pour aux Tentes les rendre.

Si les bailla au bon Deiphilus

Son compaignon, & l'ung des bien vouluz

De tout le camp, pour le loz singulier

Qu'on luy donnoit d'estre bon Chevalier.

 

    Apres cela, sur ses Chevaulx remonte

Diligemment, & faict tant qu'il affronte

Diomedés, lequel suivoit grand erre

Dame Venus pour la mectre par terre :

Bien cognoissant qu'elle n'est pas de celles

Qui ont povoir, comme les deux pucelles

Dame Minerve, & la fiere Bellone :

Ains est lascive, impuissante, & felone.

 

    Tant la suivit qu'en fin il la trouva

Parmy la troupe, & lors'il esprouva

Si l’on pourrait les immortelz blesser:

Car il luy vint de son Dard transpercer

Le beau manteau des Charités tyssu:

Et fut le coup incontinent receu

Dedans la main delicate, & divine,

De la Deesse Amoureuse & Benigne.

Dont affligée & dolente en son cueur,

Sentit couler la celeste liqueur,

Et le clair Sang, qui povoit estre tel,

Comme est le sang yssu d'ung immortel.

Car pour autant que les Dieux point ne mengent

Des fruictz de terre, & que du vin s’estrangent,

N'ont point d'humeur pareil au sang de l'homme:

Et pour cela Immortelz on les nomme.

 

    Trop fut Venus dolente & courroucée:

En se voyant par ung mortel blessée.

Si s’escria en plourant, & par craincte

D'habandonner Eneas fut contrainte.

Lequel Phœbus en ses bras voulut prendre

Subitement, & des Grecs le déefendre:  

L'envelopant, & couvrant d'une Nue,

Qui se monstra soubdain à sa venue.

 

Diomedés ce pendant provoquoit

Venus à ire, & d'elle se moquoit.

Va t'en va t'en, & plus ne te travaille,

(Ce disoit il) de venir en bataille.

Suffise toy seulement de scavoir,

Par tes fins tours les Femmes decevoir:

Sans te mesler avecques les Gendarmes :

Car si tu veulx ainsi hanter les armes,

Ung jour viendra que tu le sentiras

Si asprement, que t'en repentiras.

 

    Ainsi disoit le Grec à la Deesse :

Qui supportoit grand douleur, & tristesse,

Tant pour le mal de la playe receue,

Que du Courroux & de l'ire conceue   

Dont son beau Tainct, jadis tant esclarcy

La commencoit à se monstrer noircy.

Surquoy Iris esmeue de pitié

La vint saisir, & par bonne amytié

La tire hors, & la porte en ung lieu

A main senestre, ou estoit Mars le Dieu

Qui regardoit par maniere d'esbat

L’aspre bataille, & le mortel combat :

Estant assis dans une Nue obscure:

Aupres de luy sa celeste monture:

Se contenant sur la Lance appuyé,

Comme s'il fust de travail ennuyé.

 

    Adonc Venus, se mettant à Genoux,

Luy dict ainsi : O Mars mon Frere doulx,

Que j'ayme tant, je te pry me prester

Ton Chariot, afin de m'en monter

Deslus l'Olympe & celeste maison.

Je sens grand mal. Hélas en trahyson

Diomedés cruel, & inhumain,

Trop rudement ma bleslée en la main.

Et croy pour vray, qu'il en seroit autant

A Juppiter, tant est Fort combatant.

 

   Mars accorda voluntiers sa requeste:

 Son chariot & ses Chevaulx luy preste:

Adonc monta. Et Iris print la bride,

Pour luy servir jusques au ciel de Guyde.

Soubdain s'en vont, soubdain transpercent l'air

Les bons Chevaulx desirans de voler.

Finablement en ung brief moment d'heure,

Trouvent au ciel la celeste demeure :

Lesquelz Iris promptement desatele

Et les repaist de pasture immortele.

 

    Desque Venus trouva sa Mere aymée,

Soubdainement tumba comme pasmée

En son giron, dont Dioné marrye,

Entre ses bras la prend, & puis la prie :

En luy disant. Ma Fille gratieuse,

Qui est la main si tres audacieuse

De tous les Dieux, qui a osé toucher,

Et dommager ta Délicate chair ?

Feroit on pis à quelque detestable,

Qu'on trouveroit en faulte trop notable ?

 

   Blessée m'a, respondit lors la belle,

Diomedés oultrageux, & rebelle.

Quand j'ay voulu mon cher Filz secourir,

Mon Eneas qui s'en alloit mourir,

Sans mon secours : Et voy bien clairement,

Que les Gregeois ne sont pas seulement

Guerre aux Troiens : mais à present combatent

 Contre les Dieux, les blessent & abbatent.

 

    Lors Dioné la Deesse excellente,

Pour appaiser ceste ire violente,

Luy respondit. Venus ma Fille doulce

Endure ung peu, & plus ne te courrouce

De ce forfaict il ya plusieurs Dieux

Qui ont souffert de tourmentz ennuyeux,

Par les mortelz, Aussi en recompense,

Ilz ont esté bien uniz de l’offense

Ephialtés & Otus Filz du Fort

Aloeus, jadis feirent effort

Encontre Mars, & tant le malmenerent,

Qu'il fut lié, & puis l'emprisonnerent

Par treize moys, en maison seure & ferme :

Ou fust pery à cause du long terme,

Mais leur marastre Euribea print cure

Du pouvre Dieu & supplia Mercure

En sa faveur: lequel secretement

Le desroba. Lors manifestement

Sans tel secours, les Fers & la Closture,

La consumoient sa divine nature.

Daine Juno sournit mal importable

Par Herculés, qui son traict redoubtable

A triple poincte, encontre elle dressa

Au tetin droict, dont tres fort la blessa.

Que dirons nous de Pluton le Dieu noir,

Lequel commande en l'infernal manoir ?

N’a il jadis le sort Dard esprouvé

D'Herculés mesme, alors qu'il fut trouvé

Entre les mortz au pays de Pilie ?

Sa Deité fust alors dessaillie,

(Si possible est qu’une Deité fine)

Du coup receu sur l’Espaule divine.

Mais il monta pour avoir guerison

Subitement en la claire maison

De Juppiter, ou Peon abilla

Sa griefve playe, & Santé luy bailla.

Trop malheureux imprudent & folastre

Fut Herculés, qui ne craignit de batre,

Et offenser ainsi les Dieux haultains,

Qui de leurs maulx sont vengeurs tres certains

Quant est à toy ma Fille, il fault penser,

Que le Gregeois n’eust ose te blesser :  

Sans la faveur de Minerve, qui veult

Te faire mal en tout ce qu'elle peult.

O poure sot, qui ne scait pas entendre,

Que le mortel qui s’efforce contendre

Contre les Dieux, par Orgueil ou Enuye,

Finist tres mal, & abrege sa vie.

Ce Péché seul, certes le privera

De voir ung jour (quand il arrivera

En sa maison) des petitz enfans doulx

Le nommer Pere, & baiser ses Genoux.

Certainement il devroit à part soy

Considerer si nul plus sort que toy

Le combatra, pour venger ton Injure:

Ou bien devroit penser à l'aventure

Qui maintenant luy pourra survenir

En son pays, pour trop plus le punir.

Cest assavoir sa Femme Egialée,

De grief sommeil à present esveillée,

(Sentant l'ardeur de l'amoureux desir)

Appellera pour avoir son plaisir.

Quelque Valet, qui jouyra du bien

De ce Gregeois, sans qu'il en sache rien.

 

    Ainsi parloit pour consoler sa Fille.

Puis doulcement luy nectoye, & abille

La main blessée, & tellement appaise

Ceste douleur, que Venus en fut aise.

 

     Mais quand Juno, & Minerve la veirent,

En s en moquant, au Dieu Juppiter dirent;

Pere tres sainct seras tu point marry,

(Dict lors Pallas) de ce dont je me ry ?

Venus cuydant une Grecque amener

Au camp Troien, pour illec la donner

A l’ung d’iceulx qu'elle ayme grandement,

En la flattant, elle à mis rudement

Sa tendre main sur sa Boucle, ou Ceincture:

Dont l'Ardillon luy à faict la poincture:

Et n'a pas tort si maintenant demande

Ung prompt secours, car la blessure est grande.

 

    De ce propos, se meist lors à soubzrire

Le Dieu des Dieux, & puis vint à luy dire

Tout doulcement : Venus ma Fille aymée,

Point n'est à toy de regir une Armée,

Ou manier les belliques ouvrages.

Faire l’Amour, dresses des Mariages

Est mieulx ton cas : doncques de ce te mesle

Laisse la Guerre importante, & cruelle  

A Mars ton Frere, & à ta Seur Minerve :

Et les Amours à toy seule reserve.

Ainsi disoit Juppiter devisant :

Et sur le faict de chascun aduisant.

 

    Ce temps pendant Diomedés vouloit

Tuer Enée, & bien peu luy chaloit

Qu’il fust gardé d'Apollo: car l'Envie

Qu'il avoit lors de luy oster la vie,

Et d'emporter son riche acoustrement,

Luy corrumpoit du tout le jugement.

Trois fois le Grec sur luy se hazarda :

Et par trois fois Apollo le garda :

En repoulsant sa Lance & son Escu.

Sur la quatriesme il l’eust mort ou vaincu:

Mais Apollo, monstrant horrible face,

Luy commenca user de grand menace.

 

    Retire toy soubdain si tu es sage,

Sans te monstrer si selon, & volage :   

En te cuydant aux Dieux equiparer:

 Et desormais vueilles considerer,

Que le povoir des humains qui demeurent  

Cy bas en terre, & qui tous les jours meurent,

Est différent en toute qualité

De cil des Dieux plains d'immortalité.

Ainsi parla : Dont le Grec trop hastis,

L'ayant ouy recula tout craintis.

 

   Adonc Phœbus porta hors la Bataille

Le beau Troien, par dessus la Muraille

De la Cité, droictement au beau Temple

A luy sacré, sumptueux, & tres ample.

Le mectant la, comme en lieu sainct & seur,

A celle fin que Diane sa Seur,

Et Latona, fussent plus curieuses,

A luy guérir ses playes douloureuses.

Et quant & quant pour les Camps abuser,

Subitement il voulut composer

Ung Simulachre à Eneas pareil:

Au pres duquel y eut du sang vermeil

Fort respandu, & plusieurs beaulx faictz d'armes

Entre les Grecs, & les Troiens Gendarmes :

Les ungz voulans defendre ceste Image,

Aultres taschans à luy faire dommage.

 

    Quand Apollo eut Enée reduict:

A saulveté, il faict tant qu'il conduict

Encor ung coup, par ses divins moyens,

Le puissant Mars, en faveur des Troiens :

En luy disant.O Mars Dieu invincible,

Mars Furieux, Sanguinolent, Terrible,

Contre lequel bien peu resiste, ou dure,

Forte muraille, & bien trempée armure.

Souffriras tu ce Gregeois tant braver

Parmy le Camp, & ainsi eslever

Puniras tu l'audace temeraire

De celuy la qui seroit adversaire

A Juppiter, & le vouldroit oultrer :

Qui à cuydé ainsi mal acoustrer

Venus ta Seur : Et qui s'est adressé,

Contre moy mesme ainsi qu’ung insensé ?

 

    Apres ces motz Apollo se posa

Sur la muraille : & Mars se disposa

Pour le cornbat : Si print alors la face,

Et les habitz d’ung grand prince de Thrace   

Dict Acamas : puis soubdain se transporte

Au camp Troien. La conforte, & enhorte

Les Bataillons, mesmes les Filz du Roy

Du Roy Priam, estans en desarroy :

Criant bien hault. O valeureux Enfans,

Que je pensois tant fortz & triumphans,

Jusques à quand laisserez vous mourir

Ainsi voz gens, sans point les secourir ?

Attendez vous que vostre gent soit morte

Et qu'on combatte au plus pres de la Porte

De vostre ville ? O quelle grand douleur.

Voyla gisant le Troien de valeur

Vostre Eneas, que l'on tient en estime,

Comme ung Hector vaillant & magnanime :

Et n'est aulcun qui se mecte en devoir,

De tel Amy secourir & ravoir.

 

   Ces motz de Mars feirent monstrer visaige

A maintz Troiens, accroissant leur courage.

Dont Sarpedon Chevalier renommé

Dict à Hector (de Colere enflammé)

O preux Hector ou est ores allée,

Ceste prouesse aultresfois extollée,

Quand te ventois aveques tes seulz Freres

Et Alliez donner mortelz affaires

A ces Gregeois, & garder de Danger

Ceste Cité, sans que nul Estranger

Vint au secours ? Ou sont tant de Parens,

Freres, Cousins, & aultres Adherens ?

Je n'en voy nul, Certes ilz sont fouyz,

Comme sont Chiens, du Lion envahyz:

En te laissant en perilleux encombre,

Et nous aussi, qui sommes soubz ton vmbre

Icy vemiz, faisans comme peux voir,

A batailler tout possible devoir.

Je ne suis point Cousin, ou Citoien,

Ny aultrement subject : du Roy Troien:

Et si ne tiens au prés Terre, qu'il faille

Pour la saulver, qu'en rien je me travaille.

Venu je suis de Licie loingtaine,

Tiré d'amour de ta vertu haultaine:

Qui par tous lieux accroist ta Renommée.

La, j'ay laisse enfant, & femme aymée:

Plusieurs tresors & richesses, qui sont

Se delirer de ceulx qui ne les ont ;

Mestant pour toy en danger ma persone.

Et maintenant (dont trop sort je m'estonne)

Encor que moy & les miens monstrons face,

Je voy les tiens habandonner la place,

Tu n'en dis mot, qui les devroys presser,

Voire forcer, de plus ne te laisser :

Leur proposant les dangereux perilz,

Ou se verroient Femmes & leurs Mariz :

Lesquelz seroient Raviz & Attrapez,

Comme Animaulx, aux Retz envelopez:

Et ta Cité sumptueuse & insigne

Soubdain pillée, & puis mise en ruine.

Il convient donc plus avant y penser,

Et quant & quant aux plus grands t'adresser:

Leur suppliant d’avoir bonne esperance,

D'estre vainqueurs, par la perseverance:

Faisant ainsi, tu seras estimé:

Ne le faisant, mesprisé & blasmé.

 

    De pareilz motz, Sarpedon lors piqua

Le prince Hector, qui point ne répliqua.

Mais tout armé comme il estoir, grand erre

Du Chariot feit ung sault bas en terre:

Tenant en main deux Dardz qu'il esbransla,

Trop fierement, & soubdain se mesla     

Entre les liens. La commande, Supplie,

Et Crie tant qu'encor il les ralie,

Dont prennent cueur, & la Teste baissée,

Tournent gaigner la place delaislée.

 

    Quand les Gregeois apperceurent venir

Les Rengz Troiens, pour mieulx les soustenir,

Se vont serrer ensemble l'apprestans

De les attendre, en vaillans combatans.

 

    Et tout ainsi, qu'en la saison qu'on Vanne

Le beau Froment hors la Granche ou Cabanne,

Souventesfois à cause du grand vent

Qui va la Bale & la Paille enlevant,

Les grandz Gerbiers blanchisient de l'ordure

Qui sort du bled, & de la terre dure.

Semblablement la pouldre fut si grande

A l'approcher de la Troiene bande,

Que les Harnois, & les habitz divers

Des combatans en furent tous couvers.

 

    Lors renforça la cruelle bataille,

Plus que devant là se rompt, & detaille,

Maint bel Escu : car le Dieu Mars couroit

Parmy le Camp, & Troiens secouroit :

Sans estre veu, les confortant en termes

Qui les rendoient plus courageux, & fermes.

Il leur disoit, que Phoebus combatoit

De leur costé, & que Pallas estoit

De l'aultre part: Parquoy devoient monstrer

Quelque beau faict d'Armes au rencontrer.

 

    En mesme instant, Eneas retourna

Tout frais au Camp Apollo l'amena.

Dont les Troiens, luy voyans faire effort,

Non de blessé, ains de vaillant & fort,

S'esjouyssoient, ne se povans saouler

De son regard, & desiroient parler

Aveques luy : Mais la griefve meslée

Estoit desja par trop renouvellée.

 

    Apollo, Mars, & la folle Deesse

Contention, servoient pour lors d'adresse

Aux bons Troiens, leur enflammant les cueurs.

Les deux Ajax excellente belliqueurs,

Diomedés, & Ulyssés estoient

A l'opposite, & les Grecs enhortoient

De tenir bon : lesquelz obeissantz

Se contenoient en Souldards tres puissantz,

Sans reculer : Car ainsi que les Nues

Sont bien souvent sur les Montz retenues

Maulgre les Ventz, par le Dieu Juppiter,

Qui ne pourroient aultrement resister

Au soufflement, & Tourbillon divers

Du vent de Nort, qui leur donne à travers :

Semblablementles Gregeois bien Armez,

Les attendoient hardiz & animez ;

Prenans consort de veoir parmy la presse

Aveques eulx les plus fortz de la Grece.

 

    Agamemnon ce pendant ne cessoit

De commander, aux lieux qu'il cognoissoit

Estre besoing, & mectoit son estude

A disposer toute la multitude

Disant ainsi : O Gregeois valeureux,

Si l’on a veu voz faictz chevaleureux

Par cy devant, Faictes que la louange,

Presentement ne diminue ou change.

Prenez courage, & par ung mesme accord

Donnez dedans, aveques ce Record,  

Que le Souldard qui son honeur revere,

 Et pour celuy combatant persevere,

Eschappera plustost d'ung grand danger,

Que ne sera le couard, & leger.

L'on voit plustost mourir les Estourdiz,

Et les Craintifz, qu'on ne faict les hardiz.

Car ou l’esprit n'est d'honeur agité,

Le corps languit, & meurt par lascheté.

 

    Ainsi parlant, & leur monstrant la voye

Subitement son javelot envoye

Aux ennemys : Si vint tout droict : frapper

Deicoon, qui ne peut eschapper

Le coup mortel. Il estoit grand amy

Du fort Enée, & honoré parmy

Le camp Troien, comme les Filz du Roy :

Tant pour sa force, & triumphant arroy,

Que pour autant qu'il estoit coustumier

De se trouver au combat le premier.

Or mourut il, car le Dard luy faulsa

Son grand Escu, & le Bauldrier persa,

Puis descendit en la partie extreme

Du petit Ventre : & lors il tumba blesme.

 

    En mesme instant furent aussy vaincuz

Par Eneas Crethon, Orsilochus :

Lesquelz avoient Dioclëus à Pere,

Qui habitoit en la Cité de Phere:

Riche, puissant, & de Race venu

Du noble Fleuve Alphée, tant cognu

Dans le Pays de Pyle,ou il derive,

En estendant sa belle & large Rive.

Cest Alpheus, eut jadis pour Enfant

Orlilochus, qui fut Roy triumphant

Lequel apres eut à Filz legitime

Dioclëus le Prince magnanime :

Duquel estoient ces deux Filz descenduz,

Orsilochus, & Crethon, entenduz

Au  faict de Guerre, autant que Personages

Du Camp Gregeois, au moins selon leurs cages:

Quipour se faire encor plus renommer,

Avoy eut suivy Agamemnon par Mer,

Jusques à Troie, estimans grand honeur

De batailler soubz ung tel Gouverneur.

Mais tout ainsi qu'il advient quelque fois,

Que deux Lions nourriz au coing d’ung Boys

Par la Lionne, ayans faict grand dommage

Aux plus grans Parcz de tout le voisinage,

Ores prenans ung Beuf, une jument,

Ou ung Mouton, seront finablement

Circonvenuz des Bergers, qui regretent

Leur bien perdu, & pour cela les guettent

Semblablement le courageux Enée,       

Donna la mort & derniere journée

A ces deux Grecs, qui luy cheurent devant

Comme deux Pins abbatuz par le Vent.

 

    Menelaus dolent de voir mourir

Ainsi les siens, vint pour les secourir

Tres bien armé, portant en sa main dextre

Ung Dard luysant : Mars vouloit bien permectre

Qu'il s'advanceast, afin qu'il fust attainct

Par Eneas, & la tout roide extainct.

 

    Antilochus en le voyant partir,

Le suyt de pres, & ne veult consentir

A ce hazard, bien sachant qu'il n'estoit

Pour resister, si seul le combatoit.

Voyant cela Eneas se dispose

Quicter le lieu, sans y faire aultre chose.

Car bien qu'il fust Remuant & Léger,

Deux en combatre il estimoit danger.

 

    Quand on le veid ainsi se retirer

Alors chascun voulut les corps tirer

Des Freres mortz, & aux siens les baillerent,

Puis quant & quant ensemble bataillerent,

En ce conflict le Roy Pylemenée

Des Paphlagons, eut la vie finée :

Avec Mydon le conducteur loyal

De ses Chevaulx, & Chariot Royal.

Menelaus en l'Espaule donna

Au Roy susdict, & Mydon s'estonna,

Voyant venir le coup d'une grand Pierre

Qu’Antilochus sur le Bras luy defferre:

Le contraignant la Bride habandonner.

Oultre ce coup, luy vint encor donner

De son Espée à travers de la Face :

Dont il tumba roide mort en la place.

Non pas soubdain, car par quelque moment

Les deux Chevaulx le traynoient rudement

Jusques à tant qu'Antilochus les prist,

Et les mena ainsi qu'il l'entreprist.

 

   Le preux Hector qui passoit d'adventure

En cest endroict, veid la desconfiture

De ce bon Roy, dont il fut courroucé

Tres grievement : surquoy s'est advancé,

Criant si hault, que Troiens qui l'ouyrent,

De bon courage ensemble le suyvirent.

 

    Mars furieux, & Bellone la forte,

Marchoient devant la Troiene Cohorte.

Elles faisoient ung bruyt espouventable,

Et Mars bransloit sa Lance redoubtable,

N'abandonnant en aulcune maniere

Le Prince Hector : Ores estoit derriere,

Tantost devant : Bref c'estoit ung grand heur,

Avoir ung Dieu pour Guyde, & Directeur.

 

    Diomedés cognoissant Mars venir,

Eut grand frayeur, & ne se peut tenir

De reculer, comme l'homme estranger,

Qui desirant passer & voyager

En loing Pays, advient si mal qu'il trouve

En son Chemin ung grand horrible Fleuve

Impétueux, escumant de roideur,

Dont il s'estonne, en voyant sa grandeur :

Puis s'en retourne, empesché de parfaire

Ce qu'il avoit déliberé de faire.

Ne plus ne moins feit le Gregeois puissant,

Qui reculades siens advertissant

O mes amyz ne prenez à merveille,

Dict il alors, si Hector s'appareille

Pour vous combatre: & s'il a bien l'audace

De vous venir chasser de ceste place.

Il a tousjours ung Dieu qui l'acompaigne,

Et le conduict parmy ceste Campaigne.

J'ay maintenant soubz humaine semblance

Recognu Mars, qui luy faict assistance.

Parquoy amyz je vous veulx adviser,

Qu’il vauldra mieulx ung peu temporiser,

Et sans tourner aultrement le visage

Se retirer, de crainte du dommage

Qui nous pourroit survenir, irritant

Ces puissans Dieux, ainsi les combatant.

 

    Pendant cecy les Troiens l'approcherent,

Et les Gregeois ung petit desmarcherent.

Hector jecta premierement ses Dardz,

Dont il occist deux courageux Souldards:

Anchialus, & le fort Menesthés,

Du Chariot bas en Terre portez.

 

    Le fort Ajax eut pitié de les voir

Ainsi tumber par quoy se va mouvoir,

Et feit voler sa Lance tres poinctue

Sur Amphius, & de ce coup le tue:

Car le harnois ne le peut tant garder,

Qu'il ne luy vint droist le Ventre darder.

Cest Amphius estoit Filz de Selage,

Seigneur de Pese, ayant grand heritage,

Venu de loing à Troie secourir

Le Roy Priam, ou luy convint mourir.

Estant tumbé, le sort Ajax s'efforce

Luy despouiller ses Armures à force:

Mais les Troiens tant de Traictz luy jecterent

En son Escu, que le corps luy osterent.

Et bien qu'il fust homme de grand vaillance,

Il n'en eut rien, fors seulement sa Lance

Qu'il arracha, en mectant sur le corps

Ses deux Tallons, pour la tirer dehors.

Et cela faict, des Troiens repoulsé,

Se retira estant presque lassé.

 

   D'aultre costé la dure Destinée

La preparoit la derniere journée,

Au vaillant Filz d'Hercules Tlepoleme:

En l'incitant par hardiesse extreme

S'adventurer, & mectre à l’habandon,

Contre le sort & Divin Sarpedon.

Si le va joindre, & lors eulx deux estans

Prestz à tirer en vaillantz combatans,

Tlepolemus avant faire voler

Son javelot, voulut ainsi parler.

 

   Quel grand besoing, quelle necessité.

Ta cy conduict devant ceste Cite

Homme Couard, & de nulle valeur,

Pour recevoir la mort par ton malheur ?

Certainement bien t’ont voulu flatter

Les faulx menteurs, disans que Juppiter

T'a engendré car ton lasche courage

Est trop divers, de si divin Lignaige.

Penserois tu en vaillance approcher

A Herculés qui fut mon Pere cher

Fort & hardy, ayant cueur de Lion:

Lequel jadis print d'assault Ilion,

Avec six Nefz amenées de Grece :

Pour se venger de la faulse promesse

Que luy feit lors le Roy Laomedon,

De luy donner ses Chevaulx en guerdon ?

Tu es bien loing de sa Force & vertu:

Et qui soit vray, ton peuple est abbatu

Devant tes yeulx, tes Souldards de Licie

Sont desconfitz, & l'on ne s’ensoucie.

Si ne voy pas, quel secours tu peuz faire

A ces Troiens laissant les tiens deffaire.

Mais c'est tout ung, car aussy de mon Fer

Transmis seras bas aux portes d'Enfer.

 

    Sarpedon lors de la Menace fole

Ne s’estonna, mais reprint la parole,

Et respondit il est tres veritable,

Que pour la Faulte & injure notable

Qu'on feit adonc à ton Pere Herculés,

Troie fut prise, & ses Palays brullez.

Mais quant à toy pas ainsi n'adviendra,

Car mon sort bras ores mort t'estendra :

Dont l'Ame ira en la region noire:

Et j'acquerray grand renommée & gloire.

 

   A tant sont fin à leur contention,

Branslent leurs Dardz, avec intention

S'entretuer, & si bien les adressent,

Que de ce coup cruellement se blessent.

Le javelot de Sarpedon passa

Parmy le corps du Grec, qui trespassa

Dessus le Champ. Quant au sien il penetre

Bien rudement en la Cuysse senestre

De Sarpedon, si avant que la Poincte

Fut dedans l'Os attachée, & conjoinctre:

 Et n'eust esté le vouloir du grand Dieu,

Il estoit mort, sans bouger de ce lieu.

 

    Quand les Souldards voirent couchez en terre

Ces deux grans Ducz, chascun vint à grand erre

Pour secourir, ou emporter le sien.

Premierement le Prince Licien

Fut relevé, & mis hors de la Foule:

Non sans grand mal, Car le sang qui découle

L'affoyblissoit, & en l'en amenant

Alloit tousjours le javelot traynant

Dedans sa Cuysse, On n’avoit loisir lors

De le tirer tout gentement dehors

Tlepolemus aussy fut emporté

Par les Gregeois, en ung aultre costé.

 

    Lors Ulyssés qui bien veid la Desfaicte

De Tlepoleme, & la belle Retraite

De Sarpedon, fut dolent en son cueur :

Et discouroit s’il faloit au vainqueur

Courir soubdain, ou s’il devoit fraper

Les Liciens, & mortz les decouper.

Finablement encontre iceulx s'adresse

Suyvant l'advis de Pallas la Deesse.

Car aussy biest la mort predestinée

De Sarpedon, n'estoit pas assignée

A Ulyssés : la prudence divine

La reservoit, pour quelque aultre plus digne.

 

    Il occist lors Ceranus, Chromuis,

Et Alaslor, Alcander, Halius,

Puis Noemon, Prytanés, & de faict :

Il eust encor plus grand nombre deffaict :

Sans le vaillant Hector, qui a grand cours

Vint sur les Rencz, pour leur donner secours :

Donnant frayeur, avec ses claires Armes

Aux plus hardiz de tous les Grecs gendarmes.

 

Trop fut joyeux Sarpedon le voyant,

Et puis luy dict tendrement larmoyant;

Filz de Priam, je te pry ne me laisse

Au vueil des Grecs, mesmes en la Foiblesse

Ou tu me voys : Fay moy tost amener

En ta Cité sans point m'habandonner:

La je mourray, jamais n'auray puissance

De retourner au lieu de ma naissance :

Pour consoler mon Enfant, & ma Femme,

Sentant prochain le despart de mon ame.

 

    Le preux Hector point ne luy respondit:

Mais à chasser les Gregeois entendit :

Deliberant de la vie priver,

Ceulx qui vouldroient à l'encontre estriver.

 

    Apres cecy les Liciens assirent

Soubz ung fousteau Sarpedon, & luy feirent

Tirer dehors le Dard, par son mignon

Dict Pelagon fidele Compaignon.

En le tirant, l’Esprit presque souyt 

Du foible corps, dont il s'esvanouyt :

Puis on le veid (peu à peu respirant)

Se revenir tendrement soulpirant :

A quoy servoit beaucoup le frais vmbrage,

Et le doulx vent luy souflant au visage.

 

    Adonc l'effort d'Hector, & du Dieu Mars,

Estonna tant les Grecs de toutes pars,

Qu'il ne s'osoyent nullement avancer

Encores moins les Escadrons laisser :

Mais peu à peu monstrans contraire face,

Se retiroyent habandonnant la place.

 

    Or disons donc icy, quelz Gregeois furent

Vaincuz d'Hector, & qui la mort receurent

En ce conflict Theutras fut le premier

Homme vaillant, de vaincre coustumier:

Puis Oreste de grans Chevaulx dompteur;

Trecus le tiers, excellent combateur,

Oenomaus, & le fort Helenus,

Pour valeureux entre les Grecs tenuz :

Et le dernier Oresbius, Persone

D'authorité, portant Sceptre & Corone

En la Cité d'Hila qu'il possedoit,

Et ses voisins en richesse excedoit:

Ayant ses biens pres du Lac dict Gephise,

En Beotie, ou sa Ville est assise.

 

    Juno voyant la malheureuse yssue

De ses Gregeois, se trouvoit bien deceue

De son desseing. Si vint devers Pallas

Tres courroussée, en luy disant. Helas

Fille au grand Dieu Juppiter, Qu’est cecys ?

Est il conclud que tous mourront ainsi ?

Si nous souffrons folier longuement

Ce cruel Mars, je voy certainement

Que la promette à Menelaus faicte

D’avoir Heleine aprés Troie desfaicte,

Sera du tout une Mensonge vaine:

Et qu'il ne pert que l'attente & la peine.

Allons M'amye, & donnons cognoissance

A ce grand Fol, quelle est nostre puissance.

 

    A son vouloir presta consentement

Dame Pallas : & lors subitement

Juno sen va ses Chevaulx mettre en poinct:

Et les attesle: Hebé ne faillit point

D'aultre costé le grand Char apprester,

Auquel devoit la Déesse monter.

 

   Lors affusta les Roues bien forgées,

Faict les d'Or fin liées & rengées

A cloux de Fer, & d'Arain reluysant,

Et huict: Roullons, de mesme Arain duysant:

Dont les Moyaulz entaillez par art gent,

Estoient aussy massifz de fin Argent:

L'Essieu d'Acier, le Timon de Métal

Clair Argentin, aussy beau que Cristal.

Et quant au siege, il fut environné

D'orfaverie, & si bien atourné

Qu'on ne scauroit donner raison entiere,

Qui valoit mieux, l'Ouvrage ou la Matiere.

 

    Ce temps pendant que l’on diligentoit

Au Chariot, Minerve s’apprestoit :

Si despoilla son riche Acoustrement,

Qu'elle avoit faict, & tyssu proprement.

Et puis s’arma de la Cuyrasse forte,

Que Juppiter en la bataille porte.

Consequemment sur les Espaules charge

Le grand Escu, pelant, horrible & large,

Environné de Crainte, & de terreur,

Contention, Noyse, Audace & Horreur,

Fureur, Clameur, & Menace terrible,

Auquel estoit paincte la Teste horrible

De la Gorgone, epoventable Monstre,

Estonnant tout ce qui vient à l'encontre.

Encores plus, elle couvrit sa Teste

D'ung grand Armet, d'Or fin, à triple Creste,

Qui suffiroit aux chefz des habitans  

De cent Citez, lors qu'ilz sont combatans.

Ainsi armée, au Chariot monta

Legerement, & la Lance porta:

Avec laquelle, elle abbat & repousse

Les Demydieux, quand elle se courrousse.

Dame Juno d'aultre part tint la Bride

Des bons Chevaulx, voulant servir de Guide.

 

    Tant ont couru, quelles vindrent aux Portes

Du Ciel haultain, bien fermées & fortes.

Les Heures ont tousjours la charge entiere    

De ces beaulx Huys, chascune en est Portiere,   

Ayans aussy la supesintendence

De tous les Cieulx, aueques la Regence

Du hault Olympe, & d'amener les Nues

Ou ramener, quand elles sont venues.

 

    Les Heures donc aux Deesses ouvrirent

Diligemment, & hors leurs Chevaulx misrent;

Qui transversans la Celeste Campaigne,

Vindrent bien tost sur la haulte Montaigne

Du clair Olympe, ou estoit Juppiter

Qui presidoit  si se vont arrester

Devant son Throsne. Et Juno sans descendre,

Du Chariot, luy feit sa plaincte entendre:

Frere & Mary (dict elle) Quelle joye

Prens tu de voir Mars ton Filz devant Troie,       

Meurtrir ainsi les Grecs cruelement

Contre raison pour plaire seulement

Au sol desir de Venus l’envieuse,

Et d'Apollo ? Cest oeuvre injurieuse

Doibt elle ainsi estre dissimulée,

Et la Justice & la Foy violée ?

Or je te pry ne te vouloir fascher :

Si je descens la bas pour empescher

Ce furieux, & si je me travaille

A le chasser dolent de la bataille.

 

    J'en suis content, respondit lors le Dieu :

Mais pour le mieulx il fauldroit qu'en ton lieu

Pallas voulust ceste charge entreprendre :

Car Mars ne peult, comme elle se defendre,

Souventesfois elle l'a surmonte,

Et le vaincra, s'elle en a volunté.

Juno trouva ceste reponse bonne,

Parquoy desloge, & le Frain habandonne

A ses Chevaulx qui courans à grand erre,

Tiennent la voye entre le Ciel & Terre:

Volans bien hault, loing de nous, autant comme

Peult regarder en pleine Mer ung homme :

Qui bien souvent d'une haulte Eschauguette

Les Mariniers & leurs Navires guette.

C'est le Chemin, que les Chevaulx des Dieux

Tiennent en L'air, venans en ces bas lieux.

 

    En peu de temps à Troie se rendirent,

Et promptement à Terre descendirent,

Droict en la place, ou se mesle l'Eau claire

De Scamander, à Simois son Frere.   

    

    Illec Juno ses Montures laissa

A Simois, qui tres bien les pensa,

En leur donnant la divine Ambroise,

Sur le Rivage apprestée & choisie.

Partans de la, rapprocherent les belles

Du Camp Gregeois, semblans deux Coulobelles

A leur marcher, mais ayans au Courage

Ardant desir de faire ung bel Ouvrage.

 

A l'arriver, ung grand nombre ont trouvez

De combatans, hardiz & esprouvez,

Qui n'espargnoient non plus leurs Ennemyz,

Que sont Sangliers, ou grans Lions famyz.

 

    A donc Juno soubz l'Habit d'ung Gregeois

Nommé Stentor, duquel la seule Voix

Estoient autant Resonante & Haultaine,

Que de Cinquante ayans bien grande alarnie,

Cria tout hault : O deshoneur, O honte,

O Peuple Grec, qui tiens si peu de compte

De ton honeur ? O Princes malheureux

Princes de Nom, mais par effect paoureux

Plus que Valetz, povez vous bien souffrir

Ce que je voy devant voz yeulx s'offrir ?

Quand Achillés avec nous combatoit,

On nous fuyoit, chascun nous redoubtoit.

Les fortz Troiens n'osoyent en quelque sorte

Habandonner(au moins bien peu) leur Porte :

Tant fort craygnoient sa Lance valeureuse.

Et maintenant, O chose malheureuse,

Non seulement hors la Cité combatent,

Ains prés des Nefz nous tuent & abbatent.

Ainsi crioit la puissante Deesse:

Dont leur remist es cueurs la hardiesse.

 

    D'aultre costé la prudente Pallas

Vint rencontrer Diomedés tres las

Tant du travail tout le jour supporté

En combatant, que pour avoir porté

Le grand Escu qui le faisoit suer,

En se voulant par trop esvertuer.

Aquoy aussy la Playe qu'il avoit

Le contraignoit, tant qu'à peine il povoit

Au Chariot ung petit s'appuyer,

Pour le sang noir de la Playe esssuyer.

 

    Ce neantmoins Minerve s'approcha

Bien prés de luy, & le Collier toucha

De ses Chevaulx, disant. Il est bien vray

Et quant à moy tousjours je le croiray,

Que Tideus Combatant nom pareil,

N’eust oncques Filz qui fust à luy pareil.

Petit estoit, mais si Preux & Vaillant,

Que maulgré moy, il alloit assaillant

Souventesfois les plus fortz & puissantz,

Et les rendoit mortz ou Obeissantz.

Monstra il pas de son cueur la grandeur

Aux fortz Thebains estant Ambassadeur

Par devers eulx, quand apres le Bancquet,

(En les voyant Oysifz pleins de Cacquet)

Les provoqua, puis apres les vainquit :

Ou grand honeur, & grand Louange acquist ?

Pourquoy cela ? Je le favorisoye,

Et en ses faictz tousjours le conduisoye,

Comme tu vois que souvent je t'assiste,

Et pour ta vie aulcunes fois resiste,

En te donnant les plus certains moyens,

De mectre à mort les plus fortz des Troiens.

Ce non obstant tu es ores lassé,

Tout de Paresse ou de Craincte oppressé,

Dont suis d'advis que jamais ne te nommes

Filz de Tidée, entre les vaillantz hommes.

 

    Diomedés respondit lors : O Dame

Je te supply , ne m’imputera Blasme,

Ou Lascheté ceste miene Retraicte.

Car puis que j’ay cognoissance parfaicte

De ta presence, en rien ne vueil celer,

Ce qui m'a faict à present reculer.

Ce n'est point Craincte ou Lascheté de Corps,

Mais ton Conseil, du quel je suis records.

Ne m'as tu pas defendu d'entreprendre

Rien sur les Dieux, fors sur Venus la Tendre ?

Donc maintenant ayant veu le Dieu Mars

Encontre nous, ay je tort, si je pars

Hors du Combat, & si veulx advertir

Mes Compaignons, pour les en divertir ?

 

    Ne doubte plus Amy doresnavant

De l'assaillir, s’il te vient au devant

(Dict lors Pallas) Ne fay difficulté

De le combatre, & l'aultre Deité

Qui se vouldra contre toy presenter.

Va hardiment encontre luy jouster.

C'est ung Causeur, ung Baveux, ung Vanteur,

Et qui pis est, variable & Menteur.

A ce matin il m'avoit faict promesse

De batailler en faveur de la Grece:

Et maintenant comme fol inconstant

Il est contre eulx, pour Troiens combatant.

 

     Disant ces motz, feit Sthenelus descendre

Du Chariot, & s’en va le Frain prendre

Des beaulx Chevaulx, desirant les conduire

Et pour ce jour Diomedés instruire.

Le Chariot (pour la grand pesanteur

De la Deesse, & du fort Combateur)

Ployoit dessoubz : & l’Essieu tres puissant

En fleschissoit soubz le Char gemissant.

 

    Ainsi s'en vont, en propos de combatre

Mars furieux, le blesser ou l’abbatre.

Et pour garder de n'estre descouverte,

Pallas avoit lors sa Face couverte

Du grand Armet de l'Infernal Pluton,

Faict à moitié de Fer & de Layton.

 

   Quand Mars le veid ainsi venir grand erre,

Il laisse ung Grec, qu'il avoit mis par terre,

Etolien nommé Periphantés,

Fort renommé entre les plus vantez,

Et delibere au fort Gregeois bailler

Le coup de mort, & puis le despouiller.

Estans la prés, Mars soubdain esbranla

Son javelot, mais point ne l'affola:

Tant seulement il passa comme une Vmbre

Dessus le Col des Chevaulx sans encombre :

Car la Deesse advisée & bien saige,

Le destourna, en luy donnant passage

Dessubz le Char, le guydant de sa main.

 

    Diomedés ne rua pas en vain

Ainsi son Dard car il feit ouverture

Dedans le corps de Mars soubz la Ceincture,

Faulsant la Lame, & si profond luy entre,

Qu'il le sentit au plus bas de son Ventre.

En cest endroict Pallas le coup guyda,

Et au Gregeois divinement aida :

Lequel sceut bien dextrement y ouvrer,

Et quant & quant sa Lance recouvrer.

 

    De ce grand coup, & Blessure notable,

Mars feit ung Cry autant espoventable,

Et plus hideux, que ne seroient dix mille

Vaillans Souldards assaillans une Ville,

Dont les Troiens & Gregeois attentifz,

Soubdainement devindrent tous craintifz.

Le triste Dieu surpris de dueil & honte,

Aprés ce Cry dessus l'Olympe monte :

Et s'en allant sembloit l'espesse Nue,

Qui en temps clair peu à peu diminue

Par le doulx Vent, qui la faict departir,

Et la chaleur en ces bas lieux sentir.

Estant venu en la maison Divine

(Faisant piteuse & bien dolente mine)

S'asseist au prés de Juppiter, voulant

Monstrer le sang de sa Playe coulant,

Puis dict ainsi. Pere tres redoubté

Je ne scay pas si c’est ta volunté

De veoir ainsi les Deesses & Dieux

Se mutiner en debatz odieux,

Tant seulement pour la faveur des hommes,

Et non pour toy, de qui vrayz Subjetz sommes.

Tu as conceu une Fille maulvaise,

Pernicieuse, & qui n'est jamais aise,

Qu'elle ne face injure ou desplaisir

A l'ung de nous, s'il luy vient à plaisir

Il n'y a Dieu tant soit fort & puissant,

Qui ne te soit en tout obeyssant,

Sors ceste cy, Oultrageuse, Enragée,

Qui n'est jamais Punie ou Corrigée. 

Elle a contraint ung Gregeois inhumain,

A ce jourdhuy de blesser en la Main

Venus ma Seur, & l'a faict advancer

Encontre moy, pour me nuyre & blesser,

Comme tu voys & sans prendre la fuyte

Ma Deité estoit presque destruite.

Car il m'eust tant decoupé, & batu,

Et affoibly ma puissante Vertu,

Qu'ores je feusse entré les grans monceaulx

Des Troiens mortz, qu'il a mis à morceaux.

 

    Ainsi parla le Dieu Mars à son Pere,

Monstrant au doy l'excés & vitupere

Par luy souffert. Auquel Juppiter dict,   

O variable, execrable, & mauldict,

Laisse tes plainctz, & ne raconte tant

De tes forfaistz, à ton Pere assistant.

Tu es le Dieu le plus malicieux

De tous les Dieux, qui repairent es Cieulx

Que j'ayme moins & non pas sans raison,

Ton naturel est Noyse, & Trahyson.

Tenant en tout de Juno la terrible,

Fole, Jalouse, autant incorrigible

Comme tu es laquelle je t'augure

T’a preparé ceste grande Blessure.

Mais pour autant que tu es de ma Race,

Et décile aussy, tu receuras la grace

D'esrte guery. Et pense desormais

Quittant ainsi dangereux & maulvais,

Sans la faveur qu'ung Pere doict porter

A son Enfant le voyant mal traicter:

Long temps y a que j'eusse faist Justice,

De ta cruele & damnable malice.  

 

   Apres ces motz Juppiter commanda      

Qu’on le guerist. Lors Peon regarda

Dedans la Playe, & le pensa si bien

Qu'en peu de temps on n'y cognut plus rien.

Le Laict caillé, dont on faict le Fromage

En temps d'Esté, demeure davantage

A se former. Aussy les immortelz

Tiennent du Ciel. Ilz n'ont pas les corps telz

Que nous avons, & de cela procede

Qu'ilz ont tousjours plus soubdain le remede.


    Mars rendu sain, Hebe luy prépara

Ung Baing souef: puis aprés le para

De beaulx Habitz : lequel vint assister

En plaine Court, au grand Dieu Juppiter.

 

   D'aultre costé, Pallas victrorieuse,

Avec Juno trop aise, & Glorieuse

D'avoir chassé Mars du cruel

En ung moment feirent au Ciel retour.