Livre VII

Remonter Premières pages

   

 

 

 

   La nuit eut ses succès, fruits de la vigilance,

Qui, des exploits du jour accrurent l'esperance ;

Ulisse & Dioméde, au Camp des ennemis,

Vont, trouvent dans le vin les Thraces endormis ;

Ils égorgent Rhesus, & frappent un grand nombre

De ses plus braves chefs, compagnons de son ombre ;

Ils r'amenent au Camp son char & ses chevaux ;

Présage encourageant pour de plus grands travaux.

 

    Dès les premiers rayons de l'Aurore naissante,

La Discorde en fureur vole aux rives du Xanthe    

De l'un à l'autre Camp elle porte ses cris,

Et de sa rage aveugle enyvre les esprits.

Atride, dès ce jour, veut renverser Pergame ;

Hector, jusqu'aux vaisseaux prétend porter la flamme :

Tous deux, prêts à périr plutôt que de ceder,

Pensent être au moment qui doit tout décider.

 

    Les deux Camps s'aprochoient d'une ardeur généreuse

Ils s'attaquent ; déjà la mêlée est affreuse ;

Déjà des plus hardis la Mort a triomphé ;

C'est moins un premier choc, qu'un combat échauffé.

Comme, des moissonneurs on voit la faux tranchante

Abbattre dans un champ la moisson jaunissante ;

Ainsi, sous mille coups tombent les rangs entiers ;

Ainsi le fer cruel moissonne les guerriers.

 

    La Discorde long-temps soûtint leur violence ;

Mais enfin Jupiter fit pancher la balance :

Atride, des Troyens s'ouvre perce les rangs ;

Ses efforts plus heureux, en deviennent plus grands ;

Jusqu’au tombeau d'Ilus, il  pousse, les presse ;

En vain la voix d'Hector les r'appelle sans cesse,

Ils ne l'entendent plus ; &, contre Agamemnon,  

Ils voudroient se couvrir des ramparts d'Ilion.

Quoique, devant ses pas marchassent les allarmes,

Quelques Héros encor s'opposent à ses armes ;

Et, dans le même instant qu'il blesse Iphidamas,

Il est atteint d'un trait qui lui perce le bras.

Il sent, de sa blessure irriter son courage,

Et se vange long-temps par un plus grand carnage

Enfin, las  affoibli, la douleur qui l'abbat,

Le force, prêt de vaincre, à sortir du combat.

 

    Poursuivez, Grecs, dit-il, d'une voix magnanime ;

Je mourrai trop content, si ma mort vous anime ;

J'ai fait ce qu'exigeoient & ma gloire, & mon rang ;

Suivez, pour triompher, la trace de mon sang.

 

    Je cours, dit Dioméde, asssûrer ta victoire ;

Elle nous coûte trop pour en perdre la gloire ;

Repose toi sur nous du fruit de tes exploits,

Ton sang nous le prescrit encor mieux que ta voix ;

Il dit, impatient d'exercer son courage,

Et laisse Agamemnon que son discours soulage.

 

    Les Grecs  quoiqu'effrayez, l'accompagnent encor ;

Mais, pour comble, lui-même est blessé par Hector.

 

    A ce nouveau malheur ; ils se laissent abbattre ;

Ils se croyoient sans chefs, & n'osoient plus combattre,

Hector le voit & des siens il r'anime les cœurs ;

Et bien-tôt les fuyards deviennent les vainqueurs.

 

    Les Grecs épouvantez ne resistent qu'à peine ;

Toujours pressez d'Hector, abandonnent la plaine ;

Et pour se dérober enfin à ses efforts,

Repassent les fossez, & rentrent dans leurs forts.

Renversons, cria-t-il, leur dernière espérance ;

On n'a rien fait encor, & le combat commence,

Descendons de nos chars ; & l'épée à la main,

Allons forcer ces murs qu'ils défendront en vain.

Sous des chefs différens, il range cinq Cohortes,

Dont l'égale valeur assiege autant de portes ;

Sur ses nouveaux remparts, l'Argien plus vaillant,

De tout côté s'oppose aux coups de l'assaillant.

 

    Hector veut le premier forcer, avec AEnée,

La porte qu'occupoient Ulisse, Idoménée.

Digne de Jupiter qui lui donna le jour,

Sarpedon cherche Ajax jusqu'au haut d'une tour.

C'est en vain que, des murs, tombe une horrible grêle ;

C'est en vain que la pierre, avec les traits se mêle :

Rien ne peut réussir a les décourager ;

La gloire, à leurs regards, efface le danger.

 

    Appuyez l'un de l'autre, ils montent aux murailles ;  

Les fossez sont bien-tôt comblez de funerailles ;

Plusieurs tombent mourans, qui s'estiment heureux

D'aider leurs compagnons à s'élever sur eux.

 

    Courage, mes amis crioit le Roi de Pile ;

Courage, défendez notre dernier azile,

Soutenez bien l'honneur de vos premiers exploits ;

Vos femmes, vos enfants vous pressent par ma voix,

Jupiter, d'Ilion nous promit la ruine ;

Ne faites point mentir la promesse divine. 

     

    Le bruit ne laissoit pas distinguer ses discours

Mais le son de sa voix les animoit toûjours.

 

    Des Troyens cependant l'opiniâtre audace

Rend effort pour effort, menace pour menace ;

Et, sous leurs boucliers tout herissez de dards,

Ils atteignoient déjà le sommet des remparts.

 

   C'est ainsi que les flots, qu'a soulevez l'orage,

Menacent, à grand bruit, un vaisseau du naufrage.

L'un sur l'autre poussez, ils atteignent son bord ;

Dans les voiles, le vent frémit avec effort ;

La mer blanchit d'écume ; & l'horrible tempête

Dés pâles matelots , environne la tête ;

Le pilotte troublé n'agit plus qu'au hazard ;

Et trouve le péril au-dessus de son art.

       

    En ce moment fatal, Ulisse, Idoméné

Sont blessez à la fois par Hector, par AEnée.

Ces Héros, tour à tour s'étoient vingt fois vaincus

Hector triomphe enfin ; rien ne l'arrête plus :

Sarpedon, sur les murs, a le même avantage ;

Sa valeur, aux Troyens, ouvre un large passage ;

Et les Grecs effrayez fuyoient à leurs vaisseaux,

A peine avec l'espoir de repasser les eaux.

 

    L'extrémité cruelle où la Grèce est réduite,

Touche Neptune : il vient s'opposer à leur fuite ;

De l'augure Calchas prend les traits respectez,

L'adresse aux deux Ajax : Ah ! dit il, arrêtez ;

Vous, fuir ! vous dont le sang ne coule point encore,

Meritez mieux les noms dont ce Camp vous honore ;

Pour repousser Hector, r'appellez vos soldats :

Il fuira ; croyez-en l'oracle de Calchas.

Neptune disparoît, & dans leur ame il laisse

De généreux transports, garands de sa promesse.

 

    Il court aux autres chefs qu'il r'ameine au combat ;

Chasse de tous les cœurs, l'effroi qui les abbat.

Hector est étonné qu'on ose encor l'attendre :

Il croit presque qu'Achille accourt pour les defendre ; 

Sur lui les deux Ajax fondent la lance en main ;

Et d'instant en instant regagnent du terrain.

 

    Du haut des Cieux, alors, Junon voyoit Neptune ;

Des Grecs encouragez, rétablir la fortune ;

Mais, quelque heureux succès qu'elle en ose prévoir,

La crainte, dans son cœur, entroit avec l'espoir :

Au haut du Mont Ida, Junon voit, avec peine,

Les yeux de Jupiter attachez sur la plaine :

Elle craint qu'écoutant ses bontez pour Hector,

La perte d'Ilion ne se differe encor.

Si haîne impatiente en veut hâter la chute ;

Un dessein s'offre, est pris, s'arrange & s'execute.

 

    La Déesse entreprend de charmer son époux ;

Ses yeux s'arment déjà des regards les plus doux :

Elle veut que l'adresse, & la magnificence,

De ses augustes traits serve encor la puissance ;

De sa robe superbe ouvrage de Pallas,

Se répandent, dans l'air, d'éblouissans éclats ;        

Sa chevelûre flotte, en longs anneaux formée ;

Et du parfum divin la terre est embaumée.

Telle on la vit, le jour qu'aux regards de Pâris,

Ses traits, de la beauté disputerent le prix.

Mais ce n'est pas assez ; la jalouse Immortelle

 Se souvient que ce jour, Venus étoit plus belle ;

De sa rivale même, elle veut obtenir

De quoi vanger l'affront qu'elle eût à soutenir.

Elle court à Venus. Pais-je espérer, dit-elle,  

Que Venus, à mes vœux, ne sera point rebelle ?

Vous servez ; les Troyens,  je protège les Grecs ;

Et mes desseins pour vous, peuvent être suspects.

A me voir cependant vous connoissez sans peine

Que la guerre n'est point l'intérêt qui m'ameine.

J'abandonne à son sort l'empire de Priam ;

Au bout de l'Univers, je vais voir l'Océan ;

Et pour le prix des soins qu'il eut de mon enfance,

Entre Thétis & lui, mettre l'intelligence.

Je n'y puis réussir sans vos secours vainqueurs,

Sans ces charmes si sûrs de l'empire des cœurs.

 

    Aux desirs de Junon, Vénus prête à se rendre,

Par un regard flatteur, déjà se fait entendre,

Que ne pourriez-vous pas, même sans mon secours,

 Dit-elle ! Ah ! vous m'allez enlever les amours !

Je ne le cèle point, vôtre beauté m'allarme ;

Je veux bien cependant, en augmenter le charme  

Des désirs de Junon je me fais une loi ;

Fût-ce contre moi même, elle peut tout sur moi.

 

    Vénus lui donne alors sa divine ceinture,

Ce chef-d'œuvre sorti des mains de la nature,

Ce tissu, le simbole, & la cause à la fois,

Du pouvoir de l'Amour, du charme de ses loix.

Elle enflamme les yeux, de cet ardeur qui touche ;

D'un sourire enchanteur, elle anime la bouche ;

Passionne la voix, en adoucit les sons,

Prête ces tours heureux, plus sorts que les raisons,

Inspire, pour toucher, ces tendres stratagêmes,

Ces refus attirans, recueil des sages mêmes ;

Et la Nature enfin,  y voulut renfermer

Tout ce qui persuade, & ce qui fait aimer.

 

    En prenant ce tissu que Vénus lui présente,

Junon n'étoit que belle, elle devient charmante.

Les graces & les ris, les plaisirs & les jeux,

Surpris, cherchent Vénus, doutent qui l'est des deux.

L'Amour même trompé, trouve Junon plus belle ;

Et son arc à la main, déjà vole après elle.

Charmée, elle descend aux antres de Lemnos ;

C'est-là que le Sommeil, sur un lit de pavots,

Gardé par le Silence, environné des songes,

Dort, & n'est occupé que de riants mensonges.   

 
     Junon, en paroissant, l'éveille : Si jamais

Tu daignas, lui dit-elle, exaucer mes souhaits,

Suis-moi ; que Jupiter, fournis à ta puissance,

Sente, sous tes pavots, mourir sa vigilance ;

L'Amour va l'enchaîner de ses plus doux liens ;

Que des bras de l'Amour, il passe dans les tiens.

 

    Le Sommeil lui répond, d'une voix languissante ;

Avec tant de beauté, que vous êtes puissante !

Commandez ; mais qu'au moins je vous puisse obéir,

Et ne m'engagez pas moi-même à me trahir.

Nommez quelqu'autre Dieu ; fût-ce le Dieu des armes,

Ses yeux appesantis vont céder à mes charmes.

Je puis même pour vous, répandre mes pavots ;

Sur les yeux inquiets du souverain des flots,

Mais que, sur Jupiter, j'éprouve ma puissance :

Non, mon péril pass é m'en défend l'imprudence.

Je le tentai pour vous, lorsqu'Hercule vangé,

Revenoit triomphant, d'Ilion saccagé

J'endormis Jupiter ;  Hercule sur sa tête,

Vous vit, du haut ; des cieux, appeller la tempête,

A travers les écueils, & les flots irritez,

Privé de les amis, par les vents  écartez,

Vous l'aviez exilé dans une isle deserte.

Le Dieu ne s'éveille que pour jurer ma perte

De ce seul souvenir renaît tout mon effroi ;

Songez que si la Nuit ne l'eût fléchi pour moi,

Son couroux, à jamais, me reléguant sous l'onde,

A des soins sans relâche alloit livrer le monde.

 

    De son couroux, dit-elle, en vain tu te souviens,   

Vois quel étoit Hercule, & quels sont les Troyens.

C'est son fils que sont-ils ? rends toi, viens sur mes traces ;

Je t'en donne, pour prix la plus belle des Graces

Dès long-temps Pasithée objet de ton ardeur..,

Ce nom, & la ceinture enflammerent son cœur

Junon s'en apperçoit. Oui, l'Hymen, poursuit-elle,

En sera, dès ce jour, ta compagne éternelle ;

J'en atteste, du Stix les horribles torrents.

Allons la mériter, répond-il, je me rends.

 

    Ils s'enferment tous deux, dans une nue obscure,

Arrivent sur le mont. Là, changeant de figure,

Le Sommeil en oiseau se perche sur un pin,

Dont le faîte orgueilleux, de l'Olimpe est voisin.

 

    Pour tromper son époux, la Déesse s'avance,

Lui fait de son départ la fausse confidence,

Demande son aveu ; mais, semblant le hâter,

Elle presse d'un air à se faire arrêter.

 

    L'Océan va vous voir, chere sœur, chere Epouse  

Dit-il ; de son bonheur que mon ame est jalouse.

Que de charmes nouveaux ! l'Amour est avec vous !

A vôtre seul aspect, j'en ai senti les coups ;

Le soin de l'univers est sorti de mon ame ;

Je ne me connois plus qu'à l'excès de ma flamme,  

Partagez-en l'ardeur, Déesse, & que ce jour

Comble de nos tributs, l’Himénée & l'Amour.

 

    Junon soûrit : Eh quoi ! vous parois-je aussi belle

Que Calisto ? qu'Alcméne ? & qu'Europe & Seméle ?

 

    Laissez, dit-il ces noms, de mon cœur effacez,  

Les transports que je sens vous en vangent assez.

Le jour qui couronna ma flamme impatiente,  

Vous-mêmes, à mes regards parûtes moins charmante.

Si j'ai pû, de ce jour violer les sermens,

Oubliez mes erreurs dans mes embrassements.

 

    D'une fausse pudeur, irritant sa tendresse,

Que vous êtes pressant, répondit la Déesse

Est-ce ici que l'Hymen doit combler vos désirs  

Le Soleil indiscret, témoin de nos plaisirs,

Iroit bien-tôt porter, à la troupe immortelle,

De nos feux imprudents l'indécente nouvelle.

Voulez-vous donc ici renouveller pour eux,

De Mars & de Vénus, le spectacle honteux ?

Soyez seule  témoin de mon ardeur extrême,

Dit-il ; je la dérobe aux yeux du Soleil même,

De ce nuage d'or qui s'élève sur nous,         

Il ne percera point un mistére si doux.

 

   Ses transports, de Junon préviennent la réponse ;

L'Amour d'un cri de joye, à la Terre l'annonce :

Il lance, en un instant, mille traits dans leurs cœurs.

Le mont qui s'en émeut, se couronne de fleurs.

 

    Le Temps vole ; bien-tôt ces momens délectables

Ameinent du Sommeil les momens favorables ;

Il vient ; sur Jupiter  il répand ses pavots ;

L'Amour fuit & le laisse au pouvoir du Repos.

D'un temps si précieux le Dieu des mers profite,

Marche au-devant des Grecs, les presse, les excite.

Quels bruits, & quels éclats, il répandoit dans l'air

Sa voix étoit un foudre, & sa lance un éclair.

Cependant, par ses coups, balançant la fortune,

Hector, aux Phrigiens, tenoit lieu de Neptune ;

Les deux Camps sont mêlez ; & dans le choc fatal,

Le mortel, & le Dieu sont un carnage égal.

Moindre est le bruit des flots que l'orage soulève

Du tonnerre sortant du nuage qu'il crève ;

Des rapides torrents, tombants du haut des monts ;

Et des vents opposez, luttans dans les vallons.

 

   Qu'alors il échappa d'exploits à la louange !

Aucun guerrier ne meurt qu'un ami ne le vange  

La Mort, de toutes parts, a beau se présenter  

Son aspect irritoit, au lieu d'épouvanter.

 

    Ajax à qui le Dieu fait part de sa puissance,

Se saisit d'une roche, & sur Hector la lance,

De l'atteinte pesante, Hector est renversé,

Tel qu'un chêne orgueilleux, par les vents terrassé.

 

    On l'emporte mourant, sur les rives du Xanthe ;

Et déjà les Troyens avoient pris l'épouvante,

Quand Jupiter s'éveille, & d'un regard soudain  

Des Troyens & des Grecs voit le divers Destin.

 

    Voilà, dit-il, Junon, voilà vôtre artifice ;

De vôtre haîne, ainsi, mon amour est complice ;

Je vous donnois le temps de perdre les Troyens  

Ayez-vous pu, sans crainte, employer ces moyens ?

Et quand, contre mon fils, vous en fistes usage.

Songez vous quel couroux a suivi cet outrage ?

Quelle Voix, cependant, me parle encor pour vous ;

Mon cœur même est surpris de se trouver si doux ;

Mon amour vous pardonne (effet de la ceinture)

Mais ne l'outragez plus, si vous voulez qu'il dure ;

Et que Neptune aux Grecs retire son appui  

S'il veut que ce pardon s'étende jusqu'à lui.

 

    La Déesse obéit, & de l'ordre sévere,

Elle court aussi-tôt faire part à son frere :

Retirez-vous, dit-elle, & suspendez vos coups ;

Ainsi le veut le Dieu qui nous commande à tous.

 

    Qui nous commande à tous ! reprit alors Neptune ;

Exceptez-moi du moins de cette loi commune

Exceptez-en le Roi des peuples infernaux,

Jupiter prétend-il régner sur ses égaux ?

Non, non, à lui céder je ne puis me résoudre ;

De mon Trident plutôt, je défierai la foudre :

Je rangerai Saturne, & ma gloire à la fois ;

Et qui veut m'asservir, pourra subir mes loix.

 

    Par prudence du moins, si ce n'est pour lui plaire,

Etouffez, dit Junon, ce couroux téméraire.

Je craindrais que bien-tôt vôtre division,

De l'Univers entier, ne fist qu'un Ilion.

 

    Eh bien ! dit-il, cédons ; mais s'il pardonne à Troye

Plus de prudence alors : ma fureur se déploye :

Il verra ce que peut le Souverain des flots 

Dût le monde avec nous rentrer dans le cahos.

 

    Ainsi mêlant l'injure avec l'obéissance,

Il ne fuit qu'en rebelle, un ordre qui l'offense.

 

    Mais Jupiter d'Hector regarda la langueur ;

Ce seul regard lui rend sa première vigueur :

Il revient air combat qu'abandonnoit Neptune  

Et des deux Camps encor se changea la fortune.

 

    Tels que  d'ardens limiers par le cor excitez

Suivent à longs abois, les dains épouvantez ;

Jusque dans la forêt leur ardeur les relance ;

Ils sont prêts d'être atteints, quand un lion s'avance ;

Qui les crins hérissez, les yeux étincelans,

S'irrite encor lui-même, en se battant les flancs.

Bien-tôt chiens & chasseurs craignants d'être sa proye,

Ont, des dains fugitifs abandonné la voye.

Ainsi les Grecs suivant les Troyens répoussez

Au seul aspect : d'Hector, sont eux-mêmes chassez.

 

    Présentant à leurs yeux la formidable AEgide,

Apollon rend encor le succès plus rapide :

Hector employé ensemble, & le bras & la voix ;

Effraye, anime, frappe, est par tout à la fois ;

Dans les rangs ennemis, seul il se précipite ;

Leur fuite le rebutte, & leur valeur l'excite,

Dédaignant les soldats, il s'attachoit aux chefs ;

Et d'exploits en exploits, les pousse sur leurs nefs.

 

    Encor quelques momens, & la Grèce est défaites

Disoit-il : Assûrons du moins notre retraite,

Crie Ajax en fureur ; il faut vaincre ou périr ;

Grecs, nôtre désespoir peut seul nous secourir.

 

    Ce cri des Argiens  réveille le courage ;

Les Troyens s'animoient par leur propre avantage.

Plus furieux alors, les deux Camps firent voir

L'espérance luttant contre le Désespoir.