D’une
aîle audacieuse, & voisine des nuës,
Fendent l'air, à grand bruit, les bataillons de gruës,
Quand traversant les mers au retour des frimats,
Elles vont défier le Pigmée aux combats.
Des
Troyens marche ainsi l'armée impatiente,
Et
l’air résonne au loin de sa marche bruyante.
Avec plus de silence approche l'autre Camp ;
Mais, non moins alteré de carnage & de sang ;
Sous
ses pas, d'un bruit sourd, toute la plaine tremble,
La
poussière autour d'eux en nuages s'assemble ;
Et
ce brouillard épais devant les Grecs marchant,
Semble multiplier leur nombre, en le cachant.
Les deux Camps ennemis bien-tôt sont en présence,
Pâris quitte les rangs, vers les Grecs il s'avance ;
D'une adresse superbe, il manioit son dard ;
Sur
son dos descendoit la peau d'un léopard ;
Et
se flattant alors d'en avoir le courage,
Il
défioit les Grecs indignez de l'outrage.
Ménélas l'apperçoit. O Dieux ! qu'il lui fut doux
De
voir son ennemi s'offrir à son courroux !
Son
transport est semblable à la cruelle joye,
D'un
lion affamé qui découvre une proye ;
Il
saute de son char & furieux qu’il est,
Du
sang qu'il veut verser son espoir le repaît.
A peine de Pâris a-t’il frappé la vûë,
L'imprudent est saisi d'une crainte imprévûë,
Il
échappe au péril, d'un pas précipité :
Ordinaire retour de la témérité.
Mais Hector irrité, d'une fuite si prompte :
Lâche, s'écria-t'il, homme né pour la honte,
Pourquoi vis-tu le jour ? Pourquoi, dans son courroux,
Le
Ciel a-t'il jetté tant d'opprobre sur nous ?
Que
ne t'a t'il du moins redemandé ta vie,
Avant, que par tes mains, Hélene fût ravie ?
Quel
démon t'inspira de monter nos vaisseaux ?
De
commettre ta vie au caprice des eaux ?
Qui
te fit aborder cette funeste plage,
Où
tu devois payer ton hôte d'un outrage ?
Ravisseur de l'épouse, il falloir éprouver
Du
moins à quel époux tu l'osas enlever.
Mais
tu fuis, & tu n'es hardi que pour le crime.
Ton
cœur te présageoit une mort legitime.
Ta
beauté, tes cheveux, tes chansons, ni ton luth,
Venus même n'eût pas asseuré ton salut :
Crains qu'au défaut des Grecs, une main Phrygienne
Ne
lave dans ton sang notre honte & la tienne.
Pâris sent à ces mots une noble douleur ;
La
honte fait en lui renaître la valeur.
Poursuis, dit il poursuis ? j'ai mérité l'ouvrage,
Mon
frere ; mais aussi trop fier de ton courage.
Garde-toi d'insulter aux présens de Venus :
Il
est des dons charmans qui te sont inconnus.
Les
Dieux de leurs faveurs sont un divers partage ;
Ta
valeur, ma beauté, ne sont point nôtre ouvrage ;
Nous
les tenons des Dieux ; révérons leurs bienfaits.
Ne
crains rien cependant du discours que je fais ;
De
la fin de nos maux je leverai l'obstacle.
Que
les deux Camps oisifs soient témoins du spectacle ;
Moi
seul, je combattrai Ménélas à leurs yeux ;
Que
le fer entre nous fasse expliquer les Dieux ;
Et
que des Nations, qu'icy la guerre appelle,
La
haine se termine avec nôtre querelle.
Ce discours rend un frere à l'amitié d'Hector.
Il
court au Camp des Grecs ; mais ils prennent encor
Sa
marche & son signal pour un nouvel outrage ;
De
mille traits sur lui vole un épais nuage,
Quand à ces furieux Atride fait crier,
De
laisser, sans obstacle, approcher ce guerrier.
Grecs, Troyens, dit Hector, que les deux Camps
m'écoutent.
Pour
épargner le sang que nos combats nous coûtent,
Pâris veut, à vos yeux, combattre Ménélas ;
Qu'Helene
du vainqueur, suive à jamais les pas ;
Et
qu'à ce prix la Grèce alliée avec Troye,
Goûte, & nous rende enfin le repos & la joye.
Tour garde le silence, & Ménélas répond :
Jamais cœur n'éprouva de chagrin plus profond.
Depuis que de Pâris Hélene fut la proye,
J'ai
senti tous les maux arrivez devant Troye.
Mais
c'est trop, pour nous seuls, armer tant de Héros :
Meure enfin l'un des deux pour le commun repos.
Immolez deux agneaux au Soleil, à la Terre,
Troyens ; & nous un autre au maître du tonnerre.
De
nôtre paix ainsi jettons les fondemens,
Et
que Priam y vienne adjouter ses sermens.
C'est peu qu'une jeunesse infidèle & legere,
A
l'envi se jurât une paix mensongere ;
La
prudence & la foi sont les dons des vieillards ;
Ils
percent tous les temps, de leurs sages regards,
Corrigent la fortune, en fixent l'inconstance ;
Et
leur soi garantit ce qu'a sait leur prudence.
Les soldats sont charmez, comme si Ménélas
Venoit de revoquer l'arrêt de leur trépas.
Ils
descendent des chars, renvoyez à leur tentes ;
On
dépoüille par-tout les cuirasses pésantes ;
Les
deux Camps rapprochez, & dans un plein repos
A
peine laissent place au combat des Héros.
Iris, en ce moment, vers Hélene s'avance ;
Des
traits de Laodice, elle a pris l'apparence,
Des
filles de Priam, celle dont la beauté,
Avec
Hélene même eût presque disputé.
L'ambitieuse Reine ourdissoit un ouvrage,
Où
de mille combats, elle traçoit l'image ;
De
ces combats sanglants, pour sa cause entrepris
Et
dont sa vanité cueilloit seule le prix.
Venez voir, dit Iris, un étrange spectacle ;
Je
ne sçai de quel Dieu peut partir ce miracle ;
Mais
enfin ces deux Camps, dont l'ardente fureur
Respira jusqu'ici le carnage & l'horreur,
Ces
deux Camps qu'à la Paix on eût crûs indociles,
Terribles si long-temps, maintenant sont tranquilles,
Des
dards, des boucliers l'appareil menaçant
Est
couché sur la terre, oisif & languissant ;
Et
de tant d'ennemis restez seuls sous les armes,
Pâris & Ménélas combattront pour vos charmes.
Heureux encor tous deux ! L'un va vous conquérir ;
Et
l'autre, en vous perdant, sçaura du moins mourir.
Hélene impatiente abandonne la toile,
Et
se couvre, ou plûtôt s'orne d'un riche voile ;
Des
pleurs moüilloient ses yeux, fruits d'un secret retour
Pour
son premier hymen & son premier séjour.
Elle
sort du Palais, d'où la belle Climene,
Avec
la jeune Aethra suivit les pas d'Hélene.
Elle arrive au rampart où Priam écoutoit
La
vénérable Cour des Chefs qu'il consultoit ;
Anténor, Thomitis, ceux à qui la vieillesse,
Avec
l'expérience amena la sagesse,
Et
qui par leurs conseils, l'ame encor des combats,
Tranquilles sont mouvoir les ressorts des Etats.
A
peine les vieillards apperçoivent Hélene ;
Admirant, malgré l'âge, une si belle Reine,
Tant
d'appas, dirent-Ils, l'éclat de ces beaux yeux ;
Donneroient de l'envie aux épouses des Dieux.
Si
la Grèce, pour elle, a pû prendre les armes,
Si,
pour la conserver, nous bravons tant d'allarmes,
Elle
excuse, à la fois, le Grec & le Troyen ;
Qui
peut la regarder, ne s'étonne de rien.
Cependant, s'il le faut, rendons à sa patrie,
Rendons à son époux cette épouse chérie,
Sans
faire contre nous, qu'excitent tant d'appas,
Murmurer nos neveux, qui ne la verront pas.
Que ne peut la beauté ! Priam même plus tendre ;
Venez, dit-il, venez, épouse d'Alexandre,
Ma
fille ; car malgré les malheurs d'Ilion,
Ma
tendresse aime encor à vous donner ce nom.
Vous
n'avez point sur nous attiré les allarmes ;
C'est au décret du sort que j'impute nos larmes.
Asseyez-vous ; voyez parmi tous ces Héros,
Ce
que vous connoissiez de plus cher en Argos ;
Nommez-moi ce guerrier qu'entr'eux je voi paroître,
Qui,
moins grand que plusieurs, semble pourtant leur maître.
Jamais tant de fierté, tant de grâce à la fois,
N'ont mieux peint sur un front la majesté des Rois.
Mon père, dit Hélène, oserai-je répondre
A de
tristes discours dont je me sens confondre ?
Malheureuse ! Pourquoi, le jour que vôtre fils
M'obligea de quitter mon époux, mon païs,
Pour
venir en ces lieux, sous le doux nom de fille,
Livrer à tant de maux ma nouvelle famille,
Pourquoi ne fut-ce pas le dernier de mes jours ?
Je
n'ai pû des Destins interrompre le cours.
Mais, mon père y ces maux que j'attire sur Troye,
Pardonnez-les du moins aux pleurs dont je me noye.
Connoissez, poursuit-elle, à ces augustes traits,
Le
chef des ennemis qu'Hélène vous a faits ;
Le
grand Agamemnon que la sagesse inspire,
Qui
conduit une armée aussi-bien qu'un empire
Qui
frère de l'époux que j'ai déshonoré,
Des
Héros, dont il sort, n'a point dégénéré.
Heureux Agamemnon grandeur digne d'envie,
Dit
Priam ! sous quel astre as-tu reçu la vie ?
Tu
vois marcher sous toi mille peuples entiers,
Et
ton sceptre régit un monde de guerriers.
Je
me souviens du temps, que contre l'Amazône
D'Otrée
& de Migdon je défendis le thrône,
Le
Scamandre voit plus de troupes sur ses bords,
Quaux rives du Sangar, je n'en comptois alors.
Sous ses yeux en parlant, Ulisse se rencontre.
Eh !
quel est, poursuit-il, ce Grec que je vous montre
Moins haut qu'Agamemnon ; mais l'air non moins guerrier
:
Voyer : il a quitté son dard, son bouclier,
Et
court de rang en rang, tel qu'un bélier superbe,
Court autour du troupeau qu'il a conduit sur l'herbe.
C'est Ulisse, répond l'épouse de Pâris ;
Laërte sur Itaque a fait régner ce fils.
En
lui, des sûrs conseils le Ciel mit l'abondance,
Et
jusqu'à l'artifice, il pousse la prudence.
Que voilà bien Ulisse, interrompt Anténor !
Autrefois, sous mes toits, je crois l'y voir encor,
Seul, avec Ménélas, envoyé de la Grece,
Je
les reçûs tous deux , & je vis leur sagesse.
Priam, pour le conseil, nous avoit assemblez
Ulisse & Ménélas y furent appellez :
L'un
plus grand & plus fier, montroit un air de maître ;
L'autre plus recueilli, songeoit moins à paroître.
Ils
parlèrent tous deux : Ménélas le premier.
Son
discours étoit vif, subtil & singulier ;
Et
dans un âge ami des ornemens frivoles,
Il
prodiguoit le sens & comptoit les paroles.
Ulisse, Je regard sur la terre fixé,
Dans
un morne silence, & l'air embarrassé,
Se
lève ; Son maintient répand la défiance ;
Le
conseil lui plaint presque un moment d'audience
Dès
qu'il a commencé, les esprits étonnez,
Pat
le cours du torrent se sentent entraînez :
Il
scût nous émouvoir, nous ravir, nous confondre ;
Tous
en surent charmez, aucun n'osa répondre.
Priam ne peut cesser il veut encor sçavoir
Quel
est un autre Grec, qu'il vient d'appercevoir :
Celui-là, disoit-il, dont l'air est si terrible,
Plus
haut que tous les Grecs ; c'est Ajax l'invincible,
Dit
Hélene, & cet autre est un des plus grands Rois :
La
Crète en lui, d'un Dieu croit recevoir les loix.
Connoissez le vaillant, le sage Idoménée :
Il
me rappelle encor mon premier himénée
Ami
nai de Ménélas, quand il vint en Argos,
Ce
fut sous nos lambris qu'habita ce Héros.
Hélas ! plus sur ce Camp nies regards se promenent ;
Plus
s'ouvre ma mémoire, où mille noms reviennent,
Quelle Foule de Grecs je reconnois encor !
Mais
je ne vois entr'eux ni Pollux, ni Castor :
Ces
deux fils de Léda, ces deux Héros, mes freres,
N'ont-ils point voulu voir ces rives étrangeres ?
Ou
plutôt, indignez de mon manque de foi,
N'y
rougissent- t'ils pas de combattre pour moi ?
Elle ignoroit encor, qu'arrivez à leur terme,
Au
lieu qui les vît naître un tombeau les renferme.
On avoit Vers Priam député deux Hérauts.
L'un
d'eux, en ce moment, l'aborde avec ces mots ;
Grand Roi, tes ennemis & tes sujets t'attendent
Pour
sceller, de ta foi, là paix qu'ils se demandent ;
Pâris & Ménélas y consentent tous deux :
Ils
combattront. Le sort va nous juger en eux.
Du combat de Pâris, du sort qui le menace,
Priam frémit, son sang dans ses veines se glace ;
Cependant sur son char, par son ordre, attelé,
Il
monte à ses cotez Ancénor appellé
L'accompagne de Troye ils traversent les portes
Et
parviennent bien-tôt au milieu des cohortes.
Le
vénérable aspect de ces nouveaux témoins,
Fait
hâter les apprêts, redouble encor les soins ;
Ulisse & Ménélas se lèvent à leur vûë ;
Sur
les mains de Priam l'eau sainte est répanduë.
Le
vin coule en offrande ; & du sacré couteau,
Atride tond alors le front de chaque agneau :
La
laine est, selon l'ordre, aux chefs distribuée ;
L'ardeur, par ces détails, n'est point diminuée ;
Au
travers du simbole, un regard pénétrant,
Dans
le culte des Dieux trouve tout saint, tout grand.
Toi, dit Agamemnon, qui lances le tonnerre,
Toi,
soleil qui vois tout, & toi féconde terre,
Vous, vangeurs du parjure, effroyables torrents,
Craints des Dieux, des mortels, & des Mânes errants
Soyez, de nos sermens, les témoins redoutables ;
Préparez, tous ensemble, un supplice aux coupables,
Et
remplissez ainsi tous les temps, tous les lieux,
De
l'utile frayeur des vangeances des Dieux.
Si
mon frère périt, sous le fer d'Alexandre,
Nous
lui laissons les biens qu'il aura sçû défendre,
Mais
si lui-même cède au fer de Ménélas,
Qu'Hélene
reconquise accompagne nos pas ;
Et
qu'un juste tribut, payant notre victoire,
Au
dernier Avenir en transmette la gloire.
Si
malgré nos sermens, le Troyen criminel
Rompt d'une sainte paix le lien solemnel ;
Contre Pergame alors ma fureur se déploye ;
Femmes, enfans, vieillards, tout est proscrit dans Troye
;
Je
verrai ses Palais par le feu dévorez ;
Et
c'est vous, Dieux vangeurs, vous qui m'en assurez.
Il dit. Du coup mortel les victimes frappées
Sont
rejaillir le sang de leurs gorges coupées ;
Le
vin sacré s'épanche, & les regards aux Cieux,
Les
deux Camps imploroient la justice des Dieux :
A la
paix, disent-ils, si quelqu'un sait injure,
Dieux ! qu'ainsi que ce vin, coule son sang parjure.
Abandonnez sa femme en des bras ennemis
Et
que vôtre fureur passe jusqu'à ses fils.
Voeux que n'exauçoit pas le Maître du tonnerre.
Quel combat, dit Priam, va finir cette guerre ?
J'y
consens cependant ; la raison veut qu'en moi
L'intérêt paternel cede au devoir de Roi ;
Ce
combat où mon fils va défier la Parque,
Je
le déteste en père, Se l'approuve en Monarque ;
Mais, aux troubles pressants qui viennent m'émouvoir
C'est trop d'y consentir, je rnourrois de le voir ;
Dans
les murs d'Ilion tremblant, je vais attendre
L'inviolable arrêt que les Destins vont rendre.
Il monte sur son char, le front chargé d'ennui ;
Anténor l'accompagne aussi triste que lui.
Alors le fier Hector avec le sage Ulisse,
Mesure du combat la dangereuse lice,
Et
soudain deux billets dans un casque jettez
Organes du Destin, sont long-temps agitez.
Par
qui le sort veut-il que le combat commence ?
Dans
les Camps attentifs, règne un profond silence ;
De
l'auteur de la guerre ils esperoient la mort,
Comme si nos desirs déterminoient le Sort.
Pâris est l’asaillant que le Destin déclare ;
On
s'éloigne, on sait place au choc qui se prépare.
Pâris prend du combat l'appareil menaçant ;
Sur
ses épaules luit l'acier éblouissant.
Sous
le brillant rampait d’une forte cuirasse
Son
cœur bannit la crainte se rappelle l'audace,
D'une épée, ornement & défense à la fois,
Pendoit à son côté le magnifique poids :
Il a
chargé son bras du fardeau secourable
D'un
bouclier épais & presqu'impénétrable ;
Sur
sa tête est un casque, où de cent crins mouvants
Flotte une fiere aigrette abandonnée aux vents :
Il
prend enfin son dard pour dernier avantage,
Et
semble en l'ébranlant, essayer son courage.
Ménélas entre en lice avec le même éclat
Leurs regards enflammez commencent le combat,
Mais
dans les combattans, moins, il paroît de crainte,
Et
plus les spectateurs en ressentent l'atteinte.
Pâris lance son dard, & du rapide effort,
Pense qu'à Ménélas il a porté la mort.
Le
bouclier resiste, & le dard qu'il renvoyé,
Prive bien-tôt Pâris d'une trompeuse joye.
Le
Grec interessant le Ciel à son courroux,
Croit donner, par ces voeux, plus de force à ses coups.
D'un perfide aujourd'hui, livre-moi la vangeance
Conduis, ô Jupiter ! le trait que je lui lance ;
Que
sans cesse, présente à la postérité,
Sa
mort serve de frein à l'infidélité.
Il
disoit. Le trait part ; & jusqu'à la cuirasse,
Perçant le bouclier, s'ouvre une large trace.
Si
le Troyen adroit n'eût détourné son corps,
Le
Stix, en ce moment, le voyoit sur ses bords.
Le Grec frémit de voir son attente trompée :
Il
vole sur Pâris, l'attaque avec l'épée.
A
ses nouveaux efforts le sort ne répond pas ;
Brisé contre l'airain, le fer vole en éclats.
La
fureur insensée enfante le blasphême :
Injuste Dieu dit-il, tu me trahis toi-même :
Toi,
que j'ai crû vangeur de l'hospitalité,
Tu
dérobes un traître au tourment mérité !
Mon
épée est brisée, & mon dard sans atteinte ?
Du
perfide, sans toi, la vie étoit éteinte.
Sa rage s'en irrite : il court sur le Troyen,
Le
saisit par son casque, en serre le lien ;
Et,
d'un bras vigoureux qu'animé encor la haine
A
peine respirant, vers les Grecs il l'entraîne.
Ménélas triomphoit ; Pâris eût succombé,
Si
Vénus au péril ne l'avoit dérobé.
Elle
rompt le lien ; par ce secours céleste,
Pâris échappe au Grec, à qui le casque reste.
Ménélas, dans le Camp, le jette avec mépris ;
Et
revient, furieux, fondre encor sur Pâris.
Vaine fureur. Vénus, dans un épais nuage,
Lui
déroboit Pâris & trompoit son courage.
Que
n'eût-elle pas fait pour ce Troyen si cher,
Qui,
pour elle, ôsa plus que n'ôsa Jupiter !
Aussi-tôt, d'une vieille empruntant la figure,
De
Grea de qui l'art égale la nature,
Quand d'une riche laine, assemblant les couleurs,
Sur
la toile, elle peint les oiseaux & les fleurs.
La
Déesse empruntant ces traits chéris d'Hélene,
D'un
air mistérieux, aborde cette Reine ;
Par
un signe flatteur l'écarté de sa Cour :
Suivez-moi, lui dit-elle, où vous attend l'Amour ;
Ma
fille, d'un époux remplissez l'espérance
L'impatient Pâris gémit de vôtre absence.
Jamais rien de si beau n'a frappé vos regards ;
Vous
ne le croirez point sorti du champ de Mars ?
Et
les Grâces plutôt, de leurs mains immortelles
Semblent l'avoir paré pour des fêtes nouvelles.
Hélene, en rougissant, à ce discours céda ;
Mais
quand, à la splendeur, la fille de Léda
Au
travers de la vieille, eût connu la Déesse.
Ah,
dit-elle, Venus, que je crains cette adresse !
Cruelle, en quels climats prétends-tu m'entraîner ?
A
quels nouveaux affronts vas-tu me condamner ?
Epouse de Pâris, & la fable de Troye,
De
quel autre étranger serai-je encor la proye ?
Non.
Puisque Ménélas a vaincu, mon époux,
Je
çhoisis le vainqueur, même avec son courroux.
Mon
dépit desormais t'abandonne Alexandre ;
Laisse, pour lui, les Cieux dont il t'a fait descendre ;
Et,
sans t'embarrasser de nectar ni d'autel,
Déesse, mets ta gloire à servir un mortel.
Est-ce ainsi, dit, Vénus, qu'on ose me déplaire ?
Ignorez-vous combien je vous suis nécessaire ?
Et
de vôtre destin quelle seroit l'horreur,
Si
jamais mon amour se changeoit en fureur ?
A
combattre pour vous, ceux qu'en secret j'anime,
Peuvent, si je se veux, vous prendre pour victime.
Hélene plus soumise aux ordres de Vénus,
Cède
alors : elle prend des détours inconnus.
Et
déja, sur ses pas, elle vient de se rendre
Sous
les lambris dorez où repose Alexandre.
Venus, qui dans les cieux revole en ce moment,
Laisse à l'Amour le soin du raccommodement.
Hélene cependant, de son époux s'approche.
Un
regard dédaigneux devance ce reproche :
Tu reviens donc vaincu, lâche & de ton trépas,
Une
suite honteuse a frustré Ménélas.
Toi
qui, loin de ses yeux, lui fis cent fois l'outrage
De
croire sa valeur moindre que ton courage.
Retourne réprouver, va le combattre, & voi
Lequel est de vous deux le plus digne de moi.
Mais
non, tu n'iras point rechercher la victoire ;
Aux
dépens de tes jours tu ne veux point de gloire.
Est-ce à vous, dit Pâris, d'irriter mes douleurs ?
Votre haine doit-elle être un de mes malheurs ?
Ménélas m'a vaincu, secondé de Minerve ;
Pour
le vaincre, à mon tour, Jupiter me reserve ;
Mais
me destina-t-il le sort le plus affreux,
Si
vous m'aimiez ; encor, je suis assez heureux.
Approchez ; chère épouse, & partage ma flamme.
Jamais autant d'ardeur n'a régné dans mon ame.
Non ; Sparte qui vous vit monter sur mon vaisseau,
L'Isle où de nôtre hymen s'alluma le flambeau,
Ne
vous offrirent point à mes yeux si charmante.
Vôtre amour s'éteint-il, lorsque le mien s'augmente ?
Il
l'embrasse & soupire ; à ce soupir si doux,
Hélene ne voit plus qu'un amant dans l'époux.
S'attendrit, & bien tôt dans ses bras entraînée,
Laisse jouir l'Amour des fruits de l'hyménée.
Qu'un soin bien different agite Ménélas !
Sa
fureur au hazard, précipite ses pas ;
En
lion rugissant, il court après sa proye ;
Redemande Pâris aux défenseurs de Troye ;
Aucun ne l'avoit vû ; des siens même abhorré
Aux
mains de son rival il eût été livré.
Equitables témoins, jugez, leur dit Atride :
Nos
droits sont éclaircis ; la victoire en décide.
Songez que le Ciel même est garand du traitté ;
Et
subissez l'arrêt, par vous-même dicté.