Livre II

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   LE sommeil a chassé les soins de l'Univers.

Du Souverain des Dieux les yeux seuls sont ouverts.

Jupiter veut d'Achille honorer le courage,

Et dans le sang des Grecs expier son outrage.

Le conseil en est pris ; & volant à sa voix,

Le Songe seducteur vient recevoir ses loix.

 

    Va, lui dit Jupiter vole aux tentes d'Atride ;

Qu'il arme les Guerriers qui l'ont choisi pour guide

Dis lui qu'enfin rendus aux desirs de Junon,

Tous les Dieux à l’envi lui livrent Ilion.

 

    Il dit. Le Songe part, & d'une aîle rapide,

Fend les airs ; est déjà sur la tête d'Atride,

Pour donner plus de poids aux celestes Arrêts,

Il prend du vieux Nestor les vénérables traits.

 

    Tu dors, Agamemnon ! Que ma voix te ranime,

Chargé de tant de soins, ton sommeil est un crime,

Dit-il, de Jupiter apprends les volontez :

Il laisse encor sur toi descendre ses bontez.

Arme les Grecs, le Ciel a décidé du reste ;

Ilion est proscrit par la troupe celeste.

A cet ordre divin garde de resister,

Et ne r'ouvre les yeux que pour l'exécuter.

 

    Agamemnon surpris d'une trompeuse joye,

Pense que ce jour même il doit entrer dans Troye

Il ignore à quel temps son terme est arrêté,

Et de combien de sang il doit être acheté.

 

    Ses yeux s'ouvrent. Il croit, au moment qu'il s'éveille

Que la divine voix frappe encor son oreille.  

Il se leve t & jaloux de son autorité,  

D'Augustes ornemens accroît sa Majesté.

Un cothurne superbe, une robe éclatante,

D'un redoutable fer la garde étincelante,

Tout brille : il prend enfin, pour commander aux Grecs

Le sceptre paternel, garand de leurs respects.

 

    Phebus alloit bientôt sortir du sein de l’onde ;

L'Aurore sur son char déjà l'annonce au monde.

D'Atride, les Hérauts vont répandre les loix,

Les Argiens en foule accourent à leurs voix.

 

    Il faut d'abord des Chefs prendre un conseil fidelle

Au vaisseau de Nestor Atride les appelle ;

Et là, par ce discours, prévénant les esprits,

Jugez, amis, dit-il, du dessein que j'ai pris.

Un Songe, de nos Dieux ministre respectable,

Est venu m'annoncer leur décret immuable.

Je croyois voir Nestor ; son air étoit pareil.

D'abord il a de crime accusé mon sommeil ;

M'a dit que Jupiter du haut de l'Empirée,

Baissoit encor les yeux sur ta race d'Atrée ;

Qu'il m'abandonnait Troye. A present, c'est à nous

D'aider de nos exploits le celeste couroux.

Je vais feindre qu'il faut abandonner ces rives,

Et repasser les flots sur nos nefs fugitives ;

Si vous voyez des Grecs chanceler la vertu,

Ranimez, à l'envi, leur courage abbattu ;

Qu'ils ne trouvent alors, trop portez à m'en croire

Qu'une voix pour la honte, & mille pour la gloire.

 

    Il s'assit, & Nestor répond à ce discours :

Aux intérêts des Rois les Dieux veillent toûjours.

Si quelqu'autre que toi nous rapportoit ce songe,

Nous sçaurions le traiter de vapeur, de mensonge ;

Mais dans le Chef des Grecs, on doit le respecter ;

Et sans l'approfondir, il faut l'exécuter.

 

    Nestor est applaudi par un commun suffrage :

Ils sortent. Tout le Camp s'assembloit au rivage ;

Tels que d'un creux rocher les essaims bourdonnants    

Pour assieger les fleurs s'assemblent dans les champs

Telles on voit des Grecs les troupes diligentes,      

Deserter, à grand bruit, les vaisseaux & les tentes.

 

    Agamemnon se leve  & le sceptre à la main ;

Ce sceptre qui jadis, chef-d'oeuvre de Vulcain   

Passa de Jupiter dans les mains de Mercure,  

Qui rendit de Pelops l'autorité plus sure,     

Et qui toûjours passant de Héros en Héros

Fait aujourd'hui l'éclat de l'Empire d'Argos.

Appuyé sur ce sceptre, Agamemnon s'avance.       

La crainte & le respect répondent du silence.

       
    Mes amis, leur dit-il, chers compagnons de Mars,

Toûjours prêts, sous mes loix, à braver les hazards, 

Nous nous étions flattez que les tresors de Troye

Pour prix de nos travaux deviendroient notre proy

Le Dieu qui nous donna cet espoir suborneur,

Aujourd'hui nous impose un retour sans honneur.

Le reste d'une armée en cent combats détruite

Va se deshonorer encore par la fuite.   

Ainsi le veut le Dieu par les Dieux reveré,

Qui releve un Empire, ou l'abat à son gré :           

Jupiter nous condamne à la honte éternelle,

De n'avoir pû vanger une juste querelle,

D'avoir tremblé devant de foibles legions,       

Et dix fois plus nombreux que ceux que nous fuyons.

Mais pourquoi le cacher ? des Nations guerrières

Au secours d'Ilion s'avancent les bannières

Voilà ce qui le sauve & des feux & du fer.

Enfin voila pour nous la voix de Jupiter,

Déjà notre vangeance a perdu neuf années.

Des outrages du temps nos barques ruinées,

Ces vaisseaux triomphants qu'Argos nous vit monter

A peine suffiront à nous y reporter.

Cependant plus d'espoir ; les Dieux nous le défendent ;

Nos peres, nos enfans s nos femmes nous attendent.

Allons ; quoique vaincus nous cssuirons leurs pleurs :

Ils s'étoient bien flattez de nous revoir vainqueurs.

 

    Le desordre à ces mots se répand dans l'armée,

Qui du Conseil des Rois n'étoit pas informée.

Tout s’ébranle : il ne part de tout le Camp troublé

Que le cri du retour, mille sois redoublé,

Sous les pieds fugitifs qui foulent le rivage,  

La poussiere s'éleve en un épais nuage ;

Et tous, impatients d'apprêter les vaisseaux,  

N'attendent leur salut que des vents & des eaux.


   Leur indigne clameur jusqu'au Ciel est portée.

Junon frémit de voir sa vangeance avortée ;

Elle court à Pallas & lui tient ce discours :


    Fille de Jupiter, j'implore ton secours.

Faut-il donc que les Grecs chargez d'ignominie,

De nos affronts communs laissent Troye impunie

Qu'après tant de combats Priam plus glorieux,

Prouve à tout l'avenir l'impuissance des Dieux ;

Que l'adultere Helene, enlevée à l'Aulide,

Goûte en repos les fruits de son Himen perfide ;

Et que tant de Héros devant Troye égorgez,

Soient morts pour nous servir, & ne soient pas vangez

Non, guerrière Pallas , prévenons cette injure.

Les Grecs sont ébranlez ; cours, vole & les rassure ;

Arrête leurs vaisseaux , & de ces lâches cœurs

Va, l'égide à la main, faire autant de vainqueurs.

 

    Pour réponse, Pallas descend d'un vol rapide

Aux vaisseaux que les Grecs préparaient pour l'Aulide

A ses premiers regards s'offre ce Chef prudent

Ce Roy qui des revers toûjours indépendant,

Cent fois à sa sagesse asservit la fortune ;

Triste, il déplorait seul la lâcheté commune.

La Déesse l'aborde,  & de ces mots divins,

L'excite à corriger encore les Destins :

 

    Ulisse que te sert cette douleur oisive ?     

Tu vois, sans t'ébranler, la Grece fugitive

Abandonner des murs dévouez à ses coups,

Marche ; que ta douleur se transforme en couroux ;

Que l'armée à ta voix, honteuse de sa fuite,

Se rende à l’entreprise où les Dieux l'ont conduite,

Et que les Grecs prenant des sentimens meilleurs,

Meurent icy plutôt que d'aller vivre ailleurs.

 

    Au discours as Pallas, l'ardeur d'Ulisse éclatte :

Il court énorgueilli d'un ordre qui le flatte ;

Et pour s'armer encor de plus d'autorité,      

Il prend d'Agamemnon le Sceptre redouté.

Volant parmi les Grecs, il conjure, il menace,

Rend aux Chefs, aux Soldats, une nouvelle audace ;

Et d'un zele irrité modérant les fureurs,

Par differens moyens regagne tous les cœurs.

 

    Amis, dit-il aux Chefs, quel démon vous inspire ?

Vos pareils, de la Peur connoissent-ils l'empire ?

Que par vous les Soldats soient icy retenus.

D'Atride les desseins ne vous sont pas connus :

Il a tenté l’armée ; & sa juste vangeance,

Vous puniroit bien-tôt de votre obéissance.

Pénétrez, & craignez ses ordres souverains ;

Jupiter même a mis votre sort dans ses mains.

 

    D'un vil seditieux entend-il le murmure ;

Soudain d'un coup du Sceptre, il repousse l'injure :  

Tai-toi, dit-il, tai-toi, lâche esclave de Mars,

Inutile aux conseils tremblant dans les hazards,

Prétends-tu de ton sort te rendre icy l'arbitre ?

Le nom de Chef des Grecs, n'est-il donc qu'un vain titre ?

Vil Soldat, voudrois-tu te soustraire à ses loix ?

Et secoüer un joug qu'ont reçû tant de Rois.

 

    Ainsi Chefs & Soldats, toute l'armée ensemble,

Retourne des Vaisseaux, au conseil se rassemble,

Avec le même bruit dont l'orage & les flots,

Sont mugir des rochers les horribles échos.

 

    Tout se calme, chacun prend place & fait silence

Du seul, Thersite alors éclatte l'insolence :

Il excite le trouble ; & contre tous les Rois 

Il vomit le reproche & l'injure à la fois

Homme informe & sans honte, & de qui la nature

Assortît en naissant l'ame avec la figure ;

Le dos courbé, l'oeil louche, & les pieds inégaux,

De son cœur monstrueux decelent les défauts :

Censeur infatigable & d'Achille & d'Ulisse,

L'impunité passée enhardit sa malice ;

Par le trouble present à l'audace excité,

Il adresse à son Roi ce discours effronté :


    Assez & trop long-temps tu jouis de nos peines ;

D'un butin precieux tu vois tes tentes pleines ;

L'amas de cent beautez assouvit tes desirs,

Tribut que nos exploits rendent à tes plaisirs.

Tu prétends que les Grecs demeurent devant Troye ?

Attends-tu donc encor quelque nouvelle proye ;

Que d'un jeune Troyen, que pour toi j'aurai pris,

Le pere desolé t'apporte icy le prix ?

Faut-il t'aller chercher de nouvelles captives,

Pour nourrir dans un Camp tes voluptez oisives ?

C'est trop, de tes plaisirs ministres assidus,

T'accorder des honneurs qui ne te sont pas dûs.

Vous Grecs, qui descendez à ces respect infâmes,

Sous le nom de Guerriers, vous n'êtes que des femmes.

Non, non, n'écoutons plus ses avares transports ;

Laissons-le seul icy consumer ses trésors.

Il connoîtra bien-tôt si, sans notre courage,

Il peut garder les biens, dont il nous doit l'usage.

Mais le lâche sçait-il te prix de la valeur ?

Du plus brave des Grecs il a fait le malheur :

Il vient de lui ravir la Captive qu'il aime ;

Et nous l'avons souffert ! Il l'a souffert lui-même !

Atride encor vivant, joint de nos affronts ;

Nous les méritons bien, puisque nous les souffrons.

 

    Ulisse furieux, s'approche de Thersite ;

Ses yeux disent déjà ce que son cœur medite.

Importun Harangueur, lui dit-il, est-ce à toi

De contredire icy les desseins de ton Roy

Lâche dans l'action ; en discours téméraire,

Tu ne peux nous servir ; sçache du moins te taire ;

Et sans t'embarrasser d'un départ incertain,

Attends, avec respect, le décret souverain.

Qu'est-ce que contre Atride un lâche se propose ?

Jupiter l'a fait Roy, Thersite le dépose ;

Et l'insensé qu'il est, croit nous ouvrir les yeux,

En condamnant un choix qu'ont approuve les Dieux.

Retiens ce mot, & crains l'effet de la menace ;

Si le moindre discours échappe à ton audace,

Tu verras à l'instant tes murmures punis,

Ou je consens à perdre & le jour & mon fils.

 

    Il frappe en menaçant : Son courroux, qui s'essaye

Lui fait déja du Sceptre une sanglante playe.

Thersite pleure : il garde un silence profond,

Et fuit au premier coup, de crainte d'un second.

 

    Le ris de tous les Grecs suit l'action d'Ulisse

Tandis qu'à ce Guerrier, Pallas toûjours propice,

Sous les traits d'un Héraut ordonne d'écouter

Le discours, qu'elle même, elle lui va dicter.

  

   Atride, il est donc vrai qu'une armée infidelle

Cherche à souiller ton nom d'une tache éternelle ;

Qu'au mépris des sermens qu'ils t'ont fait en Argos

Les Grecs ont resolu de repasser les flots.

Ne jurâmes nous pas, pleins d'ardeur & de joye,

De ne revoir nos bords, que triomphants de Troye ?

Nous voulons maintenant, méprisables Guerriers,

Chargez d'un long affront rentrer dans nos foyers !

Je sçai qu'un doux instinct  qu'une voix naturelle,  

Auprès de nos enfans sans cesse nous t'appelle ;

Le Pilote, un seul mois éloigné de leurs yeux,

De son impatience importune les Dieux ;     

Et depuis qu’Ilion joüit de nos traverses,        

Le Soleil a neuf fois vu ses maisons diverses

Mais la honte pour nous en croîtroit encor plus,

D'avoir tant demeuré pour retourner vaincus.

Opposez donc, amis, le courage à l'obstacle ;

Le temps va de Chalchas justifier l'oracle.

Je vous atteste tous, vous vous en souvenez,

Reste de nos Héros par le fer moissonnez ;

L'évenenent encor à mes yeux se retrace :

Nos sermens de Pâris avoient proscrit la race,

Et l’Aulide déjà sur les flots étonnez,

Voyoit mille Vaisseaux contre Ilion tournez :  

Nous offrions au Ciel, pour le rendre propice  

De cent taureaux choisis l'auguste Sacrifice,

C'était sous un platane arrosé d'un ruisseau :

Quand nos yeux sont frappez d'un prodige nouveau.

Un Dragon que des Dieux suscite la puissance,

Sort du pied de l'Autel, jusqu'à l'arbre s'élance,

De sa dent carnassiere engloutit huit oyseaux,

Et leur mere avec eux, errant sur les rameaux.

A peine ils ne sont plus, que ce dragon énorme,

Terrible encor à voir, en rocher se transforme.

Une muette horreur au Ciel fixoit nos yeux.

Ecoutez, dit Calchas, ce qu'annoncent les Dieux.

Ne vous rebuttez point d'une trop longue attente ;

Vôtre gloire tardive, en sera plus confiante.

Autant d'ans que ce monstre a dévoré d'oyseaux,

Aux rives d'Ilion retiendront vos vaisseaux,

Mais vous verrez  ainsi le veut la destinée,

Vôtre gloire & sa chutte à la dixième année.

Grecs, nous touchons au terme annoncé par Calchas :

Méritons que les Dieux ne le démentent pas.

 

    La Peur fuit à ces mots ; le Camp reprend courage,

Et d'un long cri de joye ébranle le rivage.

 

    Par un nouveau discours, Nestor non moins pressant,

Excite encor des Grecs le zêle renaissant.

 

    C'est trop perdre de temps en des discours frivoles ;

Qu'enfin les actions succedent aux paroles.

Avant qu'aucun Soldat s'éloigne de ces lieux,

Tentons l'effet certain des promesses des Dieux.        

Je jour que nos Vaisseaux partirent de l’Aulide,

Un présage flatteur fut nôtre premier guide ;

Et d'un coup de tonnerre à la gauche lancé,

Le destin d'Ilion fut alors prononcé.

Qu'aucun ne parte donc que sur quelque Troyenne

Il n'ait vangé l'affront fait à l'époux d'Hélene ;

Et si quelqu'un de nous parle encor de retour ;

S'il renonce à l'honneur, qu'il soit privé du jour.

Atride, c'est à toi de ranger sous les armes

Tes Soldats, désormais amoureux des allarmes.

Sépare les Tribus, & sans confusion,

Sous un seul étendart mets chaque Nation.

D'un secours mutuel que l’ordre soit le gage ;

Tu pourras mieux alors discerner le courage ;

Et si nous manquons Troye, on en jugera mieux

S'il en faut accuser les mortels ou les Dieux.

 

    Atride lui répond : Vieillard dont la sagesse,

Est le plus ferrme appui, le salut de la Grece,

Ah ! de plus d'un Nestor que n'ai-je le secours !

Bien-tôt l'herbe, de Troye auroit couvert les Tours ;

Les Dieux ne veulent pas m'accorder tant de joye ;

La discorde en fureur sur mon Camp se déploye.

Moi-même à mon courroux immolant mon repos,

Je ravis une esclave, & je perds un Héros ;

Mais, que dis-je, sans lui tout nous sera facile ;

Et déjà votre ardeur me rend plus d'un Achille.

Vous Grecs, tenez-vous prêts au combat entrepris ;

Ce jour, de nos travaux va nous donner le prix ;

Qu'on dispose les chars, qu'on prépare les armes :

Il faudra, tout le jour, affronter les allarmes ;

 Et certains du succès par le Ciel tant promis,

Porter le feu vangeur dans les murs ennemis.

 

    Alors le bruit du Camp ressemblé au bruit des ondes,

Quand les vents échappez des cavernes profondes,

Du choc bruyant des flots assiegeant les rochers,

Viennent confondre l'art des timides nochers ;

Tout se disperse ; L'un à la tente s'arrête,

Prend un repas guerrier que lui-même il apprête ;

L'autre d'un sacrifice empruntant le secours,

Pense, en priant les Dieux, mieux pourvoir à ses jours.

 

   Prêt à sacrifier, Agamemnon commande

Que six Chefs qu'il choisît, soient présens à l’offrande,

Autour de la victime ils viennent se ranger,

Quand, levant le coûteau dont il va l'égorger,

Atride, au milieu d'eux, forme cette prière :

 

    Ne sais point succéder la nuit à la lumière ;

Roi des Dieux, que d'Hector je n'aye ouvert le flanc,

Que les Grecs n'ayent noyé les Troyens dans leur sang ;

Et que, privé de ceux qui pourroient le défendre,

Priam n'ait vû ses murs & ses palais en cendre.

Il dit : mais Jupiter alors trop rigoureux,

Receut le sacrifice, & rejetta les vœux.

 

    Sous le coûteau sacré tombe & meurt la victime ;

Elle est livrée aux feux que sa graisse r'anime ;

On la partage aux Chefs, on apporte le vin ;     

Déja le sacrifice est devenu festin.

Bien-tôt Nestôr se lève ! il est honteux qu'a table,

Nous perdions, leur dit-il, un temps irréparable.

Que tes Herauts, Atride,  assemblent les Soldats ;

Et nous, enflammons-les de la soif des combats.

 

    Ce que Nestor conseille & Atride le commande :

Les Hérauts diligents courent de bande en bande,

Tout accourt à leur voix ; & les Chefs differents

Marquent à tous les corps leurs emplois & leurs rangs.

 

   Minerve de l'éclat de l'Egide immortel,

Allume dans leurs cœurs une audace nouvelle ;

Par-tout chasse la Peur & les soins du retour ;

Fait naître à son aspect le fier mépris du jour ;

Enflame, tous les Grecs d'une noble furie,

Et du Champ de bataille, elle fait leur patrie.

 

    Des Cignes du Caïste, on voit les bataillons,

A flots tumultueux inonder les valons ;

De cent battemens d'aîle ils expriment leur joye,

Et frappent l'air de cris que l'écho leur renvoye.

Sur les bords du Scamandre, ainsi les Argiens

Poussent cent cris rendus par les échos Troyens.

 

    Atride les conduit, garand de leur fortune ;

On le prendroit pour Mars, Jupiter ou Neptune.

Près de lui s’éclipsoit l'éclat des autres Rois,

Sa haute majesté justifioit leur choix.

 

    En ce moment, Iris, plus vîte que Borée,

Messagere des Dieux, fend la plaine azurée :

Au Palais de Priam, elle trouve assemblez

Tous les Héros Troyens, par son ordre appellez.

Ils consultoient. Iris prend les traits de Polite,

D'un des fils de Priam, qui du tombeau d'Asite,

Observoit du Camp Grec les mouvemens divers,

Et se présente au Roi sous, des dehors si chers.  

 

    Que servent, dit Iris, ces conseils trop tranquilles ?

Croyons-nous de la paix habiter les aziles ?

Les Grecs impatiens de renverser nos tours,

Vont prendre pour agir le temps de nos discours.

Oui, j'ai vû s'avancer leurs troupes redoutables ;

Des rives de la mer ils égalent les sables.

Leve-toi  cher Hector, préviens notre malheur ;

Il faut du moins au nombre opposer ta valeur.

Rassemble les Soldats ; sois le guide & le maître

De ceux que dans ses murs Ilion a vu naître.

Mille autres sont venus partager nos dangers ;

Fais marcher sous leurs Chefs, ces Soldats étrangers ;

Et du Camp Argien ne sussions-nous que l'ombre,

Que l'ordre & la valeur nous tienne lieu de nombre.

 

    Hector ne répond rien, mais court exécuter

Le généreux conseil qu'Iris vient d'apporter,

De Pergame à l’instant il fait ouvrir les portes,

Et va sous les remparts disposer ses Cohortes.

Bien-tôt tout est en ordre, & d'un courage égal,

Les deux Camps, du combat attendent le signal.