La mort d'Hector

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Cependant Hector, dès qu'il voit Achille s'avancer sur lui, est saisi de frayeur, et s'efforce de fuir. Mais Achille aux pieds légers l'a vite rejoint. Il ne permet pas que d'autres guerriers grecs lui enlèvent le plaisir de sa victoire en frappant son adversaire. Et voici que Minerve, par une ruse suprême, se présente à Hector sous les traits d'un de ses frères, Déiphobe, et lui promet de s'associer avec lui pour accabler Achille. Le chef troyen reprend courage, se retourne, et affronte son ennemi.

 Alors Hector tira l'épée aiguisée qui lui pendait sur le flanc, grande et terrible ; et il s'élança, pareil à un aigle volant très haut qui descend dans la plaine, parmi des nuées obscures, pour ravir un tendre agneau ou un lièvre timide. Tel s'élançait Hector, brandissant son épée aiguisée; et Achille s'élançait en même temps, le cœur rempli d'une vigueur farouche ; et sous son bouclier il tendait sa belle poitrine, tandis que son casque étincelant s'agitait, et que se mouvait, autour de lui, la crinière d'or épaisse que Vulcain avait posée sur sa crête... Ainsi Achille élevait dans sa main droite la pointe acérée, méditant d'accabler le divin Hector, et considérant son beau corps pour chercher l'endroit où il pourrait le mieux le frapper. Or, sur tout le reste de ce corps, la chair était recouverte de la belle armure de bronze qu'Hector avait enlevée au vaillant Patrocle après l'avoir tué ; mais il y avait une ouverture à l'endroit où la clavicule sépare les épaules du cou, endroit par où la destruction de la mort pénètre le plus vite. Et c'est cet endroit que frappe de sa lance le noble Achille, en se précipitant, et la pointe pénètre jusqu'au fond, à travers la gorge délicate. Cependant la lance terrible ne tranche pas le gosier, de telle sorte que le mourant peut encore parler. Mais il tombe parmi la poussière ; et le divin Achille s'enorgueillit de sa victoire :

« Hector, tu pensais sans doute, en tuant Patrocle, que nul danger ne te menaçait ; et de moi, qui étais absent, tu n'avais nul souci, ô insensé ! Et maintenant les chiens et les oiseaux vont te déchirer honteusement pendant que, lui, les Grecs l'enseveliront avec honneur! »

 

 

 Alors, d'un souffle déjà défaillant, Hector au casque étincelant lui dit :

« Par ta vie, et tes genoux, et tes parents, Je te conjure de ne pas me laisser dévorer par les chiens des Grecs, auprès des navires, mais d'accepter les présents d'airain et d'or que te donneront mon père et ma vénérable mère, et, en échange, de leur rendre mon corps, afin que les Troyens et les femmes de Troie puissent m'honorer d'un bûcher après ma mort ! »

 Mais Achille aux pieds rapides lui répondit, avec un regard terrible :

« Ne me supplie pas, chien, ni par mes genoux, ni par mes parents ! Je voudrais que ma force et mon courage me permissent, en quelque manière, de lacérer et de manger ta chair crue, en échange du mal que tu m'as fait ! Tant il s'en faut que personne puisse éloigner les chiens de ta tête ; pas même si l'on apportait dix fois et vingt fois plus de rançon, avec promesse d'en offrir plus encore ; et pas même si Priam, le fils de Dardanus, voulait te racheter au poids de l'or, pas même à ce prix ta vénérable mère ne pourrait te pleurer étendu sur un lit, toi qu'elle a enfanté; mais les chiens et les oiseaux te déchireront tout entier ! »

 Alors Hector, mourant, lui dit :

« En vérité ]e te connais bien, et je ne pouvais pas m'attendre à te persuader : car sûrement tu as en toi un cœur de fer ! Mais prends garde maintenant que, d'une certaine manière, je ne devienne pour toi la cause de la colère des dieux, en ce jour où Paris et Phébus Apollon te feront perdre la vie, malgré toute ta vaillance, devant la porte de Scées ! »

Il finit de parler, et l'ombre de la mort s'étendit sur lui, et son âme s'échappa de ses membres et s'envola aux Enfers, pleurant son sort, abandonnant sa vigueur et sa jeunesse. Et le divin Achille parla encore à son cadavre :

« Meurs ! dit-il. Et quant à moi, en échange de ta mort j'accepterai mon destin, quand il plaira à Jupiter et aux autres dieux immortels de me faire périr ! »