La bataille pour le corps de Patrocle

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Chant XVII. — Le poète nous décrit, dans tout ce chant, la sanglante bataille qui s'engage autour du corps de Patrocle. Ménélas et Ajax sont au premier rang des Grecs ; dans l'armée troyenne, Énée accomplit des exploits merveilleux.  Longtemps la lutte demeure indécise : mais, une fois de plus, Jupiter vient au secours des Troyens et leur assure la victoire. Alors Ajax, fils de Télamon, propose  d'envoyer un  messager auprès d'Achille, pour l'informer de la mort de Patrocle et le prier de venger son ami. La proposition est aussitôt acceptée : Ménélas se met en quête du fils de Nestor, Antilochus, qu'il sait être l'ami d'Achille.

 Ainsi, de nouveau, le terrible combat s'engagea auprès des vaisseaux. Vous auriez dit qu'ils accouraient à la lutte réciproque sans l'ombre de fatigue ni de défaillance, tant ils apportaient d'ardeur à se battre. Et voici quels sentiments les dominaient, dans leurs efforts : les Grecs pensaient que jamais ils ne consentiraient à fuir devant le danger, préférant périr là ; mais le cœur de chaque Troyen espérait, dans sa poitrine, qu'il serait donné aux Troyens de mettre le feu aux navires des Grecs, et de tuer les héros ennemis. C'est avec de telles pensées qu'ils se menaçaient mutuellement.

 

 

 Hector saisit la poupe d'un beau vaisseau agile à courir sur la mer, qui avait amené à Troie Protésilas, mais ne devait point le ramener dans sa patrie. Or, déjà pour la possession de ce vaisseau Grecs et Troyens se massacraient de tout près, ne recevant point à distance l'élan des arcs ni des javelots, mais debout les uns contre les autres, et tous animés d'un même cœur ; et ils combattaient avec des haches aiguisées et des hachettes à deux tranchants, et de grandes épées, et des lances effilées aux deux extrémités. Et maints beaux glaives au fourreau et à la garde sombres s'abattirent sur le sol ; et la terre coulait, toute noire de sang. Mais Hector, après qu'il eut saisi la poupe, ne la relâchait plus, tenant dans ses mains la bannière qui la surmontait ; et il lançait ses ordres aux Troyens :

« Apportez le feu, et, tous ensemble, d'un même mouvement, élevez le cri de guerre ! Voici que Jupiter nous a donné à tous ce jour infiniment souhaité, le jour où nous allons pouvoir enfin nous emparer de ces navires qui, étant venus ici contre le gré des dieux, nous ont amené maintes calamités, en raison de la lâcheté de nos aînés de Troie qui me retenaient moi-même malgré mon désir d'aller combattre auprès des poupes des navires, et empêchaient notre armée d'engager ce combat ! Mais si, alors, Jupiter qui regarde de haut troublait nos esprits, c'est lui-même qui, à présent, les excite et les stimule.»

 Ainsi il parla, et ses hommes se jetèrent sur les Grecs avec un redoublement d'ardeur. Et Ajax ne put point supporter plus longtemps leur assaut, pressé comme il l'était par leurs traits, mais se recula quelque peu, — croyant bien qu'il allait mourir, — jusque vers le banc des rameurs long de sept pieds. Mais là il s'arrêta, l'œil aux aguets : et toujours, de sa lance, il repoussait les Troyens  des navires, aussitôt  que l'un  d'eux, infatigablement, en approchait la flamme ; et toujours, par de grands cris terribles, il  exhortait les  Grecs.

 Et bientôt, furieux, il s'élança de nouveau dans la bataille, avec sa lance aiguisée. Et quiconque des Troyens s'approchait des navires creux, avec le feu enflammé, pour obéir à Hector qui les excitait, Ajax aussitôt le blessait, l'accueillant de sa lance aiguë. Douze hommes furent ainsi frappés de sa main, tout contre les navires.