Achille et les envoyés d'Agamemnon

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Et lorsqu'ils eurent apaisé en soi le désir de manger et de boire, le divin Ulysse remplit une coupe de vin et la présente à Achille.

« Salut, Achille ! lui dit-il. Certes, les repas magni-fiques ne nous manquent pas, soit sous la tente de l'Atride Agamemnon ou ici chez toi : car de part et d'autre bien des choses nous sont offertes pour nous rassasier ; mais ce n'est point d'aimables repas que nous avons souci ! 0 noble Achille, nous assistons à une grande défaite, et nous sommes remplis de crainte, nous demandant si nous pourrons sauver les vaisseaux bien planchéiés ou si nous sommes condamnés à les voir périr, à moins cependant que tu veuilles revêtir de nouveau ta valeur! Voici, en effet, que les Troyens et leurs alliés convoqués de loin ont installé leur camp auprès de nos vaisseaux et de nos remparts, et voici qu'ils ont allumé de grands feux dans leurs camps, et déclarent qu'ils ne se contiendront plus, mais feront irruption sur les noirs vaisseaux! En même temps, Jupiter fils de Saturne lance la foudre, et leur montre des signes prospères, pendant qu'Hector, s'enorgueillissant de sa force et de l'appui du Dieu, fait rage terriblement, et ne s'inquiète de personne, homme ou Dieu, mais, envahi d'une rage immense, prie le Ciel qu'apparaisse au plus vite la divine Aurore !... Aussi ai-je grandement crainte, dans mon cœur, que les dieux ne réalisent ce dont il se vante, et que notre mauvais sort ne nous condamne à périr ici, en terre troyenne, loin d'Argos propice aux chevaux. Mais toi, lève-toi, si tu désires sauver les fils misérables des Grecs des coups mortels des Troyens ! Toi-même, plus tard, tu t'en désoleras, et aucun moyen n'existera plus de trouver un remède au mal accompli ! Et, donc, prends plutôt sur toi, pendant qu'il est temps encore, de détourner des Grecs le jour de malheur !... Consens enfin à te relâcher de ta funeste colère ! Agamemnon t'offre de dignes présents pour que tu renonces à ton irritation. Écoute-moi seulement, et je vais te dire tous les présents que, dans sa tente, Agamemnon t'a promis : sept trépieds à l'épreuve du feu, et dix talents d'or, et vingt vases excellents, et douze chevaux gras qui ont remporté des prix par leur vitesse... Et puis il te donnera sept femmes adroites à des ouvrages précieux, surpassant en beauté le reste des femmes. Celles-là, il te les donnera, et avec elles sera aussi celle que naguère il t'a enlevée, la fille de Briseus. Toutes ces choses seront placées aussitôt devant toi; et si, ensuite, les dieux nous accordent de dévaster la grande cité de Priam, alors tu chargeras ton vaisseau d'or et d'airain, et tu te choisiras toi-même vingt femmes troyennes, les plus belles qui se trouveront là après Hélène d'Argos. Et si nous parvenons à rentrer dans la plus riche des terres, dans Argos la Grecque, alors tu seras son fils, et il  te  tiendra en honneur exactement comme Oreste, son jeune fils,  qui est nourri en toute abondance. Il a trois filles, dans son palais bien bâti, Chrysothémis, Laodice, et Iphigénie : tu pourras prendre, entre elles, celle que tu voudras, et l'emmener dans la maison de Pelée; et il y ajoutera une grande dot, telle que jamais aucun homme n'en donna avec sa fille...

 

 

« Mais que si Agamemnon est trop odieux à ton cœur, lui et ses présents, veuille du moins avoir pitié de tous les Grecs en danger de périr ; et ceux-là t'honoreront comme un dieu, car en vérité tu te gagneras une gloire immense auprès d'eux. Bien plus, tu pourras aussi tuer Hector : car celui-là viendra très près de toi, dans sa folie mortelle, parce qu'il pense qu'il n'y a aucun homme comparable à lui parmi les Grecs que les vaisseaux ont amenés ici ! »

Mais ni l'éloquence d'Ulysse, ni celle du vénérable vieillard Phénix, qui l'a accompagné, ne réussissent à apaiser la rancune d'Achille.

« Allez, leur déclare le héros, et rapportez la réponse que voici : je ne veux plus songer à la guerre sanglante avant que le vaillant Hector soit parvenu jusqu'à mon camp, après avoir immolé tous les autres Grecs, et qu'il ait lancé sur mes vaisseaux la flamme dévorante ! C'est seulement près de ma tente et de mes vaisseaux que je veux éteindre à jamais la fureur guerrière d'Hector ! »

Et les messagers reviennent tristement rapporter cette réponse à Agamemnon, que Diomède console en lui promettant de renouveler ses exploits dans la journée du lendemain, et d'assurer la victoire aux Grecs, malgré l'absence d'Achille.