Ulysse frappe Thersite

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      Cependant Ulysse restitue Chryséis à son père, qui obtient d'Apollon la cessation du fléau. Mais Thétis, suivant sa promesse, se rend auprès de Jupiter, et le décide, malgré les efforts de Junon, à châtier impitoyablement Agamemnon et les Grecs.

      Au début du Chant II, un Songe, envoyé par Jupiter, revêt la forme du vieux Nestor, et conseille à Agamemnon d'engager aussitôt le combat, en lui promettant une victoire certaine. Agamemnon rassemble les chefs grecs, et, voulant les éprouver, leur propose de mettre à la voile pour rentrer dans leur pays. Déjà les Grecs s'apprêtent à regagner leurs vaisseaux, lorsque Ulysse, averti par Minerve, les en dissuade et les oblige à rester assis dans l'assemblée.

     Or, tous les autres restaient assis en paix, sur le rivage : mais Thersite, seul, continuait à parler bruyamment, en homme incapable de se contenir, et dont l'âme était pleine de paroles abondantes et désordonnées : querellant les rois sans règle ni décence, mais aussi toujours prêt à dire tout ce qu'il prévoyait pouvoir égayer les Grecs. Celui-là était le plus scandaleux de tous les chefs venus vers Troie. Il avait les yeux louches, et boitait d'un pied, et ses deux épaules recourbées se contractaient sur sa poitrine ; et au-dessus d'elles, surgissait une tête pointue sur laquelle poussait une laine clairsemée. Mais surtout il était plein de haine contre Achille et Ulysse, et se plaisait à les attaquer. En ce moment, pourtant, c'était le divin Agamemnon qu'il accablait, à grand bruit, de ses injures. Et les Grecs le détestaient violemment, et s'indignaient dans leur âme de son impudence. Mais lui, vociférant très haut, il assaillait Agamemnon de reproches éhontés :

      « Atride, de quoi donc te plains-tu, et que te manque-t-il ? Tes tentes sont pleines d'airain, et un grand nombre de femmes y sont aussi rassemblées, butin de choix que nous tous, les Grecs, nous te donnons tout d'abord, lorsque nous prenons une ville. Est-ce donc que tu désires encore t'approprier l'or que l'un quelconque des Troyens dompteurs de chevaux pourra apporter de sa ville pour racheter son fils, fait prisonnier par moi-même ou quelque autre Grec ? Ou bien convoites-tu quelque autre jeune femme, afin de la garder pour toi seul ? Mais il ne convient pas que celui qui est. le chef des fils des Achéens les conduise à mal. 0 lâches Achéens, créatures honteuses, indignes du nom d'hommes, hâtons-nous de rentrer dans nos pays avec nos navires ; et laissons celui-ci dans ce pays de Troie, laissons-le se gorger de son butin, pour qu'il sache si, nous aussi, nous pouvons lui être de quelque secours, ou non ! N'a-t-il pas, maintenant, déshonoré Achille, qui vaut infiniment mieux que lui ?.... Mais, évidemment, la colère n'entre pas dans l'âme d'Achille, et celui-ci est devenu lâche : car, sans cela, Atride, tu ne serais plus en état d'injurier personne !»  

 

 

Ainsi  parla  Thersite, insultant  Agamemnon, pasteur des peuples. Mais bientôt le divin Ulysse s'approcha de lui ; et, le regardant sévèrement, le réprimanda en de dures paroles.... Puis,  ayant  fini  de  parler, il le frappa, de son sceptre, sur le dos et les épaules ; et Thersite courba le dos, et une larme chaude lui tomba des yeux, pendant qu'une tumeur sanglante s'élevait sur ses chairs, sous le sceptre d'or. Après quoi il se rassit et fut effrayé, et, le regard plein de honte, dans l'excès de sa peine il essuya la larme. Et tous les autres, malgré la tristesse qui remplissait leurs cœurs, se complurent à rire de lui, chacun disant à son voisin :

« En vérité, Ulysse a déjà fait un nombre infini de choses excellentes, initiateur de bons avis et sans pareil pour préparer la bataille : mais maintenant ceci est, à coup sûr, ce qu'il a fait de mieux parmi nous, en contraignant cet insolent bavard à s'abstenir de ses discours injurieux ! Car jamais plus, désormais, cet esprit plein d'orgueil ne se permettra d'accabler les rois d'insultantes paroles ! »