En vain le vieux Nestor essaie de réconcilier les deux chefs
: tous deux quittent l'assemblée après s'être lancé de nouvelles
injures ; et Agamemnon, pour se consoler de la perte de Chryséis, que
le prudent Ulysse a été chargé de ramener à son père, ordonne à
ses deux hérauts d'aller prendre, sous la tente d'Achille, la belle
Briséis, esclave préférée du jeune héros.
Cependant Achille s'assit en pleurant à l'écart
de ses compagnons, sur le rivage de la mer aux vagues blanches, les yeux
fixés sur les flots infinis ; et, les mains étendues, instamment il
invoqua sa mère bien aimée :
«
Mère, puisque tu m'as enfanté pour un espace de vie très limité, le
maître de l'Olympe, Jupiter qui lance la foudre, aurait dû, tout au
moins, m'accorder la faveur d'être honoré durant ce peu de temps :
mais, maintenant, voici qu'il m'a même refusé la moindre part
d'honneur ! Car il est trop sûr que l'Atride au vaste pouvoir,
Agamemnon, m'a accablé d'ignominie : m'enlevant ma récompense, il la
garde pour lui, par un outrage indigne ! »
Ainsi parla-t-il, en pleurant. Et sa vénérable mère
l'entendit, assise au plus profond des flots, en compagnie du vieillard,
son père. Et aussitôt elle jaillit de la mer aux vagues blanches,
pareille à un brouillard ; et elle s'assit devant son fils tout en
larmes, et le caressa de sa main, et lui adressa ces paroles, en
l'appelant par son nom :
«
Mon fils, pourquoi pleures-tu, et quel chagrin s'est emparé de ton âme?
Parle, mon enfant, ne cache rien au dedans de toi, afin que tous deux
nous sachions ce qui en est ! » |
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Alors, Achille aux pieds légers lui dit en gémissant :
«
Tu sais déjà ce qui en est ; à quoi bon te redire ces choses, à toi
qui sais tout ?..... Mais toi, donc, si seulement tu le peux, viens en
aide à ton fils ! Monte sur l'Olympe, et implore Jupiter, si jamais tu
as réjoui son cœur par des paroles ou des actes ! Car souvent, dans le
palais de mon père, je t'ai entendue te glorifiant, et disant que toi
seule, parmi les immortels, as détourné la dure catastrophe du fils de
Saturne, maître des tempêtes, au temps où tous les autres Olympiens
voulaient l'enchaîner, et parmi eux Junon, et Neptune et Pallas Minerve
: mais toi, accourant vers lui, tu l'as délivré de ses chaînes.....
Rappelle-lui tout cela, et assieds-toi près de lui, et embrasse ses
genoux, si, peut-être, il consent à secourir les Troyens et à
repousser vers leurs navires et vers les flots ces Grecs expirants, afin
que tous jouissent bien de leur roi, et que cet Atride au vaste pouvoir,
Agamemnon, reconnaisse la faute commise par lui en se refusant à
honorer le plus vaillant des Grecs ! »
Sur
quoi Thétis, versant des larmes, lui répondit :
« Hélas ! mon enfant,
pourquoi t'ai-je élevé, toi que j'ai enfanté sous un destin maudit ?
Plût au ciel que tu fusses resté sur ton navire, loin des larmes, et
sans souffrir de dommage! car il est trop certain que la fatalité te
menace, et que ta fin n'est plus éloignée ! Tandis que, maintenant, tu
es à la fois condamné à une mort prochaine et, de ton vivant, obligé
à souffrir par-dessus tous les autres ! Et c'est pourquoi je t'ai
enfanté sous un mauvais destin, dans notre palais ! Mais voici que je
vais me rendre moi-même sur l'Olympe neigeux, afin de rapporter ce que
tu me mandes à Jupiter, qui domine la foudre, pour le cas où peut-être,
il voudra m'écouter ! Quant à toi, retiré sur tes rapides vaisseaux,
continue à rester irrité contre les Grecs, et abstiens-toi désormais
de prendre aucune part à la guerre ! Car Jupiter s'est rendu hier
jusqu'à l'Océan, chez les loyaux Ethiopiens, pour assister à un
festin, et tous les dieux l'ont suivi : mais il revendra sur l'Olympe le
douzième jour, et c'est alors enfin que j'entrerai dans son palais au
seuil d'airain, et il invoquerai en le suppliant. Et j'espère bien
qu'il m'exaucera ! »
Ayant ainsi parlé, elle s'éloigna, laissant Achille toujours
irrité, dans son âme, à cause de la jeune fille à la belle ceinture
qu'on lui avait enlevée contre son gré.
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