COMBAT PRÈS
DU MUR.
Patrocle au camp
guérit Eurypyle blessé ;
Les Grecs et les
Troyens luttent au creux fossé
Sous le mur qui
couvrant maint butin qu'il renferme
Avec Grecs et
vaisseaux, ne resta longtemps ferme ;
Construit malgré
les dieux, (sans hécatombe encor)
Ce grand mur
résista seulement tant qu'Hector
Vécut,
qu'Achille fut à son courroux en proie,
Et que le roi
Priam debout conserva Troie ;
Mais les chefs
troyens morts, ainsi que la plupart
Des Grecs dont
survivaient les autres, le rempart
Du roi Priam
détruit à la dixième année,
Et les Grecs de
retour, leur flotte ramenée
Dans leur chère
patrie, à ce temps révolu
Apollon et
Neptune ensemble ont résolu
De détruire ce
mur, et tous deux, pour qu'il croule,
Dirigent la
fureur de tout fleuve qui roule
Des sommets
idéens dans la mer du pays :
Heptapore,
Carèse, Ésèpe, Simoïs, Granique,
Rhodius, Rhésus,
divin Scamandre,
Où casques,
boucliers tombèrent dans la cendre
Avec nombreux
héros, race de demi-dieux ;
Apollon les fait
tous s'emboucher en ces lieux,
Neuf jours
contre le mur il dirige leur onde,
Et Jupiter
faisant pleuvoir sans cesse, inonde
Pour abîmer ce
mur dans la mer au plus tôt ;
Neptune, son
trident en main, guide le flot,
Disperse tous
les rocs, fondements, chaque poutre
Que les Grecs
avaient mis péniblement ; en outre,
Du rapide
Hellespont il aplanit le bord,
Fait refluer les
cours où tous coulaient d'abord,
Et la muraille à
bas, ensable le rivage ;
Apollon et
Neptune en firent ce ravage.
Mais autour
du bon mur maintenant un cri part
Et s'enflamme un
combat ; frappés de toute part
Craquent les
bois des tours, les guerriers grecs que dompte
Le fouet de
Jupiter pressant leur fuite prompte,
Restent dans
leurs vaisseaux, craignant l'horrible
Hector Qui tel
qu'un ouragan, combat sans cesse encor.
De même qu'un
lion, qu'un sanglier s'agite,
Les chiens et
les chasseurs rangés près de son gîte,
Ceux-ci, comme
une tour, restant sur les chemins,
Armés de
nombreux dards qu'ils lancent de leurs mains,
Lui, fier de sa
vigueur, dans son cœur magnanime
Ne tremble ni ne
craint, la valeur qui l'anime
Le perd : sans
cesse il tourne, essaye, entre à travers
Les chasseurs
dont les rangs, des qu'il fond, sont ouverts ;
Tel à travers la
foule Hector dans ses rangs passe,
S'agite, les
exhorte à franchir cet espace,
Ce très-profond
fossé, ce que n'osent d'abord
Les coursiers
aux pieds prompts qui se tiennent au bord
Hennissant plusieurs fois
sur son extrême crête,
Car ce long
fossé leur fait peur et les arrête,
N'étant certes
facile à traverser d'un saut :
Ses deux bords entourés d'un précipice haut,
En saillie au-dessus s'élevant en façade,
Pour les fortifier est une palissade
De pieux drus,
grands, aigus, pour obstacle aux Troyens ;
Traînant un char superbe,
un coursier n'a moyens
D'entrer
facilement; avant de l'entreprendre,
Les fantassins
songeaient, et là venant se rendre
Vers l'intrépide
Hector, Polydamas parla :
« Hector,
chefs des Troyens, chefs d'alliés, par là
Diriger nos
prompts chars est certes téméraire,
Ce fossé n'est
facile à franchir, car derrière
Le mur des Grecs
s'élève et des pieux sur le bord
Empêchent d'y
combattre, en défendent l'abord
Aux cavaliers
qui vont être atteints de blessure,
Car c'est un
défilé pour eux, la perte est sûre ;
Si Jupiter
tonnant nous seconde, en effet,
S'il veut perdre
les Grecs, qu'au plus tôt ce soit fait,
Que ceux-ci loin
d'Argos périssent tous sans gloire !
Mais si de leurs
vaisseaux les Grecs font, c'est à croire,
Un retour
offensif, si dans ce fossé creux
Nous tombons,
nul n'ira, ce retour fait par eux,
L'annoncer dans
nos murs. Allons, suivez mon ordre :
Les écuyers
tenant nos coursiers en bon ordre
Près du fossé,
suivons Hector, nous à pied tous,
En armes, et les
Grecs ne tiendront contre nous,
S'il est vrai
que leur perte au-dessous d'eux se trouve.»
Polydamas a
dit en sage, Hector l'approuve,
Armé saute du
char à terre ; or, ses guerriers,
Voyant le noble
Hector partir sans ses coursiers,
Fondent tous,
ordonnant qu'au fossé, sur la plage,
Chaque écuyer
ait soin de tenir l'attelage.
Les rangs
forment cinq corps sous les chefs, mais d'ailleurs
Les rangs les
plus nombreux et de tous les meilleurs,
Brûlant surtout
d'aller briser le mur, l'abattre,
Et près des
creux vaisseaux, désireux de combattre,
Ont pour leurs
chefs Hector, Polydamas paillant,
Cébrion en
troisième, Hector, pour surveillant
Laisse au char
un moins bon que Cébrion lui semble ;
Pâris,
Alcathoüs, Agénor sont ensemble ;
Le divin
Déiphobe, Hélénus, eux tous deux
Fils de Priam,
sont chefs des troisièmes ; près d'eux
Se trouve le
héros Asius fils d'Hyrtace,
Venu du Selléis,
d'Arisbe, avec sa race
De grands et
beaux coursiers ; les quatrièmes sont
Au vaillant fils
d'Anchise Enée avec qui vont
Archéloque,
Acamas, fils d'Anténor ; le maître
Des nobles
alliés, Sarpédon, a fait mettre
Le brave
Astéropée et Glaucus près de lui,
Les choisissant
tous deux pour son meilleur appui,
Lui plus noble
que tous ; et dès qu'ils s'assemblèrent,
Sous leurs beaux
boucliers tous pleins d'ardeur allèrent
Droit aux Grecs
qu'ils pensaient devoir fuir aux assauts
Et bientôt
succomber dans leurs sombres vaisseaux.
Troyens, alliés,
tous suivent l'ordre que trace
Le grand
Polydamas ; Asius fils d'Hyrtace
Ne laisse ses
coursiers ni leur guide, et seul chef
Les emmène aux
vaisseaux, l'insensé derechef
N'en reviendra
vers Troie, avant, la Destinée
Au nom affreux
l'aura, le noble Idoménée
Fils de
Deucalion l'abattra sous son trait,
A la funeste Parque il ne sera soustrait ;
A gauche des vaisseaux Asius vole aux plages
D'où reviennent les Grecs avec leurs attelages,
Il y pousse son char ; les verrous et battants
Des portes sont tenus ouverts aux combattants
Qui fuiraient vers la flotte, Asius droit s'élance,
Suivi des siens criant tous avec violence
Que les Grecs vont périr sans combattre aux vaisseaux ;
Insensés! deux guerriers, des meilleurs aux assauts,
Lapithes belliqueux, grands et d'élan rapide,
Aux portes se tenaient, Polypète intrépide
Fils de Pirithous, et Léontée ici
Égal à Mars fléau des mortels ; là ceux-ci
Devant la haute porte alors tous deux se tiennent
Comme les chênes hauts qui sur les monts soutiennent
Tous les jours et la pluie et l'autan en fureur,
Eux enracinés loin ; tels tous deux sans terreur
Attendent confiants dans leurs bras, leur courage,
Qu'Asius vienne au seuil avec son entourage
Où son fils Adamas, Oreste, OEnomaus,
lamène, Thoon, boucliers haut tenus,
Fondent en criant fort; chacun se précipite
Au bon mur en dedans duquel chaque Lapithe
Pousse au combat les Grecs pour sauver les vaisseaux ;
Mais voyant les Troyens s'élancer aux assauts,
Les Grecs fuir en criant, les Lapithes se hâtent
Et courent en dehors des portes, y combattent
Tels que des sangliers sur les monts, y bravant
Les fracas des chasseurs et des chiens arrivant ;
Leurs dents
grincent, chacun obliquement se rue,
Brise le bois
autour, tant qu'un coup ne les tue ;
Ainsi l'airain
brillant sur eux retentit fort,
La se fiant tous
deux à leur vaillant effort,
Aux Grecs qui sur
les tours combattent intrépides
A coups de rocs pour
eux et leurs vaisseaux rapides ;
Comme en épais
flocons la neige au sol s'abat
Des nuages obscurs
qu'un vent violent bat,
Tels vont les traits
des Grecs, des Troyens, un son rauque
Part des ronds
boucliers, des casques qu'un roc choque ;
Asius se plaint,
crie eu frappant ses genoux :
« Jupiter, que
toi-même es perfide envers nous !
J'ai cru qu'aux
héros grecs il serait impossible
De soutenir nos
coups, notre bras invincible ;
Mais tels que les
frelons aux mouvants corselets,
Que les abeilles,
qui nichent dans les galets,
Ne quittant pas
leurs trous, aux chasseurs y résistent,
Luttent pour leurs
petits, tels tous deux ils insistent,
Restent aux portes,
seuls même et ne s'en vont pas,
Qu'ils ne soient
pris ou bien n'aient reçu le trépas ! »
Il dit, mais
Jupiter ne se laisse convaincre,
Il veut couvrir
Hector de la gloire de vaincre.
(Près de chaque
autre porte un combat avait lieu ;
Je ne peux guère ici
tout dire, comme un dieu :
Partout autour du
mur monte une ardente flamme,
Et par force les
Grecs, bien qu'affligés dans l'âme,
Luttent pour leurs
vaisseaux, les dieux qui protégeaient
Les Grecs dans les
combats, en leurs cœurs s'affligeaient ;
Les Lapithes toux
deux engagent la bataille.)
Fils de Pirithoüs,
là Polypète entaille
Damasus par un coup
de lance qui rompt l'os
Au travers de l'airain du casque du héros
Dompté dans son ardeur, tout l'encéphale en trouble ;
Puis il immole Ormène et Pylon d'un coup double ;
Fils de Mars, Léontée aussi se dirigea
Contre Hippomaque, fils d'Antimachus, plongea
Sa lance au baudrier, puis dégainant son glaive,
Il fond, frappe Antiphate et l'abat sur la grève
Où Menon, Iomène, Oreste vont aussi ;
De leur brillante armure ils dépouillent ceux-ci ;
Mais là, suivant Hector et Polydamas, viennent
Les meilleurs rangs, les plus nombreux, qui surtout tiennent
A défoncer le mur et brûler les vaisseaux ;
Ils hésitent encore à livrer les assauts
Près du fossé, voulant franchir,... quand un augure
Leur apparaît, un aigle à la vaste envergure,
Laissant l'armée à gauche, en sa serre enlevant
Un serpent monstrueux, ensanglanté, vivant,
Qui se débat, se courbe, à la poitrine enserre,
Près du col frappe l'aigle, et l'oiseau de sa serre,
En criant de douleur, au loin l'envoie au sol,
Au milieu de la foule, et reprenant son vol,
Monte au souffle du vent. Tous les Troyens s'émeuvent
De voir entre eux ce monstre aux replis qui se meuvent,
Et que sans doute envoie, en présage de maux,
Jupiter à l'Égide ; en lui disant ces mots,
Du téméraire Hector Polydamas s'approche :
« Hector, presque
toujours tu me fais un reproche
D'indiquer au
Conseil quelque sage moyen ;
Mais il ne me sied
pas, moi du peuple troyen,
De parler de travers
parmi nos assemblées,
Ni jamais au plus
fort des sanglantes mêlées,
Pour accroître
toujours ta puissance à nos yeux ;
Je dis encore ici ce
que je crois le mieux ;
Pour les vaisseaux
des Grecs ne faisons pas la guerre,
Car je prévois ceci,
s'il est vrai que naguère
Comme augure aux
Troyens cet aigle est arrivé :
A la gauche des
rangs l'aigle au vol élevé
Survint quand nous
avions de passer outre envie ;
Un serpent
monstrueux, sanglant, encore en vie,
Se débattant,
luttant, dans sa serre est tenu
Par l'aigle qui le
lâche airant qu'il soit venu
A son aire chérie où
sa progéniture
N'a pu de ce serpent
faire sa nourriture ;
Ainsi, quand même au
prix du plus puissant effort,
Nous pourrions
enfoncer leur porte et leur mur fort,
Et quand même les
Grecs seraient mis en déroute,
Nous dans notre
désordre et par la même route
Nous ne reviendrons
pas d'auprès des vaisseaux creux,
Nous abandonnerons
des Troyens très-nombreux
Que les Grecs par
l'airain priveront d'existence,
Lorsque pour leurs
vaisseaux ils feront résistance.
C 'est ainsi qu'un
devin d'un sage esprit dirait,
Et le peuple à sa
voix soudain obéirait. »
L'étincelant
Hector répond, l'œil en colère :
« Polydamas, tu
dis ces mots pour me déplaire,
Tu sais imaginer des
conseils valant mieux ;
Si sérieusement tu
dis, c'est que les dieux
T'ont ravi la raison
; veux-tu que je ne croie,
Quand Jupiter
tonnant m'ordonne et qu'il m'octroie
Et me promet
lui-même ! Et tu viens m'ordonner
D'obéir aux oiseaux qui vont en l'air planer !
Que m'importe qu'à droite ils volent vers l'Aurore,
Du côté du soleil ou bien à gauche encore,
Vers le sombre couchant ? Obéissons aux lois
Du puissant Jupiter, qui commande à la fois
Les dieux et les mortels, et je me le figure,
Défendre sa patrie est le meilleur augure,
C'est le seul!... Que crains-tu la guerre et les combats ?
Quand nous tous devrions trouver la mort là-bas,
Autour des vaisseaux grecs, toi tu n'as pas à craindre
Que la mort, comme nous, aussi te puisse atteindre,
Car tu n'as pas un cœur belliqueux à ce point,
Et contre l'ennemi tu ne résistes point.
Mais si tu t'abstenais du combat qui s'engage,
Si quelqu'un fuit la guerre en suivant ton langage,
Toi d'un coup de ma lance auras soudain péri. »
Il dit,
s'élance en tête, avec un affreux cri
Tous suivent.
Jupiter que réjouit la foudre,
Fait droit vers les
vaisseaux voler le sable en poudre
Qui part en
tourbillons des hauts monts idéens ;
Il veut décourager
l'esprit des Achéens
Afin qu'il comble
Hector et les Troyens de gloire ;
Et tous à ce
présage, à leurs bras veulent croire,
Essayent d'enfoncer
le grand mur, arrachant
Parapets et créneaux
des tours et détachant
Les piliers que les
Grecs d'abord en terre mirent,
Saillants appuis des
tours et qu'en arrière ils tirent
Dans l'espoir que ce
mur va céder à leurs mains ;
Mais les Grecs ne
fuyant encore des chemins,
Entourent le grand
mur de peaux de bœufs et frappent
D'en haut les
ennemis au pied du mur qu'ils sapent.
Alors les deux Ajax
excitent sur les tours
Le courage des
Grecs, courent aux alentours,
Commandent l'un d'un
mot dont la douceur l'engage,
L'autre qui fuit,
blâmé par le plus dur langage :
« 0 mes amis,
vous tous, vous étant les premiers,
Vous moins bons chez
les Grecs, vous autres les derniers,
(Ne se ressemblent
pas en guerre tous les hommes,)
Est à faire à
présent pour tous tant que nous sommes,
Et vous peut-être
aussi ne l'ignorez-vous pas ;
Qu'en arrière aux
vaisseaux nul ne tourne ses pas ;
Écoutez la menace...
En avant ! qu'on s'exhorte,
Et Jupiter tonnant
donnera de la sorte
Que le combat
s'éloigne et jusqu'à la cité. »
Par leurs cris
belliqueux chacun est excité.
Or comme un jour
d'hiver, quand une neige dense
Tombe en nombreux
flocons alors qu'en sa prudence
Jupiter tout à coup
commence de neiger ;
Pour montrer aux
mortels ses traits, il fait changer
Et s'apaiser les
vents et fait neiger sans cesse,
Jusqu'à ce qu'il ait
mis sous une couche épaisse
Les plaines de
lotus, les cimes des hauteurs
Et les féconds
travaux dus aux agriculteurs ;
La neige se répand
sur les ports et la rive
Des mers dont le
blanc flot jusque vers elle arrive,
L'arrête, et tout le
reste est couvert sous l'éther,
Lorsqu'avec force
l'eau tombe de Jupiter ;
Ainsi des deux côtés
de nombreux rocs s'échappent,
Là des Troyens, ici
des Grecs, qui s'entre-frappent ;
Le bruit sur tout le
mur monte, et le bel Hector,
Et les Troyens entre eux n'eussent pu rompre encor
Le mur et Je verrou, si Jupiter suprême
N'eût poussé sur les Grecs Sarpédon, son fils même,
Semblable au lion qui fond contre des taureaux
A la corne tordue ; ainsi fond ce héros,
Levant son bouclier d'airain, superbe ouvrage,
Martelé, forgé d'or en cercle à l'entourage
De nombreux cuirs au centre, il le tient et brandit
Deux traits à sa main, part, comme des monts bondit
Un lion qui longtemps n'ayant eu de chairs, ose
Tenter sur les brebis, (son grand cœur l'y dispose,)
Va dans la maison forte où les bergers sont prêts,
Veillent sur les troupeaux, avec leurs chiens, leurs traits ;
Il ne veut qu'on l'expulse en dehors de l'étable
Sans qu'il tente, il fond, prend,... ou d'un bras redoutable
Un javelot l'atteint dès qu'il fond dans ce lieu ;
Tel poussé par sou cœur Sarpédon, comme un dieu,
Fond au mur pour qu'en haut il l'abatte et disloque ;
Vite il harangue ainsi Glaucus fils d'Hippoloque :
« Pourquoi comme
des dieux, en Lycie avant tous
Sommes-nous honorés,
Glaucus, de mets pour nous,
Et de sièges
d'honneur et de nos coupes pleines,
De beaux champs
cultivés vers le Xanthe et ses plaines ?
C'est pour qu'aux
durs combats nous deux en tête ici,
Un guerrier Lycien
sur nous s'exprime ainsi :
« Nos rois
assurément ne commandent sans gloire
« Dans la Lycie, ils
ont d'excellents vins à boire,
« Mangent de gras
troupeaux, car ils ont le cœur grand
« Et marchent aux
combats toujours au premier rang.»
Si fuyant la
bataille, ami, nous devions être
Immortels sans
vieillir, je n'y viendrais paraître,
Aux combats glorieux
je ne t'enverrais pas,
(Mille Parques ici
menaçant du trépas
Qu'un mortel ne peut
fuir) allons périr ou vaincre ! »
Il dit, Glaucus
va droit, bien facile à convaincre ;
Ils conduisent tous
deux la grande nation
Des Lyciens que
voit, non sans émotion,
Le fils de Pétéus
Ménesthée, (eux deux certe
S’élançant vers sa
tour pour apporter sa perte) ;
Dans le carré des
Grecs partout il cherche à voir
Un chef sauvant les
siens, et peut apercevoir
Les Ajax et Teucer
revenu de ses tentes ;
Il crie et c'est en
vain, des clameurs éclatantes
Suivent au ciel le
bruit des boucliers frappés,
Des casques à
crinière et des battants sapés,
Chaque porte étant
close aux assiégeants près d'elle ;
Vite il mande aux
Ajax son Thootès fidèle :
« Toi mon divin
héraut, cours, vole, appelle ici
Les Ajax, eux tous
deux, car ce vaut mieux ainsi,
Un grand mal nous
menace : en leur élan terrible
Les chefs des
Lyciens par la mêlée horrible
Chargent ; mais si
la lutte aussi monte pour eux,
Qu’Ajax de Télamon,
le héros vigoureux,
Avec l'habile archer
Teucer, seul vers nous vienne. »
Il dit, Thootès
part afin qu'il les prévienne,
Il vole au mur des
Grecs, dit aux Ajax ces mots :
«Chefs des
Grecs cuirassés, nous craignons de grands maux ;
Le cher et divin fils
de Pétéus vous prie
De partager un peu
son travail : en furie
Les chefs des
Lyciens dans l'affreux combat tous
Chargent ; mais si la lutte aussi monte pour vous,
Qu'Ajax de Télamon, grand héros, seul accoure,
Qu'avec l'habile archer Teucer il nous secoure. »
Il dit ; le
noble Ajax fils de Télamon part,
Mais au fils d'Oïlée
il dit, à son départ :
« Ajax et Lycomède,
excitez bien les nôtres,
Je vais là-bas
combattre, et bientôt vers vous autres,
Eux étant secourus,
je ferai mon retour. »
Il dit, vole et
Teucer suit son frère, à son tour,
Pandion lui portant
l'arc courbe, et tous deux viennent
Vers le grand
Ménesthée, (à sa tour ils parviennent,
Vont en dedans du
mur en se hâtant beaucoup) ;
Comme un sombre
ouragan, s'élancent tout à coup
En haut des parapets
les princes intrépides
Guidant les Lyciens
dans leurs assauts rapides ;
Un cri monte ; Ajax
fils de Télamon d'abord
Du coup d'un roc
aigu qui gisait sur le bord
Du parapet du mur, a
fait périr un homme,
Guerrier de
Sarpédon, Épiclès qu'on renomme ;
Même jeune, un
mortel comme ceux d'à présent,
N'eût, sans peine, à
deux mains levé ce bloc pesant ;
Il le lève et de
haut le lance de manière
Qu'il fracasse le
casque à quadruple crinière
Et les os, tous les
os du crâne tout autour ;
Et lui, tel qu'un
plongeur, tombe en bas de la tour ;
De ses os sort la
vie. Et Teucer d'un trait frappe
Glaucus fils
vigoureux d'Hippoloque, qui sape
Le haut mur ; il lui
voit le bras nu qu'il atteint ;
Hors de combat,
Glaucus près du mur ne se tint,
Bondit en se cachant
aux Grecs dont il redoute
Qu'en le voyant
blessé l'un l'insulte sans doute.
Sarpédon est chagrin
en voyant son départ ;
Mais n'oubliant la
guerre, un trait de sa main part,
Blesse un fils de
Thestor, Alcmaon qui succombe,
Suit l'arme retirée,
et tête en avant tombe,
Son bel airain
sonnant ; Sarpédon de sa main
Tient tout un
parapet, ouvre un large chemin,
Le mur à nu ; tous
deux Ajax, Teucer l'atteignent,
L'un frappe au
baudrier dont les guerriers se ceignent ;
Jupiter craint la
mort de son fils au vaisseau,
Il écarte la Parque;
Ajax fond de nouveau,
Le trappe au
bouclier qu'il perce de sa lance,
Lui se recule un peu
du parapet, s'élance,
Se tourne, espérant
vaincre, encourage les siens :
« Pourquoi donc
ainsi vous, ô divins Lyciens,
Êtes-vous moins
pourvus d'impétueux courage ?
Suivez tous, à
plusieurs on fait meilleur ouvrage ;
Je ne peux pas moi
seul, même brave aux assauts,
Parvenir à m'ouvrir
une route aux vaisseaux ! »
Respectant cet
appel du roi, tous s'élancèrent ;
Les phalanges des
Grecs au mur se renforcèrent,
Et pour eux la
grande œuvre apparut; en effet,
Les vaillants
Lyciens n'enfoncent tout à fait
Le mur d'où les
fiers Grecs n'obtiennent qu'ils s'éloignent ;
Tels deux hommes, le
mètre en main, tous deux se joignent,
Se poussent pour la
borne en un petit endroit
De leurs champs où
chacun dispute un égal droit ;
Ainsi les parapets
sont leurs seuls intervalles ;
Ils se brisent
autour des poitrines rivales
Et leurs boucliers
ronds faits de peaux de taureaux,
Et les écus légers de beaucoup de héros
Qui par l'airain cruel s'atteignent de blessures,
Les uns tournant leur dos nu, sans armures sûres,
Et plusieurs au travers même des boucliers.
Mais déjà des deux
parts, sous ces coups meurtriers,
Les Grecs et les
Troyens étant tombés en foulé,
Les tours, les
parapets sont teints du sang qui coule ;
Mais ne fuyant, les
Grecs ne quittent les chemins ;
Comme une femme
honnête et qui vit de ses mains,
En tenant bien le
poids et la laine, égalise,
Tire les deux
plateaux pour qu'elle réalise
Un misérable gain
pour ses enfants nombreux ;
De même les combats
restent égaux entre eux,
Tant que Jupiter
n'offre une gloire plus haute
Au grand fils de
Priam, Hector,... qui premier saute
En haut du mur des
Grecs, en criant aux Troyens :
« Vaillants
Troyens, brisez le mur des Argiens,
Embrasez leurs
vaisseaux par la flamme en furie ! »
De leurs
oreilles tous entendant ce qu'il crie,
Excités vont en
foule au mur pour l'assaillir,
Partout sur les
créneaux se hâtent de saillir
En tenant à la main
la lance à pointe aiguë.
Hector prend une
pierre aux portes contiguë
Et placée au devant,
grosse à l'extrémité
Et piquante en
dessus, si lourde, en vérité,
Que deux hommes du
peuple et les plus forts des hommes,
Du moins deux des
mortels comme aujourd'hui nous sommes,
Ne l'eussent sur un char élevée
aisément,
Et lui seul la
brandit sans peine, (en ce moment
L'adroit fils de
Saturne en ayant fait la masse
Légère pour Hector)
comme un berger ramasse
La toison d'un
bélier sans peine et d'une main,
Sans que le poids
l'accable un peu, tel du chemin
Hector lève la
pierre et tout droit la transporte
Contre les ais bien
joints affermissant la porte
A deux battants
très-hauts et deux verrous croisés
Qu'un boulon en
dedans maintient juxtaposés ;
De très-près, le
pied ferme, il vise dans le centre,
Écarte bien la
jambe, afin que la masse entre
Avec puissance, et
rompt les deux gonds à la fois,
Et la pierre en
dedans tombe de tout son poids ;
Les portes tout
autour avec fracas mugissent,
Les verrous sont
rompus et les ais s'élargissent,
Disjoints au choc du
roc ; le bel Hector bondit,
Semblable à la nuit
prompte, au loin il resplendit
Par le terrible
airain de l'armure qu'il porte,
Il tient en main
deux traits, et quand il rompt la porte,
Nul, excepté les
dieux, n'eût osé l'affronter
Et n'eût eu le
pouvoir alors de l'arrêter ;
Ses yeux lancent la
flamme, il se tourne en arrière,
Exhorte les Troyens
à franchir la barrière ;
A la voix de leur
chef ceux-ci vont d'un pas sûr,
Et tout à coup les
uns franchissent le haut mur,
D'autres en foule
vont par la porte bien faite ;
Les phalanges des
Grecs pris de peur, en défaite,
S'élancent pour
s'enfuir vers les navires creux,
Il s'élève un
tumulte inévitable, affreux.