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ARGUMENT DU LIVRE IX.
ULYSSE commence le récit de ses aventures. Il raconte son incursion sur
la terre des Ciconiens, la tempête qui le jette ensuite sur les côtes
des Lotophages, Ça descente dans l'île des Cyclopes. Il décrit la
situation de cette île, les mœurs de ses habitant, l'antre de Polyphème,
les cruautés que ce Géant exerça sur ses Compagnons, enfin de quelle
manière il se vengea de ce Cyclope, & sut se dérober à sa fureur.
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Le
sage Ulysse enfin, poussant de longs sanglots
Aux vœux d'Alcinoüs
répondit en ces mots :
Heureux Monarque
assis sur un trône paisible,
Eh ! quel Mortel
pourroit, aux plaisirs insensible,
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5
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Entendre avec dédain
ces accens merveilleux,
Qui semblent égaler
la voix même des Dieux
Parmi les biens
divers que le Ciel nous envoie,
Quel objet plus
touchant de plaisir & de joie (1)
Qu'un Peuple dans la
paix coulant des jours sereins,
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10
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Et des Mortels
heureux assis dans ces festins,
Joignant aux
voluptés d'une table abondante,
Les sons harmonieux
d'une lyre touchante !
De ces félicités mon
cœur sent tout le prix ;
Mais lorsqu'à mes
douleurs ramenant mes esprits,
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15
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Grand Roi, vous
ordonnez que ma bouche sincère
Vous expose le cours
de ma longue misère,
Comment pourra ma
voix avec ordre exprimer
Tant de maux dont le
Ciel se plut à m'opprimer ?
Avant d'en commencer
la déplorable histoire,
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20
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Sachez d'abord mon
nom, & qu'à votre mémoire
Ce nom cher à
jamais, vous rappelant ma foi,
Vous dise quel ami
vous possedez en moi.
Vous voyez
devant vous ce trop fameux Ulysse,
Dont la Terre admira
l’adresse & l'artifice.
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25
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Ithaque est ma
patrie, Ithaque dont les bords
Des mers de
l'Occident soutiennent les efforts.
La cime du Nérite en
domine l'enceinte :
Près d'elle on voit
Samé, Dulichium, Zacynthe (2),
Qui, lorsque le
Soleil vient commencer son tour,
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30
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Semblent cacher
Ithaque aux premiers feux du jour.
Un pays montueux, un
sol rude & sauvage,
D'une ardente
jeunesse y nourrit le courage.
C'est cet âpre
séjour que préfère mon cœur
A tout ce que la
terre a de plus enchanteur ;
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35
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C'est pour lui que
ce cœur a soupiré sans cesse,
Qu'insensible aux
soupirs d'orne belle Déesse,
J'ai quitté Calypso,
j'ai sui ses antres frais,
Où son amour vouloit
m'arrêter pour jamais ;
Qu'aux voluptés
enfin j'ai préféré les peines,
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40
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Et rompu de Circé
les amoureuses chaînes.
Quel objet en effet
plus touchant & plus doux (3)
Que les noms de
Patrie, & de Père & d'Époux !
Quel climat fortuné,
quel fertile rivage
Des lieux où l'on
naquit peut effacer l'image !
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45
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Mais vous saurez
enfin combien de maux divers
M'ont dès bords
Phrygiens poursuivi sur les mers.
Secondé par les
vents que Jupiter m'envoie (4),
Je pars, &,
m'éloignant des rivages de Troie,
J'arrive aux champs
d'Ismare, aux bords Ciconiens ;
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50
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Je renverse leurs
murs, je dévaste leurs biens ;
Entre mes Compagnons
aussitôt je partage
Un immense butin, le
prix de leur courage.
J'ordonne le départ
; mais leur cœur enivré,
Aux plaisirs des
festins aveuglément livré,
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55
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Méprisa de leur Roi
les ordres légitimes.
Ils immoloient encor
de nouvelles victimes,
Quand soudain,
accourant pour venger leurs voisins,
Des Peuples de ces
bords les belliqueux essaims
Parurent, comme on
voit les fleurs épanouies
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60
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Dans les jours du
Printemps émailler les prairies :
Ils vinrent,
éclairés par les feux du matin,
Changer en un long
deuil notre brillant destin,
Et, signalant sur
nous leur fureur meurtrière,
Du sang de mes Amis
arroser la poussière.
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65
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Tant que l'astre du
jour s'élevant vers les cieux,
Accrut au sein des
airs la splendeur de ses feux,
Notre ferme valeur
sut balancer leur nombre ;
Mais, lorsqu'à son
déclin le jour devint plus sombre,
La victoire pour eux
sembla se décider ;
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70
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A l'ennemi vainqueur
il nous fallut céder,
Presser notre
départ, & laisser sur le sable
Nos Guerriers
abattus sous son bras formidable.
Chacun de nos
Vaisseaux, par un semblable sort,
De six vaillans
Guerriers eût à pleurer la mort,
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75
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Mais, malgré les
horreurs d'une suite cruelle,
A nos rites sacrés
notre cœur fut fidèle (5);
Chacun de nous,
poussant de lamentables cris,
Appela par trois
fois nos malheureux Amis.
Cependant
Jupiter, entassant les nuages,
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80
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Couvroit d'un voile
épais la mer & les rivages ;
Nos Vaisseaux,
emportés par les vents & les flots,
Cessèrent d'obéir
aux bras des Matelots.
Les agrès sont
rompus, le mugissant Borée
Fait flotter sur le
mât la voile déchirée :
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85
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Nous cédons à ses
coups, &, fuyant le danger,
Nous cherchons un
abri vers un bord étranger,
Où, plaintifs,
éperdus, pleurant nos destinées,
Il fallut au repos
consacrer deux journées.
Mais le troisième
jour étoit à peine éclos,
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90
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Que la sérénité
reparut sur les flots,
Et, réveillant
l'ardeur & les vœux du Pilote,
Au gré d'un vent
léger fit voguer notre flotte.
J'espérai de revoir
les lieux où je suis né,
Mais en vain ;
l'Aquilon, contre nous déchaîné,
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95
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Quand je pensois
doubler les roches de Malée,
Me fit sur cette
mer, par l'ouragan troublée,
Voguer loin de
Cythère, & consumer neuf jours
A suivre le courant
qui m'entraînoit toujours.
Enfin, triste jouet
des vents & des orages,
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100
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J'arrive, avec ma
flotte, aux champs des Lotophages (6)
A ces climats
vantés, à ces bords enchanteurs,
Où des Peuples
nombreux se nourrissent de fleurs.
J'aborde, je
descends, & le Destin nous mène
Au crystal desiré
d'une pure fontaine,
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105
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Notre repas
s'apprête ; il s'achève, & soudain
Je choisis deux
Guerriers propres à mon dessein,
Deux Amis, dont le
zèle, ainsi que le courage,
Pouvoient mieux
observer cet inconnu rivage.
Escortés d'un Héraut
qui les doit protéger,
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110
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Ils s'avancent en
paix sur ce bord étranger ;
Ils trouvent, non un
Peuple avide & Sanguinaire,
Prêt à lever contre
eux une main meurtrière,
Mais un Peuple
empresse de séduire leurs sens
Par les appas
menteurs de ses cruels présens,
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115
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Par les fruits du
Lotos, dont la douceur perfide (7)
Enivra leurs
esprits, flatta leur bouche avide,
Leur fit oublier
tout pour cet heureux séjour,
Et de leur cœur
trompé bannit tout autre amour.
Instruit de leur
malheur, j'accours, & je m'empresse
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120
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D'arracher mes Amis
à leur fatale ivresse ;
Je les ramène au
port , &, contraignant leurs vœux,
Malgré les pleurs
amers qui couloient de leurs yeux,
Sur les bancs des
Rameurs soudain je les enchaîne.
Je commande aux
Vaisseaux d'abandonner l'arène ;
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125
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Je presse le départ,
& la rame avec bruit
Fend le flot azuré
qui bouillonne & blanchit.
Nous voguons, & bientôt une rive inconnue,
Pour accroître nos
maux, s'offrit à notre vue.
C'étoit-là qu'habitoient
les Cyclopes cruels (8),
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130
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Race impie & sans
loix, & l'effroi des Mortels,
Qui jamais, par les
soins d'une heureuse culture,
N'a su dans les
guérets féconder la Nature ;
Mais grossière &
sans art, elle attend des saisons
Les précieux trésors
des fertiles moissons.
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135
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La Nature en effet y
demande à la terre,
Sans travaux & sans
art, un tribut volontaire,
Et l'orge & le
froment, & leurs épis dorés,
Et les pampres
couverts de raisins colorés.
Thémis, de ces
climats à jamais exilée,
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140
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Ne dicte point ses loix à la
foule assemblée ;
Les Cyclopes épars
sur la cime des monts,
Ont fixé leur séjour
dans des antres profonds,
Où chacun, libre &
maître, au gré de son caprice,
A sa femme, à ses
fils, dispense la justice.
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145
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Une île inhabitée, &
proche de ce bord,
Défend cette
contrée, en protège l'abord.
On n'y trouve en
tout temps que des chèvres sauvages,
Errantes dans les
bois sous d'antiques ombrages,
Dont jamais le
Chasseur n'a troublé le repos :
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150
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Ses cris y sont
encore inconnus aux échos.
Jamais le Laboureur,
en cette île déserte,
Ne confia ses grains
à la terre entr'ouverte ;
Et jamais les
Bergers, sur ce bord descendus,
N'ont vu dans ces
vallons leurs troupeaux répandus.
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155
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Le Cyclope, enfermé
dans son sauvage empire,
Ignore l'art heureux
d'équiper un Navire,
De traverser les
mers, d'aller, en divers lieux,
Profiter des travaux
de l'homme industrieux.
Cependant le Colon,
transporté dans cette île (9),
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160
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Eût animé sens peine
un sol gras & fertile,
Eût recueilli des
fruits venus dans leurs saisons,
Et couvert les
guérets d'abondantes moissons ;
La vigne eût
aisément, sur les coteaux nourrie,
Payé du Laboureur la
facile industrie ;
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165
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De ses prés
verdoyans la molle humidité,
Annonce sa fraîcheur
& sa fécondité ;
Ils bordent le
rivage, où, dans un port tranquille,
Les Vaisseaux en
tout temps trouvent un sur asyle,
Et, sans être
enchaînés par des cables pesans,
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170
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Peuvent attendre en
paix le souffle heureux des vents.
Vers le centre
du port couronné de verdure,
Une grotte profonde
épanche une onde pure,
Parmi des peupliers
de qui les rameaux verds
Dominent à l’entour
sur la plaine des mers.
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175
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C'est dans ce vaste
port que, par un Dieu conduite,
Ma flotte se sauva
des fureurs d'Amphitrite,
Au milieu de la nuit
& des sombres brouillards,
Qui, dérobant la
lune à nos tremblans regards,
Cachoient l'île & le
port, & les flots que l'orage,
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180
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Avec un bruit
affreux, rouloit vers le rivage.
A peine dans les
Cieux l'Aurore de retour
Eut enflammé les
airs des premiers feux du jour,
Nous allons, sur les
bords de cette île inconnue,
Porter de tous côtés
nos pas & notre vue.
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185
|
Les Nymphes des
forets, par de généreux soins,
Daignèrent aussitôt
pourvoir à nos besoins,
Et firent devant
nous courir dans les campagnes,
Ces chèvres que leur
main nourrit sur les montagnes,
Un immense troupeau,
pressé de toutes parts,
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190
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Dans une vaste
enceinte expira sous nos dards.
Sur mes douze
Vaisseaux mes Guerriers pleins de joie,
S'empressent
aussitôt de partager leur proie,
D'apprêter leur
repas, & d'épancher ces vins,
Ces vins délicieux
qu'avoient conquis nos mains.
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195
|
Aux bords Ciconiens,
sur les débris d'Ismare.
Nos yeux étoient
fixés vers ce pays barbare,
Dont le cruel
Cyclope habite les coteaux.
Nous entendions
leurs cris, & les cris des troupeaux.
Cependant le Soleil
plongeant ses feux dans l'onde,
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200
|
Ramena de la nuit
l'obscurité profonde ;
Mais sitôt que
l'Aurore eut commencé son cours,
J'assemblai mes
Guerriers, & leur tins ce discours :
O vous dont
j'éprouvai la tendresse & le zèle,
Demeurez, mes Amis ;
un nouveau soin m'appelle
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205
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Je vais sur mon
Navire, avec mes Compagnons,
Apprendre quels
mortels habitent ces vallons,
Si l'injustice règne
en leur cœur sanguinaire,
Ou si la voix des
Dieux leur parle & les éclaire.
Mes ordres sont
donnés ; je pars, & mon Vaisseau
|
210
|
S'avance en
sillonnant la surface de l'eau.
J'aborde, &
j'aperçois une caverne sombre,
Que des lauriers
épais entouroient de leur ombre ;
Un long mur de
rochers forme une vaste cour,
Qui de l'antre
profond embrasse le contour.
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215
|
C'étoit-là le
séjour, ou plutôt le repaire
D'un Monstre, d'un
Géant horrible & sanguinaire,
Qui, dans la
solitude, & loin de ses égaux,
S'occupoit seulement
du soin de ses troupeaux,
Et dont le cœur
barbare, enclin aux injustices,
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220
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De ces sauvages
mœurs rassembloit tous les vices (10).
Son aspect;
effrayant sembloit offrir aux yeux
Moins un homme qu'un
mont, dont le front sourcilleux,
S'élevant au milieu
des plus hautes montagnes,
Domine seul au loin
sur de vastes campagnes (11).
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225
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J'avance vers la
grotte, emmenant avec moi
Douze Guerriers,
choisis dont j'éprouvai la foi ;
Je confie à leurs
soins un outre d'un vin rare
Que je reçus des
mains du Pontife d'Ismare,
Lorsque de sa Cité
renversant les remparts,
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230
|
Il nous vit à son
rang témoigner nos égards,
Écarter loin de lui
le carnage & la flamme,
Prendre sous notre
garde & ses fils & sa femme,
Et dans le bois
sacré qui ceignoit son palais,
Au milieu de la
guerre entretenir la paix.
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235
|
Parmi tous les
présens dont son cœur magnanime
Voulut récompenser
mon respect légitime,
Entre sept talens
d'or, ce vin délicieux
Ne fut pas de ses
dons le moins cher à mes yeux.
Eh ! qui, sans être
épris d'une forte d'ivresse,
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240
|
En eût pu respirer
l'odeur enchantèrent !
Des flots d'une onde
pure unis à sa liqueur,
Ne pouvoient qu'avec
peine en dompter la vigueur (12),
Je ne sais quelle
heureuse & sage prévoyance
Me fit de son
secours emprunter la puissance :
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245
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Tout sembloit
m'annoncer qu'un sévère destin
Me guidoit au séjour
d'un mortel inhumain,
D'un farouche Géant,
dont la fierté sauvage
Ne connoissoit de
loix que sa force & sa rage.
Cependant nous
osons, d'un pas précipité,
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250
|
Franchir le seuil
affreux de l'antre redouté.
Le monstre étoit
absent, & loin de son asyle
Il guidoit ses
troupeaux dans un vallon fertile.
Nous osons pénétrant
dans ce vaste séjour,
En admirer la forme,
en parcourir le tour.
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255
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De chèvres &
d'agneaux trois troupeaux innombrables
Rangés suivant leur
âge, emplissoient les étables ;
D'un lait liquide &
frais cent vases couronnés
Autour de nous
flattoient nos regards étonnés ;
Plus loin, dans des
paniers, le jonc presse & renferme
|
260
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Les doux trésors
d'un lait moins humide & plus ferme,
Ah ! plût au Ciel
qu'alors j'eusse moins présumé
Du courage imprudent
dont j'étois animé,
Et que de mes Amis
écoutant la prière,
J'eusse à leurs
sages vœux soumis mon ame altière !
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265
|
Ils voûtaient,
dérobant ces champêtres trésors,
Retourner au rivage
& fuir loin de ces bords ;
J'y voulus demeurer,
&, par un sacrifice,
Y demander aux Dieux
un favorable hospice.
Combien pour mes
Amis il alloit être affreux !
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270
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Vers son antre déjà
le Cyclope hideux
S'avance, & sur son
dos, sur sa tête difforme,
Des débris des
forêts il porte un poids énorme.
Déjà touchant au
seuil de son vaste réduit,
Il soulève ce faix,
le décharge avec bruit.
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275
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Aussitôt vers le
fond de cette horrible enceinte
Nous fuyons,
palpitans & d'horreur & de crainte :
Nous le voyons,
laissant sous des ombrages frais
Ses boucs au front
altier & ses béliers épais,
Chasser devant ses
pas dans sa caverne sombre
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280
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De pesantes brebis &
des chèvres sans nombre.
Alors, de son bras
seul soulevant sans efforts
Un immense rocher,
que vingt bœufs des plus forts,
Pressés par
l'aiguillon, & marchant dans la plaine,
Ne pourroient ne
traîner, n'ébranler qu'avec peine ;
|
285
|
Il en ferme sa
porte, & dans son antre assis,
Il va, pressant le
sein des chèvres, des brebis,
D'un lait trop
abondant soulager leurs mamelles,
Et rendre les
agneaux à leurs mères fidèles.
Dans des paniers de
jonc qu'il assemble & choisit,
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290
|
Il épanche le lait
que le temps épaissit,
Il en forme avec
soin un aliment solide,
Tandis qu'un lait
plus doux dont ce monstre homicide
Veut étancher sa
soif & rafraîchir ses sens,
Coule à flots &
remplit cent vases différens.
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295
|
Cependant, au
milieu de l'antre solitaire,
Il vient de rallumer
le foyer qui l'éclairé ;
Il nous voit, &
soudain nous adresse ces mots :
Étrangers, quel
desir vous guida sur les flots !
De quels lieux
sortez-vous ! quels soins, quelle fortune (13)
|
300
|
Vous ont fait
parcourir l'empire de Neptune !
A cette voix
terrible, à ces sons menaçans,
L'épouvante &
l'horreur avoient glacé nos sens ;
Mais fermentant
l'effroi qui sembloit me confondre,
J'ose élever la
voix, & soudain lui répondre :
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305
|
Vous voyez
devant vous des Grecs infortunés,
Qui, battus par les
flots & les vents déchaînés,
Loin des bords
d'Ilion, par cent routes diverses,
Ont cherché leur
patrie au milieu des traverses,
En butte aux traits
divers de la fureur des Dieux.
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310
|
Nous servions, dans
le camp d'un Prince glorieux (14)
D'Atride, ce
vainqueur de la superbe Troie.
Que les Dieux
chèrement nous sont payer sa joie !
Malheureux, nous
venons sur ce bord écarté
Vous demander les
dons de l'hospitalité.
|
315
|
S'il est quelques
secours où nous puissions prétendre,
Prosternés à vos
pieds, nous venons les attendre.
Quand nous vous
supplions, écoutez notre voix,
Craignez le Ciel
vengeur, & respectez ses loix.
Le puissant Jupiter
accompagne & protège
|
320
|
Le timide Étranger
que le malheur assiége,
Et venge avec éclat,
par ses traits redoutés,
Les cris du
Suppliant qu'on n'a pas écoutés.
Insensé, que
dis-tu, répondit le Barbare !
Que tu me connois
mal ! & quelle erreur t'égare
|
325
|
De me parler des
Dieux & d'inviter mon cœur
A révérer leurs loix,
à craindre leur fureur !
Eh ! ne sais-tu donc
pas que la céleste voûte,
Que l'Olympe n'a
rien qu'un Cyclope redoute ;
Qu'affranchis envers
eux de respect, de devoir,
|
330
|
Sans peine nous
pourrions défier leur pouvoir ;
Et que si je
daignois te permettre de vivre,
C'est mon cœur, non
leurs loix, que je prétendrois suivre !
Mais apprends-moi le
lieu, le rivage, le port
Où ton heureux
Vaisseau sut trouver un abord.
|
335
|
Je connus son
dessein, je vis son artifice,
Et par ces mots
trompeurs j'abusai sa malice.
Mon Vaisseau
s'est brisé ; le Souverain des mers
L'a poussé sur les
rocs dont vos bords sont couverts.
Vers les extrémités
de cette vaste plage,
|
340
|
Seul, avec ces
Guerriers, j'échappai du naufrage.
A
ce discours, suivi d'un silence profond,
Par des regards
affreux le monstre me répond.
Il s'élance, &
soudain de sa main effrayante,
Il saisit deux des
miens que le sort lui présente,
|
345
|
Les lance contre
terre, & dans leur sang noyés
Imprime sur le roc
leurs ossemens broyés (15),
Et, divisant leur
chair palpitante & meurtrie,
Se hâte d'assouvir
sa barbare furie.
Comme un lion dévore
un faon au sein des bois,
|
350
|
L'impitoyable
monstre engloutit à la fois
Leurs entrailles,
leurs os, & leurs chairs confondues
Dans des mares de
sang sur la terre épandues.
A ce spectacle
affreux, éperdus de douleurs,
Nous tournions vers
le Ciel nos yeux baignés de pleurs,
|
355
|
Nos sens étoient
glacés ; mais sa rage funeste,
De ces horribles
mets consomme en paix le reste,
Et, d'un torrent de
lait en son sein écoulé,
Il appaise la soif
dont il étoit brûlé.
Enfin rassasié, ce
monstre sanguinaire
|
360
|
Se couche dans son
antre & s'étend sur la terre.
D'une audace
nouvelle aussitôt enflammé,
Je voulus approcher,
&, de mon glaive armé,
L'enfoncer dans le
sein de l'horrible Cyclope,
Que de ses nœuds
pesans le sommeil enveloppe,
|
365
|
Quand un autre souci
vint m'arrêter le bras.
Comment aurions-nous
pu nous soustraire au trépas ?
Comment, si le
succès eût suivi notre audace,
Aurions-nous
renversé l'épouvantable masse
Du rocher qui
fermoit ce caverneux réduit !
|
370
|
Ainsi, laissant
l'espoir qui m'avoit trop séduit,
J'attendis, en
pleurant, que la prochaine aurore,
A de nouveaux
malheurs nous ramenât encore.
Le jour bientôt
parut pour accroître nos maux.
Le Cyclope en effet
s'échappant au repos,
|
375
|
Se lève, & reprenant
ses travaux ordinaires,
Reporte ses agneaux
sous le sein de leurs mères
Sur deux de mes Amis
jette un bras inhumain,
Et recommence encor
son horrible festin.
Il ouvre sa caverne,
& sur ses pas en foule,
|
380
|
Son immense troupeau
de son antre s'écoule.
Il en remet la
porte, & soulève ce poids
Plus vite qu'un
Chasseur qui ferme son carquois,
Tandis que le
troupeau que ce monstre accompagne,
Obéit à sa, voix
dont mugit la montagne,
|
385
|
Je recueille mes
sens, je songe à me venger ;
J'en pèse l'avantage
ainsi que le danger ;
Je crois voir, si
Pallas me veut prêter son aide,
Que je puis à nos
maux apporter du remède,
Dans l'antre du
Cyclope est un tronc d'olivier,
|
390
|
Qui jadis sur les
monts levoit son front altier,
Et dont la tige un
jour, par les ans desséchée,
Devoit armer le bras
qui l'avoit arrachée.
On l'eût pris pour
un mât des plus pesans Vaisseaux
Que le commerce
appelle & conduit sur les eaux.
|
395
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J'en coupe une
coudée, &, redoublant de force,
Après que mes Amis
en ont poli l'écorce,
Je l'aiguise, &,
l'offrant aux flammes du foyer,
Je donne à ce
brandon la roideur de l'acier.
Je le cache avec
soin sous l'épaisse poussière
|
400
|
Qui, non loin du
foyer, s'élevoit sur la terre.
Je consulte le Sort,
& fidèle à sa loi,
Je choisis les
Guerriers qui dévoient avec moi,
Dirigeant, enfonçant
ce brandon secourable,
Du Cyclope endormi
percer l'œil effroyable.
|
405
|
Sitôt que le
Soleil disparut sous les eaux,
Le Géant sur ses pas
ramena ses troupeaux,
Et sans les séparer,
démentant son usage,
Il les conduit au
fond de son antre sauvage ;
Il enferme à la fois
& béliers & brebis,
|
410
|
Soit qu'un soupçon
secret alarmât ses esprits,
Soit qu'ainsi le
voulût l'ordre du Dieu suprême.
Dans sa caverne
enfin l'effrayant Polyphême
S'assied, &,
reprenant ses rustiques travaux,
S'empresse à
recueillir le lait de ses troupeaux,
|
415
|
Du sang de deux des
miens va s'assouvir encore,
Les saisit, les
écrase, & soudain les dévore.
Je l'aborde & lui
parle, en portant dans ma main
Un vase couronné de
larges flots de vin.
Cyclope, prends
& bois ; que ta bouche sanglante
|
420
|
Goûte après ce repas
cette liqueur brillante,
Ce vin délicieux du
naufrage échappé :
Par un espoir
flatteur cruellement trompé,
Je venois, délirant
de revoir ma patrie,
Te remettre en
présent cette liqueur chérie.
|
425
|
J'avois cru dans ton
cœur trouver quelque pitié ;
Mais la rage
implacable en bannit l'amitié.
Inhumain ! quel
mortel, instruit de tes outrages,
Osera désormais
visiter ces rivages ?
Le Cyclope
s'avance, &, de sang dégoûtant,
|
430
|
Saisit le vase
offert, l'engloutit à l'instant,
En goûte avec
plaisir la liqueur savoureuse,
En redemande encore,
&, d'une voix affreuse :
Verse, généreux
hôte, &, m'apprenant ton nom,
De ma reconnoissance
attends un noble don.
|
435
|
Il est aussi des
vins en ce climat fertile
Où de ma nation est
l'éternel asyle,
Des vins que Jupiter
y prodigue pour nous ;
Celui-ci fut formé
du nectar le plus doux (16).
J’obéis
aussitôt, & son ardeur stupide
|
440 |
Par trois fois à
longs traits calma sa soif avide.
Sitôt que la liqueur
eut pénétré ses sens,
Je réponds, en ces
mots, à ses discours pressans :
A tes engagement,
Cyclope, sois fidèle ;
Et si tu veux savoir
de quel nom l'on m'appelle
|
445 |
Écoute-moi :
Personne est le nom fortuné
Qu'avec tous mes
amis mes parens m'ont donné.
Le Monstre me
répond par un souris barbare :
Eh bien,
connois, dit-il, quel prix je te prépare :
Je veux bien,
t'accordant un honneur singulier,
|
450 |
Dans mon sein
dévorant t'engloutir le dernier.
Il dit ; déjà
son corps à l'ivresse succombe ;
Le Cyclope, en
parlant, fléchit, chancelle & tombe,
Penche sa tête
énorme, & demeure étendu (17)
Sur le sable rougi
par le sang répandu.
|
455 |
Du sommeil
tout-puissant la vapeur souveraine
S'empare de ses
sens, l'enveloppe, l'enchaîne ;
Il dort, en rejetant
du gouffre de son sein
De longs lambeaux de
chair mêlés de flots de vin.
J'accours & fais
chauffer sous des monceaux de cendre
|
460 |
Ce brandon aiguisé
dont mon sort va dépendre ;
D'un courage nouveau
j'anime mes Amis ;
Un Dieu vint à ma
voix embraser leurs esprits.
Sitôt que le
brandon, de sa pointe allumée,
Commença d'exhaler
une épaisse fumée,
|
465 |
Nous l'emportons
ensemble, & dans l'œil du Géant
Nous courons
enfoncer ce noir tison brûlant ;
Moi-même m'élevant
sur sa tige dressée,
J'aide aux efforts
unis de ma troupe empressée.
Ainsi qu'un artisan
perçant un madrier,
|
470 |
Maintient, dirige &
presse une pointe d'acier,
Qu'à l'aide d'un
lien, tiré d'un bras agile,
Deux hommes sont
tourner sur un pivot facile,
Ainsi dans l'œil
affreux du Cyclope enivré
Tournoit entre nos
mains le brandon préparé ;
|
475 |
Son sang, à gros
bouillons, coulant de sa paupière.
Déjà de flots fumans
rougissoit la poussière ;
Une épaisse vapeur
brûle & noircit son front.
On entend, dans le
creux de l'orbite profond,
Pétiller de son œil
les racines humides.
|
480 |
Tel, sortant des
fourneaux en proie aux feux avides,
Le fer, qu'ont
façonné l'enclume & le marteau,
Plongé dans un
bassin, chausse & sait siffler l'eau (18).
Polyphême aussitôt
jette un cri redoutable,
Que répète l'écho
dans cet antre effroyable.
|
485 |
Nous fuyons, & d'un
bras par la rage excité,
Il tire de son œil
le tronc ensanglanté,
Et, par des cris
nouveaux ébranlant les rivages,
Appelle à son
secours les Cyclopes sauvages.
De leurs antres
profonds sur les rochers épars,
|
490 |
Les Géants à sa voix
volent de toutes parts,
Et, s'arrêtant au
pied de sa vaste retraite,
Lui demandent quel
mal l'agite & l'inquiète :
Dans la paix de
la nuit, quels dangers, quels malheurs
T'arrachent,
disoient-ils ces terribles clameurs !
|
495 |
Qui, de force ou de
ruse, ose attaquer ta vie !
Dans son antre
enfermé Polyphême s'écrie :
Personne, o mes
amis, Personne, & je me meurs (19).
Si Personne en
ce lieu ne cause tes douleurs,
Supporte donc le mal
dont ton corps est la proie,
|
500 |
Soumets-toi,
disent-ils, au Ciel qui te l'envoie ;
Ou, pour en
détourner les accès rigoureux,
Au Souverain des
mers fais entendre tes vœux.
Ils partent à
ces mots, & laissent Polyphème
Exhaler les
transports de sa fureur extrême ;
|
505 |
Tandis que dans mon
cœur je souris, enchanté
De l'erreur imprévue
où mon nom l'a jeté.
Le monstre
cependant marche, en tâtant sa route,
Dans l'antre, dont
en vain il fait mugir la voûte,
Il abat le rocher
qui ferme son séjour ;
|
510 |
Il s'assied, &,
privé de la clarté du jour,
Les deux bras
étendus, il pense, dans sa rage,
Nous saisir aisément
en cet étroit passage.
Combien cet insensé
me croyoit imprudent !
Mais, sans être
abattu dans un péril si grand,
|
515 |
Pour sauver mes
Amis, pour me sauver moi-même,
Je cherchai le
secours d'un nouveau stratagême ;
Un artifice heureux
éclaira ma raison.
Entre tous ces
troupeaux, dont l’épaisse toison
De la neige en
flocons nous présentant l'image,
|
520 |
Annonçoit la bonté
de leur gras pâturage,
Ma main se
saisissant des plus larges béliers,
Les unit trois à
trois par des liens d'osiers,
Et par des rameaux
verds dont le Monstre farouche,
Au sein de sa
caverne, avoit formé sa couche,
|
525 |
Sous ce triple
rempart, avec soin enlacé,
Chacun de mes Amis
dans le centre placé,
Se laissa, par ma
main, attacher & suspendre
Entre les deux
béliers qui le dévoient défendre.
Je restai seul alors
à pourvoir à mes jours.
|
530 |
Le plus épais bélier
sut mon heureux recours.
A son sein attaché,
traîné dans la poussière,
J'attendis du matin
la brillante Courrière.
Bientôt de ses
rayons éclairant les coteaux,
L'Aurore dans les
champs rappela les troupeaux :
|
535 |
Ils sortent tous en
foule, & les brebis bêlantes
Traînent, avec
lenteur, leurs mamelles pesantes,
Des plus vives
douleurs le Cyclope agité,
Étend sur eux son
bras par la rage excité ;
Tandis qu'enveloppés
par le sein qui nous porte,
|
540 |
De son repaire
affreux nous franchissons la porte.
Cependant le
bélier où mon corps attaché
Demeuroit suspendu
sous la toison caché,
S'avançant le
dernier, imprimoit dans le sable
Ses pas appesantis
par le poids qui l'accable.
|
545 |
Le Cyclope l'arrête,
& lui tient ce discours :
O toi bélier
chéri, toi, que je vis toujours,
Devançant mes
brebis, aller dans la prairie,
D'un pas impatient,
fouler l'herbe fleurie ;
Toi qui, soir &
matin, conduisois mes troupeaux
|
550 |
Vers les champs
émaillés, vers le bord des ruisseaux ;
Qui t'arrête
aujourd'hui ! Tu partages peut-être,
Dans ta triste
langueur, la douleur de ton maître,
Qu'un méchant enivra
d'un poison dangereux,
Et priva pour jamais
de la clarté des cieux.
|
555 |
Ah! si, voyant mes
maux, ressentant mon outrage,
De la voix
aujourd'hui tu possédois l'usage,
Si tu pouvois me
dire en quel coin retiré,
Il se rit des
tourmens de mon cœur déchiré,
Que de son front
bientôt brisé contre la pierre,
|
560 |
De larges flots de
sang arroseroient la terre !
Et mon cœur,
satisfait dans son ressentiment,
Goûteroit de ses
maux un doux soulagement.
Il dit : le
bélier sort, & les troupeaux à peine
Loin de l'antre
sanglant s'avançoient dans la plaine,
|
565 |
Que, laissant la
toison où j'étois suspendu,
Je vole à mes Amis,
dont j'étois attendu.
Des nœuds qui les
serraient soudain je les dégage ;
D'un pas précipité
nous courons au rivage,
En chassant devant
nous jusqu'à notre Vaisseau
|
570 |
Quelques agneaux
choisis, séparés du troupeau.
Combien notre
retour, confirmant leurs alarmes,
A tous nos
Compagnons fit répandre de larmes !
J'ordonnai le
silence, &, sans plus de retard,
Du Vaisseau préparé
je hâtai le départ.
|
575 |
Nous quittons le
rivage, & la rame bruyante
Frappe à coups
redoublés la mer obéissante.
Sitôt qu'un peu
d'espace entre la rive & nous
Put mettre en
liberté ma voix & mon courroux :
Cyclope,
m'écriai-je, o toi, dont la furie
|
580 |
S'est sur mes
Compagnons lâchement assouvie,
Qui, fier de ta
vigueur, te fis un jeu cruel
De rejeter les vœux
d'un trop foible mortel,
Et qui, nous
préparant d'horribles funérailles,
D'un mets abominable
as rempli tes entrailles,
|
585 |
Les Dieux t'en ont
puni ! ton tourment mérité
Venge les saintes
loix de l'hospitalité (20).
Le Cyclope
m'entend, &, transporté de rage,
Brise le haut d'un
mont, voisin de ce rivage,
L'arrache, le
soulève, &, d'un bras foudroyant,
|
590 |
Lance à notre
Vaisseau ce rocher effrayant,
Qui, tombant à la
poupe, & faisant jaillir l'onde,
S'engloutit à grand
bruit dans la vague profonde ;
Le gouffre
tourbillonne, & les flots mugissans
Repoussent le
Vaisseau vers les bords blanchissans.
|
595 |
Mais, d'un bras
vigoureux, qu'un Dieu sembloit conduire,
Armé d'un aviron,
j'écartai mon Navire,
Et, d'un signe de
tête animant leurs efforts,
Je pressai les
Rameurs de s'éloigner des bords.
Frappés de ce
danger, dont tous leurs sens frémissent,
|
600 |
Mes Amis à mon ordre
aussitôt obéissent ;
Mais dans leurs
cœurs troublés, quel devint leur effroi,
Quand, voyant plus
d'espace entre la rive & moi,
Et cet éloignement
ranimant mon audace,
Je voulus du Cyclope
outrager la disgrâce !
|
605 |
Arrêtez,
disoient-ils, voulez-vous l'irriter,
Ce farouche Mortel
qu'il nous faut éviter ?
S'il vous entend,
son bras, que la mort accompagne,
Va de nouveau lancer
un éclat de montagne,
Qui, frappant le
Navire, & nous écrasant tous,
|
610 |
Engloutira dans
l'onde & nos débris & nous.
Mais mon cœur,
n'écoutant qu'une aveugle colère,
Fut sourd à leurs
conseils, rejeta leur prière.
Cyclope,
m'écriai-je, ah ! si de ton malheur
Quelque Étranger un
jour vouloit savoir l'auteur,
|
615 |
De la clarté du jour
qui t'a causé la perte,
Dis-lui que c'est le
fils du valeureux Laërte,
Ulysse, qui, fameux
entre les plus grands Rois,
Dans Ithaque jadis
fit respecter ses loix.
Le Cyclope à ces
mots pousse des cris horribles.
|
620 |
Les
voilà donc remplis ces oracles terribles,
Qu'ici, dit-il,
jadis un Devin renommé,
Télème, fit entendre
à mon cœur alarmé !
Ulysse un jour
devoit me priver de la vue.
Mais, o funeste
honte ! o disgrâce imprévue !
|
625 |
Je pensois voir
paroître en ce jour si fatal,
Un homme digne en
tout de marcher mon égal ;
Un homme dont la
force, ainsi que la stature,
Consolât ma défaite,
adoucît mon injure.
Qu'ais-je vu ? c'est
un foible & méprisable nain
|
630 |
Qui dompte ma
vigueur par les charmes du vin !
Viens donc, fils de
Laërte, o trop fameux Ulysse,
Viens recevoir le
prix d'un si noble artifice ;
Viens me voir,
complaisant à tes vœux les plus chers,
Solliciter pour toi
le Souverain des mers,
|
635 |
Neptune ; il est mon
père, il se vante de l'être ;
S'il veut ma
guérison, lui seul en est le maître ;
Lui seul de tous les
Dieux, sensible à mes douleurs,
Peut étendre sur moi
ses puissantes faveurs.
Plut au Ciel
que ma main, m'écriai-je en furie,
|
640 |
En te privant du
jour, t'eût privé de la vie.
Sans doute qu'au
séjour du ténébreux Pluton,
Neptune eût
vainement tenté ta guérison (21).
Soudain, les
bras levés vers la voûte céleste,
Le Monstre prononça
sa prière funeste.
|
645 |
O Neptune,
dit-il, entends mes justes cris.
Si tu ne rougis pas
de me nommer ton fils,
Si, par les prompts
effets de ta haute puissance,
Tu daignes
m'attester l'honneur de ma naissance,
Fais qu'Ulysse, sans
cesse errant & malheureux,
|
650 |
Vers sa patrie en
vain tourne ses tristes yeux !
Ou, si la loi du
Sort ordonne qu'il la voie,
Par des regrets
cuisans empoisonne sa joie !
Qu'après de longs
travaux ses fidèles Amis,
Périssent près de
lui, dans les flots engloutis !
|
655 |
Qu'un Navire
étranger sur ses bords le ramène,
Pour y trouver des
maux aussi grands que ma haine (22).
Il dit ; l'écho
des mers à sa voix répondit,
Et du séjour des
Dieux Neptune l'entendit.
Cependant le
Cyclope aux montagnes voisines
|
660 |
Arrache un roc suivi
d'effroyables ruines,
Et, d'un bras
vigoureux, le lance dans les airs.
Le rocher, en
tombant au sein profond des mers,
Effleura du Vaisseau
la poupe colorée,
Et fit jusques aux
deux jaillir l'onde azurée.
|
665 |
Le flot se soulevant
rend un horrible bruit,
Et vers les bords
voisins nous porte & nous conduit
Vers cette île
sauvage où ma troupe, en silence,
Attendoit mon retour
avec impatience,
Et pleuroit à la
sois ses maux & mon destin.
|
670 |
J'arrive, & mes
Guerriers partagent mon butin,
Ces troupeaux
détournés, ravis à Polyphème ;
Mais, honorant du
Ciel la puissance suprême,
J'offris à Jupiter
un superbe bélier,
Que ma main reçut
d'eux pour le sacrifier.
|
675 |
De la victime en
vain sur l'autel consumée,
Les vents portoient
aux Cieux l'odorante fumée ;
Le Dieu la rejetoit
; ce Dieu s'étoit promis
D'engloutir mes
Vaisseaux avec tous mes Amis.
Tant que l'astre du
jour fit briller sa lumière,
|
680 |
Couchés sur cette
rive, étendus sur la terre,
Aux plaisirs des
festins nous livrâmes nos cœurs.
La nuit vint du
sommeil nous verser les douceurs.
Sitôt que sur
son char, sortant du sein de l'onde,
L'Aurore aux doigts
de rose eut éclairé le monde,
|
685 |
J'ordonnai le
départ, & bientôt dans leurs rangs,
Mes Rameurs
empresses ont occupé leurs bancs ;
La mer déjà
blanchit, par la rame entr'ouverte ;
Nous partons, nous
quittons cette rive déserte,
En pleurant nos
Amis, qu'une sanglante mort
|
690 |
Nous ravit à nos
yeux sur ce funeste bord.
|
Notes, explications et commentaires
(1) Ce passage a fourni aux Critiques une ample
matière de reproches contre la morale d'Homère.
Platon, qui sembloit vouloir ôter à la Poësie
l'avantage d'être aussi instructive
qu'intéressante, ne manqua pas de regarder ces
vers de notre Poète comme une leçon de volupté.
Quelques autres Critiques adoptant cette idée,
n'ont pas craint d'avancer qu'Épicure avoit
puisé son système dans Homère.
Voyez Ath. liv. XII
Tout ce qu'on peut répondre, c'est que ces
Critiques n'emendoient pas mieux le système
d'Épicure que la pensée d'Homère. Ce Poëte peint
Ulysse dégoûté des plaisirs, de l'ambition, & de
tout ce qui peut flatter un Conquérant,
n'aspirant plus qu'à revoir sa Patrie, la Femme
& son Fils. Ulysse voit un Prince assis à table
au milieu des Chefs du peuple ; il rend hommage
à ce spectacle intéressant, &, par les
expressions qu'il emploie, fait entendre qu'il
n'y a point pour une ame sensible, & surtout
pour un Prince, d'objet plus touchant & plus
agréable que le spectacle de sa joie publique.
(2) Homère désigné la position respective
d'Ithaque, & de trois autres îles. Celles-ci
sont plus vers l'orient, & Ithaque est plus
avancée dans la mer du côté de l'occident, &
moins élevée que les autres. On a donné beaucoup
d'autres explications de ce passage, qui ne
semble pas avoir été entièrement éclairci.
Strabon croit que
ζόφον
(vers 26),
veut dire
au nord
: j'avoue que j'aurois de la peine à adopter
cette interprétation, ainsi que celle de Madame
Dacier, sur ces mots,
πρὁς ἠῶ τ ἠέλιόν τε
(vers 26)
qui, suivant elle, veulent dire à
l'orient & au midi.
On ne trouve rien dans Homère qui puisse amodier
de pareilles interprétations.
(03)
ὣς οὐδὲν γλύκιον
(vers34)
Comment les Critiques, qui ont osé abuser d'une
expression douteuse dans le passage que nous
venons d'examiner (Voyez
Rem. I° de ce Livre),
n'ont-ils point été arrêtés par celui-ci. Il
pouvoit leur servir d'éclaircissement sur la
véritable pensée d'Homère ; mais la plupart des
Critiques ne sont point gens à revenir sur leurs
pas.
(4) Je ne saurois m'empêcher de faire admirer au
Lecteur avec quel art Homère a su faire entrer
dans son Poëme tous les évènemens qui avoient
précédé. Ces évènemens forment une très-longue
histoire épisodique, qu'il eût été fort ennuyeux
de raconter de suite sans interruption. Tout
Romancier ou tout Poëte qui auroit eu à traiter
cette matière, n'y auroit cependant pas manqué ;
& je ne crois pas qu'il s'en sût trouvé un seul
qui eût pu se rendre tellement maître de sa
matière, qu'il eût su couper, morceler &
distribuer tous ces divers évènemens, de manière
qu'en les réunissant, on eût comme une histoire
complette, sans lacune &sans répétition. Homère
reprend ici l'histoire de son Héros à
l'origine, c'est-à-dire, à son départ de Troie.
Nous avons vu au IVe Livre, de quelle manière il
s'étoit séparé des autres Généraux Grecs. C'est
cette vaste compréhension qui étonne & qui ravit
dans la distribution des Poëmes d'Homère, & qui
seule, sans parler des charmes de sa Poësie, ne
permettroit aucune comparaison entre lui & les
autres Poètes.
(5) On voit dans Théocrite l'Amant malheureux
supplier sa Maîtresse de respecter son ombre
quand il ne sera plus, & de ne pas oublier de
l'appeler trois fois, en disant ces mots :
Repose mon ami. Id, XXIII.
Pindare fournit aussi des exemples de cette
coutume, & Énée dit dans Virgile :
Et magnâ manes ter voce vocavi.
(6) A voir les contradictions des Anciens sar la
situation des différens peuples dont parle
Homère, il faut, je crois, être bien hardi pour
oser en assigner la véritable position, (Voyez
la Dissertation qui est a la fin de l'Ouvrage.)
Laissons disputer les Savans & les
Commentateurs, & puisons dans Homère ce qu'il y
a de certain, & qui n'y manque jamais, la morale
& la poësie.
(7) Le Lecteur n'exigera pas, sans doute, qu'on lui
apprenne quel étoit ce lotos qui produisoit ces
étonnans effets ; si c'étoit le lotos dont les
Égyptiens se nourrissoient, & qui étoit une sorte de
lys, suivant Hérodote,
Liv. II ;
ou si c'étoit celui qui croissoit en Libye, sur la
pointe de terre des Gindanes, la plus avancée dans
la mer, & qui produisoit un fruit dont la douceur
ressembloit à celle des dattes,
Hérod. liv. IV.
Comme on n'a plus entendu parler depuis Homère, des
effets miraculeux de cette plante, il faut croire
que lui seul en avoit le secret, & que la morale qui
en résulte en est la véritable clef.
(8) Thucydide,
Liv. VI,
en parlant des anciens habitans de la Sicile,
rapporte, comme une tradition à laquelle il n'ajoute
pas beaucoup de soi, que les Lestrigons & les
Cyclopes habitèrent jadis une partie de cette île ;
mais, poursuit-il,
je ne saurois dire d'où ils tiraient leur origine,
d'où ils vinrent, ni ce qu'ils sont devenus ; il
suffit de savoir ce que les Poètes en ont dit.
La réserve de Thucydide nous apprend le cas que nous
devons faire de toutes les conjectures qu'on a
imaginées depuis sur la véritable position de la
terre des Cyclopes. Ce qu'il y a de vraiment
intéressant, c'est la description qu'Homère sait ici
d'un pays fertile, mais sauvage, dont les habitans
n'ont point encore connu les avantages de la
société. Ils sont dans ce grossier état, qu'on a,
mal-à-propos, nommé l'état de la Nature, où les
qualités du cœur & de l'esprit n'ayant point encore
eu occasion d'être développées, laissent l'homme
réduit à l'instinct des bêtes. Voyez à ce sujet un
excellent Ouvrage Anglois de M. Fergusson, sur
l'Histoire de la Société civile.
(9) Comme les Cyclopes ne labouroient ni ne femoient
dans leur pays, il est vraisemblable qu'ils n'en
auraient pas sait davantage dans cette île, qui
n'eût pu être cultivée que par des mains étrangères
:
οἵ κέ σφιν καὶ νῆσον
(vers 130).
C'est ainsi que ce vers doit être entendu, & non de
la manière dont Madame Dacier l'interprète : Ils n'auroient
pas manqué de se mettre en possession de cette île.
Cette Savante n'a pas pris garde que l'article
οί
se rapportera à ἄνδρες
οἵ κέ
κάμοιεν …
οἵ κέ σφιν
..... ἐκάμοντο
(vers 129/130).
(10) L'homme dans la solitude ne sauroit pratiquer
ni la justice, ni la bienfaisance, ni toutes les
vertus qui naissent des relations de la société.
Aussi Aristote, avec cette plénitude de sens qui
caractérise ses Ouvrages, disoit que l'être qui se
suffisoit à lui-même dans la solitude, étoit une
bête féroce ou un Dieu ;
ἤ δὐριον, ἤ
δἐος.
(11) Cette comparaison n'est pas une exagération
poétique, comme le prétend Démétrius de Phalère ;
elle est d'un Poète qui avoit bien étudié la Nature,
& qui connoissoit l'effet que produisent souvent
dans l'esprit des Spectateurs ces rochers à pic
qu'on voit s'élever entre d'autres montagnes. Ces
rochers, qui, par leur configuration, semblent
représenter des hommes, ont été peut-être l'origine
des Géans que certains Voyageurs prétendent avoir
vus.
(12) Il n'y a aucun événement surprenant dans
Homère, qui ne soit préparé avec art. Ce vin, qui
doit dompter le Cyclope, doit être un vin
extraordinaire : le Poète en sait, en peu de mots,
l'histoire, dont il résulte pour moralité, qu'un
bienfait ne reste point sans récompense.
Au reste, l'efficacité de ce vin merveilleux dont
Ulysse doit se servir pour enivrer le Cyclope,
rappelle une histoire assez semblable qu'on trouve
dans les
Stratagêmes de Polyen.
Cet Écrivain rapporte qu'Hercule voulant attirer les
Centaures réfugiés sur le mont Pélion, alla dans le
voisinage & y fit des effusions d'un vin excellent,
dont l'odeur attira tous les Centaures, qui
tombèrent ainsi au pouvoir d'Hercule. Ces Fables
avoient cours dans l'Antiquité, & les Poètes étoient
en droit de se les approprier, soit pour
l'instruction, soit pour l'amusement des Lecteurs.
(13) L'interrogation dont se sert ici le Cyclope, a
déjà été employée par Nestor au
III° Livre,
& donne lieu de penser, comme nous l'avons déjà dit,
que c'étoit une formule dont on se servoit envers
les étrangers. J'ai cru pouvoir en cet endroit me
dispenser d'en donner une traduction littérale.
(14) Mme Dacier s'est trompée, en traduisant le mot
λαοἱ
(vers 265) par
le mot
sujets
il signifie ici
soldats,
comme dans beaucoup d'autres passages.
(15) J'ai tâché d'imiter dans ce vers la marche
dure & pénible de celui d'Homère, vanté par Denys
d'Halicarnasse,
κόπτ᾽· ἐκ δ᾽ἐγκέφαλος χαμάδις ῥέε,
(vers 290),
&c. mais où est le rhythme & la marche cadencée du
vers grec, qui, malgré la dureté de la rencontre des
voyelles, le rend encore si sonore & si beau ! Aussi
suis-je convaincu qu'il ne faut employer ces sortes
d'imitations, qu'on appelle onomatopées, qu'avec le
plus grand ménagement.
(16)
νέκταρός ἐστιν ἀπορρώξ
(vers 359)
Madame Dacier traduit ces mots par la mère-goutte du
nectar. Cette expression est non-seulement triviale,
mais encore inexacte
ἀπορρώξ:
ne signifie
qu’emanatio :
Στυγὁς ὔδατόος έσιν
αωοῤῤὼξ
Odyssée. liv. X.
(17) C'est ce que Virgile a si bien rendu par ces
vers :
Cervicem inflexam posuit, jacuitque per antrum
Immensas, saniem eructans, ac frusta cruento,
Per somnum, commixta mero.
(18) Le grec ajoute :
Car c'est cette préparation qui fait la force du
fer.
Nous n'avons rien dans l'Iliade entière qui soit
écrit avec plus de chaleur que ce morceau l'est dans
l'original. Le Lecteur verra bien que le Traducteur
a cherché à imiter dans ce vers le sifflement de
l'eau lorsqu'on y plonge un fer rouge. Mais si,
comme Quintilien l'avoue, la langue latine ne
pouvoir guère prétendre au mérite de
l'onomatopée,
quel est l'Écrivain François qui osera présumer
assez de la langue, pour croire égaler de semblables
modèles ?
(19) L'équivoque du grec ne peut se rendre en
notre langue. La réponse de Polyphême a deux sens
; l'un est celui même qu'il vouloit faire
entendre. Le voici :
Personne me tue par ruse, & non par force.
L'autre est celui que les Cyclopes entendoient :
Personne ne me tue ni par force, ni par ruse.
Notre mot
Personne
ne peut se passer de sa négation, & ainsi il : ne
sauroit faire équivoque, comme il se fait en Grec
par le mot
όυτίς,
en Anglois par celui de
Noman,
& en Italien par celui de
Nessuno.
J'ai suivi Madame Dacier, qui se tire assez
adroitement de la difficulté, en ne faisant répondre
se Cyclope que par ce mot
Personne.
Il est vrai qu'elle ajoute au texte ce qui n'y est
pas, & ce qui ne devoit être mis qu'en note.
Plus il leur dit ce mot, plus ils sont trompés par
cette équivoque.
Pope regarde, avec quelque raison, cette équivoque
comme indigne de la gravité du Poëme épique ; mais
on peut répondre que tout ce que le Poète vient de
raconter, de Polyphême endormi, de son œil crevé, de
la suite d'Ulysse & de ses Compagnons, ne seroit
guère digne de ce que nous entendons par la majesté
de l'épopée, si en effet cette espèce de Poëme n'avoit
pas plusieurs genres, & ne pouvoit pas, suivant
les circonstances, descendre quelquefois jusqu'au
familier. Au reste, l'équivoque du mot
όυτίς
ne pouvoit pas être prévue par Ulysse, qui ne
devinoit pas que Polyphême appellerait les Cyclopes,
que ceux-ci accourroient à sa voix, & Ulysse avoit
peut-être eu anciennement le surnom d'Outis, comme
quelques Écrivains le conjecturent ; &, au lieu de
dire son vrai nom, il le sera contenté de dire au
Cyclope ce surnom qui étoit moins connu. Ainsi une
misérable équivoque, que le hasard produit, fait le
salut d'Ulysse & de ses Compagnons.
(20) Quand on voit une semblable moralité sortir
naturellement de ces fictions, ce n'est plus la
beauté de la poësie qui obtient grâce pour elles
auprès d'un Lecteur judicieux ; c'est la raison même
qui leur sait pardonner tout ce qu'elles ont en
quelque sorte d'extravagant. En effet, on ne sait
plus si la morale a été faite pour le Conte, ou le
Conte pour la morale qui en résulte. Que seroient
les Fables d'Ésope, si l'application du fait
particulier à un principe général ne faisoit
supporter sans peine l'extravagance de la
supposition !
(21) Je n'ai pas admis le sens que le texte, tel
qu'il est, présente naturellement. Plût au Ciel que
je t'eusse arraché la vie, comme je suis sur que
Neptune ne te guérira pas! On ne voit aucune liaison
entre ces deux membres de phrase, & d'ailleurs
l'assertion d'Ulysse présentée ainsi, ne paroît
avoir aucun fondement ; aussi me suis-je permis de
supposer un léger changement au texte, & de lire
ainsi ce vers :
ὡς οὐκ ὀφθαλμόν γ᾽ ἰήσεται οὐδ᾽ ἐνοσίχθων
(vers 525)
(22) J'ai plusieurs sois remarqué dans les
comparaisons que j'ai faites d'Homère & de Virgile,
que si le Poète Latin s'efforçoit d'égaler son
modèle, par une certaine élégance qui lui est
particulière, il sembloit lui être toujours
inférieur par l'art des convenances ; mais ici
Virgile semble l'avoir tout-à-fait emporté sur son
modèle, autant par les détails de l'imitation, que
par la manière dont il l'a employée. Dans Homère,
c'est un Cyclope qui vomit des imprécations contre
un ennemi. Dans Virgile, c'est une Amante qui charge
de malédictions un Amant qui l'abandonne.
Si tangere perdis
Insandum caput, ac terris adnare necesse est,
Et sic sata Jovis poscunt y hic terminus haeret :
At bello audacis populi vexatus & armis,
Einibus extorris, complexu avulsus Iuli,
Auxilium imploret, videatque indigna suorum
Funera ; nec cum se sub leges pacis iniquoe
Tradiderit, regno, aut optatâ luce fructur,
Sed cadat ante dien, mediâque inhumains arenâ,
AEn, IV, vers 612…
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