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|
DES fiers Béotiens la troupe rassemblée
Suivoit Arcésilas, Léïtus, Pénélée,
Clonius, Prothénor, illustres Généraux,
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470 |
Qui des flancs arrondis de cinquante vaisseaux,
Pour détruire Ilion, firent jadis descendre
Six mille combattans aux rives du Scamandre.
SORTIS des ports voisins, trente vaisseaux légers,
Navigeant sous les loix de deux vaillans Guerriers,
|
475 |
Deux enfans du Dieu Mars, Ascalaphe, Ialmène,
Ont porté les Soldats de la riche Orchomène
(2).
PLUS loin étoient rangés, près des Béotiens,
Les quarante vaisseaux des braves Phocéens,
Qui, quittant les climats qu'arrose le Céphise,
|
480 |
Et Daulis & Python, Panope & Cyparise,
Suivirent les deux fils du vaillant Iphitus.
DES remparts de Bessa, d'Augée & de Cynus,
Les quarante vaisseaux que fournit la Locride
Sont conduits par Ajax, ce guerrier intrépide,
|
485 |
QUI, dans l'art de lancer le javelot fatal,
Parmi les Argiens n'a point trouvé d'égal.
Du fils de Télamon s'il n'a pas la stature,
Son bras est aussi fort & sa lance aussi sûre.
CES Peuples belliqueux que l'Eubée a nourris,
|
490 |
Ces Abantes légers, l'effroi des ennemis,
Au brave Éléphénor consiant leur fortune,
Sous quarante vaisseaux ont fait mugir Neptune.
CEUX qu'Athènes vit naître en ses fameux
remparts,
Ces Peuples qu'Erechthée instruisit aux beaux arts,
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495 |
Lui qu'alaita Minerve (3) & qu'enfanta la Terre,
Sur cinquante vaisseaux ont apporté la guerre.
Menesthée est leur chef (4); instruit dans l'art
heureux
De conduire & ranger des bataillons nombreux,
Il eut de tous les Rois balancé la science,
|
500 |
S'il eût eu de Nestor la longue expérience.
SALAMINE vous vit, o fils de Télamon,
Guider douze vaisseaux aux rives d'Ilion.
AIDE de Sthénélus & du brave Euryale,
Diomède conduit sa troupe martiale,
|
505 |
Ces jeunes Achéens que l'empire d'Argos
Envoya vers ces bords sur quatre-vingts vaisseaux.
LA SUPERBE Mycène & la vaste Cléone,
L'opulente Corinthe, Hélice & Sycione,
Du seul Agamemnon reconnoissant la loi,
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510 |
Fournirent cent vaisseaux à leur superbe Roi,
Sa vanité sourit, & se plaît à conduire
Mille vaillans Héros fournis à son Empire.
Son frère est près de lui ; le vaillant Ménélas,
Respirant la vengeance, anime ses Soldats :
|
515 |
Ces combattans que Sparte, & Pharès & Messène
Armèrent pour venger les outrages d'Hélène,
Avoient rempli les flancs de soixante vaisseaux.
ICI sont les Guerriers d'Arène, de Pylos,
Des champs de Cyparisse & des rives fécondes
|
520 |
Que l'amoureux Alphée enrichit de ses ondes,
D'Élos, de Dorion, lieux qu'illustra jadis,
Par ses chants & ses maux, l'orgueilleux Thamyris,
Lorsqu'après un défi de ce Chantre de Thrace,
Les Muses, punissant son indiscrette audace,
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525 |
Lui ravirent ensemble & les yeux & la voix :
C'est l'éloquent Nestor qui, par de sages loix,
Unit tous ces Guerriers sous son obéissance ;
Quatre-vingt-dix vaisseaux annoncent sa puissance.
LÀ des Arcadiens est i'essaim belliqueux ;
|
530 |
Agapénor conduit leurs bataillons nombreux,
Sur soixante vaisseaux que lui fournit Atride ;
Ces combattans nourris loin de l'empire humide,
Pour la première fois en traversant les eaux,
Ont cherché des combats & des périls nouveaux.
|
535 |
LÀ sont les Epéens qui, des rives lointaines,
Ont suivi sur les mers quatre grands Capitaines :
Thalpius, Amphimaque, & le fier Diorès,
Et Polyxène égal à Mars lançant ses traits,
Commandent l'habitant de cette vaste plaine,
|
540 |
Qui joint les murs d'Aleise & les rochers d'Olène.
DE quarante vaisseaux chargeant les flots
amers,
Les voisins de ces bords, fiers habitans des mers,
Ont uni sous Mégès leurs troupes conjurées,
Et quitté les douceurs de leurs îles sacrées.
|
545 |
CE ROI que sa sagesse élève entre les Rois,
Ulysse, des pays gouvernés par ses loix,
A conduit ses Guerriers, ses braves Insulaires,
Dans les flancs colorés de vingt poupes légères.
L’HABITANT d'AEtolie obéit à Thoas ;
|
550 |
Oinée est dans la tombe : Et bientôt le trépas
Ravit à Méléagre un brillant héritage,
Du fils de l'étranger devenu le partage.
SUR quatre-vingts vaisseaux, dans les champs
d'Ilion,
L'illustre Idoménée & le fier Mérion
|
555 |
Ont guidé des Crétois la phalange aguerrie,
Que cent vastes Cités en leurs murs ont nourrie.
TLEPOLEME conduit les trois nobles tribus
(5)
De ces Peuples que Rhode en son sein a reçus,
Le jour que ce Héros, orgueilleux fils d'Alcide,
|
560 |
Du vieux Lycumnius malheureux homicide,
Redoutant sa famille, & fuyant son pays,
Sur des bords plus heureux vint charmer ses ennuis
:
Beaux lieux, où Jupiter, signalant sa puissance
D'une main libérale épandit l'abondance.
|
565 |
NIREE (6), à qui des Grecs le
seul fils de Thétis
Auroit de la beauté pu disputer le prix,
Nirée est sur ces bords, Nirée a pris les armes ;
Heureux ! si sa valeur eût égalé ses charmes.
Peu de guerriers daignoient accompagner ses pas.
|
570 |
DE leurs îles sortis pour
voler aux combats,
Antiphe & Phidippus ont, sur trente navires,
Rassemblé les Soldats de leurs divers Empires.
MUSE, soutiens ma voix, Muse, daigne nommer
Ces fiers Thessaliens qu'Achille fit armer,
|
575 |
Quand ce Héros, brûlant d'illustrer sa jeunesse,
De cinquante vaisseaux vint secourir la Grèce.
Ce peuple belliqueux, de combats affamé,
A perdu tout le feu dont il fut enflammé :
Achille est dans sa tente ; enivré de colère,
|
580 |
Il abjure, en pleurant, & la gloire & la guerre ;
Et contre Agamemnon, qu'il brûle de punir,
Fait des sermens affreux qu'il ne doit pas tenir.
LIEUX charmans du Pyrrhase, agréable contrée,
Où dans un bois sacré Cérès est honorée,
|
585 |
Jadis Protésilas conduisoit vos guerriers,
Avant qu'un ennemi, de ses traits meurtriers,
Eût frappé ce Héros, qu'un trop bouillant courage
Fit le premier descendre au Phrygien rivage.
Podarce les conduit ; le Soldat éperdu
|
590 |
Le fuit en regrettant le Roi qu'ils ont perdu ;
Et, bien qu'un même sang tous deux les ait fait
naître
Le peuple, au lieu d'un Ches, ne trouve plus qu'un
Maître.
FILS de la belle Alceste, Eumélus délaissant
Dans les murs d'Iolcos un père languissant,
|
595 |
Joignit onze vaisseaux à ces flottes nombreuses.
PHILOCTÈTE, chargé de ses flèches fameuses,
Les suivit jusqu'au jour, où laisse dans Lemnos,
De ses gémissemens il troubla les échos,
Sans ceste déchiré par l'horrible blessure
|
600 |
Que lui fit d'un serpent la profonde morsure ;
Mais ses amis ingrats, qui négligeoient ses jours,
Bientôt à sa valeur dévoient avoir recours.
Cependant ses Soldats, qui loin de lui languissent,
En pleurant Philoctète, à Médon obéissent.
|
605 |
INSTRUITS dans l'art heureux de guérir les
humains,
Machaon, Podalire avoient armé leurs mains,
Et guidoient les guerriers nés aux champs d'OEchalie.
DES sommets du Titane & des champs d'Astérie,
Eurypile a conduit, sur ses vaisseaux noircis,
|
610 |
De nombreux combattans aux travaux endurcis.
ÉTALANT la fierté qu'un noble sang lui donne,
Polypétès commande aux peuples de Gyrtone,
Fils de Pirithoüs, gage d'un tendre amour,
Polypétès naquit en ce glorieux jour
|
615 |
Où son père, indigné de leurs sanglans ravages,
Chassa des monts voisins les Centaures sauvages.
Sur quarante vaisseaux sortis de ses Etats,
Léontus avec lui commande ses Soldats.
LÀ paroît l'habitant des campagnes fertiles,
|
620 |
Où le doux Titarèse épand ses eaux tranquilles,
Lorsqu'aux flots du Pénée il vient joindre ses
flots
Roule sur la surface, &, sans mêler ses eaux,
Coule en ce nouveau lit comme une huile légère,
Ruisseau pur que le Styx fait sourdre de la terre :
|
625 |
Là Gouneus avec eux rassemble sous ses loix
Les peuples que Dodone a vu naître en ses bois,
ENFIN de combattans une troupe choisie,
Sous Protoüs leur Chef, quittant la Magnésie,
Les vallons de Tempe, les bois du Pélion,
|
630 |
Etoient venus descendre aux rives d'Ilion.
MAIS dans ce camp rempli d'illustres
Capitaines,
Qui vont du Simoïs ensanglanter les plaines,
Muse, avant de nommer le premier des Guerriers,
Consacre dans tes chants les plus fameux
coursiers(7)
|
635 |
Eumélus les conduit, & seul peut les conduire ;
Ils devancent les flots, les oiseaux & Zéphyre :
Age, couleur, stature, entre eux tout est pareil ;
Nourris par Apollon dans les champs du Soleil,
Pleins d'un feu belliqueux, ils portent sur leur
trace
|
640 |
L'épouvante & l'horreur du fier Dieu de la Thrace.
DU plus grand des Héros célèbre enfin le nom,
O Muse, c'est Ajax le fils de Télamon,
Tant qu'absent des combats, tout entier à sa rage,
Achille à sa colère immole son courage :
|
645 |
Lorsqu'Achille paroît, Achille est sans rival ;
Mais il n'écoutoit plus que son courroux fatal,
Tandis que les Soldats de sa phalange oisive
A des jeux différens s'exerçoient sur la rive,
Ou, des travaux du camp tranquilles spectateurs,
|
650 |
Tournoient sur leurs vaisseaux des yeux mouillés de
pleurs,
Et laissoient leurs coursiers enfermés sous les
tentes,
Baisser auprès des chars leurs têtes languissantes.
CEPENDANT s'avançoient ces nombreux combattans,
Comme un torrent de feux qui dévore les champs.
|
655 |
Avec un bruit terrible, on sent frémir la terre ;
Tel Jupiter armé, dans un jour de colère,
Frappe, à coups redoublés de son foudre bruyant,
Le mont qui de Typhée est l'affreux monument.
IRIS, du Roi des Cieux messagère immortelle,
|
660 |
Au Conseil des Troyens en porte la nouvelle.
Sur les ailes des vents elle arrive au Palais ;
Elle a pris de Polite & la voix & les traits,
Polite, que choisit sa patrie inquiète
Pour épier les Grecs au tombeau d'AEsyète.
|
665 |
ELLE aborde Priam : « Laissez-là ces discours,
Vieillard, d'autres dangers veulent d'autres
secours
La guerre, dit Iris, environne vos portes,
Jamais mes yeux surpris n'ont vu tant de cohortes,
Tant de Chefs, de Soldats de leurs armes couverts ;
|
670 |
Le sable est moins nombreux sur la rive des mers.
Hector, si mes conseils peuvent se faire entendre,
Rassemblez les Guerriers qui doivent nous défendre,
Et qui tous, différens de langage & d'habit,
Ne peuvent obéir qu'au Chef qui les conduit.
|
675 |
HECTOR de cette voix reconnoît la puissance,
Sépare le Conseil & s'arme en diligence,
Fait armer les Soldats, fait ouvrir les remparts,
Et couvre enfin ces bords de guerriers & de chars.
NON loin de la Cité s'élève une colline,
|
680 |
Que les Dieux appeloient le tombeau de Myrinne
(8):
C'est-là que de l'Asie on vit les Nations
S'assembler, & s'unir en divers bataillons.
LA FOULE des Troyens faisant briller la lance,
Sous les ordres d'Hector se dispose & s'avance.
|
685 |
CEUX qu'aux bords Phrygiens établit Dardanus,
Sont conduits au combat par le fils de Vénus,
Vénus qui, sur l'Ida, complaisante Déesse,
D'Anchise qui l'aimoit couronna la tendresse.
Les deux fils d'Anténor, Archiloque, Acamas,
|
690 |
Accompagnoient Énée & guidoient ses Soldats.
AU PIED du mont Ida, dans les murs de Zélée
Où l'Aesèpe en grondant roule une onde troublée,
Habitent les Troyens que Pandarus conduit,
Ce Guerrier qu'Apollon avoit jadis instruit
|
695 |
Dans l'art de diriger des flèches meurtrières.
DES remparts d'Apésus les phalanges guerrières,
D'Amphius & d'Adreste avoient suivi les pas ;
Fils du sage Mérops, ils voloient aux combats,
Au mépris des conseils d'un père qui les aime ;
|
700 |
Insensés, ils couroient à leur destin suprême.
ASIUS, s'avançant dans un char
attelé
De superbes coursiers nés au bord du Sellé,
Commandoit l'habitant de Sestos & d'Abide.
HABILES à lancer un javelot rapide,
|
705 |
Les Pélasges suivoient la voix d'Hippotoüs.
SOUS les loix d'Acamas & du fier Pyroüs,
Ceux qui de l'Hellespont habitent les rivages,
Les Thraces, vont de Mars affronter les orages.
LES fiers Ciconiens ont pour chef Euphémus.
|
710 |
LOIN des murs d'Amydon qu'arrose l'Axius,
L'Axius si fameux par ses eaux argentées,
Pyraechmès conduisoit ses cohortes vantées.
CEUX qui dans l'Énétie avoient reçu le jour,
Sous leur Roi Pylémène avançoient à leur tour.
|
715 |
EPISTROPHE, Odius, jeunes & vaillans Princes,
Guidoient les Citoyens de ces riches provinces
Où la terre, docile à leur soin diligent,
Leur ouvre les trésors de ses veines d'argent.
Loin des remparts d'Alybe, ils volent au carnage.
|
720 |
QUELS Chefs des Mysiens excitent le courage !
C'est l'Augure Ennomus, & le vaillant Chromis.
Augure infortuné ! les Destins ont permis,
Que te désabusant de ta science vaine
(9),
Achille de ton sang rougît bientôt la plaine.
|
725 |
DES champs Ascaniens, du sein de leurs
États,
Ascagne avec Phorcys ont conduit leurs Soldats :
Même vœu les unit, même ardeur les entraîne.
DU pied du mont Tmolus les fils de Pylémène,
Antiphus & Mestlès, dans les champs Phrygiens,
|
730 |
Guidoient les bataillons des fiers Mœoniens.
SARPEDON & Glaucus, les Chefs de la Lycie,
Pour illustrer leurs noms vont exposer leur vie.
LAISSANT le mont Mycale & ces champs si fameux
Où coule le Moeandre en un lit tortueux,
|
735 |
Les Cariens, connus par leur âpre langage,
Sont venus signaler leur force & leur courage :
Amphimaque & Nastès les guidoient aux combats.
Malheureux Amphimaque ! où portes-tu tes pas,
Paré comme une femme aux plus beaux jours de fête ?
|
740 |
Insensé ! ton trépas sur ces rives s'apprête ;
Pour assurer ta gloire & défendre tes jours,
L'or de tes vêtemens sera d'un vain secours ;
Et d'Achille vainqueur dans les plaines de Troie,
Tes pompeux ornemens seront bientôt la proie.
|
Notes, explications
et commentaires
(1) Quelle étoit donc la
considération dont jouissoient les Ouvrages
d'Homère, puisque ce fameux Catalogue servit
autrefois à décider les propriétés de plusieurs
villes de la Grèce ! Où sont les Poètes dont on
ait reconnu la fidélité & l'authenticité par un
hommage aussi flatteur ? Qu'a donc de commun
Homère avec la tourbe immense des Poëtes Mais
ce Catalogue si précieux pour la Géographie &
l’Histoire, ne l'est pas moins pour la Poësie.
C'est un tableau animé d'un nombre infini de
Chefs & de Peuples différens, avec leurs
inclinations, leurs mœurs & leur manière de
combattre ; & comme il n'y a point de belle
Poësie sans sentiment, Homère a su tempérer
l'aridité du sujet par des traits d'un sentiment
exquis. Tantôt ce sont de braves guerriers qui,
malgré la valeur de celui qui les commande,
regrettent encore leur ancien Chef ; tantôt ce
sont les soldats d'Achille qui pleurent sur leur
oisiveté : ici, deux frères qui se sont arrachés
des bras paternels pour voler à la mort ; là,
Philoctète gémissant dans Lemnos des douleurs
que lui causent sa blessure & l'ingratitude des
Grecs. Malgré les critiques de Macrobe, Virgile
me paroît avoir fort heureu-sement imité la
Poësie de ce Catalogue ; mais on cherche en vain
dans la copie les traits de sentiment de
l'original. Le Tasse & Milton, autres
imitateurs, sont restés bien loin derrière leur
modèle.
J'ai lieu de craindre, disoit M. Pope, que ce
Catalogue, qui a tant fait d'honneur à Homère,
ne soit l'écueil de son Traducteur. Cette
crainte modeste, qui provenoit de la
connoissance des beautés de son original, lui a
fait faire les plus grands efforts pour en
approcher autant qu'il étoit possible. Il ne
s'est permis aucune omission. Les noms des
villes, les épithètes qui les accompagnent,
enfin tous les détails géographiques &
historiques, il les a fidèlement rendus.
L'entreprise n'étoit pas impossible dans sa
langue, elle l'eu dans la nôtre. Que ne devois-je
donc pas craindre en entreprenant la traduction
de ce morceau Mais qu'ai-je sait pour que cette
traduction devint possible ? J'ai suivi mon
plan générai, j'ai supprimé ou abrégé les
détails de géographie & d'histoire, & je n'ai
choisi dans l'énumération des villes, que les
principales, ou celles dont les noms harmonieux
pouvoient flatter l'oreille ; enfin je n'ai rien
négligé pour rendre supportable dans notre
langue ce morceau si beau dans Homère, & si
nécessaire à son Poëme. C'est-là que sont
annoncés tous les Héros qui vont briller dans le
cours de l'Ouvrage. L'imagination le transporte
sur les bords du Xanthe, elle voit s'avancer ces
deux nombreuses armées de Grecs & de Troyens ; &
en admirant ce terrible appareil, elle ne peut
se défendre d'un certain sentiment de douleur,
pareil à celui dont Xerxès fut ému, en voyant du
sommet d'une montagne voisine son armée prête à
traverser l'Hellespont.
(2) Cette ville étoit en
Béotie ; Homère lui donne le surnom de Minyenne,
soit que ce nom lui eût été conservé en mémoire
de Minyas, un de ses anciens Rois, soit qu'elle
l'eût emprunté du fleuve qui l'arrose, & qu'on
nommoit Minys. En effet, les habitans de ces
contrées se nommoient Minyens ; c'est le nom qui
fut donné aux Argonautes, dont une partie étoit
originaire de ce pays. Cette Orchomène enfin
étoit une des villes les plus fameuses de la
Grèce par ses richesses. C'est l'idée qu'Homère
en donne au IX° livre ; elle étoit
distinguée de l'Orchomène de Thessalie, qui n'étoit
fameuse que par les troupeaux. Voyez le
Scholiaste d'Homère, livre II, vers 511,
Strabon, Pausanias. Je n'affecte de citer
ici ces Auteurs en garantie, que pour les
opposer à un Écrivain illustre de notre siècle,
M. de Montesquieu, qui, par une de ces
inattentions dont les plus grands Hommes ne sont
pas exempts, est tombé dans une méprise bien
singulière au sujet d'Orchomène, en parlant des
villes que le commerce des Grecs avoit enrichies
dès le siècle d'Homère. Voici ses propres
paroles, liv. XXI chap. VII de l'Esprit des
Loix. Il paroît que du temps d'Homère,
l'opulence de la Grèce étoit à Rhodes, à
Corinthe & à Orchomène. . . La position
d'Orchomène près de l'Hellespont, de ta
Propontide & du Pont-Euxin, fait naturellement
penser qu'elle tiroit ses richesses d'un
commerce sur les côtes de ses mers, qui avoit
donné lieu à la fable de la Toison d'or ; &
effectivement le nom de Minyares (il vouloit
dire Minyens), est donné à Orchomène, &
encore aux Argonautes. L'erreur de M. de
Montesquieu vient peut être du passage de
Strabon qu'il a mal entendu. Ce Géographe dit
simplement que quelques-uns des Minyens
sortirent d'Orchomène pour s'établir à Iolcos
(ville de Thesalie, où Pelias équippa le fameux
vaisseau qui devoit porter Jason & les
Argonautes , suivant le même Strabon, page
436, édit. de Paris). M. de Montesquieu aura
peut-être confondu la prétendue Colchos avec
Iolcos, & la colonie des Minyens en Thessalie
avec le voyage des Argonautes dans la Colchide.
Qu'on juge après un tel exemple, s'il est
important de consulter avec soin les originaux
dans l'étude de l'antiquité, & à combien
d'erreurs seront sujets les Écrivains ordinaires
qui négligeront les sources, lorsqu'un homme
aussi savant n'a pu se garantir de pareilles
méprises.
(3) Homère ajoute que
Minerve le plaça dans son temple, où les
Athéniens lui offrent des sacrifices après une
certaine révolution d'années. Il y a dans le
grec la même amphibologie que l'on voit ici, &
l'on ne sait à qui d'Érechthée ou de Minerve les
Athéniens offrent des sacrifices ; mais Eustathe
lève ce doute, & reconnoît dans cette
institution religieuse la fête des Panathénées,
consacrée à Minerve. Ceci n'est point une vaine
dispute d'Érudits & de Grammairiens. Il s'agit
dans cette question de décider si les Grecs,
avant Homère, adoroient les Héros ; & comme tout
sert à prouver le contraire, il ne faut point
laisser subsister des difficultés capables de
renverser un système qui explique la marche de
l'esprit humain dans le culte religieux, système
où l'on voit les idées les plus simples, dans le
dogme comme dans le culte, précéder toutes les
extravagances de la superstition & du fanatisme,
auxquelles les hommes se sont depuis abandonnés.
(4) Pour voir à quel degré
d'enthousiasme les ouvrages d'Homère avoient
porté les Grecs, & quelle haute opinion ces
Poësies, si précieuses pour la Nation, lui
avoient donnée d'elle-même, consultons
l'Histoire. Les Athéniens ayant été en ambassade
auprès de Gélon, tyran de Syracuse, avec les
Lacédémoniens, pour demander à ce Prince un
secours contre Xerxès ; Gélon leur promit ce
secours, à condition qu'il commandèrent l'armée
des Alliés sur terre & sur mer. « Eh quoi,
dirent les Athéniens, nous souffririons de nous
voir commandés par les Syracusains, nous qui
nous vantons d'avoir donné naissance à ce
fameux guerrier qu'Homère mettoit au-dessus de
tous les Rois assemblés devant Troie, dans l'art
de camper & de ranger une armée en bataille ! »
Hérodote, liv. VII
(5) Non-seulement toutes les
villes de la Grèce proprement dites, mais encore
toutes les colonies qu'elle fonda dans l'Asie
mineure, étoient divisées par tribus. Voy. les
Antiquités de M. de Caylus, tome II, page 1-78.
(6) Voilà tout ce qu'Homère
dira de Nirée ; c'en est assez pour un homme qui n'avoit
que le mérite de la beauté.
(7) A considérer la
nouveauté des chevaux en Grèce, au temps du siége de
Troie, l'estime qu'avoient pour eux les Guerriers,
leur prix & leur utilité, on ne doit pas s'étonner
qu'Homère leur ait réservé quelque place dans les
chants. Les chevaux n'étoient pas plus utiles aux
Athlètes dans les jeux de la Grèce, qu'ils l'étoient
alors aux Guerriers dans les combats ; & le même
motif qui engageoit Pindare à célébrer les coursiers
des vainqueurs, portoit Homère à joindre à l'éloge
des combattans celui de leurs plus fameux coursiers.
(8) Homère ajoute que les
hommes appeloient cette colline Batiée. Si, comme on
l'a dit, le langage des Dieux étoit le langage des
Sages, on pourroit conjecturer que les hommes
instruits, qui étoient alors les vrais Sages,
conservoient les premières dénominations qui
expliquoient l'origine des choses, & sauvoient ainsi
leur langage de la mobilité & de l'inconstance
populaire.
(9) Ce n'est pas une chose
indifférente à remarquer, que l'art de la divination
par le vol des oiseaux n'avoit pas, chez les
premiers Grecs, le même crédit que les songes & les
inspirations des Dieux. Nous en aurons la preuve
dans plusieurs endroits de ce Poëte.
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