Télémaque et Pisistrate, descendus
dans la vallée qu'occupe la vaste Lacédémone, arrivent devant le palais du grand
Ménélas. Ce roi célébrait, dans un festin où il avait rassemblé de nombreux
amis, le double hymen de son fils et de sa fille. Fidèle à l'engagement qu'il
forma sous les murs de Troie, et que les dieux lui permettaient d'accomplir, il
donnait la belle Hermione au rejeton du formidable Achille ; les chevaux, et les
chars étaient prêts, destinés à la conduire dans la ville fameuse où le jeune
roi des Thessaliens tenait le sceptre. Il unissait une citoyenne de Sparte, la
fille d'Alector, au brave Mégapenthe son fils, qu'il eut, dans un âge avancé,
d'une de ses captives ; les dieux ont rendu, stérile la couche d'Hélène, depuis
qu'elle a mis au jour Hermione, l'image de la blonde Vénus. Rassemblés dans une
salle immense du palais, les voisins et les amis de l'heureux Ménélas se
livraient à l'allégresse de cette fête. Un chantre divin accordait à sa voix les
sons de sa lyre ; et au milieu de la salle deux danseurs, par des pas et des
sauts merveilleux, marquaient la cadence.
Télémaque et le fils de Nestor ont arrêté leur
char à l'entrée du palais. Un des principaux serviteurs de Ménélas, le
fidèle Etéonée, accourt, voit ces étrangers ; il vole à travers cette
demeure les annoncer au roi ; et arrivé devant lui :
Un char, des étrangers, dit il, sont à ta
porte, ô Ménélas, favori du ciel
; ils sont deux: ils ont la forme de mortels, mais on les prendrait pour les
fils du grand Jupiter. Parle : détellerons-nous leurs coursiers agiles ? Ou
adresserons nous ces personnages à quelque autre chef qui puisse les accueillir
?
L'indignation
se manifeste dans les traits de Ménélas.
Tu
m'as paru jusqu'à ce jour doué de raison, Etéonée, fils de Boétoüs,
répondit-il ; mais tu viens de proférer comme un enfant un discours insensé.
Ne te souvient-il donc plus que ce n'est qu'après avoir nous-même joui en tous
lieux de l'hospitalité, que nous goûtons enfin le repos dans notre demeure, si
cependant le ciel garantis de malheurs les derniers jours de notre vie ? Cours,
et dételant le char de ces étrangers fais-les entrer et participer à cette
fête.
A
peine a-t-il parlé, qu'Etéonée dit à ses plus zélés compagnons de le
suivre, et se pré-cipite hors du palais. Les uns dégagent du joug les chevaux,
couverts de sueur, les con-duisent dans de superbes écuries, et, les attachant
devant l'auge, leur prodiguent l'avoine mêlée au froment le plus pur, et
placent le char sous un abri éclatant ; d'autres introduisent les deux
étrangers, frappés à l'aspect de la demeure d'un roi favorisé des Dieux.
Ainsi que brille la lune et le soleil, telle était la pompe éblouissante du
palais élevé de Ménélas. Après que ces jeunes princes ont contenté leurs
regards, ils se baignent dans de cuves luisantes. Des captives font couler sur
leurs corps une eau limpide et un parfum odorant, les couvrent de riches
tuniques et de manteaux d'un tissu fin et moelleux ; on les mène dans la salle
du festin, et on les place près du fils d'Atrée. Une esclave, tenant un bassin d'argent, verse d'une
aiguière d'or sur leurs mains une eau pure, et leur apporte une table
éclatante. Vénérable par son âge, une autre femme la couvre de pain et
d'aliments commis à ses soins, tandis qu'un serviteur, portant des bassins
chargés de diverses viandes, les sert, et pose devant eux des coupes d'or.
Ménélas prenant la main de ces étrangers.
Livrez-vous à l'allégresse de cette fête, leur dit-il. Après que vos forces
auront été réparées, vous nous instruirez de votre origine. Sans doute elle
n'est pas couverte des ombres de l'oubli, et vous descendez de ceux auquel
Jupiter confia le sceptre : des hommes tels que vous ne sont point issus de
pères ignobles par leur naissance ni par leurs actions.
Il dit : on venait de lui servir la plus ho-norable
portion, le dos succulent d'un taureau ; il le leur présente. Ils jouissent du
festin. Ce-pendant Télémaque incline sa tête vers l'oreille de son compagnon,
et, parlant à voix basse :
Regarde, ô fils de Nestor, toi le plus cher de
mes amis, dit-il, regarde quel éclat jette l'airain dans cette salle haute et
sonore ; quel éclat jettent l'ambre, l'ivoire, l'argent et l'or. Ainsi brille
sans doute sur l'Olympe le palais où Jupiter assemble les Dieux. Quelle pompe !
ce spectacle me plonge dans l'enchantement.
Ces,
paroles parviennent à l'oreille de Ménélas qui, se tournant vers ses hôtes :
Hélas
chers enfants, dit-il, aucun mortel ne peut le disputer à Jupiter ; ses palais,
et tout ce qui lui appartient ont une éternelle durée. Parmi les hommes, les
uns m'égalent en richesses, d'autres me le cèdent ; mais ce n'est, hélas !
qu'après avoir, durant huit années, mené une vie errante et souffert de
terribles malheurs qu'enfin j'ai conduit mes vaisseaux chargés de ces biens
dans un tranquille port. Jouet des tempêtes, j'ai parcouru Cypre, la Phénicie
et l'Egypte ; j'ai vu l'Ethiopie, Sidon, les Erembes, enfin la Libye où sont
armés de cornes les agneaux naissants, où les brebis, en naissant trois fois
dans l'année d'une race nouvelle le troupeau, fournissent en toute saison au
maître et au berger la plus abondante et la plus exquise nourriture, soit en
chair, soit en ruisseaux de lait ; celui qui les trait ne connaît point le
repos ; mais je ne goûte aucune satisfaction à régner sur ces richesses.
Tandis que je les acquérais au prix de tant de courses et de périls, un
scélérat m'a privé d'un frère par des trames ourdies avec l'abominable femme
de l'infortuné. Vos pères, quels qu'ils soient, doivent vous avoir instruits
de ces événements. Que j'ai soutenu, de travaux et de peines ! Oui, avant
d'être environné de cette pompe, j'ai fait, peu s'en est fallu, le sacrifice
de ma maison et de mes biens qui pouvaient suffire à ma félicité. Ah ! plût
au ciel que, satisfait de la moindre partie de ces biens, je fusse resté dans
mes foyers, et que vécussent encore tant de héros qui périrent, loin de la
Grèce, devant la superbe Troie ! Souvent, m'isolant dans ce palais et trouvant
du charme dans le deuil, je leur donne à tous des regrets et des larmes : et,
après avoir soulagé mon cœur, je m'efforce a y ramener le calme ; l'homme est
trop faible pour supporter long-temps l'amère douleur. Mais, quelque affligeant
que soit leur souvenir, je les pleure moins tous ensemble qu'un seul d'entre eux
dont la pensée me rend odieuses les délices des festins, et bannit le sommeil
de ma paupière. Aucun des Grecs ne soutint autant de travaux et ne brava autant
de périls que le grand Ulysse ; les Dieux nous destinèrent, lui aux malheurs,
moi au long désespoir dont m'accable son absence, qui semble éternelle.
Respire-t-il ? est-il mort ? hélas ! nous l'ignorons même. Combien doivent
couler pour lui les pleurs du vieux Laërte, de la chaste Pénélope, et de
Télémaque qu'il laissa au berceau !
Ces mots réveillent une vive douleur dans l'ame du jeune prince. Au
seul nom de son père se précipite de ses yeux et le long de ses vêtements un
torrent de larmes qu'il s'efforce promptement à cacher en tenant des deux mains
devant son visage son manteau de pourpre. Ménélas s'en aperçoit ; il
délibère s'il doit l'interroger, ou attendre qu'éclaircissant les soupçons
qui naissent dans son esprit, Télémaque rompe le silence et lui parle de ce
héros.
Tandis qu'il flottait dans cette incertitude, Hélène descend avec ses
femmes de son appartement élevé où l'on respirait des parfums exquis, et
s'avance avec la majesté de Diane armée d'un arc d'or. Aussitôt Alcippe et
Adraste s'empressent, l'une à lui présenter un siége distingué, l'autre à
le couvrir d'un tapis d'une laine moelleuse, au même temps que Philo met entre
les mains de la reine une corbeille d'argent, présent d'Alcandre, femme de
Polybe, qui, dans l'Egypte, régnait à Thèbes où les palais enferment tant de
merveilles. Pendant que Ménélas y reçut de ce roi deux cuves rares, deux
trépieds, dix talents d'or, Hélène eut d'Alcandre une riche quenouille et
cette corbeille d'argent dont les bords sont incrustés de l'or le plus
précieux : elle est remplie de laine de pourpre filée avec finesse ; au-dessus
est couchée la quenouille, brillante aussi de pourpre, Hélène s'étant
assise, et ses pieds reposant sur une estrade :
Savons-nous, dit-elle, ô
Ménélas, issu de Jupiter, l'origine dont s'honorent ces personnages
venus dans notre palais ? Me trompé-je ? je ne puis le taire ( plus je le
regarde, plus je suis saisie d'étonnement ), jamais je ne vis, ni dans un homme
ni dans une femme, de ressemblance si frappante que celle de cet étranger avec
le magnanime Ulysse ; tel je me représente aujourd'hui son fils Télémaque,
qu'il laissa encore à la mamelle lorsque vous vîntes, ô Grecs, aux bords
troyens, en faveur d'une femme criminelle, armés de la destruction et de la
mort.
J'ai formé, ô Hélène, la même conjecture,
repartit Ménélas : voilà les traits d'Ulysse, voilà son regard, sa
chevelure, ses mains, toute sa personne. En ce moment où, plein du souvenir de
ce héros, je parlais des fatigues et des traverses qu'avec tant de constance il
avait soutenues pour ma cause, un torrent de larmes a tout à coup débordé de
la paupière de ce jeune étranger ; en vain il a voulu me les dérober en
voilant ses yeux de son manteau de pourpre.
Le fils de Nestor, Pisistrate, rompit alors le
silence :
0 Ménélas, chef des peuples, élève des Dieux,
tu n'es point dans l'erreur ; le rejeton de ce héros est devant tes regards.
Paraissant ici pour la première fois, et retenu par la modestie et la
timidité, il n'ose t'adresser, d'abord la parole et t'interrompre, toi dont la
voix nous
charme comme celle des immortels. C'est par l'ordre de Nestor, mon père,
que j'accompagne Télémaque qui a désiré de te voir pour recevoir de ta
bouche quelques avis salutaires, pour trouver auprès de toi un adoucissement à
ses malheurs. Que ne souffre pas un fils privé de son père et dénué de tout
autre soutien ! Tel est, hélas ! le sort de Télémaque ; il n'a plus de père,
et n'a dans Ithaque aucun ami qui puisse le délivrer du joug de l'oppression.
Dieux ! s'écria Ménélas, je reçois donc en mon palais le fils d'un prince
qui m'est si cher, et qui, en ma faveur, a soutenu, tant de fatigues et de
traverses ! Je me complaisais dans la pensée que, si le souverain maître des
cieux nous l'eût ramené heureusement à travers les tempêtes, aucun des chefs
de la Grèce n'eût reçu des marques plus signalées de ma tendresse et de ma
reconnaissance que ce héros. Evacuant une des principales villes dont
Lacédémone est entourée, et qui sont soumises à mon sceptre, je lui en
faisais un don, et, y bâtissant des palais, je l'engageais à y établir son
séjour, loin d'Ithaque, avec son fils, ses biens et une partie de son peuple :
là on nous aurait vus souvent réunis ; et ces heureux liens, cimentés par
l'amitié et entretenus par les charmes d'une douce allégresse, auraient duré
sans interruption jusqu'à ce que la mort nous eût enveloppés de ses noires
ombres. Mais le ciel, jaloux de ce bonheur, ferme à ce seul infortuné le
chemin de sa patrie.
Ces mots réveillent dans toute l'assemblée la douleur et le deuil. La
fille de Jupiter, Hélène, verse des larmes ; on en voit couler les yeux de
Télémaque et de Ménélas : ceux du jeune Pisistrate se mouillent aussi de
pleurs ; il se retraçait vivement son frère, le vertueux Antiloque, immolé
par le fils renommé de la brillante Aurore.
Mais bientôt prenant la parole :
Fils d'A-trée, dit-il, Nestor, chaque fois que tu
es l'objet de nos entretiens, et que nous l'interrogeons dans son palais sur les
héros de la Grèce, te place, pour la sagesse, au-dessus des mortels ; mais, si
j'ose t'en prier, veuille céder à ma voix. Je souffre avec peine que les
larmes coulent dans un festin. La matinale Aurore va ramener une autre journée,
je serai loin alors de blâmer qu'on pleure ceux qui ont subi l'irrévocable
arrêt du trépas. Le dernier hommage que nous puissions rendre aux malheureux
mortels, est de nous dépouiller de notre chevelure sur leur tombeau, et de leur
donner des pleurs. Hélas ! j'ai, comme vous, fait une perte bien funeste, celle
d'un frère, l'un des
plus vaillants
d'entre les Grecs ; tu l'as connu. Je n'eus jamais le bonheur de le voir;
mais tous se réunissent à le louer ; soit qu'il courût dans la lice, soit
qu'il combattît, Antiloque triomphait, dit-on, de ses rivaux.
Mon
fils, répond Ménélas, un homme mûr, un vieillard, ne pourrait parler ni agir
avec plus de circonscription et de décence. A la prudence de tes discours on
reconnaît ton père. Combien se manifeste au premier abord la race des héros
dont Jupiter a béni la naissance et l'hymen ! Ainsi ce dieu, répandant la
félicité sur tous les jours du roi de Pylos, lui fait couler dans son palais
une douée vieillesse au milieu de fils prudents et redoutables par leur lance. Bannissons
les pleurs, rappelons la joie du festin, qu'on verse sur nos mains une eau pure.
Demain, à la naissance du jour, Télémaque et moi nous épancherons nos cœurs
dans un entretien intéressant.
Il dit : Asphalion, l'un des plus agiles ser-viteurs
de Ménélas, répand l'eau sur leurs mains ; le festin se prolonge. Mais un
nouveau dessein naît dans l'esprit d'Hélène : elle mêle au vin où puisaient
leurs coupes le suc merveilleux : d'une plante qui bannissait du cœur la
tristesse, la colère, et amenait l'oubli de tous lès maux. Celui qui
s'abreuvait de cette liqueur ainsi préparée, eût-il à regretter la mort d'un
père ou d'une mère, eût-il vu son fils immolé par le fer, perdait le
souvenir de son deuil; durant tout ce jour ne coulait de ses yeux aucune larme.
Tel était le charme souverain de ce baume. Hélène l'avait reçu de Polydamne,
femme de Thon, qui régnait en Egypte, où la terre féconde fait pulluler des
plantes et venimeuses et salutaires, où chacun, plus qu'en aucun autre climat,
est savant dans l'art de guérir nos maux, ce peuple est la race de Pæon,
l'esculape céleste.
Dès qu'Hélène a préparé ce breuvage, et que, par son ordre, les
coupes sont portées de toutes parts :
Ménélas, élève de Jupiter, dit-elle, et vous qui êtes du sang des héros,
Jupiter, dont rien ne borne le pouvoir, dis-pense tour à tour les biens et les
disgrâces ; livrez-vous en ce moment aux plaisirs de cette fête et au charme
des entretiens. Je prendrai part à
votre allégresse, et vous ferai un récit digne de vous intéresser. Je ne
pourrai raconter ni même nombrer tous les travaux et tous les combats de
l'intrépide Ulysse. Je vous parlerai d'un des plus grands périls que courut ce
héros au sein des remparts de cette Troie où vous éprouvâtes, ô Grecs, tant
de calamités. Un jour, s'étant ouvert d'indignes meurtrissures et revêtu de
lambeaux, il eut le courage et l'adresse de pénétrer dans la vaste enceinte de
cette ville ennemie, caché sous l'apparence d'un esclave ou d'un mendiant, lui
l'un des premiers héros dans le camp des Grecs. Chaque Troyen le méconnut.
Seule je perce à travers ce déguisement, et me charge de l'interroger. Il
élude avec finesse mes questions. Cependant je le baigne ; parfume
d'essences, décoré de beaux vêtements, il ne peut dérober à mes
regards le fils de Laërte : je m'engage par un serment inviolable, à ne pas
prononcer le nom d'Ulysse qu'il ne soit rentré dans sa tente ; alors seulement
il s'ouvrit à moi, il me découvrit ses desseins et ceux des Grecs. Après
avoir pris les instructions nécessaires à ses vues : et plongé son glaive
terrible dans le sein d'un grand nombre d'ennemis, il revint dans son camp avec
la renommée du chef le plus
heureux en stratagèmes. Les Troyennes poussaient d'affreux hurlemens, tandis
que mon cœur tressaillait d'une joie secrète. Depuis long-temps s'y
nourrissait le désir de retourner dans ma demeure, et j'expiais chaque jour par
des larmes la faute où Vénus me précipita lorsqu'elle m'entraîna dans cette
ville funeste, m'arrachant à ma terre natale, à ma fille, à ma maison, et à
mon époux si digne de mon amour par les traits et le port, et par les dons de
l'ame.
Ulysse est tel que tu nous le dépeins, répond
Ménélas. J'ai parcouru la terre, j'ai connu bien des personnages éminens,
jamais ne s'offrit à mes yeux un guerrier qui égalât la constance magnanime
de ce héros. Oh ! combien encore elle éclata lorsqu'il fut assis avec nous,
les chefs les plus hardis de la Grèce, dans les énormes flancs de ce cheval
fameux formé avec tant d'art, et qui apportait aux Troyens le carnage et la
mort ! Tu vins au lieu de nos embûches, poussée sans doute par un Dieu
favorable au salut d'Ilion ; l'illustré Déiphobe suivait tes pas : tu fis
trois fois le tour de la vaste machine, tu frappas de ta main ses flancs
caverneux ; et, imitant la voix de leurs épouses, tu appelas par leurs noms les
principaux chefs de notre armée. Placés au milieu d'eux, moi, Diomède et
Ulysse, nous reconnûmes ta voix. Dans un mouvement impétueux, Diomède et moi
nous fûmes prêts à paraître ou à te répondre : Ulysse réprima cette
imprudente ardeur et nous contint. Nous tous, les fils de la Grèce, nous
gardions un profond silence ; le seul Anticle persistait à vouloir t'adresser
la parole, elle allait échapper de ses lèvres, mais Ulysse se précipite sur
lui, et, serrant de ses fortes mains la bouche de ce chef, l'empêche de
respirer jusqu'à ce que Minerve ait conduit ailleurs tes pas : c'est ainsi
qu'il fut le salut de tous les Grecs.
Perte plus douloureuse ! répartit Téléma-que : tout ce courage, son cœur
eut-il même été d'airain, n'a pu le garantir de la fatale mort. Mais, ô
Ménélas, favori de Jupiter et chef des peuples : permets que nous nous
éloignions, et fais-nous conduire à notre retraite, pour que le calme et le
sommeil raniment nos forces.
Aussitôt
Hélène ordonne à ses femmes de préparer un lit sous le portique, d'y placer
des tapis de pourpre et des couvertures d'une laine fine et velue. Tenant des
flambeaux, elles vont exécuter cet ordre. Un héraut conduit les étrangers
sous ce portique ; le jeune prince, Télémaque, et le fils illustre de Nestor,
s'y livrent aux attraits du sommeil. Ménélas, avec Hélène, la plus belle des
femmes, repose dans une retraite paisible du palais.
Dès
que l'Aurore colora les cieux, le valeureux Ménélas se lève ; couvert de ses
vêtements, chaussé de ses riches brodequins et ceint du glaive; il sort tel
qu'un Dieu; et, paraissant aux regards du fils d'Ulysse, l'interroge en ces mots
:
Quel dessein impor-tant, ô mon cher Télémaque,
t'amène, à travers l'empire de la mer, dans les murs heureux de
Lacédémone ? est-ce un soin public ou personnel ? parle, ne tarde pas à
m'ouvrir ton cœur.
Fils d'Atrée, grand roi, favori de Jupiter.
répond Télémaque, je viens apprendre de toi ce que la renommée publie du
sort de mon père. Mon héritage se consume ; mes fertiles champs sont ravagés,
mon palais est plein d'ennemis qui égorgent mes troupeaux, et qui, remplis
d'orgueil et d'insolence, prétendent à la main de ma mère. J'embrasse tes
genoux : ne me cache point le trépas de cet infortuné, soit qu'il ait expiré
sous tes yeux, soit que tu aies appris cette funeste
nouvelle par l'un de ceux qui parcourent les plages lointaines. Hélas ! il
sortit malheureux des flancs de sa mère ! N'écoute ni la tendresse ni la
compassion ; fais-moi le récit le plus fidèle de ce que tu sais sur un sujet
si intéressant. Je t'en conjure par les conseils et par la valeur de mon père,
si jamais, dégageant ses promesses, il fut utile à tes desseins devant Ilion,
où vous essuyâtes, ô Grecs, tant de revers : ne me déguise rien, et que je
connaisse toute l'étendue de ses malheurs.
Dieux ! s'écria Ménélas saisi d'une pro-fonde
indignation, c'est donc le lit d'un héros si formidable qu'ont voulu profaner
les plus lâches et les plus vils des mortels ! Ainsi, dans l'absence d'un
terrible lion, une biche imprudente dépose dans le fort du roi des forêts ses
faons sans vigueur, nourris de lait ; et
va, libre de crainte, paissant sur les monts et dans les vastes prairies : mais
le lion revient, déchire ces faons, et ensevelit la race entière dans une
cruelle mort : tel Ulysse livrera tous ces téméraires à la sanglante parque.
Grand Jupiter, et vous, Minerve, Apollon, que ne pouvons-nous le voir tel qu'il
se montra jadis dans la fameuse Lesbos, lorsqu'il se leva dans la lice, lutta
contre le roi Philomélide, dont le défi avait provoqué son courroux, et le
terrassa d'un bras terrible, aux bruyantes acclamations de tous les Grecs ! que
ne pouvons-nous voir de même ce chef se mesurant avec la troupe entière de ses
fiers rivaux ! cet hymen, l'objet de leurs ardentes brigues, leur coûterait des
regrets amers ; ils seraient précipités en un moment dans la nuit du tombeau.
Quant à ce que tu me demandes avec tant d'instances, je te promets de ne point
trahir la vérité : ce que m'a dit un oracle infaillible, le vieux Protée, qui
règne au fond des mers, tu le sauras, et je vais te le confier sans te dérober
aucune de ses paroles.
Je soupirais vainement après mon retour, retenu en
Egypte par les dieux auxquels j'avais négligé d'offrir des sacrifices choisis
et solennels. Tôt ou tard les dieux, punissent 1'oubli de leurs lois. En face
de ce pays est sur la mer profonde une île nommée Pharos, à la distance que
parcourt, durant toute une journée, un vaisseau poussé à la poupe par le
souffle d'un vent impétueux.
Elle jouit d'un bon port ; les navires, d'ordinaire, y jettent l'ancre,
et, après avoir puisé une eau fraîche, continuent à fendre les vagues. Les
Dieux m'y arrêtèrent vingt jours, pendant lesquels il ne s'éleva aucuns vents
favorables, ces amis et ces guides des vaisseaux sur l'immensité de la mer. Nos
vivres étaient consumés, et avec nos forces s'éteignait notre courage, sans
le secours d'une déesse, fille du vieux Protée, dieu de cette mer, la
généreuse Idothée, qui fut touchée de mes disgrâces. Epars aux bords de
l'île, excités par la faim cruelle, mes compagnons plongeaient dans les flots
la ligne recourbée : le désespoir ; égarait mes pas dans un lieu solitaire,
lorsque ma déesse m'apparut.
Etranger, me dit-elle, as-tu perdu la raison ? ou te plais-tu dans
l'indolence, et l'infortune a-t-elle pour toi des charmes ? Qui prolonge ton
séjour dans cette île ? ne te reste-t-il plus aucun moyen d'en sortir ? tes
compagnons périssent d'abattement.
Oh ! quelque divinité que tu sois, répondis-je,
peux-tu penser que mon séjour dans cette île soit volontaire ? Je me suis sans
doute attiré le courroux de tous les habitants immortels de la voûte immense
des cieux. Daigne m'apprendre (rien ne leur est caché) quel dieu me ferme
toutes les routes, m'enchaîne dans cette île et comment je puis franchir les
mers et rentrer au sein de ma patrie.
Je veux te tirer d'incertitude, me dit la
déesse. Ces lieux sont habités souvent par ce véridique vieillard qui
connaît tous les abîmes de l'Océan, l'immortel Protée, l'oracle de l'Egypte,
et pasteur de Neptune. Il est mon père. Si tu savais l'art de le surprendre par
des embûches et de le vaincre, il t'ouvrirait sur les mers la route la plus
sûre, qui te conduirait dans ton royaume. Il t'annoncerait aussi, ô rejeton de
Jupiter ! les biens et les maux qui sont arrivés dans tes demeures depuis que,
loin de cet asile, tu cherches les hasards sur la terre et sur l'onde.
Oh ! si tu voulais, repris-je, m'enseigner
toi-même par quelles embûches je puis captiver ce Dieu si ancien et si
vénérable ! Je crains, telle est sa profonde science, qu'il ne m'échappe à
mon approche, et même avant mon aspect. Quel Dieu serait subjugué par un
mortel ?
Telles étaient mes paroles ; voici la réponse de
la déesse : Étranger, je m'intéresse à toi, j'achèverai de t'instruire.
Quand le soleil est parvenu au milieu de la voûte céleste, ce vieillard,
l'interprète de la vérité, conduit par le Zéphyr, au souffle duquel frémit
légèrement la surface noircie des flots, sort de la mer, et sommeille au bord
de grottes fraîches et obscures. Autour de lui dort la race de la belle
Halosydne, tout le peuple des Phoques, venu du sein écumeux des ondes, et
répandant au loin la pénétrante odeur de la profonde mer. Là, dès l'aurore,
conduit par moi, tu prendras la place que tu occuperas parmi leurs rangs. Toi,
choisis pour ton entreprise trois de tes compagnons les plus intrépides ; je
vais te dévoiler tous les artifices du vieillard. Après avoir compté par cinq
et fait l'examen de ces Phoques, il se couche au milieu d'eux, comme un berger
au milieu de son troupeau. Dès qu'il sommeillera, armez-vous de force et de
courage ; tombant sur lui avec impétuosité, que vos bras réunis l'enchaînent
et ne lui permettent point de vous échapper, malgré la violence de ses efforts
et de ses combats, il n'est point de forme où l'enchanteur ne se métamorphose
: il se change dans tous les monstres des forêts ; il s'écoule en eau fugitive;
flamme, il jette un éclat terrible. Vous, n'en soyez point épouvantés,
redoublez de force, et que vos bras l'enlacent de liens toujours plus étroits.
Mais lorsque enfin reprenant à tes yeux sa première forme, il t'interrogera
sur ton dessein, noble héros, ne recours plus à la violence ; et, dégageant
le vieillard de ses liens, demande-lui quel Dieu te persécute, et quelle route
tu dois suivre sur les mers pour revoir ta patrie.
En achevant ces paroles, elle s'élance dans les
vagues blanchissantes. Pendant que je marche vers mes vaisseaux rangés sur les
sables de la côte, mon cœur occupé de soins s'émeut comme les flots
d'Amphitrite. J'arrive, nous prenons le repas ; la nuit paisible descend des
cieux, et nous reposons sur le rivage.
Dès que paraît l'Aurore aux doigta de rose, je
m'avance le long des bords de l'empire étendu de la mer, adressant de ferventes
prières aux Dieux, et suivi de trois compagnons dont j'avais souvent éprouvé
la force et l'audace. Déjà Idothée, sortie du sein des eaux, avait apporté
la dépouille de quatre phoques qu'elle venait d'immoler ; et, préparant des
piéges à son père, avait creusé pour nous des couches dans les sables du
rivage. Dès notre arrivée, elle nous place et nous couvre de ces dépouilles.
Embuscade insupportable ! l'horrible vapeur de ces animaux nourris au fond des
mers nous suffoquait qui pourrait reposer à côté d'un phoque ? Mais la
déesse prévint notre perte : un peu d'ambroisie qu'elle approcha de nos
narines nous ranima par son parfum céleste, et anéantit l'effet de ce poison.
Nous restons avec intrépidité dans cette embuscade jusqu'à ce que le soleil
ait accompli la moitié de sa course.
Enfin les animaux marins sortent en foule des eaux,
et se couchent avec ordre le long du rivage. Le vieillard, qu'amène l'heure de
midi, sort aussi de la mer, porte ses pas autour de ses troupeaux, et, satisfait
de les voir florissants, il les compte, nous comprenant des premiers dans ce
dénombrement, sans soupçonner aucune ruse ; puis il s'étend à son tour sur la
rive, et sommeille. Soudain nous nous précipitons sur lui avec des cris
terribles, et nos bras se serrent comme de fortes chaînes. Il ne met pas en
oubli ses artifices. D'abord lion, il secoue une crinière hérissée ; bientôt
il est un dragon terrible, un léopard furieux, un sanglier énorme ; il
s'écoule en eau rapide ; arbre, son front touche les nues. Nous demeurons sans
épouvante, et redoublons d'efforts pour le dompter. Las enfin de ce combat,
quoique si fécond en ruses : 0 fils d'Atrée, me dit le vieillard, quel Dieu
t'enseigna l'art de me surprendre par ces embûches et de me vaincre ? Que
prétends-tu de moi ?
Tu le
sais, ô vieillard, lui répondis-je ; pourquoi me tendre de nouveaux piéges ?
Captif depuis longtemps dans cette île, je ne vois aucun moyen de terminer mes
maux ; mon cœur est dévoré de peines. Daigne m'apprendre ( rien n'échappe à
l’œil des immortels ) quelle divinité m’a fermé la route qui peut me
conduire à travers l'humide élément dans ma patrie.
Alors ces paroles sortent de ses lèvres :
Ah ! si tu voulais traverser heureusement le séjour
des tempêtes et arriver d'un rapide vol dans tes ports, il ne fallait pas
monter sur tes vaisseaux sans offrir des hécatombes sacrées à Jupiter et à
la troupe entière des immortels. Maintenant ne compte pas que les Destins te
permettent de revoir les tiens, ton palais et les champs de tes pères, si tu ne
fends une seconde fois de tes proues l'Egyptus, ce fleuve né du ciel, et si tu
ne fais ruisseler à grands flots sur ses bords le sang des plus belles victimes
en faveur de tous les Dieux rassemblés sur l'Olympe, alors s'ouvrira pour toi
la route que tu aspirés à franchir.
Mon cœur se brise à l'ordre de retourner à
travers les sombres vapeurs de la mer, aux bords de l'Egypte, chemin pénible et
semé de périls. J'obéirai, ô vieillard, dis-je cependant : mais veuille
encore m'apprendre le sort des Grecs que nous avons laissés, Nestor et moi, sur
le rivage troyen. Tous sont-ils
entrés heureusement dans leur patrie ? ou quelqu'un d'entre eux, assez
fortuné pour survivre à tant de combats, aurait-il péri d'une mort inopinée,
soit au milieu des flots, soit entre les bras des siens ?
Je dis, et telle est sa réponse terrible :
0 fils d'Atrée, pourquoi m'interroger sur ces événemens ? pourquoi vouloir tout sonder et pénétrer au fond de mon cœur ?
Si je parle, un torrent de larmes coulera de ta paupière. Un grand nombre est
descendu au tombeau, cependant ils n'ont pas tous subi ce triste sort. Parmi les
principaux chefs, deux seuls, à leur retour, ont été victimes du trépas ; tu
vis tomber ceux que moissonnèrent les batailles. L'un de vos personnages les
plus éminens est retenu, dans une île au milieu de la vaste mer.
Ajax, fils d'Oïlée, ni sa flotte aux longues
rames, ne sont plus. Arraché d'abord à la tempête, il est guidé par Neptune
qui voulait le sauver, sur les hauts rochers de Gyre : là ce chef, quoique
poursuivi par la haine de Minerve, se dérobait à la mort, si, dans son
orgueil, il n'eût proféré cette parole impie :
"Je triomphe, malgré tous les Dieux, du gouffre
immense de la mer."
Neptune entend le téméraire. Soudain, prenant de
sa puissante main le trident formidable, il frappe le roc ; on n'en voit plus
que le pied ; la cime, l'asile d'Ajax, est tombée dans les flots, et se perd
avec lui dans l'abîme profond où se roulent les vagues amoncelées.
Ainsi
périt ce héros après avoir bu l'onde amère. Ton frère, poursuivit Protée,
ton frère, secouru par Junon, échappa, lui et sa flotte, aux périls de la
mer. Il s'approchait du haut mont de Malée, lorsque enfin un tourbillon orageux
l'emporte gémissant sur les plaines d'Amphitrite jusqu'à l'extrémité des
côtes où régna jadis Thyeste, et où s'élevait son palais, dont Egisthe, son
fils était alors le possesseur. Ce lieu même semblait être pour Agamemnon le
terme fortuné de sa route; les Dieux dirigent le cours des vents, ses vaisseaux
sont poussés dans son propre port. Transporté de joie, il s'élance sur sa
rive natale ; il baise cette terre sa nourrice ; un torrent de larmes se
précipite de ses yeux ravis de revoir ce séjour. Cependant il est aperçu par
un garde que le perfide Egisthe plaça sur une hauteur, auquel, pour prix de sa
vigilance, il promit deux talents d'or, et qui, depuis toute une année, avait
eu l'œil ouvert sur ses côtes, tremblant que le roi n'abordât en secret et ne
triomphât par l'impétuosité de sa valeur, il vole annoncer au palais cette
arrivée soudaine. Aussitôt Egisthe, recourant à de noirs artifices, choisit
vingt hommes des plus déterminés, les met en embuscade. Il ordonne les
apprêts d'un superbe festin, rassemble ses chevaux et ses chars, et roulant en
son esprit le plus exécrable attentat, va inviter et recevoir en pompe le roi
de Mycènes. Il conduit dans le palais ce prince qui, sans le prévoir,
s'approchait de sa mort, et le massacre au milieu, du festin, comme on immole le
bœuf dans sa paisible étable. Tous ceux qui formaient la suite d'Agamemnon,
même les amis d'Egisthe, sont enveloppés dans ce massacre, et leur sang inonda
le palais.
Protée se tut. Le cœur déchiré par le
dé-sespoir ; je me jette sur le rivage ; et, baignant le sable de mes pleurs, je
refuse de voir la lumière du soleil et de prolonger ma vie. Après qu'il m'a
laissé donner un libre cours à mes larmes et me rouler longtemps sur le
rivage, le vieillard, cet oracle infaillible, élève la voix :
Cesse enfin, ô fils d'Atrée, cesse de
t'abandonner sans relâche aux pleurs; nous ne trouverons pas ainsi le terme de
tes infortunes : songe plutôt aux moyens les plus prompts d'accélérer ton
retour. Ou tu surprendras l'assassin, ou Oreste t'aura prévenu en l'immolant,
et tes yeux verront le bûcher.
Il
dit. Malgré mon trouble, je sens renaître au fond de mon cœur et s'épanouir
dans mon sein un sentiment de joie.
Je connais trop, repris-je, le sort de ces
guerriers infortunés. Veuille me nommer ce troisième chef, si cependant il vit
encore, retenu au milieu de la mer.
Quoique j'aie assez d'alimens à ma douleur, je t’écoute.
Telle fut ma demande ; voici sa réponse.
Ce chef est le roi d'Ithaque, le fils de Laërte.
J'ai vu couler de ses yeux des larmes amères dans l'île de la nymphe Calypso
qui l'y retient ; il languit en vain de revoir sa terre natale : il n'a ni
vaisseau, ni rameurs pour franchir le dos immense de la mer. Quant à toi, ô
Ménélas, favori des Dieux, veux-tu savoir ta destinée ? La Grèce n'aura
point à pleurer ta mort. Les
immortels te conduiront vivant aux bornes de la terre, dans les champs
élyséens où règne le blond Rhadamanthe, où les humains, sans interruption,
coulent des jours fortunés : la on ne connaît ni la neige ni les frimas ; la
pluie n'y souille jamais la clarté des cieux ; les douées haleines des zéphyrs
qu'envoie l'Océan y apportent éternellement, avec un léger murmure, une
délicieuse fraîcheur. Tu jouiras de ce bienfait comme époux d'Hélène et
gendre de Jupiter. En achevant ces paroles, il se précipite au sein
des vagues agitées, et disparaît.
Je marche avec mes braves compagnons vers mes
navires ; à chaque pas diverses pensées troublaient mon ame. Arrivés au bord
de la mer, nous préparons le repas : la nuit répand ses douées ombres ; nous
dormons sur le rivage. Dès que l'Aurore, ornée de rosés, jette une faible
lueur dans les cieux, nous lançons nos vaisseaux à l'onde sacrée de l'ancien
Océan : on lève les mâts, on tend les voiles ; on entre dans ces vaisseaux,
on se range sur les bancs ; et l'agile aviron frappa la mer blanchissante.
Nous rebroussons vers l'Egyptus, fleuve issu de
Jupiter ; là j'arrête mes vaisseaux ; j'apaise par des sacrifices le courroux
des immortels, je dresse aux mânes d'Agamemnon un tombeau, monument de sa
gloire. Ces devoirs accomplis, je reprends ma route, et les dieux m'accordent un
vent favorable qui me conduit rapidement au sein de ma patrie. Toi, mon fils,
veuille attendre dans mon palais onze ou douze fois le retour de l'aurore ; alors
je te renverrai avec d'honorables dons, trois de mes plus impétueux coursiers
et un char éclatant; je veux y joindre une belle coupe dont tu feras chaque
jour des libations aux dieux et qui gravera pour jamais mon souvenir dans ta
mémoire.
Fils d'Atrée, répond le sage Télémaque,
n'exige pas que je prolonge ici mon séjour. Assis auprès de toi, j'y passerais
une année entière, oubliant ma patrie, et même ceux auxquels je dois la
naissance, car tes récits et ton entretien me plongent dans l'enchantement.
Mais les compagnons que j'ai laissés à Pylos comptent avec ennui les heures de
mon absence ; et tu voudrais retarder encore mon départ ! Si tu m'honores de
quelque don, qu'il soit destiné à l'ornement de mon palais. Permets que je
n'emmène point tes coursiers dans Ithaque ; qu'ils servent à augmenter la
pompe dont tu es environne. Tu règnes sur des plaines étendues ; le trèfle y
croît en abondance, ainsi que le lotier, l'avoine et le froment ; l'orge
fleurit de toutes parts dans tes campagnes. Mon Ithaque ne possède ni lices, ni
prairies, et cependant ses rochers, où ne broutent que des chèvres, me sont
plus chers qu'un pays couvert de riches haras. Souvent les îles sont dénuées
de plaines et de pâturages ; mais Ithaque passe, non sans raison, pour la plus
montueuse et la plus stérile.
Ménélas écoute le jeune prince avec un léger
sourire, et lui prenant la main.
Mon cher fils, dit-il avec affection, ta prudence
annonce ta race. Je remplacerai ces coursiers par un autre don : rien ne m'est
plus facile, et de tous les trésors de mon palais tu auras ce qu'il renferme de
plus beau et de plus précieux. Je te donnerai une urne dont le travail surpasse
l'art humain ; elle est du plus fin argent, l'or en forme les bords : c'est
l'ouvrage de Vulcain. Le héros Phédime, roi de Sidon, me fit ce présent
lorsqu'à mon retour de Troie il me reçut dans son palais. Voilà le don que tu
recevras de ma main.
Tandis que, pleins de confiance, Ménélas et
Télémaque s'entretenaient, les serviteurs du monarque fortuné s'empressaient
à préparer le festin. Les uns amènent les victimes, d'autres apportent un vin
qui enflamme le courage ; les femmes, ornées de bandelettes flottantes,
distribuent les dons de Gérés. Tels sont les apprêts qui se font dans le
palais de Ménélas.
Mais,
devant celui d'Ulysse, les amants de Pénélope rassemblés sur le terrain uni
de la cour, champ ordinaire de leur insolence, s'amusaient à lancer le disque
et à fendre l'air du javelot. Placés au premier rang par leur valeur, aussi
beaux que les immortels, Antinoüs et Eurymaque étaient seuls assis lorsque le
fils de Phronius, Noémon, s'avance, et s'adressant au rejeton d'Eupithès, il
lui dit :
Antinoüs, ne peut-on m'apprendre quand Télémaque reviendra de Pylos ? Il est
parti sur mon vaisseau, et cependant je dois me transporter aux spacieuses
campagnes de l'Elide, où paissent douze juments qui m'appartiennent, avec de
jeunes mulets indomptés et pleins d'une vigueur infatigable. Je veux emmener
l'un d'entr’eux pour l'assujettir au joug.
A ces mots, ils sont tous muets et
consternés. Loin de soupçonner que Télémaque fût à Pylos, ils le croyaient
dans un de ses champs, auprès de ses brebis ou chez Eumée.
Antinoüs
rompt enfin le silence:
Réponds moi avec sincérité. Quand est-il parti
? quels compagnons ont quitté avec lui les bords d'Ithaque ? est-ce une
jeunesse illustre, ou n'a-t-il à sa suite que ses mercenaires et ses esclaves ?
Quoi ! a-t-il pu exécuter ce projet ? Dis-moi encore avec franchise, je veux le
savoir, s'est-il emparé de ton vaisseau par la violence, ou l'as-tu cédé à
sa demande ?
Il l'obtint de mon gré, répondit Noémon. Qui ne se fût rendu aux
désirs d'un jeune homme de ce rang, dont le cœur est dévoré de peines ? Le
refus était impossible. Il est accompagné de notre plus illustre jeunesse. A
leur tête j'ai distingué Mentor, ou un Dieu qui prit la forme de ce chef ; car
j'en suis étonné, hier le soleil nous éclairait de ses rayons quand
j'aperçus encore ici le vénérable Mentor, lui que mes yeux virent monter dans
ce navire qui cinglait vers Pylos.
Après
ces mots, il reporte ses pas dans la maison de son père.
L'ame altière des deux chefs est frappée de
consternation. Tous les compagnons à la fois s'asseyent, suspendent les jeux.
Mais Antinoüs prend la parole, une noire fureur enfle son sein; ses yeux
lancent des traits de flamme.
Ciel ! dit-il, tandis que nous nous assurions
qu'il n'oserait jamais le tenter, avec quelle audace Télémaque a exécuté le
dessein de ce départ ! Malgré l'opposition de tant de chefs, un enfant nous
échapper, équiper un vaisseau et s'associer les citoyens les plus intrépides
! Ce pas nous présage quelque catastrophe. Mais que les dieux l'abîment
lui-même avant qu'il consomme notre perte ! Qu'on me donne un vaisseau léger
et vingt compagnons : je veux qu'il rencontre mes pièges dans le détroit
d'Ithaque et des âpres rocs de Samé, je veux que ce nouveau nautonnier trouve
la mort en courant après son père.
Il
dit : tous se lèvent, et, le comblant d'éloges et l'excitant encore à la
vengeance, ils le suivent dans le palais d'Ulysse.
Pénélope n'ignora pas longtemps les noires trames
qu'ils roulaient au fond de leurs cœurs. Le héraut Médon, à quelque distance
de la cour, avait entendu leur complot secret. Aussitôt il traverse le palais
d'un vol précipité pour en instruire la reine qui, le voyant arriver sur le
seuil de son appartement :
Héraut, dit-elle, pour quel dessein t'envoient ici ces rivaux orgueilleux ?
Viens tu ordonner aux captives du divin Ulysse d'abandonner tous leurs travaux,
et de leur préparer un festin ? Oh! puissiez-vous, hommes lâches et violens,
ne plus briguer ni ma main, ni celle d'aucune femme ! et fassent les Dieux que
vous participiez maintenant au dernier de tous vos festins, vous qui ne vous
réunissez chaque jour dans ce palais
que pour piller tant de richesses, l'héritage du vertueux Télémaque !
Sans doute, vos pères, dans vôtre enfance, ne vous ont jamais dit quel fut
Ulysse, ce prince qui, n'abusant pas du pouvoir, ne fut injuste ni en actions ni
en paroles, ne distribua point au gré du caprice ( rare exemple parmi les rois
)
à l'un sa bienfaisance, à l'autre sa haine, et ne fit pas un malheureux ; mais
la perversité de votre ame éclate dans vos attentats, et je vois trop que les
bienfaits s'évanouissent de la mémoire des hommes.
0 reine, dit le sage héraut, plaise aux Dieux
que ce soit là ton plus grand malheur! Celui qui te prépare cette troupe
féroce est bien plus sinistre ; veuille Jupiter nous en garantir ! Elle
n'attend que le retour du jeune Télémaque pour lui plonger un fer acéré dans
le cœur ; car il est parti pour se rendre dans les murs fameux de Pylos et de
Lacédémone, impatient d'interroger la renommée sur le sort de son père.
A ces
nouvelles, le cœur de Pénélope se glace ; ses genoux s'affaissent ; longtemps
elle ne peut proférer une parole ; sa voix est étouffée ; des larmes coulent
de ses yeux.
Héraut, dit-elle enfin, pourquoi mon fils
s'est-il éloigné de moi ? Qui l'a engagé
à monter un rapide vaisseau, coursier si dangereux sur lequel on s'expose à
traverser l'immense empire des ondes ? Veut-il que sa race entière périsse ?
Veut-il ne laisser même aucun souvenir de son nom sur la terre ?
J'ignore, répartit Médon, si quelque Dieu ou
les seuls mouvemens de mon cœur l'ont animé à voler vers Pylos pour apprendre
le retour de son père, ou ce qu'ordonna de lui le destin.
En
même temps, il se retire.
Pénélope est frappée d'une douleur mortelle. De
nombreux sièges décoraient son appartement ; elle se jette sur le seuil,
s'abandonne à des cris lamentables : toutes ses femmes, jeunes et âgées,
éclatent autour d'elle en gémissements. Amies, s'écrie-t-elle, sans
interrompre ses sanglots, les dieux ont voulu que je fusse la plus infortunée
de toutes les femmes. D'abord j'ai perdu le meilleur des époux, qui fut un lion
dans les combats, et auquel ne manqua aucune vertu lorsqu'il parut entre les
héros, cet époux fidèle dont la gloire retentit dans Argos et dans la Grèce
entière. Et maintenant je pleure encore mon fils, l'idole de mon cœur ; il a
disparu avant d'être connu de la renommée ; il m'a été ravi de ce palais par
les tempêtes, sans que la nouvelle en ait frappé mon oreille. Malheureuses que
vous êtes, vous en fûtes instruites ; et la nuit de son départ, lorsqu'il
allait monter un frêle vaisseau, aucune d'entre vous-mêmes n'a donc pas songé
à me tirer du sommeil ? Si j'avais soupçonné ce projet, quelque ardeur qui
l'entraînait loin de ses lieux, je l'eusse retenu dans mes bras, ou, en fuyant,
il m'eût laissée expirante. Que l'on coure appeler le vieux Dolius, ce fidèle
serviteur que me donna mon père pour m'accompagner à Ithaque, et qui consacre
tous ses soins à entretenir l'ombrage de mon jardin : je veux qu'il aille sans
délai instruire Laërte du coup dont je suis frappée. Peut-être notre malheur
inspirera-t-il à ce vieillard le dessein de sortir de sa retraite ; et,
montrant ses larmes aux yeux du peuple, de le toucher en apprenant qu'on a
résolu d'exterminer sa race et la tige d'Ulysse qui fut l'image des dieux.
La vieille Euryclée prenant alors la parole :
Ma maîtresse chérie, dit-elle, soit que tu me
perces le cœur, soit que tu me laisses encore vivre dans ce palais, il
faut tout avouer. J'ai su le projet de ce départ ; c'est moi qui lui
fournis le froment et le vin qu'il me demanda pour sa route. Il m'engagea par
serinent a ne pas t'en instruire avant le douzième jour, à moins que tu ne
pusses plus soutenir la privation de sa présence, et qu'un autre ne t'eût
dévoilé une partie de ce secret, tant il craignait que ta beauté et ta vie ne
s'éteignissent enfin dans les larmes.
Arrêtes-en donc le cours : entre dans le bain ;
que des vêtements purifiés le décorent ; monte avec tes femmes dans l'endroit
le plus élevé du palais ; là invoque Minerve, cette fille du dieu de la
foudre. Elle te rendra ton fils, fût-il entouré des ombres du trépas. Mais
n'achève pas d'accabler un vieillard enseveli dans la douleur. Non, je ne
croirai jamais que la race d'Arcésius soit odieuse aux immortels ; il lui
survit quelque part encore un rejeton pour régner un jour dans ses palais
élevés et sur ses champs étendus et fertiles.
Elle dit ; la douleur de Pénélope se calme, et
ses larmes cessent de couler. Elle entre dans le bain ; des vêtemens purs et
éclatants la décorent ; suivie de ses femmes, elle se rend au haut du palais,
présente à la déesse dans une corbeille l'orge sacrée, et s'écrie :
Exauce mes vœux, ô fille invincible de celui qui lance le tonnerre.
Si jamais, dans ce palais, le sage Ulysse fit monter vers toi la fumée des
offrandes les plus choisies de taureaux et de brebis, daigne aujourd'hui t'en
rappeler le souvenir : rends-moi mon fils, l'objet de ma tendresse ; détourne
loin de cet enfant les traits des hommes barbares qui aspirent à ma main, et
qui me font pâlir pour ses jours. Cette prière est accompagnée de
gémissemens et de cris : la déesse lui prête une oreille favorable.
Mais les chefs font retentir de leurs voix
bruyantes le palais où descendaient les ombres de la nuit. Sans doute, disaient
plusieurs de ces jeunes téméraires, la reine, objet de tant de vœux, va
choisir parmi nous un époux; un sacrifice précède l'appareil de son hyménée
; elle est loin de soupçonner que son fils touche au tombeau. Telle était la
pensée de ces hommes présomptueux.
Hélas ! qu'ils connaissaient peu la situation de la triste Pénélope ! Mais
Antinoüs, s'adressant à la troupe :
Imprudents ! leur dit-il, ne pouvez-vous contenir
votre langue effrénée ! et ne craignez-vous pas que ce palais n'enferme un
délateur ? Levons-nous, exécutons sans bruit le dessein que nous avons
approuvé d'une commune voix.
Il dit, et choisit parmi eux vingt des plus déterminés. Ils courent au
rivage, lancent un vaisseau à la vaste mer, élèvent le mat, suspendent à des
courroies les avirons rangés avec ordre et, prêts à sillonner les ondes,
ouvrent aux vents les voiles éclatantes. Compagnons des attentats de ces chefs,
des esclaves leur apportent des armes ; tous entrent dans le navire, et, le
conduisant vers la haute mer, à l'ouverture du port, ils prennent leur repas,
attendant que la nuit épaississe les ombres.
Mais
la vertueuse Pénélope ; retirée au fond de son appartement et penchée sur sa
couche, est sans nourriture ; elle n'a porté à ses lèvres ni aliment ni
breuvage, et se demande si son fils généreux aura le bonheur d'échapper à la
mort, ou s'il tombera sous la rage de ses nombreux ennemis. Telle qu'au milieu
de la tumultueuse enceinte de rusés chasseurs une lionne se trouble et frémit,
porte de tous côtés ses regards, sans apercevoir aucune issue ; telle s'agite
et frémit Pénélope jusqu'au moment où vient l'environner le paisible sommeil
: elle se laisse tomber sur sa couche ; les fibres de son corps se détendent,
elle goûte enfin plus de câline, et s'endort.
Alors un nouveau soin naît dans l'ame de Minerve. Elle crée un
fantôme ; il a tous les traits d'Iphtimé, fille d'Icare, femme d'Euméle, roi
de Phères. Minerve l'envoie dans le palais d'Ulysse pour adoucir la douleur de
l'infortunée, qui, remplissant l'air de ses gémissements, s'était noyée dans
les larmes. A travers une étroite ouverture, entre la porte et la courroie qui
la fermait, pénétra dans l'appartement de la reine l'image légère, et,
voltigeant au-dessus de son front :
Pénélope, lui dit-elle, tu dors le cœur miné
d'une affliction mortelle. Les dieux, qui te regardent de leur heureux séjour,
ne veulent point que tu t'abreuves de pleurs et te consumes de tristesses. Ton
fils reviendra ; sa vertu, que ne souille aucune tache, le rend l'objet de
l'amour des immortels
A ces mots, Pénélope goûtant un sommeil plus
tranquille dans le palais des songes fortunés
:
O ma chère sœur, lui dit-elle, est-ce toi ? Je
te revois donc, toi qui, vivant loin de nos contrées, m'y fais jouir si
rarement de ta présence ! et tu viens en ce moment m'ordonner de ne point
verser de larmes, de triompher des chagrins nombreux et du désespoir accablant
qui troublent et subjuguent mon ame entière ! Ce n'était pas assez d'avoir
perdu cet époux, l'objet si digne de mon amour, dont le courage était celui
d'un lion, et qui, orné de toutes les vertus, était le plus illustre de nos
héros, cet époux l'objet si digne de mon amour, et dont la gloire remplit
Argos et toute la Grèce. Pour comble de malheur, mon fils, ma seule joie, est
entraîné loin de moi sur un frêle vaisseau. Il est à peine sorti de
l'enfance, il ne connaît point assez ni les périls ni les hommes ; la
persuasion ne coule pas encore de ses lèvres. Mes larmes, en ce moment,
ruissellent pour lui plus même encore que pour cet autre infortuné. C'est pour
mon fils que tu me vois pâle et toute tremblante ; je crains que chaque instant
ne soit celui de sa mort, dans les contrées où il s'égare, ou au milieu de la
mer ; je crains la foule d'ennemis cruels qui le poursuivent, qui lui dressent
en tous lieux des pièges ; ils l'immoleront avant qu'il ait touché sa terre
natale.
Rassure-toi, lui répond le fantôme nocturne ; bannis jusqu'à l'ombre du désespoir
Ton fils a un guide dont les plus illustres héros désireraient l'appui, et
dont tous adorent le pouvoir : c'est la grande Minerve. Elle compatit à la
douleur qui te dévore, et c'est elle qui m'envoie répandre la consolation dans
ton ame.
Ah
! dit le sage Pénélope, si tu habites l'Olympe, si les dieux te font entendre
leur voix, ne pourrais-tu dissiper l'autre sujet de mes peines et me parler de
l'infortuné qui me plonge dans un deuil éternel ? Respire-t-il encore est-il
éclairé de la douée lumière du soleil ? ou n'est-il plus sur la terre ? et
son ombre est-elle errante dans l'empire de Pluton?
Je ne puis te dire ( telle est la réponse du fantôme
sorti des ténèbres ) si cet infortuné est vivant. Plutôt que de prononcer un
oracle vain et trompeur, je dois garder le silence. En même temps l'ombre s'échappe
à travers l'ouverture par où elle est entrée, et s'évanouit avec les vents.
Le sommeil abandonne les yeux de la fille d'Icare. Charmée du présage heureux
de ce songe que lui envoya le ciel au milieu de la nuit profonde, elle en
conserve une image distincte, et il a flatté quelque temps sa douleur.
Cependant les chefs, montés sur un vaisseau rapide, fendaient les plaines de la
mer, ne respirant que des projets de mort.
Il
est une petite île, hérissée de rochers qui s'élève entre ceux d'Ithaque et
de la montueuse Samé ; Astéris est son nom ; elle a deux ports qui offrent aux
vaisseaux un sûr asile, l'un du côté d'Ithaque, et l'autre du côté de
Samé. C'est dans ce lieu favorable à leurs desseins que les chefs, préparant
leurs embûches, attendent le retour de Télémaque.