Pallas communique à Diomède, fils de Tydée, sa valeur et son
audace, afin de l'éle-ver sur tous les Grecs, et de le couronner d'une
gloire immortelle. Du casque et du bouclier du héros jaillissent des
traits conti-nuels de flamme : semblable à l'astre de l'au- tomne qui, après
s'être baigné dans l'Océan, est tout éclatant de lumière ; tel était
le feu qui partait des yeux et des armes du guerrier. La déesse le précipite
au milieu de la plus ardente mêlée.
Parmi les Troyens était un homme riche et vertueux, Darès, prêtre
de Vulcain : il avait deux fils, Idéus et Phégée, exercés dans tous
les genres de combats. Ces guerriers, s'écartant de leurs troupes,
courent à la rencontre de Diomède, et sont portés sur un char : Diomède
s'avance d'un pas intrépide. Dès que volant l'un vers l'autre ils sont
près de se joindre, Phégée lance le premier un long javelot, dont la
pointe rase l'épaule de Diomède. Diomède fait partir sa lance, qui,
ne prenant pas un essor inutile, frappe le guerrier au milieu de la
poitrine , et le renverse du char. Ideus s'élance du char superbe,
l'aban-donne, et n'ose défendre son frère expirant. Il n'eût pas échappé
lui-même à la noire parque, si Vulcain ne l'eût couvert d'un sombre
nuage, pour que le vieux Darès ne fût pas entièrement accablé par la
douleur. Le rejeton du grand Tydée s'empare des coursiers, et ordonne
à ses compagnons de les conduire vers les vaisseaux.
Les Troyens magnanimes, qui voient l'un des fils de Darès
recourant à la fuite, et l'autre étend après de son char, sont saisis
de trouble. Alors Minerve prenant la main du dieu terrible des combats :
Mars, Mars, s'écrie-t-elle, fléau des humains, toi qui te souilles de
sang, et qui renverses les remparts, laissons les Troyens et les Grecs
combattre, jusqu'à ce que Jupiter décide qui d'entr'eux doit remporter
la victoire. Retirons-nous, évitons le courroux du père des dieux. En
même-temps elle entraîne le farouche Mars loin du combat, et le fait
asseoir sur les bords fleuris du Scamandre.
A l'instant les Grecs renversent les Troyens, et chacun des héros
immole un guerrier illus-tre. Le roi des hommes, Agamemnon précipite de
son char Hodius, chef des Halizoniens. Ce guerrier, avant tous les
combattans, se tournait pour fuir, quand la rapide lance l'atteint au
dos et lui perce la poitrine : il tombe avec un bruit terrible, et ses
armes retentissent.
Idoménée ravit le jour à Phestus, fils du Méonien Borus qui,
de la fertile Tarné, s'était rendu devant Troie. Le vaillant Idoménée
lui enfonce sa longue pique dans l'épaule, à l'ins-tant où ce chef
montait sur son char ; il roule loin du char, et l'affreuse nuit du trépas
cou-vre sa paupière. Les compagnons d'Idoménée le dépouillent de ses
armes.
Ménélas atteint de sa lance acérée le fils de Strophius,
Scamandrius, exercé dans l'art de la chasse ; Diane elle-même
l'instruisit à frapper les animaux sauvages que nourrissent les
montagnes et les forêts. Mais en ce moment il ne tire plus aucun
secours ni de Diane, ni de l'adresse avec laquelle il faisait autrefois
voler si loin la flèche légère. Ménélas de sa lance, blesse entre
les épaules le guerrier qui fuyait devant ses pas ; le fer sort par la
poitrine : il tombe sur le front, et ses armes rendent un son terrible.
Mérion porte un coup mortel à Phéréclus, fils d'Harmon, cet
artisan qui, rempli d'in-dustrie, formait de ses mains les ouvrages les
plus variés ; il était chéri de Minerve. C'est lui qui bâtit pour
Paris la flotte qui fut le commencement de tant de malheurs et qui
devint fatale aux Troyens ainsi qu'à lui-même : il n'avait point connu
les oracles des dieux. Mérion poursuit Pheréclus, l'atteint et le
blesse au dos sous l'épine ; la pointe du fer sort au-dessous de l'os :
il tombe sur ses genoux en poussant des cris douloureux, et les ombres
du trépas l'environnent.
Mégès ravit le jour au fils d'Anténor, Pé-déus, né d'un lit
étranger, que la généreuse Théano, pour complaire à son époux, éleva
avec autant de soin que ses propres enfans. Mégès, armé de sa lance,
court sur les pas du Troyen ; et l'atteignant derrière la tête,
l'airain lui brise les dents et lui fend la langue: il est étendu sur
le sable, mordant la lance glacée.
Enfin
le fils d'Evemon, Eurypile, triomphe d'Hypsenor, issu de Dolopion,
sacrificateur du Scamandre, et honoré comme un dieu. Le vaillant
Eurypile, tandis que le guerrier fuyait devant lui, s'élance armé du
glaive, le frappe à l'épaule au milieu de sa course, et lui emporte le
bras, qui tombe ensanglanté dans la poussière : la mort teinte de
sang, et l'invincible destin, lui ferment les yeux.
Tels étaient les exploits de ces guerriers dans le combat,
terrible. Mais vous ne pourriez dire quel est le parti dont Diomède
prend la défense, si ce héros est du côté des Troyens ou de celui
des Grecs. Il parcourt la plaine avec fureur, semblable à un fleuve débordé
qu'ont enflé les torrens et qui arrache les ponts dans son cours impétueux
; les ponts les plus solides ne peuvent lui résister ; les, digues élevées,
défenses des vertes cam-pagnes, ne l'arrêtent point, lorsque, chargé
des pluies de Jupiter, il accourt subitement ; avec lui sont entraînés
les riches travaux d'une jeunesse laborieuse : ainsi les phalanges pressées
des Troyens sont mises en fuite par Diomède ; malgré leur nombre,
elles ne peu-vent soutenir sa furie.
Le fils illustre de Lycaon, Pandarus, qui voit ce héros se précipiter
dans la plaine, et pousser devant lui les cohortes troublées, dirige
promptement contre Diomède son arc recourbé, et, à l'instant où il
fondait sur lui, l'atteint à la cavité de la cuirasse , près de l'épaule
: le trait ailé pénètre dans le corps : la cuirassé est
ensanglantée. Pandarus s'écrie avec transport :
Revolez au combat, Troyens magnanimes, vous dont l'aiguillon
presse les coursiers agiles. Le plus vaillant des Grecs est blessé ; et
il ne survivra pas long-temps à ce coup terrible, s'il est vrai que le
dieu de l'arc, le fils de Jupiter, ait conduit mes pas quand j'ai quitté
la Lycie.
Ainsi triomphait Pandarus : mais la flèche rapide ne dompta
point le héros. Il se retire, s'arrête auprès de ses coursiers ; et
s'adressant au fils de Capanée : Hâte-toi, cher Sthénélus, et
descends du char pour m'arracher de l'épaule ce trait cruel. Il dit.
Sthénélus se précipite du char ; et courant à lui, il retire de l'épaule
le trait entier : le sang jaillit à travers les anneaux de la cuirasse.
Alors le courageux Diomède fait cette prière :
Fille invincible de Jupiter, si jamais, nous favorisant mon père
et moi, tu fus à nos côtés dans le feu de la mêlée, daigne m'être
propice en ce jour ; fais que je saisisse, et conduis à la portée de
mon javelot, celui qui, prévenant mes coups, m'a blessé, qui triomphe
avec audace, et qui croit que je ne verrai plus long-temps la brillante
lumière du soleil.
Telle est sa prière, et Minerve l'exauce. Un feu nouveau ranime
le guerrier ; ses pieds sont plus légers, ses bras plus agiles. En même
temps la déesse à côté de lui, profère ces paroles : Va maintenant,
ô Diomède, va, plein de confiance, combattre les Troyens ; car J'ai
rempli ton cœur de tout le courage de tort père, de ce courage intrépide
que mon trait Tydée, agitant son bouclier formidable. J'ai dissipé le
nuage dont tes yeux, étaient couverts, afin que tu puisses dans la mêlée
distinguer les dieux d'avec les hommes. Si donc, pour t'éprouver,
quelque divinité venait à ta rencontre, garde-toi de combattre aucun
des immortels : mais si Vénus affrontait le champs de Mars, ose la
frapper.
Après ces mots, Pallas
se retire. Le héros revole aux périls et se plonge dans la mêlée ; et
s'il brûlait de combattre auparavant, il sent à cette heure en lui-même
trois fois autant d'audace. Tel qu'un lion que le berger qui gardait
près des pâturages ses troupeaux chargés de laine, a blessé d'une légère
atteinte, loin de le dompter au moment où il s'élançait dans l'enclos,
le berger n'a fait qu'irriter sa rage ; et désormais ne songeant plus à
le repousser, il court se cacher dans sa cabane ; les brebis abandonnées
prennent la fuite, et se renversant les unes sur les autres, se pressent
dans leur retraite ; l'animal triom-phant franchit les hautes barrières
: tel Dio-mède fond avec impétuosité sur les Troyens.
Alors il immole Astinoüs et le roi Hypenor, perçant de sa pique
le sein du premier, et faisant tomber son glaive énorme sur l'épaule
de l'autre, et la séparant du corps. Il les abandonne, et poursuit Abas
et Polyide, fils du vieux Eruydamas, qui lisait l'avenir dans les
songes. Le vieillard ne recourut point à son art lorsque ses enfans
partirent pour les combats : le formidable Diomède les abat l'un et
l'autre. Il marche ensuite contre Xanthe et Thoon, issus de Phénops, et
tous deux nés dans sa vieillesse ; il est maintenant accablé du poids
des années, et n'a point d'autre fils auquel il puisse transmettre son
héritage. Le guerrier les renverse tous deux, leur ravit la douce lumière
du jour, et laisse au malheureux père l'affliction et un sombre deuil.
Hélas ! le vieillard ne les recevra point du sein de la guerre entre
ses bras : des étranger feront entr’eux le partage de ses richesses.
Enfin Diomède surprend deux fils de Priam, Echemon et Chromius,
montés sur un même char. Comme un lion s'élance contre un troupeau de
bœufs, et brise le cou d'une génisse ou d'un taureau qui paissait
tranquil-lement dans une forêt, ainsi Diomède, sans pitié, les
renverse l'un et l'autre du char et les dépouille de leurs armes,
chargeant ses com-pagnons de conduire les coursiers vers les vaisseaux.
Enée voit ce guerrier porter le ravage dans les cohortes ; il
vole à travers les combattans : et le bruit des javelots, et désire de
rencon-trer l'illustre Pandarus. Il aperçoit le fils vaillant de Lycaon,
et s'avançant à lui : Pandarus, dit-il, où sont ton arc, tes flèches
ailées, et cette gloire qu'aucun ici ne te disputera, et que dans la
Lycie nul ne le vantera de surpasser ? Lance en implorant Jupiter, un de
tes traits contre ce mortel si redoutable, qui a déjà fait tant de
maux aux Troyens, et couché un si grand nombre de nos vaillans
guerriers dans là poussière ; lance un de tes traits contre lui, à
moins qu'il ne soit un dieu irrité qui vienne venger ses autels. La colère
d'un dieu est terrible.
Sage Enée, chef des Troyens armés, répondit le fils de Lycaon,
tout en ce héros me paraît ressembler au brave Diomède ; je le
reconnais à son bouclier, à son casque où flotte un haut panache, et je
vois ses coursiers. Cependant je doute encore si ce combattant n'est pas
un dieu. S'il est le fils de Tydée, ce n'est pas sans le secours d'une
divinité qu'il se livre à ses fureurs ; et l'un des immortels,
enveloppé d'un nuage, se tient à ses côtés, et ralentit les traits
rapides dont il est atteint. J'ai déjà tiré une flèche contre lui ;
je l'ai blessé à l'épaule à travers la cuirasse, et croyais l'avoir
précipité dans le royaume de Pluton ; mais je n'ai pu l'abattre !
sans doute j'ai pour adversaire un dieu courroucé. Je n'ai point ici
mes coursiers ni mes chars, du haut desquels je pourrais combattre :
j'ai dans le palais de Lycaon onze chars d'une rare beauté, qui,
enveloppés dévoiles, n'ont point encore servi, et près de chacun
desquels deux coursiers, destinés au même joug, paissent l'orge
blanche et l'avoine. Lorsque je partis, combien Lycaon, ce vieillard
plein de valeur, me donna dans son palais de sages conseils ! il voulait
que dans l'ardente mêlée je parusse à la tête des combattans avec
mes chars : mais je n'obéis point; qu'il m'en coûte de regrets ! Je ménageai
mes coursiers, craignant qu'accoutumés à l'abondance, ils ne
man-quassent de pâture dans une ville assiégée. Je les abandonnai, et
vins en fantassin devant Ilion, me confiant dans cet arc qui ne devait
m'être d'aucun secours : car j'ai déjà atteint de mes flèches deux
guerriers illustres, Diomède et Ménélas ; j'ai vu couler leur sang,
mais je n'ai fait qu'enflammer leur rage. C'est par une destinée fatale
que je détachai cet arc du mur auquel il était suspendu, le jour, où,
voulant complaire au grand Hector, je partis pour amener des secours aux
Troyens. Si jamais je retourne dans ma demeure, et que mes yeux revoient
ma patrie, mon épouse, et notre palais, je veux qu'un bras ennemi sépare
ma tête de mes épaules, si je ne livre à l'instant cet arc aux
flammes dévorantes ; après l'avoir brisé de mes mains : il m'a
vainement accompagné dans ces lieux.
Cesse de mépriser ton arc, répond Enée chef des Troyens
; le sort du combat ne pourra changer, si nous n'allons tous les deux
avec un char et d'autres armes à la rencontre de ce héros. Monte sur
mon char ; tu veras quels sont les chevaux de Tros, et comment ils
savent courir ça et là dans la campagne pour suivre l'ennemi ou lui échapper ;
ils nous ramèneront dans Troie, si Jupiter donne encore la victoire à
Diomède. Hâte-toi, prends en main le fouet et les rênes ; je
t'abandonne le soin des coursiers, pour ne songer qu'à combattre ; ou
reçois cet adversaire, et je guide les coursiers.
Le fils de Lycaon lui répartit : Enée, prends toi-même
les rênes de tes chevaux ; ils conduiront plus sûrement le char sous
une main qui leur est connue, si nous sommes contraints de nous retirer
devant le fils de Tydée : s'ils n'entendaient plus ta voix, ils
pourraient, saisis de terreur, s'égarer dans leur course et refuser de
nous porter hors de la mêlée ; et le fier Diomède, fondant sur nous
dans ce désordre, nous ravirait le jour, et emmènerait tes nobles
coursiers. Que ce soit donc toi qui animes leur audace, tandis que moi,
armé du javelot, je soutiendrai le choc de cet ennemi. Pendant ces
discours, ils se placent sur le char ; et, pleins d'ardeur, poussent
vers Diomède les coursiers bondissans.
L'illustre rejeton de Capanée, Sthénélus, les voit s'avancer,
et aussitôt s'adresse au fils de Tydée : Diomède, cher à mon cœur,
j'aperçois deux guerriers animés d'une force invincible, qui se précipitent
contre toi : l'un, savant à manier l'arc, Pandarus, fils de Lycaon ; et
l'autre, Enée, qui se glorifie d'être issu du magnanime Anchise et de
Vénus. Hâtons-nous de nous retirer sur notre char ; ne suis pas ainsi
l'ardeur aveugle qui t'entraîne loin des rangs, et ne perds point une
vie si précieuse aux Grecs.
Le vaillant Diomède lui lançant un regard terrible : Ne me
parle point de fuite, dit-il ; ce n'est pas à moi de me battre en
retraite ni de trembler ; mes forces n'ont point encore reçu d'atteinte
; je dédaigne de monter sur mon char ; et j'irai, tel que je suis, à
la rencontre de ces adversaires ; Pallas me défend de les redouter.
Leurs agiles coursiers ne le ramèneront pas tous deux à Troie, s'il
arrive que l'un nous échappe. Ce n'est pas tout
souviens-toi de cet ordre : Si la sage Minerve m'accordait la
gloire de ravir le jour à l'un et à l'autre guerrier, retiens ici mes
chevaux, en attachant les rênes au char ; et à l'instant saisis les
coursiers d'Enée, et les pousse loin des Troyens vers les Grecs. Ils
descendent de ceux que Tros reçut de Jupiter pour prix de l'enlèvement
de son fils Ganymède, et ce sont les meilleurs coursiers qu'il y ait
sous le soleil. Anchise, à l'insu de Laomédon, leur amena ses jumens,
et déroba ainsi des rejetons de cette race : il en naquit six chevaux
dans son palais, dont il retint quatre qu'il nourrit avec soin, et donna
à son fils les deux autres, qui sèment l'épouvante dans les combats.
Si nous pouvions les enlever, nous remporterions une gloire immortelle.
Durant cet entretien, les deux héros poussant les coursiers rapides,
arrivent. Pandarus prend le premier la parole : Guerrier indomptable,
fils du grand Tydée, ma flèche tantôt n'a pu te vaincre, encore
qu'elle ait été cruelle ; essayons si je puis t'atteindre de ce
javelot.
En même-temps il balance le javelot, l'envoie ; et frappant le
bouclier de Diomède, le fer volant perce le bouclier et s'attache à la
cuirasse. Aussitôt le fils de Lycaon s'écrie d'un air triomphant : Tu
as reçu dans le flanc un coup mortel, et tu ne pourras long-temps y
survivre ; tu m'as enfin comblé de gloire.
Tu t'abuses, et ne m'as point atteint, répond Diomède sans se
troubler ; mais vous ne cesserez point de vous livrer à cette fureur,
que l’un de vous ne soit abattu, et ne rassasie de son sang
l'invincible dieu de la guerre.
En disant ces mots il fait partir sa lance ; dirigée par
Minerve, elle atteint Pandarus sous l'œil, fracasse ses dents d'ivoire
; et le fer dompté lui coupant la langue à la racine, la pointe sort
sous le menton près de la gorge : il tombe du char ; ses armes décorées,
écla-tantes, font un bruit terrible ; les impétueux coursiers reculent
d'effroi, il perd la vie à l'instant. Enée, armé de son bouclier et
de sa longue pique, s'élance du char, craignant que les Grecs n'entraînent
le corps de Pandarus. Il marche autour de lui tel qu'un lion qui se
confie dans sa vigueur : il le défend de sa pique, et le couvre du
large bouclier, prêt à ravir le jour au premier qui osera s'approcher
; il pousse des cris formidables. Alors Diomède saisit une pierre d'un
poids énorme, et que ne pourraient porter deux hommes tels qu'ils sont
de nos jours ; il la balance sans effort, la jette, et frappe Enée à
l'emboîture de l'os où la cuisse s'unit à la hanche ; l'os se brise,
les deux nerfs se rompent, et la peau est enlevée par le roc raboteux.
Le guerrier tombe sur ses genoux, et appuie sa forte main contre terre ;
une sombre nuit obscurcit ses yeux. Là Enée, l'un des plus illustres
combattans, aurait terminé sa vie, si Vénus, dont Anchise, faisant
paître ses troupeaux, eut ce rejeton, n'eût promptement aperçu le danger
du héros : elle coule ses bras d'albâtre autour de son cher fils ; et le
couvrant des plis de son voile éclatant pour le garantir des traits, de
peur que quelqu'un des Grecs, enfonçant le fer dans le sein du guerrier,
ne lui ravisse le jour, elle l'enlève hors de la mêlée.
Le fils de Capanée n'oublia pas dans ce moment les ordres de
Diomède : il arrête ses chevaux loin du tumulte, attache les rênes,
au char, et se précipitant vers celui d'Enée, saisit là crinière
superbe des divins coursiers, et les pousse loin des Troyens vers les
Grecs, chargeant du soin de les conduire vers les vaisseaux Déipyle, le
plus cher de tous les compagnons de son âge par le rapport de leurs
sentimens. Lui cependant remonte sur son char, prend les brillantes rênes,
et, plein d'ardeur, excite les vigoureux coursiers à rejoindre Diomède.
Ce héros, armé de l'airain cruel, poursui-vait Cypris ; il ne
voyait en elle qu'une divi-nité timide, et non une de ces déesses qui
président aux combats des mortels, telle que Minerve ou la formidable
Bellone. Lorsque, courant au milieu des rangs Troyens, il l'eut
atteinte, le fils audacieux de Tydée s'élance, pousse son javelot, et
blesse légèrement la tendre main de Vénus ; le javelot pénètre à
travers le voile divin qu'avaient tissu les Grâces, et lui effleure la
peau. A l'instant coule le sang immortel de la déesse, pure vapeur,
telle que coule le sang des dieux fortunés, qui ne se nourrissent pas
des fruits de Cérés, ni ne s'abreuvent de la liqueur enflammée du
dieu des vendanges ; aussi leur sang est-il incorruptible, et sont-ils
immortels. Vénus jette un cri perçant, et laisse tomber son fils de
ses bras : Apollon l'enlève, et l'environne d'un épais nuage pour le dérober
aux traits des Grecs et à la mort.
Alors Diomède dit à Vénus d'une
voix éclatante : Fille de Jupiter, retire-toi loin des combats et des
alarmes : ne te suffit-il pas de tromper les femmes timides ? Si tu
reparais aux champs de Mars, tu apprendras à redou-ter la guerre, et tu
frémiras désormais lorsque loin de ces lieux, son seul nom frappera
ton oreille.
Il dit. Elle se retire en proie à de cruels tourmens. La légère
Iris, lui prenant la main conduit hors de la mêlée la déesse qui
succombe à l'excès de sa douleur ; son beau teint s'obscurcit. Elle
trouve le dieu des combats assis à l'aile gauche de l'armée : un nuage
environnait sa lance et ses bouillons coursiers. Vénus tombe aux genoux
de son frère, et lui demande avec les plus vives instances ses
coursiers brillans de tresses d'or. Mon cher frère, daigne me secourir,
donne-moi tes coursiers afin que j'arrive dans l'Olympe, le siège des
immortels. Je souffre vivement de la blessure que m'a faite un mortel,
le fils de Tydée, qui combattrait maintenant Jupiter même.
A ces mots, Mars lui donne ses coursiers aux tresses d'or. Elle
monte sur le char, le cœur serré de tristesse. Iris se place à côté
d'elle, saisit les rênes, et frappe les coursiers obéissans qui,
prenant un vol agile, arrivent en un moment au séjour des dieux sur le
haut Olympe. Là, Iris aussi prompte que le vent, arrête les coursiers,
les détache du char, et leur présente leur ambroisie.
La reine des amours tombe sur les genoux de Dioné sa mère, qui
la reçoit entre ses bras, et la caressant de sa main divine. Qui
d'entre les habitans des cieux, ô ma chère fille, dit-elle, t'a traitée
avec tant d'indignité, comme si tu avais commis en présence de tous
les immortels quelque noir attentat ?
Celui qui m'a blessée, répond la déesse des ris, est le
fils de Tydée, l'insolent Diomède parce que j'enlevais hors du combat
mon fils Enée, l'objet de toute ma tendresse. Ce n'est plus entre les
Troyens et les Grecs que se livre une bataille sanglante ; déjà les
Grecs attaquent les dieux mêmes.
Supporte ce malheur, ma
fille, dit la vénérable Dioné, et triomphe de ta tristesse. Nous qui
habitons l'Olympe, nous avons plus d'une fois éprouvé l'audace des
mortels, que nous-mêmes armés les uns contre les autres, poussons à
de semblables attentats. Mars en fut la victime, quand les fils d'Aloëus,
Otus et le fier Ephialte, l'accablèrent de chaînes. Lié durant treize
mois dans une prison d'airain, ce dieu insatiable de combats y eût été
peut-être enseveli pour jamais, si leur belle-mère, la charmante Eribée,
n'eût indiqué sa prison à Mercure : il eut l'adresse d'en tirer Mars,
qui déjà succombait à ses peines ; les pesans liens avaient dompté
sa fureur. Junon n'eut pas moins à souffrir, quand l'invincible fils
d'Amphitryon lui blessa le sein d'une flèche terrible ; elle éprouva
les douleurs les plus aiguës. Et Pluton, si formidable entre les
immortels, connut l'atteinte d'un trait ailé, lorsque ce même héros,
surprenant le dieu des morts aux portes des enfers, le livra aux plus
cruelles souffrances. Ce dieu déchiré par la douleur, rempli de rage,
monte au palais de Jupiter dans le vaste Olympe ; la flèche enfoncée
dans son épaule vigoureuse le tourmentait ; Pœon le guérit en versant
sur sa blessure un baume salutaire ; les dieux sont supérieurs aux
coups de la mort. Malheur cependant au sacrilège qui, sans frémir, se
rendait coupable d'impiété, et qui de son arc osait attaquer les
dieux, maîtres de l'Olympe ! Minerve à excité contre toi le guerrier
qui t'a fait cet outrage. L'insensé ! il ne sait point que
celui qui s'élève contre les immortels ne jouira pas long-temps de la
lumière du jour, que ses enfans ne le verront point revenir du sein des
funestes combats, et n'entoureront pas ses genoux en l'appelant du
tendre nom de père. Que désormais le fils de Tydée, tout redoutable
qu'il est, craigne qu'un ennemi plus puissant ne vienne l'assaillir, et
qu'enfin la fille d'Adraste, Egialée, épouse généreuse d'un héros
sortant avec effroi du sommeil, n'éveille ses esclaves par ses cris
douloureux, ne
pleure l'objet de toute sa tendresse, et le plus vaillant des Grecs.
En disant ces mots elle s'empressait à étancher le sang
immortel qui coulait de la blessure : la main de la déesse fut guérie,
et les douleurs aiguës s'appaisèrent.
Minerve et Junon, les yeux attachés sur Vénus,
cherchaient à irriter Jupiter par des discours pleins d'ironie. Père
des immortels ? dit Minerve, te courrouceras-tu contre moi si je te
raconte le malheur de la reine de Cypre ? Elle voulait engager quelque
grecque à suivre un des Troyens, nation dont elle est maintenant éprise
; et tandis qu'elle prodiguait les caresses à cette beauté ornée de
riches atours, une agraffe d'or a blessé sa main trop délicate. A ces
mots, le père des dieux et des hommes sourit ; et appelant la blonde Vénus
: Ma fille, dit-il, les combats ne sont point ton partage ; préside aux
doux soins de l'amour, et laisse Minerve et le farouche Mars s'occuper
des travaux de la guerre.
Pendant ces discours le bouillant Diomède poursuivait Enée.
Il sait qu'Apollon l'a pris sous sa défense ; mais il ne respecte plus
même cette grande divinité, et il aspire toujours à ravir la lumière
au fils d'Anchise, et à le dépouiller de ses nobles armes. Trois fois
il fond sur lui, brûlant de l'immoler ; et trois fois Apollon le
repousse de son bouclier éclatant. Mais lorsque Diomède, tel qu'un
dieu, se précipite pour la quatrième fois contre son ennemi, Apollon
lui fait entendre ces paroles terribles : Rentre en toi-même, fils de
Tydée ; retire-toi, et cesse de t'égaler aux dieux ; car les dieux
immortels sont d'une nature bien différente de celle des hommes qui
rampent sur la terre.
Il dit. Diodème recule quelques pas, et n'ose braver le courroux
du Dieu qui lance la mort. Apollon transporte Enée loin du tumulte dans
les murs de Pergame, où s'élève un temple à son honneur. Latone et
la déesse des forêts, Diane, guérissent la blessure du héros, et lui
prodiguent leurs soins dans la vaste enceinte du lieu le plus sacré de
ce temple. Cependant le dieu, décoré de l'arc, forme un fantôme
semblable en tout au fils d'Anchise, et armé comme ce chef. Auprès de
ce fantôme, les Troyens et les Grecs, des coups mutuels de leurs
javelots, frappent leurs boucliers arrondis et leurs écus légers.
Alors Apollon, élevant la voix, parle en ces mots au dieu de la guerre
:
Mars, Mars, fléau des humains, toi dont le bras ensanglanté renverse les
remparts, n'iras-tu point écarter du champ de bataille ce mortel issu de
Tydée, qui combattrait maintenant Jupiter, le père des dieux ? D'abord
il a blessé de sa lance la main de Cypris ; ensuite, pareil à l'un des
immortels, il n'a pas craint de s'élever contre moi-même.
Il dit ; et va s'asseoir sur les remparts de Troie, Mars, qui ne
respire que le carnage ; court animer les cohortes troyennes sous la
forme de l'ardent Acamas, chef des Thraces. Sa voix exhorte les nobles
fils de Priam : O fils de Priam, de ce roi chéri de Jupiter, jusques à
quand souffrirez-vous que les Grecs moissonnent vos cohortes ?
Attendez-vous qu'ils combattent sous les portes d'Ilion ? Un guerrier,
que nous honorions autant que le grand Hector, Enée, fils du magnanime
Anchise, est étendu dans la poussière. Hâtons-nous de retirer de la mêlée
tumultueuse ce compagnon valeureux.
Par ces mots, il excite la force et l'audace de chacun des
combattans. Alors Sarpédon adresse à l'illustre Hector ces reproches
pleins de vivacité : Hector, qu'est devenu ton fier courage ? Tu te
vantais autrefois de sauver cette ville sans le secours de nombreuses
troupes ni de tes alliés, seul avec tes frères et les gendres de
Priam. A présent je ne vois, je ne découvre aucun de ces défenseurs ;
ils tremblent à l'écart, comme une meute qui, n'ose approcher d'un
lion, tandis que nous, vos alliés, nous combattons encore. Je viens à
votre secours de la contrée lointaine de Lycie et des gouffres du
Xanthe : là, j'ai laissé une épouse chérie, un tendre fils, et de
nombreux trésors, que je ne désire point d'accroître en ces lieux ;
et j'encourage mes Lyciens, et je soutiens moi-même le choc de ce
formidable adversaire, quoique je n'aie point à craindre que les Grecs
s'en retournent chargés de mes dépouilles. Tu demeures immobile, et tu
n'exhortes point les autres guerriers à s'armer de toute leur valeur,
à défendre leurs femmes, de peur qu'enveloppés comme dans les liens
d'un filet immense, vous ne deveniez tous la conquête et la proie de
vos ennemis, qui raseraient à l'instant votre ville fameuse. Tu devrais
jour et nuit t'occuper de ces soins, supplier les chefs appelés de
plages lointaines de combattre sans relâche, et tu devrais faire cesser
des reproches qui te déshonorent.
Ainsi parla Sarpédon, et ce discours blessa le cœur d'Hector. Aussitôt
il saute de son char avec ses armes ; et agitant deux javelots, acérés,
il court dans toute l'armée, et l'anime à combattre : il réveille
leur ardeur guerrière. Les Troyens se retournent et font face aux
Grecs, qui les reçoivent à rangs serrés sans qu'aucun d'eux recule.
Comme les vases nombreux se blanchissent de poudre, dans une aire
sacrée où les moissonneurs vannent le blé, et où les vents
dispersent la paille légère, sous les yeux de la blonde Cérès qui la
sépare du grain à leur souffle véhément : ainsi les Grecs sont
blanchis de la poussière qu'élèvent jusqu'à la voûte des cieux les
coursiers revolant dans la mêlée. Les écuyers tournent les chars ;
les combattans portent droit à l'ennemi des coups furieux. Le terrible
Mars couvre d'une profonde nuit le champ de bataille, et va de tous côtés
seconder les Troyens, fidèle aux ordres du dieu armé d'un cimeterre
d’or, Apollon, qui l'a chargé de réveiller leur courage depuis le
moment où il a vu s'éloigner Minerve, la divinité tutélaire des
Grecs, Cependant il fait sortir Enée du lieu le plus secret de son
temple odorant, et il remplit de vigueur ce chef des guerriers. Enée
reparaît au milieu de ses compagnons, qui se réjouissent en le voyant
plein de vie, de force et de valeur : mais aucun d'eux ne l'interroge ;
ils sont livrés à d'autres soins où les entraînent Apollon à l'arc
éclatant, le féroce Mars, et la Discorde toujours brûlante de fureur.
Du côté des Grecs, les deux Ajax, Ulysse et
Diomède, les excitent au combat, Ces troupes ne sont effrayées ni des
efforts des Troyens, ni de leurs cris tumultueux ; elle si attendent
leur choc sans s'ébranler, sem-blables à ces nuées immobiles dont
Jupiter, dans un, temps paisible, environne le sommet des montagnes,
tandis que dorment Borée et les autres vents furieux, qui dispersent de
leur souffle bruyant l'amas ténébreux des plus épais nuages : tels
les Grecs attendent les Troyens de pied ferme, et ne songent point à la
fuite. Agamemnon court dans les rangs, et il exhorte les siens à haute
voix : Amis, armez-vous d'un courage indomptable, et montrez que vous
vous respectez les uns les autres dans les sanglans combats. Quand les
guer-riers se respectent, ceux qui sont sauvés l'emportent par le nombre
sur ceux qui meurent ; quand ils fuient, il n'est pour eux ni gloire ni
salut.
Il dit ; et lançant un rapide javelot, il atteint un chef
illustre, l'ami d'Enée, Déicoon, de Pergase, que les Troyens honoraient
autant que les fils de Priam, parce qu'il combattait toujours avec
ardeur aux premiers rangs. C'est lui dont le javelot d'Agamemnon frappe
le bouclier ; l'airain perce l'armure, et s'enfonce à travers le
baudrier dans les entrailles. Le chef tombe avec un grand bruit, et ses
armes prolongent ce son épouvantable.
Enée venge sa mort sur deux braves guer-riers, Orsiloque et Créthon :
leur père Dioclès habitant des beaux murs de Phères, avait d'immenses
richesses, et il descendait du fleuve Alphée, qui répand ses eaux
abondantes dans les campagnes des Pyliens. Ce fleuve donna le jour à
Orsiloque, roi d'un peuple nombreux, et père du magnanime Dioclès dont
naquirent ces jumeaux exercés dans tous les genres de combats. Au
printemps de leurs jours, voulant venger la gloire des Atrides, ils
suivirent les Grecs dans de noirs vaisseaux devant Troie ; la mort les y
couvrit de son ombre, et y termina leur carrière. Tels que deux jeunes
lions qui, nourris par leur mère sur le sommet des montagnes et dans l'épaisseur
des forêts profondes, enlèvent les bœufs, les brebis grasses, et dévastent
les bergeries, jusqu'à ce qu'enfin atteints d'un fer tranchant,
ils périssent de la main des hommes : tels ces guerriers sont domptés
par le bras d'Enée. Ils tombent ainsi que de hauts pins.
Ménélas, qui voit leur chute, ému de pitié court hors des
rangs ; et, brillant d'airain, il agite sa pique menaçante. Mars excite
son audace pour le faire succomber sous les coups d'Enée. Le fils du généreux
Nestor, Anti-loque, aperçoit Ménélas, et se précipite sur ses traces
; il tremble que ce chef ne soit en péril, et que sa mort ne rende
inutiles tous les travaux des Grecs. Déjà les deux combattans, pleins
d'une ardeur martiale, s'opposaient leurs bras et leurs lances, lorsque
Antiloque paraît à côté de ce guerrier. Enée voyant ces deux héros
réunir leurs forces, évite, quoiqu'il soit intrépide, un combat trop
inégal. Ils entraînent du côté des Grecs les corps de Créthon et
d'Orsiloque, confient ces restes malheureux aux mains de leurs
compagnons ; et, retournant au combat, ils se placent à la tête des
troupes.
Alors tous deux se signalent : Ménélas renverse Pylémènes,
semblable à Mars, et chef des magnanimes Paphlagoniens, couverts de
vastes boucliers ; il atteint de sa pique le guerrier qui l'attendait de
pied ferme, et la lui plonge dans la gorge. Antiloque frappe Mydon,
écuyer et compagnon fidèle de ce chef, et né d'Atymias : il
tournait son char pour prendre la fuite, lorsqu’Antiloque lui lance
une pierre au milieu du bras ; les rênes brillantes d'ivoire échappent
de ses mains, et sont traînées dans la poussière. Au même instant,
l'impétueux vainqueur lui porte de son glaive à la tempe un coup
mortel : le guerrier palpitant tombe du char, la tête et les épaules
engagées dans le sable profond, et demeure en cet état jusqu'à ce que
ses coursiers le renversent et l'écrasent sous leurs pieds. Antiloque
les anime et les pousse vers l'armée des Grecs.
Hector aperçoit ces guerriers à travers les rangs, et se jette
contre eux avec des cris terribles. Aussitôt les intrépides phalanges
des Troyens le suivent : Mars et la fière Bellone les conduisent,
Bellone amenant l'affreux tu-multe des combats, Mars agitant dans ses
mains une lance énorme ; tantôt il précède Hector, tantôt il marche
sur ses pas.
Le vaillant Diomède ne peut voir sans fré-mir le dieu de la
guerre. Tel qu'un jeune homme novice encore, qui, après avoir par-couru
de longues plaines, s'arrête aux bords d'un fleuve, dont les eaux
coulent avec rapi-dité vers la mer ; frappé du murmure bruyant de
l'onde écumeuse, il retourne sur ses traces ;
tel Diomède se retire en adressant ces mots aux siens : O Grecs,
ce n'est pas sans raison que nous sommes étonnés qu'Hector montre une
force et une audace supérieures à celles des hommes : il a toujours près
de lui quelque divinité qui le garantit du trépas ; et je vois dans ce
moment à ses côtés Mars lui-même sous la forme d'un mortel.
Retirez-vous, en faisant face aux Troyens ; ce n'est pas contre les
dieux que doit s'armer votre courage.
Il dit. Les Troyens fondent sur sa troupe, Hector immole deux guerriers,
Anchiale et Ménesthée, savans dans les combats et portés sur un même
char. A leur chute, le fils de Télamon, ému de pitié, court à l'ennemi,
s'arrête, lance son brillant javelot, et frappe Amphius, qui, né de
Sélage, vivait dans l'heureuse Paise, et possédait d'immenses troupeaux
et de grandes richesses ; mais un noir destin l'entraîna vers Ilion pour
secourir Priam et ses fils. C'est lui dont Ajax frappe le baudrier ; la
longue lance s'enfonce dans les entrailles, et le guerrier tombe avec un
bruit horrible. Le fils de Télamon accourait pour le dépouiller de ses
armes, lorsque les Troyens font pleuvoir sur lui une grêle éclatante de
traits ; son bouclier en est couvert. Cependant il presse du pied le
cadavre, et retire sa lance: mais il ne peut enlever aux vaincus sa
belle armure, assailli de traits, il craint encore d'être enveloppé par
les Troyens, qui, aussi nombreux que vaillans, l'assiègent la pique à la
main, le repoussent loin d'eux malgré sa force, sa haute stature et sa
fière audace ; il est contraint de reculer.
Tels étaient les exploits de ces guerriers. Mais l'invincible
destinée pousse vers Sar-pédon Tlépolème né d'Hercule, et distingué
par sa vigueur et sa taille élevée. Lorsque le fils et le petit-fils
du maître du tonnerre, volant l'un vers l'autre, sont près de se
joindre, Tlépolème prend le premier la parole :
Sarpédon, formé pour les conseils plus que pour les combats, où
tu n'as point d'expérience, qu'est-ce qui t'oblige à venir trembler
devant moi ? Ceux qui te disent issu de Jupiter sont des imposteurs ; tu
es bien éloigné de ressembler aux héros qui, dans les siècles passés,
lui durent la naissance. Mais tel s'annonçait Hercule mon père,
guerrier rempli d'audace et animé d'un courage de lion. Il vint
autrefois sur ces bords pour contraindre Laomédon à lui remettre les
coursiers qui devaient être le prix de ses services ; et quoiqu'il n'eût
que six vaisseaux et peu de troupes, il ravagea Troie et fit d'elle un désert.
Toi, tu n'as qu'une ame timide ; tes soldats périssent. Tu as en vain
quitté la Lycie, et tu ne seras ici d'aucun secours aux Troyens, quand
même tu serais plein de vaillance ; car, abattu par mon bras, tu vas
toucher aux portes des enfers.
Le chef des Lyciens lui répartit à l'instant : Tlépolème, si
ce guerrier ravagea les remparts sacrés de Troie, souviens-toi que les
dieux voulurent punir la perfidie du fier Laomédon, qui paya son
bienfaiteur d'insolentes paroles, et ne lui remit pas les coursiers qui
l'avaient attiré de plages lointaines. Quant à toi, tu recevras de ma
main le trépas ; et terrassé par mon javelot, tu me donneras à moi la
gloire qui me manque, et tu livreras ton ame au monarque dont le rapide
char roule dans l'empire des morts.
A peine a-t-il parlé, que Tlépolème élevé son javelot ; au même
instant les javelots des deux guerriers volent de leurs mains. Sarpédon
atteint son adversaire au milieu de la gorge ; et la pointe fatale la
perçant de part en part, la sombre nuit du trépas lui couvre les yeux,
Tlépolème frappe de sa longue lance la cuisse de Sarpédon ; l'airain
impétueux et brûlant pénètre dans la chair, et s'approche de l'os :
mais Jupiter écarte de lui la mort. Les amis du noble Sarpédon le
portent hors du combat, accablé du javelot pesant qu'il traîne : aucun
d'eux ne s'en aperçoit, et ne songe à l'en délivrer pour qu'il puisse
monter sur son char, tant ils sont occupés autour de lui à le tirer de
ce péril imminent. Les Grecs valeureux enlèvent, de leur côté, le
corps de Tlépolème.
L'intrépide Ulysse voit ce spectacle, et son cœur est ému :
plein de trouble, il délibère s'il poursuivra le fils du dieu qui
lance la foudre, ou s'il enverra les Lyciens en foule au sombre rivage.
Mais il n'était pas réservé au javelot du grand Ulysse d'abattre le
fils redoutable de Jupiter ; Minerve le précipite vers les bataillons
de Lycie. Là Cœranus, Alastor, Chromius, Alcandre, Halius, Noémon et
Prytanis tombent sous ses coups. Le héros eût immolé un plus grand
nombre de victimes, si le belliqueux Hector n'eût vu ce carnage ;
il s'avance hors des rangs ; ses armes jettent un vif éclat, et il sème
devant lui la terreur, Sarpédon, qui le rencontre sur son passage, éprouve
un mouvement de joie.
Fils de Priam, dit-il d'une voix lamentable, ne souffre pas qu'étendu
sur ce rivage, je devienne la proie de nos ennemis : sois mon défenseur
; et qu'ensuite la vie m'abandonne dans les murs de votre ville, puisque
je ne dois pas retourner dans mon palais aux doux lieux de ma naissance,
et réjouir par mon retour une épouse chérie et un tendre fils.
Il dit. Hector, agitant son fier panache, ne réplique point, et
passe rapidement devant lui, brûlant de repousser les Grecs et de répandre
parmi eux le carnage. Les amis de Sarpédon le portent sous un grand hêtre
consacré à Jupiter : là le brave Pélagon, l'un de ceux qu'il chérissait
le plus, lui retire le javelot de la blessure. Son ame est prête à
s'envoler, et ses yeux se couvrent d'épaisses ténèbres ; mais
bientôt il reprend ses esprits, le souffle de Borée qui l'environnait
ranime sa vie presque éteinte.
Cependant les Grecs, attaqués par le dieu des combats et par Hector,
muni d'une forte armure, ne fuyaient pas vers leurs vaisseaux, ni n'avançaient
sur le champ de bataille ; mais ils reculaient à pas lents depuis
qu'ils savaient que Mars était à la tête des Troyens.
Par qui commença le carnage que firent le héros né de Priam,
et Mars éblouissant d'ai-rain, et quel fut le dernier qu'ils étendirent
dans la poussière ? Le grand Teuthras est d'abord renversé ; après
lui sont abattus Oreste qui domptait les coursiers indociles, Tréchus,
brave étolien, OEnomaüs, Hélénus, fils d’OEnops, enfin Oresbe au
casque coloré, qui habitait Hyla aux bords du lac Céphise, et désirait
avec ardeur d'accroître encore ses richesses : à côté de sa demeure
s'élevaient celles d'autres Béotiens, chefs d'un peuple opulent.
Junon, qui voit du haut des cieux tant de Grecs tomber sous le
fer sanglant de Mars et d'Hector, adresse aussitôt ces paroles à
Minerve : Eh quoi ! fille invincible du dieu de l'égide, c'est en vain
que nous avons promis à Ménélas qu'après avoir détruit les remparts
d’Ilion, il retournera dans sa patrie, si nous laissons Mars exercer
librement ses fureurs. Armons-nous à notre tour, courons nous opposer
à ses ravages.
Pallas obéit à sa voix. Junon, déesse véné-rable et fille du
grand Saturne, s'empresse elle-même à couvrir les coursiers de harnois
d'or. Hébé, aux deux côtés du char, fait rouler autour de l'axe de
fer les roues, que huit rayons décorent, et qui sont d'un or
incorruptible, munies encore de plusieurs lames d'airain jointes avec
art, ouvrage merveilleux ; les moyeux savamment arrondis sont d'argent :
on place le trône sur d'éclatantes courroies ; et deux arcs reçoivent
les guides ; le timon d'argent s'unit au char : Hébé lie à l'extrémité
du timon un beau joug formé d'or, où elle attache les rênes qui
brillent du même métal. Junon, impatiente et ne désirant que le
carnage, conduit les prompts coursiers sous le joug.
Cependant Minerve laisse couler à ses pieds, dans le palais de
son père, le voile superbe qu'elle a tissu de ses mains ; et revêtant
la cuirasse du dieu des nuées, elle s'arme pour les combats, source de
tant de larmes. Elle couvre sort sein de la formidable égide, bordée
de frangés longues et flottantes, et environnée de la Terreur. On voit
sur cette égide et là Discorde et la Force et l'inflexible Poursuite :
là se présente la tête de la Gorgone, monstre hideux, épouvantable,
signe funeste du courroux de Jupiter. Pallas met sur son front un casque
d'or, au haut duquel flottent quatre panaches, et qui peut résister à
des combattans rassemblés de cent villes. Elle monte sur le char éblouissant
; et sa main prend cette forte, pesante et énorme lance qui, dans le
courroux de la déesse née du plus puissant des dieux, renverse des
bataillons de héros.
Junon presse du fouet les divins coursiers. Les portes des cieux
mugissent, et s'ouvrent d'elles mêmes ; ces portes gardées par les
Heures, à qui le ciel immense et l'Olympe sont confiés, soit pour
dissiper, ou pour amener les sombres nuages. Les déesses poussent à
travers ces portes les coursiers dociles : elles trouvent le fils de
Saturne assis, loin des autres dieux, sur le plus haut des sommets
nombreux de l'Olympe. Là, Junon arrête les coursiers, et interroge en
ces mots le puissant Jupiter :
Père des immortels, n'es-tu point indigné contre Mars à la vue de
tous ses attentats, et de tant de vaillans guerriers, qu'entraîné par
son aveugle rage, il a couchés dans la poussière ? Mon cœur est serré
de tristesse, tandis que, tranquilles, Cypris et Apollon triomphent
d'avoir excité les fureurs de cet insensé, qui ne connaît plus aucune
loi. Grand Jupiter, puis-je, sans exciter ton courroux, châtier son
audace, elle contraindre à sortir du combat ?
Va, dit le maître de l'Olympe, et oppose-lui Minerve, qui plus
d'une fois a su le livrer aux plus cruelles douleurs.
A peine a-t-il parlé, que Junon frappe les coursiers, qui volent
avec ardeur entre la terre et les astres dont le ciel est couronné.
Telle qu'est l'immense étendue des plaines de l'air, que parcourt des
yeux un homme assis sur la cime d'une roche élevée, et portant ses
regards sur le noir empire de la mer : tel est l'espace que franchissent
d'un saut les bruyans coursiers. Arrivés devant Troie au bord des
fleuves qui coulent dans les campagnes, là où le Simoïs et le
Scamandre confondent leurs eaux, Junon arrête les coursiers, les détache
du char, les environne d'un épais nuage ; et le Simoïs fait naître
pour leur pâture une divine ambroisie.
Cependant les déesses, se hâtant de secourir les Grecs,
s'avancent comme deux colombes dont le vol égal et léger rase la terre
: mais lorsqu'elles touchent à la place ou les chefs les plus nombreux
et les plus vaillans, semblables à des lions voraces, ou à des
sangliers indomptables, se pressaient autour du belliqueux Diomède, la
reine des cieux arrête ses pas, et prenant la forme du grand Stentor,
elle leur parle par la voix terrible de ce combattant, aussi bruyante
que l'airain ou que les voix réunies de cinquante guerriers.
Quelle honte, s'écria-t-elle, ô Grecs, opprobres de votre race,
vous qui n'ayez que la seule apparence de la valeur ! Tant que le divin
Achille s'est montré dans les combats, les Troyens n'ont point osé
sortir des portes d'Ilion ; ils redoutaient sa lance invincible.
Maintenant, loin de leur ville, ils menacent vos vaisseaux.
Ces mots réveillent dans toute l'armée une ardeur guerrière.
Cependant Minerve s'ap-proche de Diomède, qu'elle trouve près de son
char. Il rafraîchissait la brûlante blessure que la flèche de
Pandarus lui a faite : des flots de sueur coulaient sous le large
baudrier de son bouclier immense ; il en était inondé, et son bras était
affaibli par la fatigue : levant le baudrier, il étanchait le sang noir
de sa plaie. La déesse touche le joug des coursiers : Que Tydée,
dit-elle, a produit un fils peu semblable à lui ! Tydée, il est vrai,
n'avait qu'une taille médiocre ; mais son ame était grande et
belliqueuse. Lorsqu'envoyé de la part des Grecs, il vint seul dans Thèbes
parmi les fils nombreux de Cadmus, je lui défendis, de se précipiter
au milieu des périls, et je voulus qu'il assistât paisiblement à
leurs festins : lui, toujours rempli de la même intrépidité, provoqua
les chefs thébains au combat, et remporta sur eux la victoire, tant mon
secours lui fut propice. Toi, je ne cesse de t'accompagner ; je
t'exhorte sans relâche à combattre les Troyens : mais ou l'excès de
la fatigue t'accable, ou quelque sentiment de crainte a glacé ton cœur.
Non, tu n'es pas le fils de Tydée, de ce rejeton du brave Œnéus.
O déesse , fille immortelle de Jupiter, dit le héros, je te répondrai
sans déguisement. Ce n'est pas la crainte qui glace mon cœur , et je
ne cède point à 1'indolence : mais je me souviens encore des ordres émanés
de ta bouche. Tu m'as défendu de combattre les habitans des cieux,
m'autorisant à blesser du fer de ma lance la seule reine de Cypre , si
elle paraissait dans la mêlée. C’est donc pour t'obéir que je me
retire, et que j'ordonne aux Grecs de se rassembler en ce lieu ; car je
vois le terrible Mars qui, à la tête des Troyens, préside au combat.
Fils de Tydée, Diomède que je chéris, ré-pond Minerve, ne
redoute en ce jour ni Mars ni quelqu'autre des immortels ; c'est moi qui
suis ton guide. Pousse hardiment contre lui tes coursiers impétueux ;
ose le frapper de près, et cesse de respecter un dieu féroce, enivré
de rage, aussi barbare qu'inconstant. Il nous avait naguère, promis à
moi et à Junon de soutenir les Grecs, et maintenant il favorise les
Troyens.
En disant ces mots elle tire Sthénélus par la main, et le fait
descendre du char : il s'élance à terre. Elle monte sur le char, et se
place à côté du grand Diomède, le cœur enflammé de courroux :
l'essieu gémit sous le poids de la déesse terrible et du héros.
Pallas prend le fouet et les rênes, et pousse les ardens coursiers vers
le dieu de la guerre. Il venait d'étendre sur le sable le fils d'Ochésius,
Périphas, d'une taille gigantesque, et le plus vaillant des étoliens :
Mars ensanglanté l'immolait. Minerve ombrage sa tête du casque de
Pluton, pour n'être pas aperçue du dieu des combats.
Dès que Mars voit le fils de Tydée, il laisse l'énorme
Périphas étendu sur la place où il vient de lui arracher la vie, et
court vers l'audacieux Diomède. Lorsqu'ils se joignent, le dieu alonge
sa pique d'airain au-dessus du joug et des rênes des coursiers de son
ennemi, brûlant de lui ravir le jour ; mais Pallas saisit la pique, l'écarte
du char, et rend sa furie inutile. Diomède pousse à son tour sa lance
que Minerve conduit vers les liens de la ceinture ; c'est là qu'elle
frappe Mars, et déchire, sa peau immortelle. La déesse retire la
lance, et ce dieu jette un grand cri, semblable à ceux de dix mille
combattans livrés à une fureur homicide : un tremblement saisit les
Troyens et les Grecs épouvantés, tant était terrible ce cri de Mars
insatiable de carnage.
Ainsi que naît tout à coup une nuit ténébreuse à l'arrivée
des nuages amenés par le souffle brûlant des vents du midi, ainsi
parut à Diomède le sombre Mars s'élevant dans des nuages vers
l'espace immense du ciel. Il arrive en un moment au séjour des dieux
sur le haut Olympe : saisi de douleur et de colère, il s'assied près
du trône de Jupiter, lui montré le sang immortel qui coulait de sa
blessure, et prononce d'une voix lugubre ces paroles précipitées : Mon
père, ton indi-gnation n'éclatera-t-elle point à l'aspect de pareils
attentats ? Nous qui sommes des dieux, nous avons toujours éprouvé les
plus cruelles disgrâces en voulant, à l'envi l'un de l'autre,
favoriser la race des mortels. Mais c'est de toi que naissent nos
divisions, toi qui produisis cette déesse insensée, funeste, dévouée
à l'injustice. Tous les autres dieux de l'Olympe obéissent avec
soumission à tes lois ; mais tu n'emploies ni paroles ni punitions pour
retenir cette déesse dans le devoir, et tu es toujours indulgent à son
égard, parce que tu mis seul au jour cette furie : c'est elle qui
excite maintenant l'insolente rage que Diomède exerce contre les dieux.
Il a blessé la main de la reine de Cypre ; plus audacieux encore, et
tel que l'un des immortels, il s'est élancé contre moi-même. Sans ma
course rapide j'eusse été étendu dans la foule hideuse des cadavres,
ou, puisque je ne peux mourir, accablé sous les coups de l'airain.
Le maître du tonnerre lui lance un regard courroucé : Divinité
inconstante, dit-il, ne viens point m'importuner de tes murmures. De
tous les immortels qui habitent l'Olympe, tu m'es le plus odieux ; tu ne
respires toujours que discordes, que guerres, que combats. Je reconnais
en toi l'esprit impérieux et indocile de ta mère Junon, que j'ai peine à
réprimer par mes paroles ; et je ne doute point que les maux qui fondent
sur toi ne soient l'effet de ses conseils. Mais je ne permettrai pas que
tu sois plus long-temps en proie à la douleur ; tu es mon fils, et ta
mère ma donné en toi un gage désiré de notre hymen. Si, avec autant de
perfidie, tu étais né de quelqu'autre dieu, tu serais depuis long-temps
précipité dans des abîmes plus profonds que ceux où les Titans
gémissent.
Il dit, et ordonne Paeon de le guérir. Paeon verse dans la
blessure un baume qui appaise les douleurs, et il le rétablit : la
parque n'a aucun empire sur les dieux. Comme le suc de la figue, agité
dans la blanche liqueur du lait, la coagule à l'instant sous la main
qui le tourne avec rapidité ; ce baume guérit promptement le farouche
Mars, Hébé, après lui avoir préparé un bain qui le rafraîchit,
choisit les plus beaux vêtemens de ce dieu pour l'en décorer. Il
s'assied d'un air triomphant auprès du fils de Saturne.
Junon,
reine d'Argos, et l'invincible Minerve, retournent au palais du grand
Jupiter, satisfaites d'avoir réprimé les fureurs de Mars.