Chant II

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      Les Dieux et les guerriers durant la nuit entière

 Dormaient ; au doux sommeil refusant sa paupière,

 Jupiter méditait, en consultant le sort,

 Pour Achille la gloire, et pour les Grecs la mort.

 Le parti qu'à son âme inspire la sagesse,

 C'est d'envoyer un Songe au maître de la Grèce.

 Quand ce Songe trompeur, appelé près de lui,

 Paraît, ces mots ailés de ses lèvres ont fui :

  « Éloigne-toi, va, cours, ô fantôme perfide !

 Vers la flotte des Grecs, dans la tente d'Atride ;

 Porte-lui mon message, et, pour remplir mes vœux,

 Ordonne-lui d'armer les Grecs aux longs cheveux ;

 Sous ses puissantes lois leurs troupes accourues

 Entreront aujourd'hui dans Troie aux larges rues.

 Junon des Dieux rivaux a fléchi le courroux,

 Et sur tous les Troyens la mort étend ses coups. »

 Il a parlé. Le Songe, à cet ordre docile,

 Près des légers vaisseaux descend d'un pas agile,

 Et parvient dans la tente où sur le roi d'Argos

 Les vapeurs du sommeil versaient un doux repos.

 Là, semblable à Nestor, ce conseiller sévère,

 Que parmi tous les chefs Agamemnon révère,

 Le messager divin, sur sa tête penché,

 Au sommeil par ces mots l'a soudain arraché :

  « Tu dors, fils du vaillant et belliqueux Atrée !

 Durant toute une nuit au repos consacrée,

 Il ne doit pas languir le héros généreux,

 Chargé du vaste soin d'un peuple si nombreux.

 Prête-moi maintenant une oreille attentive :

 Jupiter, de sa part auprès de toi j'arrive,

 Jupiter dans le ciel déplore ton malheur;

 Des Grecs aux longs cheveux arme encor la valeur.

 Sous tes puissantes lois leurs troupes accourues

 Entreront aujourd'hui dans Troie aux larges rues.

 Junon des Dieux rivaux a fléchi le courroux,

 Et sur tous les Troyens la mort étend ses coups.

 Rappelle-toi cet ordre échappé de ma bouche,

 Lorsque le doux sommeil aura fui de ta couche. »

 Le Songe disparaît. Ivre d'un faux espoir,

 Ce jour-la même Atride a cru que son pouvoir

 Soumettrait Ilion, mais son âme insensée

 N'a pas de Jupiter deviné la pensée ;

 Jupiter préparait aux deux peuples rivaux

 Des combats, des périls et des malheurs nouveaux.

 Tandis que le monarque et s'éveille et s'étonne,

 A son oreille encor la voix des cieux résonne ;

 Seul, debout, sur sa couche il se dresse ; le lin

 L'enveloppe aussitôt du tissu le plus fin ;

 Tout son corps, revêtu de la souple tunique,

 S'entoure des longs plis du manteau magnifique ;

 Les riches brodequins à son pied diligent

 S'enlacent ; sur son dos brille un glaive d'argent,

 Et, marchant vers la flotte, il balance la masse

 Du sceptre incorruptible, attribut de sa race.

      Mais l'Aurore, éclairant Jupiter et les Dieux,

 S'avance dans l'Olympe immense et radieux ;

 Il parle, et des hérauts la voix retentissante

 Convoque des soldats la foule obéissante.

 Les Grecs aux longs cheveux volent tous à la fois.

 Au vaisseau de Nestor quand des chefs et des rois

 Le Conseil se rassemble, Atride leur adresse

 Ce discours à son cœur dicté par la sagesse :

 « Ecoutez mes amis! un Songe inattendu,

 Pendant la nuit sacrée en mon camp descendu,

 Imitant de Nestor la taille et le visage,

 A rempli près de moi son céleste message.

 Incliné sur mon front, cet envoyé divin

 M'a prescrit un arrêt qui ne sera pas vain :

 « Tu dors, fils du  vaillant et belliqueux Atrée !

 Durant toute une nuit au repos consacrée,

 II ne doit pas languir le héros généreux,

 Chargé du vaste soin d'un peuple si nombreux.

 Prête-moi maintenant une oreille attentive :

 Jupiter, de sa part auprès de toi j'arrive,

 Jupiter dans le ciel déplore ton malheur ;

 Des Grecs aux longs cheveux arme encor la valeur.

 Sous tes puissantes lois leurs troupes accourues

 Entreront aujourd'hui dans Troie aux larges rues.

 Junon des dieux rivaux a fléchi le courroux,

 Et sur tous les Troyens la mort étend ses coups.

 Toi, grave dans ton sein ma fidèle, parole. »

 Le Songe, disparaît ; 1e doux sommeil s'envole.

 Comment armer les Grecs ? Moi d'abord, sans retard,

 Pour éprouver leurs cœurs, je feindrai le départ,

 Et sur leurs forts vaisseaux s'ils quittent ces parages,

 Vos reproches jaloux retiendront leurs courages. »

 Il s'assied, et le roi de l'aride Pylos,

 Nestor se lève : « Amis, chefs des peuples d'Argos !

 Si quelque autre mortel nous révélait ce songe,

 Nous l'accuserions tous d'erreur ou de mensonge ;

 Mais un prince puissant ne nous abuse pas.

 Armons les fils des Grecs pour de nouveaux combats. »

 Le pasteur des humains, tandis qu'il parle encore,

 S'éloigne ; tous les rois que le sceptre décore,

 Dociles à sa loi, se lèvent, et vers eux

 Le peuple accourt. Du flanc d'un rocher caverneux

 Comme on voit des essaims d'abeilles vagabondes

 Déserter pour les airs leurs retraites profondes,

 Et, renaissant toujours, dans leurs jeux inconstants,

 En groupes voltiger sur les fleurs du printemps ;

 Telles des Grecs nombreux les phalanges pressées,

 Du fond de leurs vaisseaux bruyamment élancées,

 S'amassent, et bientôt leurs divers bataillons

 Ont du vaste rivage occupé les sillons.

 Du souverain des cieux fidèle messagère,

 L'activé Renommée à la marche légère

 Les enflamme ; leurs pas volent confusément,

 Et la terre au loin pousse un sourd gémissement.

 Lorsque, de ce grand bruit calmant la violence,

 La voix de neuf hérauts a prescrit le silence,

 Pour écouter les rois, ces nourrissons des Dieux,

 Tous, assis dans leurs rangs, se taisent ; à leurs yeux ;

 Agamemnon se lève, armé du sceptre antique,

 De l'habile Vulcain ouvrage magnifique ;

 Au meurtrier d'Argus par Jupiter remis,

 A l'écuyer Pélops ce sceptre fut transmis ;

 Pasteur du peuple, Atrée, à son heure dernière,

 Le laissa dans les mains de Thyeste son frère,

 Qui, riche en beaux troupeaux, voulut qu'Agamemnon

 L'obtînt, pour gouverner, glorieux d'un tel don,

 Et des îles sans nombre et toute l'Argolide.

 Appuie sur ce sceptre : « 0 vous, race intrépide,

 Fiers disciples de Mars ! Jupiter irrité

 M'enchaîne au joug pesant de la nécessité.

 Le cruel ! je devais, vainqueur dans les batailles,

 Dévaster d'Ilion les superbes murailles.

 Il le jurait. Eh bien ! J'ai perdu mes guerriers,

 Et, d'opprobre couvert, je rentre en mes foyers !

 Tel est l'arrêt du Dieu qui, lançant la défaite,

 Brisa de vingt cités et brisera le faite.

 Son pouvoir est terrible. Ah ! pour nous quel affront

 Lorsque dans l'avenir les hommes apprendront

 Que tant de Grecs, unis contre une seule ville,

 N'ont porté sur ses bords qu'une guerre inutile !

 Si d'un pieux traité les Grecs et les Troyens

 Par la foi des serments consacraient les liens,

 Si du même banquet la table solennelle

 Rassemblait a la fois leur troupe fraternelle,

 Assis prêt des  Troyens, nous ne les verrions pas

 Fournir un échanson pour dix de nos soldats,

 Tant je crois que le peuple, enfant de ce rivage,

 Du nombre aux fils des Grecs céderait 1'avantage !

 Mais tous les alliés qui, balançant leurs dards,

 Pour défendre Ilion, quittèrent leurs remparts,

 Détruisent mon espoir, et leur bras seul arrête

 De ses murs populeux la tardive conquête.

 Oui, du grand Jupiter neuf ans sont écoulés

 Depuis qu'en ces climats nous vivons exilés,

 Et de tous nos vaisseaux par ses cruels ravages

 Le temps ronge les bois et brise les cordages.

 Nos femmes et nos fils, dans leur isolement,

 Auprès de nos foyers assis languissamment,

 Attendent leurs époux, redemandent leurs pères,

 Et nous restons en vain aux rives étrangères !

 Cédez à mes avis ; fuyons, et que les eaux

 Vers la douce patrie emportent nos vaisseaux !

 Sur ces bords ennemis nos troupes accourues

 N'envahiront jamais Pergame aux larges rues. »

      Il dit ; tous les soldats, étrangers au Conseil,

 De l'espoir dans leurs cœurs ont senti le réveil ;

 Au seul nom de retour l'allégresse redouble,

 Et la foule inquiète et s'émeut et, se trouble :

 Ainsi les vastes flots grondent amoncelés,

 Lorsque, par Jupiter tout-à-coup appelés,

 L'Eurus et le Notus, échappés des nuages,

 Sur l'onde icarienne amassent les orages,

 Ou tels, quand le Zéphyr accourt à pas bruyants,

 S'agitent des moissons les épis ondoyants.

 L'assemblée, à grands cris, vers la rive se presse ;

 Sous les pieds des guerriers une poussière épaisse

 Tourbillonne. On les voit dégager les vaisseaux,

 Les traîner à la mer, nettoyer les canaux,

 Et tous, impatients de s'arracher à Troie,

 Font retentir les airs des clameurs de la joie.

 Les supports retirés, déjà de toute part

 La flotte, en s'ébranlant, s'apprêtait au départ.

 Les Grec, malgré le sort que le ciel leur réserve

 Fuyaient, lorsque Junon, s'adressant à Minerve :

 « Fille du roi puissant des palais éternels !

 Ainsi, pour revoler vers les champs paternels,

 Sur leurs vaisseaux nombreux les Argiens timides

 Sillonneront le dos des campagnes humides !

 Priam et, ses sujets tressaillerons, d'orgueil,

 S'ils gardent cette Hélène, objet d'un si long deuil,

 Pour qui tant de héros, loin d'une terre aimée,

 Devant Troie ont péri. Mais va, parcours l'armée,

 Et par tes doux conseils apaisant ces clameurs,

 Arrête les vaisseaux à deux rangs de rameurs. »

 Minerve aux yeux d'azur, précipitant sa route,

 Déserte les hauteurs de la céleste voûte.

 Prés de son noir navire Ulysse, égal aux Dieux,

 Sans le toucher, debout, restait silencieux ;

 Une douleur profonde absorbait sa pensée.

 A peine devant lui Pallas s'est élancée :

 « Divin fils de Laërte ! ô sage Ulysse ! eh quoi !

 Vers le natal rivage emportés avec toi,

 Sur leurs vaisseaux nombreux les Argiens timides

 Sillonneront le dos des campagnes humides !

 Priam et ses sujets tressailleront d'orgueil,

 S'ils gardent cette Hélène, sujet d'un si long deuil,

 Pour qui tant de héros, loin d'une terre aimée,

 Devant Troie ont péri. Mais va, parcours l'armée,

 Et par tes doux conseils apaisant ces clameurs,

 Arrête les vaisseaux a deux rangs de rameurs. »

 Ulysse reconnaît le céleste langage,

 S'éloigne, et du manteau promptement se dégage ;

 Mais un héraut qu'Ithaque enfanta sur ses bords,

 Eurybate s'avance et le relève ; alors

 Agamemnon paraît ; Ulysse à ce monarque

 Emprunte du pouvoir l'impérissable marque,

 Et vole, en balançant le sceptre souverain ,

 Vers la flotte des Grecs aux cuirasses d'airain.

   S'il trouve un prince illustre un guerrier magnanime,

 Son éloge flatteur le retient et l'anime :

 « Demeure, homme vaillant ! un héros tel que toi

 Ne doit pas comme un lâche obéir à l'effroi.

 Ces soldats, mets obstacle il leur fuite empressée.

 Atride, dont ton âme ignore la pensée,

 Les éprouve aujourd'hui, les punira plus tard.

 Nous ne pouvions pas tous au Conseil prendre part.

 Tremblons que, signalant sa haine vengeresse,

 Il n'accable de maux les enfants de la Grèce ;

 N'offensons point un roi que Jupiter nourrit,

 Qu'honore Jupiter, que Jupiter chérit. »

 Lorsqu'il entend rugir quelque soldat vulgaire,

 De son sceptre abaissé frappant le téméraire,

 Il le menace ainsi : «  Misérable ! tais-toi.

 Des plus sages guerriers respecte au moins la loi,

 Parleur sans éloquence et soldat sans audace,

 Qui jamais dans nos rangs n'occupas une place.

 Tous les Grecs à l'empire ici n'ont pas des droits,

 C'est un pesant fardeau qu'un grand nombre de rois.

 Un seul monarque, un seul mérite notre hommage ;

 Cédons à ce mortel qui reçut en partage

 Le sceptre tout puissant qu'à ses augustes mains

 Jupiter confia pour régir les humains. »

 Ulysse a commandé ; tout obéit ; la foule

 Loin des profonds vaisseaux se précipite et roule ;

 Mille clameurs des airs ont troublé le repos :

 Ainsi, quand l'Océan a soulevé ses flots,

 Contre la grande plage au loin retentissante

 On entend se briser sa fureur mugissante.

 Le peuple enfin s'assied calme et silencieux,

 Mais des Grecs le plus vil et le plus factieux,

 Thersite seul encor prolonge le tumulte,

 Thersite qui, prodigue et de blâme et d'insulte,

 Pour exciter le rire, injuriant les rois,

 Élève insolemment une coupable voix.

 Monstre louche et boiteux, ses épaules difformes

 resserrent sa poitrine entre leurs poids énormes,

 Et le sommet pointa de son crâne allongé

 De quelques poils épars est à peine ombragé.

 Implacable adversaire et d'Ulysse et d'Achille,

 En propos outrageants sa colère est fertile.

 Mais c'est Agamemnon qui l'entend aujourd'hui,

 Poussant des cris aigus, éclater contre lui.

 Dans le fond de son cœur chaque soldat murmure,

 Lorsque sa voix perçante exhale ainsi l'injure :

 « Atride ! que veux-tu ? Pourquoi te plaindre encor ?

 Tu vois tes pavillons remplis d'airain et d'or,

 Et tes soldats, vainqueurs de mille citadelles,

 T'ont livre pour butin les femmes les plus belles.

 Faut-il qu'un des Troyens, ces dompteurs de coursions,

 Racheté encor son fils parmi les prisonniers

 Que moi seul ou quelque autre amène sur ces rives,

 Quand le poids de nos fers charge leurs mains captives ;

 Ou faut-il qu'en secret, enchaînée à ta loi,

 Une esclave nouvelle ici dorme avec toi ?

 Chef suprême des Grecs! souillant un titre auguste,

 Dois-tu les accabler de ton pouvoir injuste ?...

 Femmes et non héros, honte de l'univers,

 Lâches! fuyons Atride, et repassons les mers ;

 Laissons-le sur ces bords, seul, cuver sa richesse ;

 Qu'il sache si nos bras servent ou non la Grèce.

 D'un plus vaillant guerrier méconnaissant les droits,

 Il enlève et retient le prix de ses exploits.

 Achille n'a donc pas de fiel ni de courage !

 Que ne s'est-il vengé de son dernier outrage ! »

 A peine il achevait ce langage ennemi,

 Le pasteur des humains, Atride en a frémi.

 Mais Ulysse, agité d'une fureur subite,

 Se lève, et ses regards ont menacé Thersite :

 « 0 Thersite ! fécond, mais insolent parleur !

 Silence ! des héros respecte la valeur.

 Parmi les Grecs nombreux, qui, vengeurs des Atrides,

 Cherchèrent les combats sur ces plages perfides,

 Je n'en connus jamais un plus lâche que toi.

 Cesse de profaner le nom sacré de roi,

 Et, toujours épiant le moment de la fuite,

 N'ose plus de tes chefs accuser la conduite.

 Qui sait si le retour vers le pays natal

 Deviendrait pour l'armée ou propice on fatal ?

 Toutefois, ton orgueil jouit quand il blasphème

 Du grand Agamemnon l'autorité suprême ;

 Tu frémis, indigné d'avoir vu sur ces bords

 Les fils de Danaüs le combler de trésors.

 Tremble ! j'accomplirai ma terrible menace ;

 Poursuis comme à présent ta vaine et folle audace,

 Et je veux de mon dos que sous le fer tranchant.

 Ma tête se sépare et roule sur-le-champ,

 Qu'on ne me nomme plus père de Télémaque,

 Si, justement puni d'une insolente attaque,

 Sans manteau, sans tunique, et de ta nudité

 Auprès de nos vaisseaux montrant l'obscénité,

 Tu ne vas, hors des lieux où s'assemble la Grèce,

 Gémir, tout mutilé par ma main vengeresse.

  A ces mots proférés d'une tonnante voix,

 Sur lui du sceptre d'or le redoutable poids

 Tombe. Thersite courbe une épaule tremblante,

 Et sur son dos s'élève une tumeur sanglante ;

 D'un air stupide, en proie à de vives douleurs,

 Il s'assied, et ses mains ont essuyé des pleurs.

 Les Grecs, malgré leur deuil, avec un doux sourire

 Se regardent entre eux et s'empressent de dire :

 « Dieux puissants ! si pour nous prodigue mille fois

 Et de prudents conseils, et d'éclatants exploits,

 Ulysse signala son utile puissance,

 Il mérite aujourd'hui plus de reconnaissance,

 Puisqu'il a châtié cet ennemi des rois,

 Qui désormais craindra d'attenter à leurs droits. »

 Ainsi parlent les Grecs ; ils restent immobiles,

 Quand, le sceptre à la main, le destructeur des villes,

 Ulysse s'est levé ; sous les traits d'un héraut

 Minerve aux yeux d'azur se présente aussitôt.

 Elle ordonne, et la foule, attentive, muette,

 Prête au fils de Laërte une oreille inquiète.

 La voix d'Ulysse enfin parmi tant de guerriers

 Depuis les premiers rangs voie jusqu'aux derniers :

 « Noble Atride ! aux regards de la race mortelle,

 Les Grecs te couvriront d'une honte éternelle.

 Dans la féconde Argos en vain ils t'ont promis

 De revenir vainqueurs de ces murs ennemis ;

 Tous, comme des enfants ou des veuves plaintives,

 Tous pleurent, désireux de leurs natales rives.

 Sans doute des héros, par le destin trahis,

 Doivent, dans leurs chagrins, regretter leur pays.

 Le jeune voyageur que l'absence jalouse

 N'éloigne qu'un seul mois de sa fidèle épouse,

 Languit près du vaisseau tourmenté dans l'hiver

 Par la sombre fureur des vents et de la mer,

 Et neuf ans ont roulé depuis que sur ces plages

 Du stériles efforts consument nos courages.

 Je vois donc sans courroux ces Grecs infortunés,

 Impatients, frémir sur leur flotte enchaînés.

 Mais nous ne pourrions plus abandonner sans honte

 Le fruit des longs travaux que notre audace affronte.

 Courage, amis : restons, pour savoir si Calchas

 Par un oracle faux ne nous abusait pas.

 Ce souvenir en moi survit à tant d'années ;

 Je vous prends à témoin, vous que les Destinées

 N'ont pas plongés encore au ténébreux séjour :

 Il me semble qu'hier j'ai vu briller ce jour

 Où, pour lancer la mort sur Priam et sur Troie,

 Nos vaisseaux dans Aulis accouraient avec joie.

 Autour d'une fontaine, au pied des saints autels,

 L'hécatombe choisie, offerte aux Immortels,

 Expirait, et, baigné d'une onde fraîche et pure,

 Sur nous un beau platane étendait sa verdure,

 Quand soudain, ô prodige ! un dragon monstrueux,

 Echappé de l'autel en replis tortueux,

 Dresse son dos rougeâtre et sa sanglante crête,

 S'élance, et du platane escalade la tête.

 Dans le feuillage épais huit passereaux couchés

 Sur la plus haute branche y reposaient cachés.

 Sourd à leurs cris d'effroi, le dragon les dévore.

 Plaintive, autour du nid leur mère vole encore ;

 Mais, l'avide serpent, en cercle replié ,

 L'enlève et dans son sein l'engloutit sans pitié.

 A peine il déchira de sa dent meurtrière

 Les huit jeunes oiseaux et leur tremblante mère,

 Le Dieu qui l'envoya voulut au même instant

 Déployer dans ce monstre un prodige éclatant ;

 Jupiter en rocher transforma le reptile.

 Chacun d'étonnement demeurait immobile ;

 La terreur nous glaçait, lorsqu'un sage devin,

 Calchas interpréta ce miracle divin :

 « Guerriers aux long cheveux! quelle épouvante indigne

 Vous consterne à l'aspect d'un favorable signe ?

 Jupiter nous promet, comme un prix des combats,

 Une gloire tardive et qui ne mourra pas.

 Le monstre a déchiré de sa dent meurtrière

 Les huit jeunes oiseaux et leur tremblante mère :

 Tel l'antique Ilion ne doit qu'après neuf ans

 Ouvrir sa large enceinte à nos pas triomphants. »

 II dit. Voici le temps marqué par les oracles.

 Grecs aux forts brodequins, surmontez les obstacles

 Jusqu'au jour ou, vainqueurs, nous dicterons la loi

 Dans la grande cité dont Priam est le roi. »

 Au discours du héros tous les Grecs applaudissent,

 Et de leurs cris lointains les vaisseaux retentissent

 Nestor se lève : « 0 Dieux ! vous n'agirez donc pas ?

 Vous parlez en enfants novices aux combats.

 Quoi! Ces libations, cette foi solennelle

 Que l'étreinte des mains devait rendre éternelle,

 Tant de sages conseils et de puissants traités

 Ont-ils donc disparu, par la flamme emportés ?

 Tous nos combats ne sont que d'oisives paroles,

 Et nous perdons le temps en disputes frivoles.

 0 roi ! garde, toujours ta ferme volonté ;

 Guide aux sanglants travaux tout un peuple indompté,

 Laissant a la douleur, dont leur âme est la proie,

 Un ou deux insensés qui, loin des murs de Troie,

 Nous conseillent la fuite aux champs de nos aïeux,

 Sans attendre l'effet de l'oracle des Dieux.

 Sachons si Jupiter nous promit la victoire,

 Ou s'il berça nos cœurs d'un vain rêve de gloire.

 Oui, le jour où les Grecs, montés sur leurs vaisseaux,

 De la guerre aux Troyens portèrent les fléaux,

 A la droite des cieux la foudre inattendue

 D'un fortuné présage étonna notre vue.

 Amis ! que désormais chacun de nos guerriers,

 Avant de reparaître aux paternels foyers,

 En dormant dans les bras d'une femme troyenne,

 Venge l'enlèvement et les soupirs d'Hélène!

 Si l'un de vous, ému d'un aveugle transport

 Touche à son noir navire, il recevra la mort.

 Qu'il expire avant tous !... Délibère toi-même,

 Atride! ou bien adopte un prudent stratagème.

 Divisés par tribus, par familles rangés,

 Que tes guerriers nombreux ne soient plus mélangés !

 Qu'ils se prêtent entre eux le secours de leur zèle !

 Aux ordres de son roi si l'armée est fidèle,

 A tes regards, parmi les chefs et les soldats,

 Le lâche et le vaillant ne se soustrairont pas.

 Chacun d'eux combattra pour défendre sa tête.

 Tu verras sous ces murs quel obstacle t'arrête,

 Et s'il faut accuser d'un retard envieux

 La lâcheté du peuple ou la haine des Dieux.»

 Mais Atride : « 0 vieillard ! oui, l'équité t'inspire ;

 Tous les enfants des Grecs cèdent à ton empire.

 Jupiter ! Apollon ! Pallas ! si nos Conseils

 Rassemblaient dix héros à ce héros pareils,

 La ville de Priam, bientôt découragée,

 Croulerait par nos mains conquise et ravagée.

 Mais le grand Jupiter, m'accablant de douleurs,

 Se plut à me jeter en de cruels malheurs ;

 Aux transports d'une aveugle et stérile dispute

 J'abandonnai mon âme, et, commençant la lutte,

 Pour une esclave, objet de nos débats jaloux,

 D'Achille, le premier, j'allumai le courroux.

 Ah ! plutôt étouffons notre commune haine,

 Et des remparts troyens la ruine est certaine.

 Maintenant, du dieu Mars pour tenter le destin,

 Amis ! séparer-vous et volez au festin.

 Donnez aux prompts coursiers une large, pâture ;

 De vos boucliers ronds ressaisissez l'armure ;

 Aiguisez avec soin vos lances et vos dards ;

 Songez à la bataille et visitiez  vos chars.

 Que ce jour tout entier soit un jour de courage !

 Jusqu'à l'heure où la nuit suspendra le carnage,

 Que des flots de sueur trempent vos baudriers !

 Que le javelot pèse à vos bras meurtriers,

 Et près du char poli que, tout couvert d'écume,

 En efforts assidus le coursier se consume !

 Si d'un seul d'entre vous l'effroi retient les pas,

 Les chiens et les vautours ne l'épargneront pas. »

 Il dit ; de rang en rang mille clameurs surgissent.

 Sur une haute plage ainsi les flots mugissent,

 Quand, ballottés partout par les vents obstines,

 Contre une roche aiguë ils fondent mutinés.

 Des Grecs vers les vaisseaux lorsque la foule immense

 Accourt, le brasier fume et le festin commence.

 Chacun, pour éviter la mort dans les combats,

 Sacrifie à son Dieu qu'il invoque tout bas.

 D'un gras et fort taureau dont cinq ans forment, l'âge

 Au fils du vieux Saturne Atride offre l'hommage ;

 Sa voix a convié les plus vaillants héros,

 Le prince Idoménée et le roi de Pylos,

 Les Ajax, Diomède et, le prudent Ulysse ;

 Ménélas de lui-même accourt au sacrifice,

 Instruit que les présents et les vœux fraternels

 S'élèvent pour lui seul aux parvis éternels.

 La victime entourée a reçu l'orge sainte,

 Quand Atride, priant au milieu de l'enceinte,

 S'écrie : « 0 très-puissant et très-grand Jupiter,

 Qui t'assieds glorieux au sommet de l'éther !

 Monarque de la foudre ! avant que la nuit nombre

 Ait chassé le soleil et répandu son ombre,

 Laisse-moi renverser sous de fumants débris

 Du palais de Priam le seuil et les lambris.

 Que les feux dévorants brûlent jusqu'à leur trace !

 Que mon glaive d'Hector déchire la cuirasse,

 Et que ses compagnons, sur la poudre entasses,

 Mordent un sol couvert de leurs membres glacés ! »

      Sans accomplir ses vœux, agréant son offrande,

 Jupiter lui prépare une douleur plus grande.

 On prie, on répand l'orge, et lorsque le taureau

 Debout, le front dressé, sous le pieux couteau

 Expire, par le fer les cuisses découpées,

 De graisse et de lambeaux deux fois enveloppées,

 Rôtissent au foyer qu'échauffe incessamment

 De rameaux sans feuillage un vaste embrasement.

 Puis, quand tous ont goûté les entrailles brûlantes,

 Divisés avec soin en parts encor sanglantes,

 A de longs Javelots les restes suspendus

 Sur les brasiers actifs rougissent étendus ;

 On les retire. Alors, partageant l'allégresse

 De l'abondant festin dont l'appareil se dresse,

 Les convives charmés de leur soif, de leur faim

 Apaisent le tourment, lorsque Nestor enfin :

 « Roi des hommes, Atride ! un dieu nous favorise.

 Plus de délais ! hâtons notre grande entreprise.

 Sur la rive des mers que les hérauts soudain

 Réunissent le peuple aux cuirasses d'airain!

 Nous, dans le vaste camp des enfants de la Grèce

 Réveillons du dieu Mars la fureur vengeresse ! »

 Il dit. Agamemnon, exécutant ses vœux,

 Ordonne d'appeler les Grecs aux longs cheveux.

 Les hérauts dont les voix retentissent ensemble,

 Convoquent les guerriers et la foule s'assemble.

 Déjà les rois, issus du monarque des cieux,

 Pour disposer leur rangs, se pressent devant eux.

 Minerve aux yeux d'azur dans sa main redoutable

 Tient l'égide superbe, immortelle, indomptable,

 0ù les cent franges d'or à la riche couleur

 De cent taureaux chacune égalent la valeur.

 Elle vole; à ses cris, le courage s'éveille.

 Tous les Grecs, enflammés d'une fureur pareille,

 Ont trouvé les combats plus doux que le retour

 Aux rivages chéris de leur natal séjour.

      Comme au faite des monts la flamme répandue

 D'une vaste forêt embrase l'étendue,

 Pendant leur marche ainsi jusqu'au ciel dans les airs

 De l'airain belliqueux s'élancent les éclairs.

 Des cygnes aux longs cous et des agiles grues

 Dans les prés d'Asia les troupes accourues,

 Se cherchant, se fuyant et se cherchant encor,

 Errent de tous côtés dans leur bruyant essor,

 Se frappent à coups d'aile et leurs clameurs sauvages

 Du Gaystre ébranlé fatiguent les rivages :

 Tels, des champs du Scamandre inondant les sillons,

 Partis de leurs vaisseaux et de leurs pavillons,

 Les soldats, les chevaux courent à la bataille,

 Et sous leur pieds le sol profondément tressaille.

 Le fleuve sur ses bords de verdure parés

 Arrête leurs essaims au combat préparés.

 Comme naissent les fleurs et les feuilles nouvelles,

 Comme, au printemps, on voit, en se pressant entr'elles,

 Les mouches voltiger, quand un pur lait jaillit,

 Sous le toit du pasteur, dans l'urne qu'il remplit :

 Tous les enfants des Grecs aux longues chevelures,

 Intrépides, couverts de leurs riches armures,

 S'amassent dans la plaine et leur noble fureur

 Brûle sur les Troyens de lancer la terreur.

 Le berger sans effort reconnaît et sépare

 Ses chèvres dont la troupe au sein des prés s'égare :

 Ainsi chacun des rois dispose ses soldats.

 Atride, impatient, demande les combats ;

 Mars semble lui prêter sa ceinture divine,

 Jupiter son regard, Neptune sa poitrine.

 Majestueux, pareil au superbe taureau

 Qui de son front domine un immense troupeau,

 Il brille, et Jupiter pour ce jour de carnage

 Au-dessus de la foule élève son courage.

      0 vierges de l'Olympe! ô Muses ! dont les yeux

 Embrassent tous les temps, contemplent tous les lieux,

Lorsque la Renommée à notre race humaine

 Apporte seulement sa rumeur incertaine,

 Redites-moi parmi les fils de Danaüs

 Quels princes et quels chefs sur ces bords sont venus ;

 Car, je serais armé de dix bouches puissantes,

 Où dix langues toujours tonneraient frémissantes,

 Ma voix serait de fer, ma poitrine d'airain,

 A nommer les soldats j'aspirerais en vain,

 Si vous ne m'assistiez, déesses révérées,

 Du maître de l'égide ô filles inspirées !

 Je compterai du moins les rois et les vaisseaux

 Vers les murs d'Ilion accourus sur les eaux.

      Chefs des Béotiens, que leur vaillance excite,

 Le fier Prothoénor, Arcésilas, Léite,

 Clonios, Pénélée ont assigné leurs rangs

 Aux peuples qui, venus de climats différents

 D'Hyria, de Thespie habitaient les campagnes,

 Schénos, Scole, Etéone aux nombreuses montagnes,

 La superbe Gréa, les vieux rochers d'Aulis,

 Mycalèse qu'entoure un immense pays.

 Les uns d'Harma, d'Ilèse ont laissé la contrée,

 Les bords féconds d'Hylé, Pétéon, Erythrée,

 Eutrésis, Médéon et ses remparts altiers,

 Ocalée et Copas, Thisbé chère aux ramiers.

 Les autres d'Haliarte ont fui les prés fertiles,

 Hypothébes, fameuse entre toutes les villes,

 Oncheste, dont Neptune aime le bois pieux,

 Midée avec Nisa que protègent les Dieux,

 Glisas, Platée, Arna de vignes couronnée,

 La lointaine Anthédon, la belle Coronée,

 Et cinquante vaisseaux vers le champ des combats

 Conduisirent chacun cent vingt jeunes soldats.

  Les guerriers d'Asplédon, les guerriers d'Orchomène,

 Qui fut des Minyens le florissant domaine,

 Escortèrent sur l'onde avec trente vaisseaux

 Ialmène, Ascalaphe, héroïques jumeaux,

 Que vierge encor, la chaste et belle Astiochée,

 Dans le palais d'Actor timidement cachée,

 Enfanta quand de Mars l'audacieuse ardeur

 Au fond d'un haut réduit eut vaincu sa pudeur.

 Schédius, Epistrophe  issus du noble Iphite,

 Guident des Phocéens la généreuse élite;

 Ces peuples habitaient les champs d'Hyanpolis,

 Panope, Anemorée, et l'antique Daulis,

 Pythone dont le sol de rochers se hérisse,

 La divine Crisa, les murs de Cyparisse,

 Les sources du Céphise, et les fertiles bords

 Ou Lilée en reçoit les limpides trésors.

 Quarante vaisseaux noirs portèrent leur phalange

 Qui près de l'aile gauche en bataille se range.

      Ajax, fils d'Oilée, enflamme les soldats

 Loin des champs Iocriens arrivés sur ses pas ;

 Du fils de Télamon s'il n'a point la stature,

 La lance qu'il brandit d'une main prompte et sûre,

 Sait parmi tous les Grecs l'illustrer, et toujours

 La cuirasse de lin a protégé ses jours.

 La troupe, associée aux périls qu'il affronte,

 Quitta Cynos, Bessa, l'aimable Augée, Oponte,

 La riche Calliare et Tarphé, Thronios,

 Que du Boagrius viennent baigner les flots.

 Les Locriens, armant quarante nefs profondes,

 Des confins de l'Eubée ont vogue sur les ondes.

      L’Eubée, heureux séjour des Abantes hardis,

 Vit les uns délaisser les plaines de Chalcis,

 Dios et ses hauts murs, leur lointaine patrie ;

 Les autres fuir Styra, Carystos, Erétrie,

 Histia, dont la vigne embellit les coteaux,

 Et Cérinthe, où la mer fait murmurer ses eaux.

 Ces peuples renommés  pour  leur course légère,

 Avec quarante nefs vers la plage étrangère

 Suivirent du dieu Mars un digne rejeton,

 Le brave Eléphénor, ce fils de Chalcodon.

 Le frêne belliqueux compose leur armure;

 Ils laissent jusqu'au dos pendre leur chevelure,

 Et brûlent de percer, une lance à la main,

 Sur les cœurs ennemis les cuirasses d'airain.

      Athènes, cette ville illustre et respectée,

 Envoya les enfanta de ce noble Erechthée,

 Que la Terre a conçu, que Minerve a nourri

 Dans le temple opulent où d'un peuple chéri

 La main religieuse offre à sa bienfaitrice

 Des taureaux, des béliers l'annuel sacrifice.

 Leur guide est Ménesthée, et parmi les guerriers,

 Nul ne dispose mieux et soldats et coursiers ;

 Nestor, grâce au talent qu'il doit à son grand âge ,

 Peut seul lui disputer un si rare avantage.

 Cinquante noirs vaisseaux l'ont suivi sur ces bords.

 Ajax, deo Salamine abandonnant les ports,

 En avait armé douze, et sa docile troupe

 Près des Athéniens se rassemble et se groupe.

       Tirynthe aux forts remparts, Argos au sol fécond,

 Asine, qui s'étend sur un golfe profond,

 Épidaure et ses champs que le pampre couronne,

 Hermione, Masès, Trézène, Égine, Éione

 Escortent Sthénélus, ce guerrier indompté,

 Qu'au nombre de ses fils Capanée a compté,

 Le divin Euryale, enfant de Mécistée,

 Dont le roi Taléon vit sa race dotée,

 Et Diomède enfin, chef de tous ces héros,

 Qui sur quatre-vingts nefs traversèrent les flots.

      L'opulente Corinthe et la belle Mycène,

 La superbe Cléone, Ëgion et Pellène,

 Hypérésie, Hélice au terrain spacieux,

 Gonoesse, qui lève un front audacieux,

 L'aimable Aréthyrée, Ornéa, Sicyone,

 Où le premier Adraste est monté sur le trône,

 Egiale, formant un nombreux bataillon,

 Livrèrent cent vaisseaux au grand Agamemnon,

 Qui, revêtu d'airain, rayonnant d'allégresse,

 Gouverne avec orgueil l'élite de la Grèce,

 Marche le plus illustre, et s'applaudit de voir

 Tant de vaillants guerriers rangés sous son pouvoir.

       Lacédémone, assise au fond d'une vallée,

 La maritime Hélos, Laa, Sparte, Amyclée,

 Les remparts de Messa des colombes chéris,

 L'aimable Augée, OEtyle, et Brysie et Pharis

 Ont vu partir, soumis au second des Atrides,

 Sur deux fois trente nefs leurs peuples intrépides.

 Tous s'arment à l'écart et, seul parmi les siens,

 Ménélas les exhorte à punir les Troyens ;

 II espère, enflammé d'une jalouse haine,

 Venger l'enlèvement et les soupirs d'Hélène.

        Ici Nestor, guidant quatre-vingt-dix vaisseaux,

 Commande les guerriers qui possèdent Pylos,

 Cyparissée, Arène aux campagnes fécondes,

 Thryos, où de l'Alphée un gué franchit les ondes,

 Les beaux palais d'Epy, la riche Ptéléon,

 Les murs d'Amphigénie, Hélos et Dorion ;

 C'est là que, revenu des remparts d'OEchalie,

 Fier de l'accueil d'Euryte, en sa vaine folie,

 Un Thrace audacieux, le chantre Thamyris,

 Des Muses rencontré, leur disputa le prix.

 Filles de Jupiter, ces superbes déesses

 Osèrent l'aveugler de leurs mains vengeresses ;

 L'air ne retentit plus des accents de sa voix,

 Et la lyre oublia de frémir sous ses doigts.

   Là des Arcadiens la belliqueuse élite

 Laissa le mont Cyllène et le tombeau d'Epyte,

 Où naissent des guerriers, ennemis du repos,

 Parrhasie, Orchomène abondante en troupeaux,

 Tégée avec Stymphale, et Stratie et Phénée,

 Énispe ouverte aux vents, l'aimable Mantinée.

 Valeureux fils d'Ancée, un prince, Agapénor

 De ces hardis soldats avait guidé l'essor,

 Et le noir Océan courba son dos humide

 Sous les soixante nefs, riche présent d'Atride ;

 Car aux travaux des mers ces peuples étrangers

 Des combats seulement affrontaient les dangers.

  Plus loin des Epéens la phalange choisie

 Habitait Alisée, Hyrmine, Buprasie,

 Le vieux rocher d'Olène, Elis aux bords divins,

 Et les champs dont Myrsine occupe les confins.

Quatre chefs destinés à diriger l'attaque,

 Diorès, Thalpius, Polyxène, Amphimaque,

 Accompagnés chacun de dix légers vaisseaux,

 De la profonde mer sillonnèrent les eaux.

 Amaryncée à l'un a donné la naissance ;

 L'autre du noble Euryte a reçu sa puissance ;

 Agasthène eut pour fils le troisième guerrier,

 Et l'hymen à Ctéate accorda le dernier.

       Mégès, chef courageux de nombreuses peuplades,

 Mégès abandonna ces îles Echinades,

 Dont, en face d'Elis, les groupes vénérés

 Du lointain Océan se montrent entourés.

 Roi de Dulichium, où jadis de son père

 Le belliqueux Phylée évita la colère,

 Ce héros, qu'au dieu Mars égalent ses exploits,

 Vit quarante vaisseaux naviguer sous ses lois.

      La foule des guerriers nés dans Céphallénie

 A la voix d'un seul chef s'élance réunie ;

 Les uns ont fui Nérite et ses vertes forêts,

 Les autres Egilipe et ses âpres guérets,

 Ithaque avec Samos, Crocyle avec Zacynthe,

 Et ces bords dont la mer baigne la vaste enceinte.

 Ulysse les commande ; Ulysse, cher aux Dieux,

 Comparable en sagesse au monarque des cieux,

 Mena douze vaisseaux dont la poupe guerrière

 D'un rouge éblouissant resplendit tout entière.

     Chef des Étoliens, Thoas, fils d'Andrémon,

 Dirige les soldats qui peuplaient Olénon,

 Pleurone, Calydon pleine de rocs sauvages,

 Et Pylène et Chalcis dont la mer liât les plages.

 Oïnée et les fils de ce roi glorieux

 A la clarté du jour avaient fermé les yeux ;

 Monarque aux blonds cheveux, Méléagre lui-même

 N'existait plus. Thoas, paré du rang suprême,

 De la riche Etolie amenant les héros,

 Se fit accompagner de quarante vaisseaux.

      Le prince des Crétois, célèbre par sa lance,

 En arma quatre-vingts, et guida la vaillance

 Des Grecs qui pour patrie ont Milet et Lyctos,

 Deux puissantes cités, Rhytion et Phestos,

 La brillante Lycaste et Cnosse aux champs fertiles,

 Gortyne aux larges murs et la Crète aux cent villes.

 Rival du cruel Mars, l’illustre Mérion

 Suivit Idoménée aux plaines d'Ilion.

      Fils du vaillant Hercule, un héros qui présente

 Une haute stature, une force imposante,

 Sur neuf légers vaisseaux Tlépolème aux combats

 Mena les Rhodiens, enfants de ces climats,

 Où Lindos, Ialyse et la blanche Camire

 Sous trois noms différents ne forment qu'un empire.

 Non loin du Selléis, qui le vit autrefois

 Ravager les cités d'une foule de rois,

 Hercule avait conquis la jeune Astyochée

 Aux murs sanglants d'Ephyre en esclave arrachée.

 De leur secret amour gage unique et chéri,

 Dans un riche palais Tlépolème nourri,

 Téméraire assassin, priva de la lumière

 Un oncle maternel de son céleste père,

 Le fier Licymnius, ce rejeton de Mars,

 Ce vieillard respecté parmi tous les vieillards ;

 Soudain, pour échapper au courroux homicide

 Des fils, des petits-fils du magnanime Alcide,

 Il construit des vaisseaux, rassemble des guerriers,

 Et l'Océan l'arrache à ces bords meurtriers.

 Lasse d'un triste exil, sa course aventurière

 S'arrêta dans les murs de Rhode hospitalière ;

 C'est là qu'en trois tribus son peuple partagé

 A l'ombre de ses lois respira protégé,

 Et le maître des Dieux, prodigue de largesses,

 L'environna d'honneurs, de gloire et de richesses.

      Fils du roi Charopus, de la jeune Aglaïa,

 Avec les trois vaisseaux que Symès envoya,

 Nirée est accouru ; Nirée, après Achille,

 Le plus beau des guerriers, mais le plus inhabile,

 Nirée est sans bravoure, et de quelques soldats

 A peine un faible nombre a marché sur ses pas.

  Nés de Thessalie, et fiers du sang des Héraclides,

 Deux princes, possédant trente vaisseaux rapides,

 Antiphus et Phidippe ont conduit sur les flots

 Les guerriers qu'ont vus naître et Nisyre et Casos,

 Les îles Calydnés, Crapathe, antique ville,

 Et Cos, séjour natal de l'illustre Eurypyle.

      Je dirai maintenant ceux qui, fuyant Alos,

 Trachinie, Alopé, la pé1asgique Argos,

 Les campagnes de Phthie, Hellas aux belles femmes,

 Pour la gloire ont senti battre leurs jeunes âmes.

 Ces peuples, Achéens, Hellènes, Myrmidons,

 Egaux par la valeur, portant différents noms,

 Sur cinquante vaisseaux escortèrent Achille ;

 Mais depuis qu'enchaînant sa vaillance immobile,

 La flotte le retient, de son repos témoins,

 Tous des sanglants combats ont oublie les soins.

 Achille n'est plus là ; son âme gémissante

 Se consume en regrets pour Briséis absente,

 Esclave aux beaux cheveux, qu'après de longs exploits,

 Dans Lyrnesse conquise il soumit à ses lois,

 Quand le pays, frappé de ses coups homicides,

 Vit du noble Evénus les doux fils intrépides,

 Épistrophe et Mynès dans les remparts thébains

 Succomber immolés par ses terribles mains.

 Il languit abattu ; mais aux champs du carnage

 On le verra bientôt relever son courage.

      Pyrase, qui de loin contemple ses guérets

 Parés de mille fleurs, et voués à Cérès,

 Phylace, Ptéléon fertile en pâturages,

 Antrône, dont la mer rafraîchit les parages,

 Itône, qui nourrit d'innombrables troupeaux,

 Lorsqu'il vivait encor, suivirent sur les eaux

 L'ardent Protésilas, déplorable victime,

 A qui la terre ouvrit son ténébreux abîme.

 Dans le palais désert d'où ce brave guerrier

 Partit pour Ilion sans laisser d'héritier,

 Son épouse, déjà destinée nu veuvage,

 Seule avec ses douleurs, meurtrissait son visage.

 Frappé par un Troyen, le premier, sur ce bord,

 Des flancs de son navire il courut à la mort.

 Rejeton d'Iphiclus, dont Philace est le père,

 Le vaillant Podarcès a remplacé son frère;

 Mais les guerriers, soumis à des ordres nouveaux,

 Privés du compagnon de leurs anciens travaux,

 Pleurent Protésilas qui, l'emportant par l'âge,

 Avec plus de beauté montrait plus de courage.

 Un deuil inconsolable accable ces soldats

 Que deux fois vingt vaisseaux menèrent aux combats.

  La mer sur onze nefs vit Eumèle conduire

 Les guerriers habitant Iaolcos, Glaphyre,

 Et Phère, qui s'étend près du lac Bébéis ;

 Chaste épouse d'Admète, Alceste l'eut pour fils,

 Alceste, des vertus le plus rare modèle,

 Et du roi Pélias la fille la plus belle.

  Suivi de sept vaisseaux, un redoutable archer,

 Philoctète jadis sous ses lois fît marcher

 Les soldats qui peuplaient Thaumacie et Méthone,

 Les champs de Mélibée et de l'âpre Olizone ;

 Chaque vaisseau porta cinquante matelots

 Habiles à lancer les pesants javelots.

 Maintenant ce guerrier, rongé du noir ulcère,

 Ouvrage douloureux d'une immonde vipère,

 Dans la sainte Lemnos des Grecs abandonné,

 A d'horribles tourments demeure condamné ;

 Mais bientôt devant Troie, où le sort les arrête,

 Ils se ressouviendront de leur roi Philoctète.

 Les fidèles soldats, déchus de son secours,

 Malgré leur chef nouveau, le regrettent toujours ;

 De Rhéna, d'Oïlée un fils illégitime,

 Médon guide aux combats leur essaim magnanime.

      Les peuples de Tricca, d'Ithome aux monts lointains,

 D'OEchalie, où d'Euryte ont brillé les destins,

 Lançant trente vaisseaux sur le liquide empire,

 Reconnurent pour chefs Machaon, Podalire,

 Qui, dignes d'Esculape, à ses soins paternels

 Doivent l'art précieux de guérir les mortels.

 La fontaine Hypérée à l'onde jaillissante,

 Le Titane, élevant sa cime blanchissante,

 Les remparts d’Astérie et ceux d'Ormémon

 Virent leurs combattants aux plages d'Ilion

 Sur quarante vaisseaux dans leur zèle docile

 Suivre un fils d'Évémon, le fameux Eurypyle.

      Du grand Pirithoüs glorieux héritier,

 Polypétès, fameux par son courage altier,

 Conduisit les guerriers qui possédaient Gyrtone,

 Elone, Argisse, Ortha, la blanche Oloossone.

 Lorsque jadis, armé de son terrible fer,

 Pirithoüs, enfant du puissant Jupiter,

 Chassa du Pélion jusque chez les Ethices

 Le Centaure aux longs poils, artisan d'injustices,

 L'illustre Hippodamie, en ce jour de succès,

 A son lit nuptial donna Polypétès.

 Un fils de Coronus, le divin Léontée

 Commandait avec lui sa phalange indomptée.

 Sous leurs lois ont vogué quarante noirs vaisseaux.

   Sur vingt-deux nefs Gunée amena de Cyphos

 Ces lointains habitants de la froide Dodone,

 Les Perches instruits aux travaux de Bellone,

 Et les fiers Eniens, et les peuples nombreux

 Qui du beau Titarèse aimaient les bords heureux ;

 Ce fleuve, né du Styx, dont les bouches humaines

 Frémissent d'attester les ondes souveraines,

 S'associe au Pénée, et d'un cours diligent,

 Sur le dos aplani de ses vagues d'argent

 En mobiles sillons, comme l'huile légère,

 Fait surnager une eau limpide et passagère.

  Sur quarante vaisseaux un fils de Tenthredon,

 L'agile Prothoüs guida le bataillon

 De ces Magnésiens dont la race était née

 Au pied du Pélion, aux rives du Pénée.

  Des fils de Danaüs tels sont les nobles rois.

 Muse ! élève à présent ton immortelle voix.

 Dis-moi les plus vaillants, dis-moi les plus rapides

 Des chefs et des coursiers rangés sous les Atrides.

      Dans leur vol plus léger que le vol des oiseaux,

 Les cavales d'Eumèle effacent leurs rivaux ;

 Phébus à l'arc d'argent vit croître dans Périe

 Leur force qu'avec soin lui-même avait nourrie.

 Ce couple ardent, semblable et d'âge et de couleur,

 Disperse l'épouvante aux champs de la valeur.

 Le fils de Télamon, Ajax est le plus brave,

 Tant qu'Achille indigné pleure sur une esclave ;

 Car Achille éclipsa tous les autres guerriers,

 Et nul coursier jamais n'égala ses coursiers ;

 Aujourd'hui, sur lit flotte où le courroux l'enchaîne,

 Contre le roi des Grecs il conserve sa haine.

 Tranquille au bord des mers, son peuple, en s'amusant,

 Jette le trait rapide ou le disque pesant,

 Et ses chevaux, debout auprès des chars superbes,

 Paissent le vert lotos et les fertiles herbes.

 Au fond de chaque tente on voit languir ces chars :

 Leurs maîtres dans le camp errent au loin épars,

 D'un héros cher à Mars regrettent le courage,

 Et ne se mêlent plus aux horreurs du carnage.

      Cependant tous les Grecs volent, pareils aux feux

 Qui dévorent la terre en leur cours désastreux.

 Lorsqu'il frappe le mont, où, rebelle victime,

 Typhée encor gémit sous les rochers d'Arime,

 Le puissant Jupiter, par la vengeance armé,

 Fait gronder dans les cieux son tonnerre enflammé :

 Ainsi des combattants que la fureur entraîne,

 Les pas impétueux ont ébranlé la plaine.

      Messagère de deuil soumise à Jupiter,

 Iris part et descend, rapide comme l'air,

 Au palais de Priam où le Conseil s'assemble,

 Où tous, jeunes et vieux, délibèrent ensemble ;

 La nymphe aux pieds légers d'un vol impatient

 Arrive jusqu'au seuil du portique bruyant,

 Et là, près du monarque, adroitement imite

 La voix d'un de ses fils, de ce brave Polite,

 Qui, tournant vers la mer des regards inquiets,

 Debout sur le tombeau du vieil Ésyétès.

 Active sentinelle, attendait enfin l'heure

 Où les Grecs des vaisseaux quitteraient la demeure.

 Iris parle en ces mots : " Vieillard ! les longs discours,

 Comme au temps de la paix, te plaisent donc toujours !

 Maintenant le destin au pied de nos murailles

 Transporte l'appareil des sanglantes batailles.

 Certes je fus témoin de beaucoup de combats,

 Et je ne vis jamais tant de vaillants soldats ;

 Car leur foule s'avance encor plus innombrable

 Que les feuilles des bois, ou que les grains du sable.

 Hector ! suis mes conseils : puisqu'en son vaste sein

 La ville de Priam renferme tout l'essaim

 Des guerriers accourus de leurs lointaines plages,

 Portant des noms divers, parlant divers langages,

 Que, prompt il réunir ces peuples différents,

 Chaque prince dispose et précède leurs rangs ! "

 Hector, qui reconnaît la voix de la déesse,

 Rompt l'assemblée ; on court aux armes, on se presse ;

 Les portes avec bruit s'ouvrent de toutes parts,

 Et vomissent à flots les soldats et les chars.

      En face d'Ilion une colline sainte

 Des plaines d'alentour domine au loin l'enceinte.

 Partout elle présente un facile chemin ;

 Batiée est son nom dans le langage humain,

 Et les Dieux, honorant une illustre héroïne,

 L'appellent le tombeau de l'agile Myrine.

 C'est la que des Troyens et de leurs alliés

 S'étendent a l'envie les rangs multipliés.

   Hector, fils de Priam, mène aux champs du carnage

 Les Troyens dont le nombre enhardit le courage.

       Cher aux Dardaniens, quel héros les guida ?

 C'est Énée, enfanté dans les bois de l'Ida,

 Où d'un simple mortel une déesse éprise,

 La divine Vénus dormit avec Anchise ;

 Forts dans tous les combats, deux enfants d'Anténor,

 Archéloque, Acamas les commandent encor.

      Les Troyens de Zélée, où la richesse abonde,

 Et que le noir Ésèpe abreuve de son onde,

 Escortent Pandarus, ce fils de Lycaon,

 Doté d'un arc brillant par les mains d'Apollon.

  D'autres guerriers d'Apèse ont laissé la campagne,

 Adrastie et Térée à la haute montagne;

 Amphius, que défend sa cuirasse de lin,

 Les guide avec Adraste. Un habile devin,

 Mérops de ses deux fils voulut en vain soustraire

 Aux combats dévorants la fougue téméraire,

 Et, rebelle à sa voix, le couple infortuné

 Partit, par les destins à la mort entraîné.

  Les hommes que Percote enfanta sur ses plages,

 Abydos dans ses ports, Sestos sur ses rivages,

 Ceux qui de Practios cultivent les guérets,

 Suivirent Asius, digne fils d'Hyrtacès ;

 Asius, dirigeant vers les champs de bataille

 Deux coursiers au poil roux, fiers de leur grande taille,

 Quitta du Selléis les bords délicieux

 Et les murs d'Arisbé favorisés des cieux.

  Les vaillantes tribus des antiques Pélasges,

 Abandonnant Larisse et ses gras pâturages,

 En foule ont rassemblé leurs bataillons amis

 Sous deux fils de Léthus issu de Teutamis.

 L'un est Hippothoüs, le second est Pylée.

      Piroüs, Acamas, héros dans la mêlée,

 Servent de dignes chefs aux Thraces courageux

 Qu'emprisonne en grondant 1'Hellespont orageux.

   Descendant de Céus, dont la race divine

 Voit jusqu'à Jupiter monter son origine,

 Fils de Trézène, Euphème aux remparts d'Ilion

 A des Ciconiens mené le bataillon.

  Portant l'arc recourbé dont leur troupe est munie,

 Les soldats de Pyrechme ont fui la Péonie,

 Loin des champs d'Amydon où, fleuve aux larges bords,

 L'Axius de ses eaux répand les purs trésors.

     Les Paphlagoniens, conduits par Pylémène,

 Des Enètes guerriers désertèrent la plaine,

 Cette plaine fertile en sauvages mulets,

 Egiale et Cromna qu'illustrent leurs palais,

 Sésame avec Cytore, et les champs que domine

 Près du Parthénius l'orgueilleuse Erythine.

  Là, venus d'Alybé, qui voit de ses vallons

 Mille veines d'argent parcourir les sillons,

 Epistrophe, Odius sur leur rapide trace.

 Des nombreux Halizons entraînèrent l'audace.

 Ici les Mysiens se rassemblent, soumis

 Au pouvoir fraternel d'Ennome et de Chromis.

 Ennome que son art n'avait pas su défendre,

 Augure infortuné, périt dans le Scamandre,

 Où le bras du héros, petit-fils d'Eacus,

 Plongea tant de Troyens fugitifs et vaincus.

     D’Ascagne et de Phorcys la valeur réunie

 Avec les Phrygiens délaissa l'Ascanie.

  Deux fils de Talémène, Antiphus et Mesthlès,

 Nés près du lac Gygée, ont compté pour sujets

 Tous ces Méoniens dont la foule aguerrie

 Sous le Tmole glacé possède une patrie.

  Phthire au mont ombragé, les plaines de Milet,

 Le Mycale, orgueilleux de son vaste sommet,

 Le sinueux Méandre ont vu pour ce rivage

 Partir les Carions au barbare langage ;

 Du puissant Nomion deux glorieux enfants,

 Amphimaque et Nastès les guident triomphants.

 Amphimaque au combat où son courage brille,

 S'élance, couvert d'or comme une jeune fille,

 Il espère !... insensé ! contre un cruel trépas

 Ce frivole ornement ne le défendit pas ;

 Il périt dans le fleuve et du vaillant Achille

 La main le dépouilla de son or inutile.

  Glaucus et Sarpédon quittèrent tous les deux

 La lointaine Lycie et le Xanthe fongueux.