LES VACHES DU SOLEIL
Aux deux tiers de la nuit, quand les astres déclinent,
Zeus, l'assembleur des nues, lâche un Notos terrible aux hurlements
d'enfer, qui noie sous les nuées le rivage et les flots : la nuit
tombe du ciel. Aussi, dès qu'apparaît, en son berceau de brume,
l'Aurore aux doigts de roses, nous tirons le vaisseau et nous le
remisons dans le creux d'une grotte, où les Nymphes avaient leurs
beaux choeurs et leurs sièges. Puis je tiens l'assemblée et, prenant
la parole:
ulysse.
— Amis,
dans le croiseur, on a boisson et vivres; laissons donc ces
troupeaux : nous en aurions malheur ! C'est un terrible dieu qui
possède ces bœufs et ces grasses brebis : le Soleil qui voit tout,
le dieu qui tout entend !
Je disais et leurs cœurs s'empressent d'obéir. Tout un
mois, sans arrêt, c'est le Notos qui souffle : jamais un autre vent
que d'Euros à Notos. Aussi longtemps qu'on a du pain et du vin
rouge, mes gens ne cherchent pas à vivre sur les bœufs. Mais quand
sont épuisés tous les vivres du bord, il faut se mettre en chasse et
battre le pays et, d'oiseaux, de poissons, prendre ce que l'on
trouve.
Or, un jour pour prier, j'avais quitté la grève, avec
l'espoir qu'un dieu viendrait me révéler le chemin du retour.
J'étais monté dans l'île et, sans plus voir mes gens, je m'étais, à
l'abri du vent, lavé les mains, pour invoquer chacun des maîtres de
l'Olympe. Voici que l'un des dieux me versa, sur les yeux, le plus
doux des sommeils.
C'est
alors qu'à mes gens, Euryloque donna le funeste conseil :
euriloque.
— Camarades, deux mots ! Vous
avez beau souffrir ; écoutez-moi pourtant ! Toute
mort est cruelle aux malheureux humains. Mais périr de famine !
est-il sort plus affreux ? Allons !
nous avons là ces vaches du Soleil. Pour faire
aux
Immortels, maîtres des champs du ciel, la parfaite
hécatombe, pourchassons les plus belles. Si jamais
nous devons retrouver notre Ithaque, le pays des aïeux, nous
ferons sans tarder au Soleil, fils
d'En Haut, quelque beau
sanctuaire, où nous entasserons les plus riches offrandes.
Que si, voulant venger ses bœufs aux cornes droites, il exige des
dieux et leur fait décider la
perte du croiseur, j'aimerais mieux
encor, pour en finir d'un coup,
tendre la bouche au flot
que traîner et périr en cette île déserte.
Euryloque parlait ; les autres, d'applaudir. Ils se
mettent en chasse et cernent les meilleures des
vaches du
Soleil ; ils n'ont qu'un pas à faire : elles paissaient tout près de
la proue azurée, ces vaches au grand front, si belles sous leurs
cornes !
Pour invoquer les dieux, ils prennent du feuillage aux rameaux
d'un grand chêne, au lieu de
l'orge
blanche dont il ne restait plus sous les bancs
du vaisseau ; puis, les dieux invoqués, on égorge,
on écorche, on détache les
cuisses ; sur l'une et
l'autre face, on les couvre de graisse ; on empile
dessus d'autres morceaux
saignants ; comme on n'a
plus de vin pour les libations, c'est de l'eau qu'on
répand sur les viandes qu'on brûle, et l'on met à griller la masse des
viscères. Les cuisses consumées,
on goûte des grillades et, découpé menu, le
reste de la bête est rôti sur les broches. Le doux sommeil
s'envole alors de mes paupières. Je reprends le chemin du croiseur,
de la grève, et j'allais arriver sous le double gaillard, quand la
bonne senteur de la graisse m'entoure. Je fonds en pleurs. Je crie
vers les dieux immortels :
ulysse.
— Zeus le père et vous tous, éternels
Bienheureux ! vous m'avez donc maudit, quand vous
m'avez couché en ce sommeil perfide !... de quel
forfait mes gens rêvaient en mon absence !
Mais déjà Lampétie, drapée en ses longs voiles, accourait
prévenir le Soleil, fils d'En Haut, du meurtre
de ses vaches, et le dieu courroucé disait aux Immortels :
le
soleil.
— Zeus le Père et vous tous, éternels
Bienheureux, faites payer aux gens de ce
fils
de
Laërte le meurtre de mes bêtes.
Ah! les impies ! c'était ma joie quand je montais vers les
astres du ciel ou quand, mon tour
fini, du haut du firmament, je rentrais sur la terre... Si je
n'en obtiens pas la rançon que j'attends, je plonge dans l'Hadès et
brille pour les morts.
Zeus, l'assembleur des nues, lui fit cette réponse :
zeus.
— Soleil, reste à briller devant les Immortels
et, sur la terre aux blés, devant les yeux des hommes.
Quant à ceux-là, je vais, de ma foudre livide, leur fendre
leur croiseur en pleine mer vineuse.
Ce fut de Calypso, la nymphe aux beaux cheveux,
que j'appris ces discours, qu'elle disait tenir d'Hermès
le messager.
J'étais redescendu au navire, à la mer. J'allais
de l'un à l'autre et je les querellais. Hélas ! nous
ne pouvions découvrir de remède : les vaches n'étaient
plus, et voici que les dieux nous envoyaient leurs
signes : les dépouilles marchaient ; les chairs cuites
et crues meuglaient autour des broches ; on aurait
dit la voix des bêtes elles-mêmes.
Durant six jours entiers, mes braves compagnons
ont de quoi banqueter : ils avaient au Soleil pris
ses plus
belles vaches. Mais lorsque Zeus, le fils de
Cronos, nous envoie la septième
journée, le Notos qui
soufflait en tempête s'apaise : on s'embarque à
la hâte, on replante le mât, on
tend les voiles blanches,
on pousse vers le large… Mais notre course est brève. En
hurlant, nous arrive un furieux
Zéphyr qui souffle en ouragan ; la rafale, rompant d'un coup
les deux étais, nous renverse le mât et fait pleuvoir tous les agrès
à fond de cale ; le mât, en
s'abattant sur le gaillard de poupe, frappe au front le
pilote et lui brise le crâne. Zeus tonne en
même temps et foudroie le
vaisseau. Mes gens sont emportés par les vagues ; ils
flottent, autour du noir croiseur, pareils à des corneilles ; le
dieu leur refusait la journée du retour.
Moi, je courais d'un bout à l'autre du navire,
quand un paquet de mer disloque la membrure ;
la quille se détache et la vague l'emporte. Mais
le mât arraché flottait contre la quille, et l'un des
contre-étais
y restait attaché : c'était un cuir de bœuf ; je m'en sers pour lier
ensemble mât et quille, et sur eux je m'assieds : les vents de mort
m'emportent.
Le Zéphyr cesse alors de souffler en tempête.
Mais le Notos accourt pour m'angoisser le cœur,
car il me
ramenait au gouffre de Charybde : toute la
nuit, je flotte ; au lever du
soleil, je me trouve devant la
terrible Charybde et l'écueil de
Skylla.
Or Charybde est en train d'avaler l'onde amère.
Je me lève sur l'eau ; je saute au haut figuier ; je
m'y cramponne comme une chauve-souris. Mais je
n'ai le moyen ni de poser le pied ni de monter
au tronc ; car le figuier, très loin des racines, tendait
ses longs et gros rameaux pour ombrager Charybde...
Sans
faiblir, je tiens là, jusqu'au dégorgement qui vient rendre à mes
vœux et le mât et la quille.
Quand je
revois mes bois qui sortent de Charybde, c'était l'heure tardive où,
pour souper, le juge, ayant entre plaideurs réglé mainte querelle, rentre de l'agora. Je
lâche pieds et mains pour retomber dessus ; mais sur l'eau, je me
plaque entre mes longues poutres... Je remonte
dessus ; je rame des deux
mains, et le Père des dieux et des hommes me fait échapper cette
fois aux regards de Skylla ; sinon, j'étais perdu; la mort était sur
moi; et neuf jours, je
dérive; à la dixième
nuit, le ciel me jette enfin sur
cette île océane, où la nymphe bouclée, la terrible déesse
dotée de voix humaine, Calypso, me reçoit et me traite en amie...
Mais
pourquoi vous reprendre un récit qu'hier soir,
en cette même salle, je vous
ai fait à toi et ta vaillante épouse ?... Quand
l'histoire est connue,
je n'ai jamais aimé en faire un nouveau conte.
Il dit :
tous se taisaient et, tenus sous le charme, s’ils gardaient le
silence dans l'ombre de la salle.
Alkinoos enfin prit la parole et
dit
:
alkinoos.
— Puisqu'à mon seuil de bronze et sous
les hauts plafonds de ma demeure, Ulysse, te voici parvenu,
tu n'auras plus, je crois, pour rentrer au logis, de
longues aventures, quels que soient les malheurs autrefois endurés
! Quant à vous, les doyens, je veux vous adresser à chacun ma
demande, à vous qui, tous les
jours, en écoutant l'aède, buvez chez moi le
vin
d'honneur aux sombres
feux : pour notre hôte déjà, en ce coffre poli, sont rangés les
tissus, les ouvrages en or et les autres présents qu'ont envoyés nos
conseillers de Phéacie ; allons ! ajoutons-y le don d'un grand
trépied et
d'un
chaudron par tête ; sur le
peuple, demain, nous ferons la levée qui nous remboursera ;
car ces frais, pour chacun de nous, seraient trop lourds.
Il dit,
tous, d'applaudir ces mots d'Alkinoos et chacun pour dormir rentra
dans son logis. Mais sitôt que sortit de son berceau de brume
l'Aurore aux doigts de rosés, on courut au vaisseau, pour y porter
le bronze, attribut des
guerriers. Sa Force et Sainteté, montant lui-même à bord,
s'en alla disposer les objets sous les bancs, pour que rien ne gênât
les gens de l'équipage, si l'on
forçait de rames ;
puis, chez
Alkinoos,
on revint et
l'on
fit les apprêts du
dîner.
Pour les
fêter, Sa Force et Sainteté le roi fit immoler un bœuf, dont on
brûla les cuisses, et l'on
fut à la joie
de ce noble festin ;
puis
l'aède
divin,
que révérait ce
peuple, Démodocos, chanta.
Mais Ulysse, des yeux, guettait à chaque
instant,
le rapide
déclin du soleil embrasé :
il voulait tant partir !...
Ainsi vont au souper les vœux du laboureur lorsque, dans la jachère,
ses bœufs taches de vin ont
traîné tout le jour la charrue d'assemblage !... Et
comme il est joyeux quand, le
soleil éteint,
il
revient, les genoux
flageolants, au souper!...
D'un cœur aussi joyeux, Ulysse
salua
le coucher du soleil et,
soudain, c'est aux bons
rameurs de Phéacie, mais surtout à
leur
roi,
qu'il adressa ces mots :
ulysse.
— Seigneur Alkinoos, l'honneur de tout ce
peuple, faites aux
dieux
l'offrande, puis reconduisez-moi,
sain et sauf, au logis. Je vous fais mes adieux. Vous avez accompli
tous les vœux de mon cœur : ce
départ, ces cadeaux, puissent les dieux du ciel me les rendre
prospères ! et puisse-je au logis retrouver
sains et saufs ma femme et tous
les miens!...
Et vous
qu'ici
je laisse, puissiez-vous rendre
heureux et vos enfants et vos compagnes de jeunesse ! et, les
dieux vous donnant toute
félicité, qu'à
jamais le malheur
épargne votre peuple !
Il
dit : tous, d'applaudir et
d'émettre le vœu qu'on remmenât
cet hôte qui savait si bien
dire.
Sa Force Alkinoos appela le héraut :
alkinoos.
— Pontonoos, fais-nous le mélange au cratère
et donne-nous du vin à tous, en cette salle, pour prier Zeus le père
et renvoyer cet hôte à la terre
natale.
Il
dit : Pontonoos mêla dans
le cratère un vin fleurant le miel, puis s'en vint à la ronde emplir
toutes
les coupes, et chacun, sans quitter son siège, fit
l'offrande aux dieux, aux Bienheureux, maîtres des
champs du
ciel. Mais déjà le divin Ulysse était debout ; dans la main d'Arété,
il mit la double coupe et lui dit, élevant la voix, ces mots ailés :
ulysse.
— O
reine,
à ton
bonheur !...
ton bonheur éternel,
jusqu'au jour où viendront la vieillesse et la mort : c'est notre
lot à tous. Puisque je vais partir, ah ! qu'en cette maison,
longtemps fassent ta joie le roi
Alkinoos, tes enfants et
ton peuple ! Et
comme le divin Ulysse, sur ces mots, avait
franchi le seuil, Sa Force
Alkinoos lui donna un héraut pour le mener jusqu'au croiseur,
sur le rivage ; avec eux, Arété dépêcha trois servantes : la
première portait la robe avec l'écharpe tout fraîchement lavée ;
l'autre suivait, portant le coffre aux bois épais, et la troisième
avait le pain et le vin rouge.
Quand ils eurent atteint le navire et la mer, les nobles
convoyeurs se
hâtèrent de prendre les vivres pour la route et de les déposer dans
le fond du vaisseau ; puis, des
draps de linon, ils firent pour Ulysse, sur le gaillard de
poupe, un lit où le héros dormirait loin du bruit.
Alors il s'embarqua, se coucha
sans rien dire ; en ordre, les rameurs prirent place à leurs
bancs ; de la pierre trouée, on détacha l'amarre, et bientôt, reins
cambrés, dans l'embrun de l'écume, ils tiraient l'aviron.
Mais déjà
sur ses yeux, tombait un doux sommeil, sans sursaut, tout pareil à
la paix de la mort : comme, devant le char, on voit quatre étalons
s'élancer dans la plaine et pointer tous ensemble et dévorer la
route sous les claques du fouet
; ainsi pointait la proue et, dans les gros bouillons du
sillage, roulait la mer retentissante, et le vaisseau courait sans
secousse et sans risque, et l'épervier, le plus rapide des oiseaux,
ne l'aurait pas suivi.
Il
courait, il volait, fendant le flot des mers, emportant ce héros aux
divines pensées, dont l'âme avait connu, autrefois, tant
d'angoisses. Maintenant, sans un geste, il donnait, oubliant tous
les maux endurés. Juste à
l'heure où paraît la reine des étoiles, qui vient pour
annoncer le lever de l'Aurore en son berceau de brunie, le navire,
achevant sa course sur la mer, abordait en Ithaque.
Le Vieillard de la mer, Phorkys, a dans les
champs d'Ithaque un de ses ports. Deux pointes avancées, qui
dressent face à face leurs falaises
abruptes,
rejettent au dehors les colères du vent et
de la grande houle ; au dedans,
les rameurs peuvent
abandonner leur vaisseau sans amarre, sitôt qu'ils
ont
atteint
la ligne
du mouillage. A la
tête du port, un olivier
s'éploie, et l'on trouve tout près la sainte grotte obscure et
charmante des Nymphes,
qu'on appelle Naïades : on y
voit
leurs cratères,
leurs amphores de pierre, où
vient
rucher
l'abeille, et, sur leurs grands
métiers de pierre, les tissus
teints en pourpre de mer,
que fabriquent leurs mains, —
enchantement des yeux!
— et leurs
sources d'eaux
vives.
La grotte a deux entrées : par
l'une,
ouverte
au nord, descendent les humains ;
l'autre s'ouvre au midi ; mais c'est l'entrée des dieux ; jamais
homme ne prend ce chemin d'Immortels.
En ce port connu d'eux, les Phéaciens pénètrent. Ils s'échouent
sur la grève et presque une moitié de leur navire y monte, tant les
bras des rameurs
avaient donné l'élan! Ils sautent hors des bancs, prennent d'abord
Ulysse et, du creux du vaisseau,
l'enlèvent en ses draps et son
linon
moiré ;
sans
rompre son sommeil, sur le sable,
ils le posent ; ils tirent du vaisseau les richesses données par les rois phéaciens ;
ils les mettent en tas, au pied de l'olivier, à l'écart de la route,
de peur que les passants
n'en
viennent dérober, avant qu'il se
réveille,
puis,
reprenant la mer, le croiseur
s'en retourne.
Mais l'Ébranleur du sol n'avait
pas oublié ses
menaces d'antan à ce divin Ulysse. Il s'en était
allé prendre l'avis de Zeus :
posidon.
— Quel respect, Zeus le Père, auront
encor
pour moi les dieux, les Immortels, quand les
mortels me bravent, même ces
Phéaciens qui sont nés de ma race ? Je savais bien qu'Ulysse,
à travers mille maux, rentrerait
au logis ; connaissant dès l'abord ta promesse jurée, jamais
je n'ai voulu le priver du
retour. Mais c'est tout endormi, qu'à
bord de leur croiseur, ces gens
de Phéacie lui font
passer la mer pour le mettre en Ithaque, avec de tels présents
qu'Ulysse, revenu d'Ilion sans encombre, n'eût jamais
rapporté pareil lot de butin.
Zeus, l'assembleur des nues, lui fit cette réponse :
zeus.
— Misère ! que dis-tu
! les dieux te mépriser, toi, l'Ébranleur du sol à la force
géante !... Je voudrais bien les
voir ne pas te respecter, toi, leur aîné, leur chef ! Mais
s'il est des mortels dont l'audace se croie de force à te braver,
n'as-tu pas aujourd'hui et
demain la vengeance ? Fais
comme il te plaira pour assouvir
ton cœur.
Posidon,
l'ébranleur du sol, lui répondit :
posidon.
— J'aurais depuis
longtemps fait ce que tu
dis là, dieu des sombres nuées ! Mais je crains
ta colère et voudrais l'éviter.
Aujourd'hui, quand je vois, dans la brume des mers, les Phéaciens
rentrer de cette
reconduite, je pense à disloquer
leur solide vaisseau, pour que,
rendus prudents, ils quittent désormais ce métier de
passeurs.
Zeus, l'assembleur des nues, lui fit cette réponse :
zeus.
— Cher, voici le parti que
choisirait mon
cœur. Quand les gens de la ville
pourront voir
leur vaisseau,
de la pomme à la quille, rentrant à pleine vogue, j'en ferais un
rocher tout proche de
la rive : que ce croiseur de pierre étonne les
humains !
Il dit, et
Posidon, l'Ébranleur de la terre, eut à
peine entendu qu'il s'en fut en
Schérie, en terre
phéacienne, et là, il attendit. Le croiseur, arrivant
du large, était tout proche ; il
passait en vitesse :
l'Ébranleur de la terre fit un pas, étendit la main et, le
frappant, l'enracina au fond des eaux comme une roche. Puis il s'en
retourna.
Quels discours échangeaient en paroles ailées ces
gens de Phéacie, ces armateurs, ces mariniers aux
longues rames ! Se tournant
l'un
vers l'autre, ils se
disaient entre eux :
le
chœur.
— Misère !... ah ! qui vient donc
d'entraver dans la mer le croiseur qui rentrait ?
on le voyait déjà de la pomme à la quille !
Ainsi parlaient les gens sans comprendre l'affaire.
Mais, prenant la parole, Alkinoos leur
di t:
alkinoos.
— Ah ! misère ! je vois s'accomplir les
oracles du vieux temps de mon père : Posidon, disait-il, nous en
voudrait un jour de notre renommée
d'infaillibles passeurs et, lorsque reviendrait
de quelque reconduite un solide croiseur
du peuple phéacien, le dieu le briserait dans la
brume des
mers, puis couvrirait le bourg du grand
mont qui l'encercle. Tous ces
mots du vieillard, vont-ils donc s'accomplir ?... Allons, croyez-m'en tous : faites ce que
je dis ; renonçons à passer quiconque
vient chez nous ; offrons à
Posidon douze taureaux de choix ; implorons sa pitié ; qu'il laisse
notre bourg sans l'avoir recouvert de la longue montagne.
Il dit et, pris de crainte, le peuple phéacien
apprêtait les taureaux...