ÉOLE
ET
LESTRYGONS
Aussitôt qu'apparaît, dans son berceau de brume,
l'Aurore aux doigts de roses,
les boucs et les béliers courent au pâturage; mais les brebis,
bêlant, font cercle autour des stalles : le maître n'avait pu
les traire et, trop pesants, leurs pis leur faisaient mal.
Secoué de douleurs cruelles, le Cyclope tâtait, pour la fouiller,
l'échiné de ses bêtes, qui s'arrêtaient
bien droites... L'enfant ! il ne vit pas ce qui
pendait au ventre, dans l'épaisse toison.
Le
dernier à sortir, mon bélier s'avançait, alourdi
de sa laine et de mes lourds pensers. Polyphème le tâte et,
de sa grosse voix :
polyphème.
— Doux bélier, qu'as-tu
donc
?... te
voilà le dernier à sortir de la
grotte ?...
les autres t'ont laissé
?... D'ordinaire, c'est toi qui, le premier
de tous, t'en vas paître à grands
pas les tendres fleurs des prés ! et tu vas, le premier, au courant des rivières !
et le premier encor, tu t'empresses, le soir, de rentrer à l'étable
!... Aujourd'hui te voilà le
dernier des derniers !... Est-ce l'œil de ton maître
qui cause tes regrets ? cet œil, qu'un scélérat, avec
ses compagnons infâmes, a crevé
: ce Personne ! il noya ma
raison dans le vin ; mais celui-là, crois-moi,
n'est pas tiré d'affaire... Si l'amitié pouvait te donner la
parole !... si tu pouvais me dire où il
fuit ma colère !... de son crâne
fendu, sa cervelle
partout, à travers la caverne, arroserait le sol et
mon cœur trouverait moins lourdes les souffrances,
qu'est venu m'apporter ce perdu
de Personne !
Il
dit et, le lâchant, fait sortir le bélier.
Dès
qu'on est un peu loin de l'antre et de la cour, je me déprends
d'abord, puis je délie mes hommes,
et, courant et poussant les bêtes trottinantes, que leur graisse
alourdit, nous rentrons au navire, avec de longs détours... Ah ! la
joie de nos gens à nous voir reparaître, échappés à la
mort !... et les pleurs et
les cris sur ceux qui ne sont
plus!... Mais, les
sourcils froncés, je défends que l'on pleure. J'ordonne qu'au
navire, on jette sans retard tout un
lot de brebis à l'épaisse toison
et que, sur l'onde amère, au plus tôt l'on reparte. Mes gens
sautent à bord et vont s'asseoir aux bancs ; quand, chacun en sa
place, la rame bat le flot qui blanchit sous les coups, je m'adresse
au Cyclope, en paroles railleuses :
ulysse.
— Non
! il n'était pas dit que tu devais, Cyclope, manger les compagnons
d'un homme sans vigueur, abusant de ta force au fond de ta caverne
!... De ta méchanceté, tu devais rencontrer le paîment, malheureux,
qui n'accueilles les hôtes que pour les dévorer ! Zeus et les autres
dieux t'en ont récompensé.
Je dis et, dans son cœur, redouble la colère.
D'une grosse montagne, il arrache la cime. Il la
lance.
Elle tombe au devant du navire à la proue
azurée. La mer, sous la tombée
de la roche, s'ébranle, et
le flot de retour nous ramène à la terre, où ce grand coup de
flux nous fait presque toucher. Mais, prenant à deux mains notre
plus longue gaffe, je pousse à
éviter, et j'excite mes gens, en leur donnant les ordres.
De
la tête, c'est moi qui leur rythme l'allure ; ils piquent de l'avant
et tirent sur la rame. Nous voici revenus en mer, deux fois plus
loin ; je hèle le Cyclope ; mes gens, autour de moi, de leurs mots
les plus doux, à l'envi me retiennent :
le
chœur.
— Tu vas exaspérer, malheureux,
ce sauvage ! Il vient de nous jeter un si gros
projectile qu'il nous a ramené le croiseur à la côte ; il a failli
nous perdre. Si tes cris ou ta
voix lui parviennent encore, c'est nos têtes, à nous, et les bois du
vaisseau, qu'il va mettre en
bouillie, sous le bloc anguleux que son bras peut
lancer
: il porte jusqu'ici !
Ils parlaient, sans fléchir l'audace de mon cœur.
Je
reprends et lui crie de toute ma rancune :
ulysse.
— Cyclope, auprès de toi, si quelqu'un
des mortels vient savoir le malheur qui t'a
privé de l'œil, dis-lui qui t'aveugla : c'est le fils
de
Laërte, oui ! le pilleur de Troie, l'homme d'Ithaque, Ulysse.
Je
disais. En hurlant, le Cyclope répond :
polyphème.
— Ah ! misère ! je vois s'accomplir
les oracles de notre vieux devin ! ce n'était qu'un
mortel, mais si noble, si grand ! ce maître en prophéties, Télémos
l'Eurymide, qui vieillit parmi
nous, prophète des Cyclopes ! Il m'avait bien prédit ce qui
m'arriverait et que, des mains d'Ulysse, je serais aveuglé. Mais
j'attendais toujours un mortel grand et beau, qui viendrait, revêtu d'une force
superbe. Maintenant, c'est un
gueux, un freluquet, un nain, qui vient me crever l'œil,
quand le vin m'a dompté. Allons ! reviens, Ulysse ! et je te
donnerai les présents de ton hôte ! Je charge le Seigneur qui
ébranle la terre de te remettre en route ! Je suis son fils, tu sais
! il se prétend mon père ! Lui seul peut me guérir, s'il veut, mais
aucun autre ni des dieux fortunés ni des hommes mortels.
A
ces mots du Cyclope, aussitôt je réponds :
ulysse.
— Ah ! puisse-je t'ôter et le souffle et la vie
et
t'envoyer dans les demeures de l'Hadès, aussi vrai
que ton œil ne sera pas guéri, même par le Seigneur qui
ébranle le sol !
Je disais ; mais déjà, il faisait sa prière à son roi Posidon,
en tendant les deux mains vers les astres du ciel :
polyphème.
— 0
maître de la terre, ô dieu coiffé d'azur, ô Posidon, écoute ! S'il
est vrai que je suis ton
fils, si tu prétends à ce titre de père, fais pour moi que
jamais
il ne rentre au logis, ce pilleur d'Ilion, cet Ulysse ! ou du moins,
si le sort lui permet de retrouver les siens et sa haute maison, au
pays de ses pères, fais qu'après de longs maux, sur un vaisseau
d'emprunt, il n'y rentre, privé de tous ses compagnons, que pour
trouver encor le malheur au logis !
A peine il avait dit : le dieu coiffé d'azur exauçait sa
prière. Et déjà le Cyclope a repris un rocher bien plus gros qu'il
soulève. Il le fait tournoyer, le jette, en y mettant sa force
exaspérée. Du navire azuré, le bloc rase la poupe, en risquant
d'écraser la pointe d'étambot.
Nous revoici dans l'île où nous avions laissé le
gros
de notre flotte : sur les bancs des vaisseaux
ou campés alentour, nos tristes
compagnons restaient à
nous attendre. On aborde, on échoue le vaisseau sur le sable
; on tire de la cale les moutons
du Cyclope ; j'en fais si bien les lots que
personne en partant n'a pour moi de reproches. Seul, je suis
mieux traité : à mon lot de moutons,
les compagnons guêtrés ajoutent
un agneau, que j'offre sur la grève au dieu des nuées
sombres, à Zeus, fils de Cronos.
Mais, les cuisses brûlées, ce roi de tous les êtres, dédaigna
notre offrande : il n'avait en l'esprit que notre perte à tous,
perte de mon escadre et perte, sur leurs bancs, de mon brave
équipage. Durant tout ce grand
jour, jusqu'au soleil couchant, nous restons au festin : on
avait du bon vin, des viandes à
foison ! Au coucher du
soleil, quand vient le crépuscule, on s'étend pour dormir sur
la grève de mer.
Mais sitôt qu'apparaît, dans son berceau de
brume, l'Aurore aux doigts de roses, j'ordonne à
tous
mes gens d'embarquer sans retard et de larguer
l'amarre. Mes gens sautent à bord et vont s'asseoir aux bancs ;
puis, chacun en sa place, la rame
bat le flot qui blanchit sous
les coups.
Nous reprenons la mer, l'âme navrée, contents
d'échapper à la mort, mais pleurant les amis. Nous
gagnons Éolie, où le fils d'Hippotès,
cher aux dieux immortels, Éole, a sa demeure. C'est une
île qui flotte : une côte de bronze, infrangible muraille,
l'encercle tout entière ; une roche polie en
pointe vers le ciel. Éole en son
manoir nourrit ses douze
enfants, six filles et six fils qui sont à l'âge d'hommes :
pour femmes, à ses fils il a donné ses filles et tous, près de leur
père et de leur digne mère,
vivent à banqueter ; leurs
tables sont chargées de douceurs
innombrables ; tout le jour, la maison, dans le fumet des
graisses, retentit de leurs voix
; la nuit, chacun s'en va, près de sa chaste épouse, dormir sur les
tapis de son cadre ajouré...
Nous
montons vers le bourg, jusqu'à leur beau
manoir.
Éole, tout un mois, me traite et m'interroge, car il veut tout
connaître, la prise d'Ilion, la flotte et le retour des Achéens
d'Argos, et moi, de bout en bout, point par point, je raconte.
Quand, voulant repartir, à mon tour je le prie de me remettre en
route, il a même obligeance à
me
rapatrier. Il écorche un taureau de neuf ans ;
dans la peau, il coud toutes les
aires des vents impétueux, car le fils de Cronos l'en a fait
régisseur : à son plaisir, il les
excite ou les apaise. Il me donne ce sac, dont la tresse d'argent luisante ne laissait passer
aucune brise ; il s'en vient l'attacher au creux de mon navire ;
puis il me fait souffler l'haleine d'un zéphyr, qui doit,
gens et vaisseaux, nous porter au logis... Hélas !
avant le terme, la folie de mes
gens allait nous perdre encore.
Durant neuf jours, neuf nuits, nous voguons
sans relâche. Voici que, le dixième, apparaissaient
enfin les champs de la patrie ; nous en étions si
près qu'on en voyait les feux et les hommes
autour. Mais il me vient un doux sommeil ; j'étais brisé : c'était
moi
qui,
toujours, avais tenu l'écoute,
sans jamais la céder à
quelqu'un de mes gens ;
j'avais un tel désir d'arriver au pays !... Mon
équipage alors se met à discourir
: ce que j'ai dans ce sac, — pensent-ils, — les cadeaux de ce
fils d'Hippotès, de ce grand cœur d'Éole, c'est de
l'or, de l'argent ! Se tournant
l'un
vers l'autre, ils se
disent entre eux :
le
chœuR.
— Misère ! en voilà un que, toujours
et partout, on aime et
l'on
respecte, en quelque
ville et terre qu'il puisse bien
aller ! il ramenait déjà
de Troie sa belle charge de butin précieux,
alors que nous, au bout de ce
même voyage, n'avions
pour revenir au logis que mains vides...
Et voyez ce qu'il vient de recevoir encore, pour
avoir su gagner le cœur de cet
Éole !... Allons, vite ! il faut voir ce que sont ces
cadeaux.
Sitôt dit, on se range à cet avis funeste. Le sac
est
délié : tous les vents s'en échappent, et soudain
la rafale entraîne mes vaisseaux
et les ramène au large ; mes gens en pleurs voyaient s'éloigner la
patrie !... Moi, je m'éveille
alors et mon cœur sans
reproche ne sait que décider : me jeter du
vaisseau, chercher la mort en
mer, ou pâtir en silence
et conserver la vie ?... Ma foi, je tins le coup : roulé dans mon
manteau, je m'étendis à bord, tandis que, ramenés par ce vent de malheur
jusqu'en l'île d'Éole, mes gens se lamentaient.
On arrive ; on débarque ; on va puiser de l'eau
et,
sans tarder, mes gens se mettent au repas sous
le flanc des croiseurs. Quand on
a satisfait la soif et l'appétit, je pars, accompagné d'un
héraut et d'un homme, pour monter chez Éole. En son manoir fameux,
je le trouve au festin, lui, sa femme et ses
fils. Nous entrons au logis ; mais nous restons au seuil, assis
dans l'embrasure. Leurs cœurs sont étonnés
; c'est moi qu'ils interrogent :
le
chœur.
— Ulysse!... te voilà revenu ? et comment
? quelle divinité méchante te poursuit ? Nous
t'avions renvoyé en prenant tous les soins pour
que te
soient rendus ta patrie, ta maison et tout
ce qui t'est cher...
Ils
disaient. Je réponds, le cœur plein de tristesse :
ulysse.
— Le désastre me vint d'un méchant
équipage, mais aussi, et surtout, d'un sommeil malheureux. Amis,
secourez-moi ; je sais votre pouvoir.
Je
disais, essayant des plus douces parole ; mais
ils restaient muets. Leur père
me répond :
éole.
— Décampe de mon île, ô le rebut des
êtres !... car je n'ai plus le droit de t'accorder
mes
soins, ni de te reconduire : un homme que les dieux fortunés ont en
haine!... Décampe !... tu reviens
sous le courroux des dieux !
Il
dit et me renvoie, malgré mes lourds sanglots.
Nous reprenons la mer, l'âme navrée ; mes gens
n'avaient plus de courage à peiner sur la rame :
après
notre folie, où retrouver un guide ?...
Durant six jours, six nuits, nous voguons sans
relâche. Nous touchons, le septième, au pays lestrygon,
sous le bourg de Lamos, la haute Télépyle,
où l'on voit le berger appeler
le berger : quand l'un rentre, il en sort un autre qui répond ; un
homme dégourdi gagnerait deux salaires, l'un à
paître les bœufs, l'autre, les
blancs moutons ; car les
chemins du jour côtoient ceux de la nuit.
Nous entrons dans ce port bien connu des marins : une double
falaise, à pic et sans coupure,
se dresse tout autour, et deux caps allongés,
qui se font vis-à-vis au devant
de l'entrée, en
étranglent la bouche. Ma flotte s'y engage et
s'en va jusqu'au fond, gaillards
contre gaillards,
s'amarrer côte à côte : pas de houle en ce
creux, pas de flot, pas de ride ; partout un calme
blanc.
Seul je reste au dehors, avec mon noir vaisseau
; sous le cap de l'entrée, je mets l'amarre
en roche : de troupeaux ou
d'humains, on ne voyait pas trace ; il ne montait du sol, au loin,
qu'une fumée.
J'envoie pour reconnaître à quels mangeurs
de pain appartient cette terre ; les deux hommes
choisis, auxquels j'avais adjoint en troisième un
héraut, s'en vont prendre à la grève une piste
battue, sur laquelle les chars descendent vers la
ville le bois du haut des monts. En approchant
du bourg, ils voient une géante qui s'en venait
puiser
à la Source de l'Ours, à la claire fontaine où la ville s'abreuve :
d'Antiphatès le Lestrygon, c'était
la fille. On s'aborde ; on se parle : ils demandent le nom du
roi, de ses sujets ; elle, tout aussitôt, leur montre les hauts
toits du logis paternel.
Mais
à peine entrent-ils au manoir désigné, qu'ils
y trouvent la femme, aussi haute
qu'un mont, dont la vue
les atterre. Elle, de l'agora, s'empresse
d'appeler son glorieux époux, le roi Antiphatès, qui n'a qu'une
pensée : les tuer sans
merci. Il broie l'un de mes gens, dont il fait son
dîner. Les deux autres s'enfuient
et rentrent aux navires.
Mais, à travers la ville, il fait donner l'alarme. A l'appel, de partout, accourent par
milliers ses Lestrygons
robustes, moins hommes que géants, qui, du haut des falaises, nous
accablent de blocs de roche à charge d'homme :
équipages mourants et vaisseaux
fracassés, un tumulte de
mort monte de notre flotte. Puis,
ayant harponné mes gens comme des
thons, la troupe les emporte à l'horrible festin.
Mais pendant qu'on se tue dans le fond de
la
rade, j'ai pris le glaive à
pointe, qui me battait la cuisse, et j'ai tranché tout net le câble
du navire à la proue azurée. J'active alors mes gens.
J'ordonne à mes rameurs de forcer d'avirons,
si l'on veut s'en tirer. Ils
voient sur eux la mort ;
ils poussent, tous ensemble, et font voler l'écume... 0 joie ! voici
le large ! mon navire a
doublé les deux caps en surplomb ; mais là-bas,
a péri le reste de l'escadre.
Nous reprenons la mer, l'âme navrée, contents
d'échapper à la mort, mais pleurant les amis. Nous gagnons Aiaié,
une île qu'a choisie
pour demeure Circé, la terrible déesse douée de voix humaine, Circé
aux belles boucles, une
sœur d'Aiétès aux perfides pensées : tous deux
doivent le jour au Soleil des vivants, qui les eut
de
Perse, la nymphe océanide.
Nous arrivons au cap, et, sans
bruit, nous poussons jusqu'au fond du mouillage : un dieu nous
pilotait ; sans tarder, l'on
débarque et, deux jours
et deux nuits, nous restons étendus, accablés de fatigue et rongés
de chagrin.
Quand, du troisième jour, l'Aurore aux belles
boucles annonce la venue, je prends à bord ma
pique et mon estoc à pointe,
et,
quittant le vaisseau, je
grimpe à la vigie : je pensais voir de
là quelque œuvre des humains,
entendre quelque voix. Me voici sur le roc de la guette, au
sommet : il monte une fumée du
sol aux larges routes.
Mon esprit et mon cœur ne savent que résoudre :
irai-je m'informer, maintenant
que j'ai vu ce feu, cette fumée ?...
Tout compté, le parti le meilleur
me sembla de regagner
d'abord le navire et la
plage, de donner le repas, puis d'envoyer
mes gens reconnaître les
lieux.
Je rentrais au croiseur, et
j'allais
arriver sous
le double gaillard, lorsque, prenant pitié de mon
isolement, un dieu met sur ma route un énorme
dix-cors, qui, du pâtis des bois, descendait
boire au fleuve ; car il sentait déjà la force
du soleil. Comme il longeait la berge, au bord
de la forêt, je le frappe en plein dos du bronze
de ma
pique : percé de part en part, il s'effondre,
en bramant, roule dans la
poussière, et son âme
s'envole. Je monte alors dessus, j'arrache de
la plaie le bronze de ma pique et je couche
mon arme à terre où je la laisse
; puis, cassant des rameaux et des joncs, je les tresse en lien
redoublé, d'une brasse environ ;
j'en
attache en paquet les quatre
pieds du monstre, et cette charge au cou, appuyé sur ma
pique, je rentre au noir vaisseau ; jamais je n'aurais pu sur une
seule épaule, et d'une seule main, rapporter cette bête : c'était
vraiment un monstre ! Je m'en viens la jeter sous le flanc du
vaisseau, puis j'éveille mes gens. Je vais de l'un à l'autre, et du
ton le plus doux :
ulysse.
— Malgré tous nos chagrins, non ! ce
n'est pas encore aujourd'hui, mes amis, qu'il
nous faudra descendre aux maisons de l'Hadès !
pour
nous, le jour du sort n'est pas encor venu !
Debout ! sur le croiseur, tant
qu'il nous restera de quoi manger et boire, songeons à nous nourrir : pourquoi
mourir de faim ?
Je disais. Mon discours aussitôt les décide :
ils découvrent leurs fronts et lorsque, sur le bord de la mer
inféconde, le cerf leur apparaît,
ils restent ébahis : c'était vraiment un monstre !...
Quand, de cette merveille, ils ont empli leurs yeux, on se lave les
mains, on se met aux apprêts
d'un
repas magnifique, et, durant
tout le jour, jusqu'au
soleil couchant, nous restons au festin : on avait du bon
vin, des viandes à foison ! Au
coucher du soleil, quand vient le crépuscule,
on s'étend pour dormir sur la
grève de mer.