inerve-Pallas donne à Diomède,
fils de Tydée, une nouvelle
force et un nouveau courage, pour
que ce héros se rende illustre
entre tous les Argiens, et obtienne
une gloire insigne parmi les
hommes. — Le casque et le bouclier
de Diomède brillent d'une flamme
incessante comme l'astre de
Sirius pendant une nuit d'automne
lorsqu'il se lève éclatant de
lumière après s'être baigné dans les eaux de l'océan : ainsi le feu
jaillit de
la tête et des épaules de Diomède. Aussitôt la déesse le
précipite au milieu de la plus ardente mêlée où s'agite la foule des
braves combattants.
Parmi les Troyens se trouvait un homme comblé de richesses et
exempt de tous reproches : il était prêtre de Vulcain et s’appelait
Darès. Ses deux fils, Idéus et Phégée, étaient habiles et vaillants dans les luttes
meurtrières. — Ces deux guerriers se séparent de leurs
compagnons et marchent à la rencontre de Diomède
; ils sont sur leur char et le fils de Tydée combat à pied. A
peine se
sont-ils approchés de leur
ennemi que Phégée lance le
premier sa longue javeline
: la pointe du dard vole sur l'épaule
gauche de Diomède sans
blesser le héros. Alors le fils de Tydée envoie
avec force son javelot contre Phégée : un trait inutile ne s'est
point échappé de ses mains, car il a percé son ennemi au milieu
de la poitrine et l'a fait rouler dans la poussière. Aussitôt Idéus
s'enfuit ; il abandonne son superbe char et n'ose rester pour défendre
le corps inanimé de son malheureux frère. Idéus n'aurait
point évité la sombre
destinée si Vulcain n'eût secouru ce héros. Le dieu le sauva
en l'enveloppant dans les ténèbres afin que le vieux Darès ne fût
pas entièrement accablé par la douleur. Le
fils du magnanime Tydée s'empare de leurs coursiers rapides et les
remet à ses compagnons pour les conduire vers les creux
navires. Dès que les courageux Troyens ont vu les fils de Darès,
l'un prenant la fuite, l'autre étendu sans vie près de sou char,
leur âme est saisie d'effroi. — Minerve aux yeux d'azur prend
alors par la main le cruel dieu de la guerre et lui adresse ces paroles :
« Mars, Mars,
fléau des hommes, dieu souillé
de sang, destructeur des
remparts, ne laisserons-nous point combattre seul les Achéens
et les Troyens, afin que Jupiter décide lequel de ces deux peuples il veut combler de gloire, tandis que nous immortels, nous
nous retirerons pour éviter le courroux du fils de Saturne ? »
A ces mots elle entraîne loin des batailles le cruel dieu de
la guerre, et elle le fait asseoir sur les verdoyants rivages du Scamandre.
— Cependant les fils de Danaüs repoussent les Troyens et
chacun des chefs immole un ennemi. D'abord le roi des hommes, le
puissant Agamemnon, attaque sur son char le puissant Odius, chef
des Halizons, et le renverse au moment où il se retournait pour fuir
: le dard l'atteint entre les deux épaules et lui traverse sa
poitrine. Odius tombe avec fracas, et dans sa chute ses armes retentissent
au loin.
Idoménée égorge le fils de Borus le Méonien, Phestus, venu de
la fertile Tarné ; ce guerrier en montant sur son char est frappé
par la longue lance d'Idoménée qui le blesse à l'épaule droite.
Le fils de Borus tombe à terre, et un nuage sombre obscurcit
ses yeux. Aussitôt les soldats s'empressent de dépouiller le Méonien Phestus.
Ménélas, fils d'Atrée, frappe de sa lance aiguë le vaillant
chasseur Scamandrius, fils de
Strophius : Diane elle-même apprit à Scamandrius à percer de
ses flèches les animaux sauvages que nourrissent les forêts des
montagnes. Cette fois, ni Diane qui se plaît à lancer des traits, ni
la grande habileté qui fit autrefois la gloire
de ce héros, ne lui furent d'aucun secours. Ménélas, illustre par
ses exploits, tue Scamandrius, qui fuyait devant lui : la lance
s'enfonce dans le dos, entre les deux épaules, et ressort par la
poitrine. Le fils de Strophius tombe la face contre terre, et ses armes
retentissent au loin.
Mérion immole Phériclus, fils de l'artisan Harmonides(1), Phériclus
chéri
de Minerve et dont les mains savaient exécuter de merveilleux
travaux : il construisit pour Pâris ces navires, sources de maux sans
nombre, et qui devinrent funestes aux Troyens autant qu'à
lui-même, car il n'entendait pas les oracles des dieux. Mérion le
poursuit, l'atteint et lui plonge sa lance dans la hanche droite : la
pointe s'enfonce dans les entrailles, et ressort au-dessus de l'os(2). Phériclus,
en gémissant, tombe sur ses genoux, et la mort sombre
l'enveloppe aussitôt.
Mégès tue le fils d'Anténor, Pédée, que la divine
Thiano, pour
plaire à son époux, éleva
comme un de ses propres enfants, quoi
qu'il fût né d'une union illégitime. Mégès, fils illustre de Phylée,
s'approche de Pédée et le frappe derrière la tête : la lance aiguë,
en passant dans la bouche, déchire la langue du héros ; le Troyen
tombe dans la poussière et il serre entre ses dents
l'airain glacé.
Eurypyle
renverse le fils du vaillant Dolopion, Hypsénore, prêtre
du Scamandre, et que les peuples honoraient comme un dieu.
Le noble fils d'Evémon, Eurypyle, s'élance, le glaive à la main,
sur ce guerrier, qui fuit devant lui, l'arrête au milieu de sa
course, le frappe à l'épaule et lui coupe un bras plein de vigueur(3),
qui tombe ensanglanté dans la plaine : la sombre mort et
le destin cruel ferment les yeux du héros troyen.
Tels sont les exploits des combattants dans ces terribles mêlées.
Quant au fils de Tydée, vous n'auriez pu savoir alors à quel parti
il appartenait ; s'il combattait avec les Grecs ou avec
les Troyens. Il s'élançait à travers le champ de bataille comme
un fleuve débordé, qui,
devenu torrent furieux, renverse dans
sa course rapide tout ce qui lui forme obstacle, comme un fleuve que
rien ne peut contenir, ni les digues les plus fortes(4),
ni les enclos, ni les remparts des vertes campagnes, lorsque, grossi
par les pluies de Jupiter, il se précipite tout à coup dans les prairies
et détruit les travaux des jeunes laboureurs : ainsi sous les coups
de Diomède s'ébranlent les épaisses phalanges des Troyens, qui ne
peuvent, malgré leur nombre, arrêter le héros.
Cependant le fils illustre de Lycaon, Pandarus, aperçoit Diomède
qui s'élance à travers les plaines et renverse devant lui les phalanges ennemies ; soudain il tend son arc, dirige une flèche contre
le fils de Tydée, et l'atteint près de l'épaule droite dans la
cavité de la cuirasse(5) : le trait cruel vole, pénètre dans les
chairs, et toute l'armure du héros est souillée de sang. Alors le fils
de Lycaon s'écrie d'une voix forte :
« Magnanimes Troyens, habiles à lancer les coursiers, avancez
donc
! Le
plus vaillant des Achéens est blessé, et je ne pense pas qu'il résistera long-temps à ma
terrible flèche, s'il est vrai qu'un dieu,
fils de Jupiter, dirigea mes pas quand je quittai la riante Lycie ! »
C'est ainsi que d'un ton triomphant parle Pandarus. Mais le
trait rapide
n'a point tué Diomède. Le héros s'éloigne aussitôt, s'arrête près
de ses coursiers, et dit à
Sthénélus, fils de Capanée :
« Cher Sthénélus, descends promptement de ton char et arrache
de mon épaule cette flèche cruelle. »
Il dit. Sthénélus saute de son char, s'approche de Diomède
et arrache de l'épaule du héros la flèche aiguë : à l'instant un sang
noir jaillit à travers les mailles de la souple cuirasse. Diomède à
la voix sonore(6) adresse aussitôt des vœux à Minerve :
« Écoute-moi, fille indomptable du dieu qui tient l'égide.
Si jamais, bienveillante pour mon
père et pour moi, tu nous assistas dans les combats
meurtriers, daigne cette fois encore me prêter ton secours, ô
Minerve ! Accorde-moi la faveur d'immoler ce guerrier troyen ; fais
qu'il vienne à la portée de ma lance, lui qui m'a frappé
le premier, et qui, dans son
orgueil, prétend que je ne reverrai plus les splendides rayons du
soleil ! »
Minerve exauce les prières de Diomède ; elle ranime les membres
du héros, rend ses pieds et ses mains plus souples et plus agiles
; puis, s'approchant de lui, elle prononce ces rapides paroles :
« Diomède, marche avec confiance, attaque les Troyens ; car j'ai
déposé dans ta poitrine le courage de ton père et cette force indomptable
que possédait le cavalier Tydée lorsqu'il agitait avec fureur
son bouclier formidable. J'ai dissipé le nuage qui couvrait
tes yeux, afin que tu puisses reconnaître maintenant les dieux
d'avec les hommes. Si, pour t'éprouver,
quelque divinité vient à
ta rencontre, garde-toi de l'attaquer et surtout de combattre
avec les immortels. Mais si la belle Vénus, la fille du puissant
Jupiter, se présente dans la lice, je te permets de la frapper avec
l'airain aigu.
»
Minerve aux yeux d'azur s'éloigne après avoir prononcé ces
paroles. — Le fils de Tydée s'élance alors aux premiers rangs des
guerriers ; et s'il brûlait auparavant de combattre avec les Troyens,
il se sent maintenant enflammé de trois fois plus d'ardeur. Tel un lion
qui franchissait une bergerie est
blessé légèrement par un
pasteur qui surveillait ses agneaux à la laine touffue, sa blessure ne fait qu'irriter sou courage ; et le
pasteur, loin de l'attaquer de nouveau, se cache dans l'étable,
les brebis
abandonnées fuient et se pressent les unes contre les autres tandis
que le lion furieux s'élance hors du vaste enclos : tel, et plus furieux
encore, Diomède se précipite au milieu des Troyens.(7)
Le héros immole Astynotis et le vaillant Hypéron, pasteur des
peuples
; il
blesse le premier de sa lance d'airain,
au-dessus de la mamelle, et, frappant l'autre de sa longue épée, il sépare le
bras du
col et du dos. Puis il quitte ces guerriers et attaque Abas et Polyïdos,
fils du vénérable Eurydamas, interprète des songes ( le vieillard n'expliqua sans doute pas les songes de ses enfants lorsqu'ils
prirent congé de lui) : le terrible Diomède les tue et les dépouille
de leurs armes. Ensuite il marche contre Xantus et Thoon, fils de Phénops
et nés tous deux dans sa vieillesse. Phénops, courbé sous le
poids des ans, n'a point
d'autre fils pour lui laisser ses
richesses. Diomède frappe ces deux guerriers, leur arrache la vie et ne laisse à leur malheureux père que les
larmes et les sombres chagrins. Phénops ne verra pas ses fils revenir
vivants du combat, et des étrangers partageront son héritage !
Diomède attaque aussi les deux descendants de Priam, Echemmon
et Chromios, montés sur le même char. De même qu'un lion se
précipite sur des troupeaux de bœufs et déchire le cou d'une génisse
ou d'un taureau qui paissait dans la forêt : de même le
fils
de Tydée se précipite avec fureur sur ces deux Troyens, les renverse
de leur char, les dépouille de leurs armes, et confie leurs chevaux
à ses compagnons pour les conduire vers ses vaisseaux.
Énée, qui aperçoit Diomède exterminer les phalanges des Troyens,
s'avance dans la tumultueuse mêlée à travers les piques et
les javelots, et il cherche de tous côtes le divin
Pandarus ; il rencontre
enfin l'irréprochable fils de Lycaon , et, s'arrêtant près de
son compagnon, il lui dit :
« Pandarus, que sont devenus
tes flèches, ton arc et ta gloire ? Cependant ici nul héros
n'osait lutter avec toi, et dans la
Lycie même aucun guerrier ne se glorifiait de t'égaler en valeur. Viens
donc, Pandarus, élève tes mains vers Jupiter, et lance un
de tes traits contre le mortel victorieux qui a déjà causé tant de
malheurs aux Troyens en immolant un si grand nombre de héros
! Frappe-le de tes flèches... Mais ce noble combattant est peut-être
une divinité courroucée contre nous tous. et qui venge l'oubli
des sacrifices ; car la colère des dieux est terrible. »
Le célèbre fils de Lycaon lui répond aussitôt :
«
Énée, conseiller prudent des Troyens à l'armure d'airain, ce guerrier
me paraît être semblable au belliqueux fils de Tydée ; je le reconnais
à son casque à la haute aigrette(8) et à son large bouclier ; je
reconnais ses coursiers
rapides, mais j'ignore encore si cet homme
est un dieu ou un mortel. Cependant s'il est vraiment le fils de Tydée, une divinité de l'Olympe, les épaules cachées dans un nuage,
se tient à ses côtés, anime sa fureur et détourne les traits dirigés
contre lui. Déjà je lui ai lancé une flèche qui l'a frappé à l'épaule
droite en pénétrant par la cavité de la cuirasse, et je pensais
le précipiter dans les sombres demeures de Pluton ; mais je
n'ai pu lui faire mordre la poussière, car un des immortels est
courroucé contre nous ! Hélas ! je n'ai
point ici mes coursiers ni
mon char sur lequel je combats dans les plaines ! J'ai laissé dans le
palais de mon père onze chars superbes nouvellement construits
et couverts de tapis magnifiques(9)
: auprès de chacun de ces
chars, deux chevaux
destinés au même joug se nourrissent d'orge blanche et d'épeautre.
Lorsque je partis, le vieux guerrier Lycaon
me donna de sages conseils dans ses riches demeures : il m'ordonna
de monter sur mon char pour conduire les Troyens dans les
batailles sanglantes ; mais moi je ne lui obéis point, et je vois maintenant
qu'il eût été plus sage d'obéir
! Je voulus ménager mes
chevaux, accoutumés à une abondante nourriture ; car je craignais
qu'ils ne manquassent de pâturages dans une ville où tant
d'hommes seraient renfermés. Je ne les emmenai point et je
vins à pied devant Ilion en me confiant à mon arc, qui cependant
ne devait point me servir. J'ai lancé mes flèches contre deux chefs illustres, Diomède et Ménélas ; je les ai frappés tous deux
; j'ai vu couler leur sang, et pourtant je n'ai fait que les irriter
davantage ! Oui, ce fut sous de tristes auspices que je pris mon arc
courbé attaché à la muraille et que je conduisis les Troyens
vers Ilion par amour pour le vaillant Hector ! Si jamais je suis de
retour ; si jamais je revois de mes yeux ma patrie, mon épouse
et mon palais, je consens qu'un bras ennemi me tranche la tête
si je ne livre aux flammes ardentes cet arc brisé par mes
mains qui est devenu pour moi un inutile compagnon!»
Énée, chef des Troyens, lui répond aussitôt :
« Ne parle pas ainsi, valeureux fils de Lycaon ; non, nous ne pourrons
point abattre ce guerrier avant que tous deux, montés sur un
même char, nous l'ayons attaqué avec nos propres armes. Viens, Pandarus,
place-toi sur mon char et vois quels sont les coursiers
de Troie, comme ils savent rapidement courir dans la plaine pour
atteindre l'ennemi ou pour lui échapper par mille détours.
Si Jupiter veut encore combler de gloire Diomède, fils de Tydée,
nos chevaux nous ramèneront vivants dans nos remparts. Prends donc le
fouet et les rênes brillantes, moi je monterai sur le char pour
combattre notre ennemi ; ou bien tu attaqueras Diomède, et moi je
guiderai mes rapides coursiers.»
Le fils illustre de Lycaon prend la parole et dit :
« Énée, prends toi-même les rênes et conduis les chevaux,
qui, soumis à leur guide accoutumé, entraîneront plus aisément le
char, si jamais nous fuyons devant le fils de Tydée. Agissons ainsi,
de peur que, saisis de
crainte, les chevaux ne s'égarent dans leurs courses, et que, n'écoutant
plus ta voix, ils ne
veuillent point nous emporter loin du combat. Diomède s'élancerait
alors sur notre char, nous immolerait tous deux et te ravirait tes
superbes coursiers(10). Conduis donc toi-même ton char ; et quand
notre ennemi nous attaquera, c'est moi qui le recevrai avec ma lance
aiguë.»
A ces mots ils montent tous deux sur le char peint de diverses
couleurs ; et comme ils brûlent de combattre, ils dirigent contre le
fougueux Diomède leurs chevaux agiles. — Le descendant de Capanée,
Sthénélus, qui les aperçoit, adresse aussitôt ces paroles au fils
de Tydée :
« Diomède, ami cher à mon cœur, je vois deux héros
vaillants, d'une force immense, et qui veulent lutter avec toi. L'un,
maniant l'arc avec adresse, est Pandarus, fils illustre de Lycaon ;
l'autre, qui s'appelle Énée, se glorifie d'être le fils du
magnanime Anchise et de la déesse Vénus. Viens, fuyons sur ton char
; car je crains qu'en te précipitant aux premiers rangs tu ne perdes
la vie. »
Le valeureux Diomède, lançant sur lui des regards courroucés,
s'écrie
« Cesse de m'exhorter à
abandonner ces lieux : tu ne me persuaderas
pas. Mes ancêtres ne m'ont point appris à fuir les combats(11)
ni à trembler devant les ennemis, et mes forces ne m'ont
point encore abandonné. Je dédaigne de monter sur mon char:
tel que je suis, je marcherai à la rencontre des Troyens, car
la puissante Minerve me défend de les craindre. Crois-moi, leurs
rapides coursiers ne les ramèneront plus loin de nous : ce sera
même beaucoup si l'un de ces guerriers peut échapper à la mort. Retiens
bien encore ce que je vais te dire : si Minerve, fertile en
sages conseils, veut m'accorder la gloire d'exterminer mes ennemis,
arrête ici tes chevaux agiles ; lie les rênes au cercle(12) placé
devant le char ; élance toi sur les coursiers d'Énée et
conduis-les loin des Troyens, chez les Achéens aux belles cnémides ; car ces coursiers sont issus de ceux que Tros reçut autrefois
de Jupiter pour l'enlèvement de son fils Ganymède : ils sont les
plus vigoureux de tous ceux qu'éclairent les splendides rayons de
l'aurore et du soleil. Anchise, roi des hommes, les enleva de cette
race ; puis
il unit secrètement ses belles cavales aux coursiers de Laomédon,
et il en obtint six rejetons : quatre sont nourris
avec soin dans ses étables, et les deux autres ont été donnés
à son fils Énée. Ces deux coursiers jettent toujours la terreur dans
les rangs ennemis(13), et, certes, nous acquerrons une gloire immense en nous en emparant.
C'est ainsi qu'ils parlent entre eux. Cependant les deux
Troyens s'avancent
en excitant leurs coursiers rapides. Le fils illustre de Lycaon,
prenant le premier la parole, dit à Diomède :
« Vaillant et glorieux fils de Tydée, comme mon trait rapide,
flèche
cruelle, ne t'a point encore frappé, je vais maintenant essayer de t'atteindre avec mon javelot.»
Il dit,
et, agitant
sa longue lance dans l'espace,
il la jette et
frappe le bouclier de Diomède : la pointe d'airain,
en volant avec
rapidité, s'enfonce dans la cuirasse du fils de Tydée. Aussitôt
Pandarus s'écrie d'une voix formidable :
« Diomède, je t'ai percé les flancs, et je pense que tu ne
survivras
pas long-temps à cette blessure. Diomède, tu viens de me combler
de gloire ! »
Le puissant fils de Tydée lui répond sans effroi :
« Tu te trompes, Pandarus : tu ne m'as point atteint. Maintenant,
Troyens, vous ne cesserez pas de combattre avant que
l'un de vous, en tombant privé de la vie,
n'ait rassasié de son sang le
terrible dieu de la guerre! »
Il dit, et lance un
trait rapide que Minerve dirige vers les narines de Pandarus, près de
ses yeux, et qui lui brise ses dents
éclatantes de blancheur : l'airain cruel déchire la langue du Troyen
à sa racine, et la pointe ressort au-dessous du menton. Pandarus
tombe du char, et autour de lui retentissent ses armes mobiles
et brillantes ; les coursiers reculent épouvantés, et la vie abandonne
le héros.
Énée, armé de son bouclier et de son long javelot, s'élance
pour empêcher que les Achéens ne
s'emparent du corps de Pandarus
; il entoure le cadavre comme un lion plein de confiance en sa
force ; il étend sa lance en avant et couvre le héros de son
bouclier arrondi(14) ; il pousse d'horribles clameurs et se tient
prêt à renverser quiconque osera l'attaquer. Le fils de Tydée
s'empare d'une pierre si grande et si lourde que deux hommes, tels
qu'ils sont de nos jours, ne pourraient en soulever
de semblables ; il l'agite seul et sans effort, la lance contre Énée,
le frappe à l'endroit où la hanche s'emboîte à la cuisse, et que
l'on nomme cotyle : l'os est brisé, les deux nerfs sont rompus
et la peau est déchirée par la pierre raboteuse. Le vaillant
Énée
tombe sur ses genoux, sa main s'appuie sur la terre, et une nuit
sombre enveloppe ses yeux.
Énée, le roi des hommes, aurait alors péri s'il n'eût pas été
vu par la fille de Jupiter, Vénus, sa mère, qui le conçut du noble
Anchise. Elle entoure de ses bras blancs son fils chéri ; elle le
cache dans les plis de son voile brillant, et elle en fait un rempart
contre les traits ennemis. Vénus craint qu'un des Grecs, en
lançant une flèche d'airain dans la poitrine d'Énée, n'arrache la
vie à son cher fils.
Ainsi la déesse préserve Énée des fureurs de la guerre. — Cependant
Sthénélus, fils de Capanée, n'a point oublié les ordres que
lui a donnés Diomède à la voix sonore. Il arrête ses coursiers loin
du tumulte des combats, attache les rênes brillantes au cercle
placé devant le char, et, se précipitant sur les chevaux à la belle
crinière du vaillant fils de Vénus, il les enlève de l'armée
des Troyens et les amène dans les rangs des Achéens aux belles
cnémides. Sthénélus confie ces coursiers à Déipyle, son ami chéri
(qu'il honorait le plus entre tous ses autres compagnons,
parce que les pensées de ce héros s'accordaient avec les siennes
(15) ), pour
qu'il les conduise auprès des navires. Sthénélus remonte dans son
char, saisit les rênes brillantes et,
plein d'ardeur, il excite ses
vigoureux coursiers à rejoindre l'intrépide fils de Tydée. — Diomède,
armé de l'airain cruel, poursuit la protectrice d'Énée: il
sait que Vénus n'est point une divinité guerrière, ni une de ces déesses
qui parcourent en souveraines les champs de bataille, telles que
Minerve ou Bellone, fléau des cités. Quand le magnanime fils de
Tydée, en poursuivant Vénus, est sur le point de l'atteindre,
il étend sa lance avec rapidité et blesse légèrement la main délicate
de la déesse ; la pointe, en passant à travers le divin voile
tissu par les Grâces, déchire la peau près du poignet : tout
à coup s'échappe un sang immortel, fluide limpide qui coule dans les
veines des dieux fortunés, de ces êtres célestes qui ne se nourrissent
point des doux fruits de la terre et que le vin aux sombres couleurs n'a jamais désaltérés ; car les habitants de l'Olympe n'ayant
point un sang comme les faibles humains, sont appelés immortels.
Vénus remplit l'air de ses cris et laisse tomber son fils Énée
; Apollon le prend entre ses bras et le couvre d'un épais nuage,
de peur que les cruels enfants de Danaüs ne le frappent de
leurs flèches et ne lui arrachent la vie. Alors Diomède à la voix sonore s'écrie avec force :
« Fille de Jupiter, fuis loin des terribles combats des hommes !
N'est-ce
donc pas assez pour toi de tromper les faibles femmes ? Si
jamais tu parais sur les champs de bataille, je veux que tu frémisses d'épouvanté en entendant prononcer le seul nom de la guerre
! »
Il
dit,
et Vénus, éperdue, s'enfuit en
proie à de vives souffrances.
La légère Iris(16) retire de la foule la déesse dévorée par la douleur,
Vénus, dont le teint devient en peu d'instants noir et livide.
La
mère d'Énée rencontre à la gauche des combattants le fougueux dieu
de la guerre : sa lance et ses chevaux agiles sont enveloppés dans un
nuage. La déesse tombe aux genoux de son frère chéri et le supplie
en ces termes de lui confier ses rapides coursiers aux bandelettes
d'or :
« Mon frère bien-aimé, lui dit-elle, prends soin de mes
jours et donne-moi tes coursiers afin que je retourne dans l'Olympe, séjour
des immortels. Je souffre d'une blessure que m'a faite un des
habitants de la terre, Diomède, qui maintenant, dans sa fureur,
combattrait même avec Jupiter, le père des dieux et des hommes
! »
Mars lui donne aussitôt ses coursiers magnifiques. La déesse
monte sur le char, et son cœur est rempli de tristesse ; Iris se
place à ses côtés, saisit les rênes brillantes, et du fouet elle
excite les
chevaux, qui s'envolent avec ardeur. Vénus et Iris entrent dans le
vaste Olympe, demeure des dieux fortunés. Iris, plus légère que le
vent, arrête les coursiers, les détache du char, et
leur donne une nourriture divine. La belle Vénus tombe aux pieds
de sa mère, Dionée, qui entoure de ses bras sa fille chérie,
la caresse de la main et lui dit :
« 0 ma fille, qui donc, parmi les habitants des cieux, a osé
te traiter
avec tant d'outrage et te punir comme si tu avilis commis quelque
crime aux yeux de tous ? »
Vénus au doux sourire lui répond aussitôt :
« C'est le fils de Tydée, le fier Diomède, qui m'a blessée
parce que
j'arrachais aux périls des combats mon Énée, qui,
de tous les
mortels, est celui que je chéris le plus. Ma mère, ce ne sont, pas
seulement les Troyens et les Grecs qui combattent ensemble ; mais, vous le voyez, les fils de Danaüs osent encore s'attaquer aux
divinités immortelles ! »
Dionée, la plus noble des déesses, lui répond en ces termes:
« Prends courage, ô ma fille, et, quelles que soient tes peines, supporte-les
avec
patience. Les immortels habitants
de l'Olympe ont beaucoup
souffert pour les humains, en se faisant les uns aux autres
des maux cruels. — Mars supporta des outrages sans nombre,
lorsque Otus et le vaillant Éphialte, tous d'eux fils d'Aloé, le
chargèrent de chaînes pesantes et le laissèrent pendant treize mois dans un cachot d'airain ; Mars y aurait peut-être perdu la vie si
leur belle-mère Eribée n'eût averti Mercure : il délivra
furtivement le redoutable dieu de la guerre, qui se consumait de
tristesse et succombait sous le poids de ses pénibles liens. — Junon
supporta aussi de nombreuses douleurs lorsque le terrible fils
d'Amphitryon lui enfonça une flèche à trois dards dans la mamelle
droite, et lui fit éprouver les plus cruelles souffrances. —
Pluton, si redoutable entre tous les immortels, reçut un trait rapide de ce même héros, issu de Jupiter ; il fut blessé lorsqu'il se
tenait au milieu des ombres, près des portes de l'enfer, et eut beaucoup
à souffrir. Pluton, vaincu par la douleur et le cœur rempli de
tristesse, se rendit dans le vaste Olympe où règne le puissant
Jupiter : la flèche étant entrée dans son épaule lui faisait endurer
mille tourments. Péon répandit sur la blessure du roi des sombres
demeures un baume salutaire et guérit aussitôt le divin Pluton
qui n'est pas un faible mortel. — Ah ! combien il est audacieux et sacrilège, celui qui commet avec indifférence un tel crime et
lance ses traits sur les dieux habitants de l'Olympe ! Ma fille, c'est
Minerve aux yeux d'azur qui a suscité contre toi le fougueux Diomède.
Ce héros insensé ne sait point que l'homme qui combat les
immortels ne vit pas de longues années sur la terre ; qu'il ne voit
pas, à sou retour des batailles, de jeunes enfants venir sur ses
genoux bégayer le doux nom de père !... — Qu'il craigne donc,
ce valeureux fils de Tydée, qu'un autre plus brave que toi ne
vienne lutter avec lui ! Qu'il craigne qu'un jour sa noble épouse, Égialée,
fille d'Adraste, arrachée tout en pleurs au sommeil, ne réveille ses
esclaves, en regrettant vainement son époux chéri, Diomède,
dompteur des coursiers et le plus illustre d'entre les Achéens
! »
En prononçant ces paroles, Dionée étanche de ses deux mains le
fluide limpide qui coulait de la blessure de son auguste fille. Bientôt
la main de Vénus est guérie, et ses vives douleurs sont apaisées.
Alors Minerve et Junon essaient, par des propos mordants,
d'irriter le père des hommes et des dieux ; Pallas prend la première
la parole et dit :
« Puissant Jupiter, ne t'offense pas de ce que je vais te
dire. Vénus
vient sans doute d'engager quelques jeunes Achéennes à
suivre un des Troyens qu'elle chérit si vivement aujourd'hui ; et en
caressant cette femme qui était couverte d'un voile magnifique,
l'agrafe d'or lui aura déchiré sa main délicate. »
A ces mots le père des hommes et des dieux se met à sourire ;
puis s'adressant à la blonde Vénus, il lui dit :
« Ma fille, tu n'es pas chargée des travaux de la guerre. Occupe-toi
plutôt des doux soins de l'hyménée, et laisse au fougueux
Mars et à la triomphante Minerve l'œuvre destructive des combats.
»
Ainsi s'entretiennent les dieux immortels. — Cependant Diomède
à
la voix, sonore se précipite sur Énée, sachant bien qu'Apollon avait
ses mains étendues sur le fils de Vénus ; mais, sans respect pour
cette divinité, il veut immoler son ennemi et lui ravir ses armes
brillantes. Trois fois il s'élance impatient de l'étendre à ses
pieds, et trois fois Apollon repousse l'éclatant bouclier de Diomède. Mais lorsque pour la quatrième fois le héros, semblable
à un immortel, s'élance sur Énée, Apollon, qui lance au loin les traits, lui dit d'une voix menaçante :
« Fils de Tydée, est-ce que tu songes sérieusement à accomplir
tes projets ? Recule, insensé, et ne prétends pas t'égaler aux
dieux ; car la race des immortels n'est point semblable à celle
des faibles humains qui rampent sur la terre ! »
Il dit, et Diomède, craignant le courroux du dieu qui lance au
loin les traits, recule de quelques pas. — Apollon emporte Énée
et le dépose dans la sainte Pergame, à l'ombre du temple qui
lui est consacré. Latone et Diane le reçoivent au fond du sanctuaire, lui prodiguent tous les soins et le comblent d'honneurs.
Apollon, le dieu à l'arc d'argent, crée un fantôme en tout semblable au vaillant Énée,
et pour la taille et pour l'armure : autour
de cette vaine image les Troyens et les nobles Achéens frappent à
l'envi les écus légers et les boucliers(17) arrondis dont ils se
couvrent la poitrine. Alors Phœbus parle en ces termes au
terrible dieu de la guerre :
« Mars, Mars, fléau clés hommes, dieu toujours couvert de
sang, destructeur des remparts, n'éloigneras-tu pas des champs de
bataille le fils de Tydée, lui qui oserait même engager un combat
avec Jupiter, le père des hommes et des dieux ? Diomède a déjà
blessé de sa lance la main de la belle Vénus, et,
semblable à une divinité,
il vient de fondre sur moi-même avec impétuosité,
avec fureur. »
Après avoir prononcé ces paroles, il se place sur le sommet
de Pergame.
Soudain le funeste dieu de la guerre excite les phalanges des
Troyens ; puis, sous les traits d'Acamas, chef des Thraces, il
dit aux fils de Priam :
« Fils de Priam, de ce roi descendant de Jupiter, permettrez-vous
donc aux Achéens de massacrer votre peuple ? Voulez-vous qu'ils
viennent combattre autour des portes superbes de votre ville
? Maintenant il est tombé dans la poussière, celui que nous honorions
tous à l'égal du divin
Hector, Énée, fils du magnanime
Anchise. Eh bien ! enlevons du champ de bataille le corps de ce
vaillant compagnon ! »
Ces paroles raniment la force et l'ardeur de chaque Troyen.
Alors Sarpédon adresse au noble Hector ces cruels reproches:
« Hector, qu'est devenu ton courage ? Ne disais-tu pas jadis que
sans guerriers et sans auxiliaires tu défendrais la ville, seul avec
tes frères et les époux de tes sœurs ? A présent je ne vois, je
ne découvre aucun de ceux qui devaient te porter secours : ils tremblent
tous comme des chiens timides autour d'un lion, tandis
que nous, qui ne sommes que des alliés, nous combattons avec
vaillance ! Moi, je ne suis qu'un auxiliaire, et cependant pour secourir les Troyens je suis venu d'une contrée lointaine ; j'ai
quitté la Lycie arrosée par le fleuve sinueux du Xanthe ; j'ai
quitté une épouse chérie et un jeune et faible enfant ; j'ai
abandonné des biens
immenses, de riches possessions, et enfin tout ce que le pauvre
peut désirer ! J'excite l'ardeur de mes guerriers,
et moi-même je brûle de combattre ce vaillant héros(18) : pourtant
je n'ai rien ici que les Achéens puissent me ravir ! Hector, tu
restes immobile et tu n'ordonnes point à tes soldats de résister à
nos ennemis et de défendre leurs épouses ! Craignez tous, ô Troyens
! qu'enveloppés dans un vaste filet vous ne deveniez la
proie et la conquête des Grecs, qui ne manqueront point alors de
détruire votre populeuse cité ! Hector, songes-y jour et nuit ; supplie
les chefs des guerriers venus des contrées lointaines ; fais
qu'ils ne cessent point de combattre et qu'ils t'épargnent leurs
reproches amers(19)! »
Ainsi
parle Sarpédon,
et son discours blesse le cœur d'Hector.
Tout à coup le héros
Troyen saute de son char,
revêtu de ses armes
; il agite ses longs javelots, parcourt les rangs des guerriers,
exhorte ses compagnons, et engage de nouveaux et terribles combats.
Les Troyens se retournent et font face aux Achéens, qui les attendent
serrés les uns près des autres et sans s'ébranler. Comme le vent,
dans une aire sacrée, emporte la
poussière du blé lorsque la blonde Gérés sépare, au
souffle du zéphyr, le grain de sa
légère enveloppe et que la terre blanchit autour des moissonneurs
: de même les Achéens sont couverts d'une blanche poussière
qui s'élève sous les pas des chevaux jusqu'aux voûtes célestes(20).
Les coursiers, excités par le fouet des cavaliers,
revolent
au combat, et les combattants présentent à l'ennemi leurs bras
vigoureux. Le terrible Mars, pour porter secours aux Troyens, couvre
le champ de bataille d'un nuage sombre ; il va dans tous les rangs et ranime le courage des défenseurs de Troie, ainsi que cela
lui avait été ordonné par le divin Apollon, dès qu'il vit s'éloigner
Minerve, la protectrice des Achéens.
Apollon fait sortir Énée de son temple magnifique(21) et dépose
dans le cœur du héros une force nouvelle. Le vaillant Énée reparaît
au milieu de ses compagnons, et ceux-ci se réjouissent en le
voyant revenir plein de santé, brûlant d'une nouvelle ardeur ; mais
cependant ils ne l'interrogent point,
car ils sont livrés au
combat que leur commandent Apollon à l'arc d'argent, Mars,
le fléau des hommes, et l'insatiable Discorde.
Les deux Ajax, Ulysse et Diomède encouragent les fils de Danaüs.
Les Grecs, sans craindre les efforts et les clameurs des Troyens,
restent immobiles. Comme ces nuages que dans un temps calme le fils de
Saturne arrête suspendus au sommet des montagnes, lorsque dorment et
Borée et les vents impétueux dont le souffle retentissant dissipe
les nuées ténébreuses : ainsi les Danaens attendent les Troyens de
pied ferme et ne songent point à fuir.
Le fils d'Atrée marche parmi les rangs des Grecs et donne ces ordres
à ses guerriers :
« Amis, leur crie-t-il, soyez hommes ; montrez enfin un
courage intrépide et respectez-vous les uns les autres dans ces mêlées
sanglantes ! Lorsque les guerriers s'honorent mutuellement, ils échappent
en plus grand nombre au trépas ; mais ceux qui fuient honteusement,
ne peuvent acquérir ni gloire ni salut ! »
En parlant ainsi, il
lance son rapide javelot et frappe l'un
des compagnons d'Énée,
Déicoon, fils de Pergase (les
Troyens honoraient Déicoon à l'égal des enfants de Priam, car
toujours plein d'ardeur ce héros combattait aux premiers rangs ).
Agamemnon traverse le bouclier de son ennemi : l'airain déchire le baudrier et s'enfonce dans les entrailles de Déicoon.
Le compagnon d'Enée tombe avec fracas, et ses armes retentissent
autour de lui.
Énée
immole deux guerriers illustres, Orsiloque et Chréton, ils de Diodes.
Leur père, comblé de richesses, habitait la superbe ville
de Phères : — il descendait du fleuve Alphée, qui roule ses eaux
abondantes à travers les campagnes de Pylos ; de l'Alphée naquit
Orsiloque, roi d'un peuple nombreux; Orsiloque engendra le
magnanime Dioclès, qui eut pour descendants ces deux jumeaux, savants
dans l'art des combats. —
Orsiloque et Chréton, encore adolescents, montèrent sur de sombres
navires et accompagnèrent les
Grecs jusqu'à Troie, pour venger l'honneur de Ménélas et soutenir la
gloire d'Agamemnon ; mais dans ces plaines ennemies, ils furent tous
deux enveloppés par les ténèbres de la mort ! De même qu'au
sommet
d'une montagne, deux lions, nourris par leur mère dans l'épaisseur
des forêts profondes, ravissent les bœufs, les grasses brebis
des pasteurs, et ravagent les étables jusqu'à ce qu'eux-mêmes
périssent sous les coups des hommes armés d'airain : de
même
ces deux héros, frappés par le fils de Vénus, tombent ainsi que
des sapins aux gigantesques cimes.
En les voyant tomber, Ménélas, chéri du dieu de la guerre, se
sent ému de pitié. Soudain il vole à la tête des combattants, et,
couvert de l'étincelant airain, il agite sa longue lance. Mars lui
inspire cette nouvelle ardeur, parce qu'il pense que le fils d'Atrée
va mordre la poussière, terrassé par le bras du courageux
Énée. Aussitôt qu'Antiloque, fils de Nestor, aperçoit Ménélas,
il s'élance aux premiers rang : il craint que le pasteur
des peuples en succombant ne prive les Grecs du fruit de leurs travaux.
Énée et Ménélas, impatients de combattre, tiennent étendus l'un vers l'autre leurs glaives aigus ; mais Antiloque vient se
placer auprès du fils d'Atrée. Énée, bien que rempli d'ardeur et
de courage, ne résiste point dès qu'il voit ces deux guerriers réunis.
— Antiloque et Ménélas entraînent les corps de Chréton et
d'Orsiloque vers l'armée des Grecs ; ils confient ces tristes dépouilles
à leurs compagnons et retournent combattre aux premiers rangs.
Alors succombe Pylémène, semblable au dieu Mars,
Pylémène chef des magnanimes
Paphlagoniens aux larges boucliers. Ménélas,
illustre par les exploits de sa lance, atteint à la poitrine, près
de l'épaule, ce guerrier debout sur son char. Antiloque lance une
pierre au courageux Mydon, serviteur de Pylémène, et
fils d'Atymnius, au moment où Mydon détournait les chevaux, et
l'atteint au milieu du bras : soudain les rênes brillantes et garnies
d'ivoire s'échappent de ses mains et tombent dans la poussière.
Antiloque se précipite sur son ennemi, le frappe de son glaive et lui
brise les tempes. Mydon, respirant à peine, tombe de son char
magnifique, le front en avant : son crâne et ses épaules entrent
dans la terre, et le guerrier troyen reste ainsi (car
le sable était profond) jusqu'à ce que les chevaux en s'élançant dans
la plaine aient jeté son corps sur le sol. Antiloque anime les coursiers avec le fouet et les dirige vers le camp des Achéens.
Hector, apercevant dans les rangs Antiloque et Ménélas, se
jette sur eux en poussant de grands cris ; les épaisses phalanges des
Troyens suivent ce guerrier : Mars et la sanglante Bellone marchent à
leur tête. Bellone sème l'épouvante et l'horreur à travers les
batailles , et Mars agite dans sa main sa redoutable lance : tantôt
le dieu de la guerre précède Hector, tantôt il suit ses pas.
Diomède, à son aspect, est saisi d'une subite terreur. Tel un
voyageur, hésitant sur le chemin qu'il doit suivre, traverse une
vaste plaine, s'arrête sur les bords d'un fleuve rapide qui se précipite
dans la mer, et recule aussitôt en contemplant l'écume bouillonnante
du fleuve : tel recule le fils de Tydée ; puis il dit
à ses
soldats :
« 0 mes amis ! cet Hector que nous admirions tous et que nous
regardions comme un héros plein de courage et de valeur, est
maintenant préservé par un dieu qui se tous sans cesse à ses côtés
: Mars est près de lui sous les traits d'un mortel. Eh bien !
recalons tous, le front tourné vers l'ennemi, et n'ayons pas
l'audace de nous attaquer aux dieux ! »
Les Troyens s'approchent dos Grecs, et le courageux Hector
renverse deux vaillants héros, Anchiale et Ménesthée, montés sur
un même char.
Ajax, fils de Télamon, est ému en les voyant mordre la poussière
; il s'avance vers eux, lance un trait
brillant et atteint le fils de
Pelage, Amphius, qui habitait la ville de Pesos et y possédait
des trésors et de vastes champs (la
destinée seule voulut qu'il
vînt au secours de Priam et des fils de Priam).
Ajax traverse le baudrier du Troyen et lui enfonce son javelot dans les entrailles :
Amphius, frappé mortellement, tombe avec fracas. Le fils de Télamon
accourt aussitôt pour dépouiller Amphius de ses armes ; mais les
Troyens font pleuvoir sur Ajax une grêle de traits aigus et étincelants
qui couvrent tout son bouclier. Ajax, posant alors son pied sur
le cadavre du fils de Pelage, arrache sa lance d'airain
; mais il ne peut dépouiller de leurs armes les épaules d'Amphius,
tant les traits l'assaillent de toutes parts. Ajax, craignant d'être enveloppé par les guerriers troyens, qui, nombreux et vaillants, le
pressent de tous côtés, recule ; et malgré sa haute stature, sa force et sa noblesse, ses ennemis le repoussent loin d'eux.
Ajax est enfin contraint de
céder au nombre des défenseurs d'Ilion.
Tandis que ces guerriers se livrent à toutes les fureurs de la
guerre, la cruelle destinée pousse le grand et valeureux Tlépolème,
fils d'Hercule, contre le divin Sarpédon. Quand le fils et le
petit-fils de Jupiter sont en présence, Tlépolème prend le premier
la parole et dit :
« Sarpédon, conseiller des Lyciens, qui donc te force à
venir trembler ici, mortel inhabile aux travaux de la guerre ? Certes,
ils mentent, ceux qui disent que tu
descends de la race de Jupiter, du
dieu qui tient l'égide! Sarpédon, tu es bien inférieur aux héros qui,
dans les temps passés, naquirent de ce dieu
puissant ; tu ne ressembles point
à mon valeureux père, Hercule au cœur de lion ! Hercule vint en ces lieux pour enlever les coursiers de Laomédon,
et, avec six navires montés par un petit nombre de guerriers,
il ravagea la ville d'Ilion
et rendit ses rues solitaires.
Toi, Sarpédon, tu es un lâche
; tes troupes dépérissent, et, quoique tu sois
venu de la Lycie, tune
seras jamais
d'un grand secours aux Troyens
: non, quand même tu aurais encore plus de vaillance ! Mais j'espère
que, terrassé par mon bras,
tu vas bientôt toucher aux
portes des enfers !»
Sarpédon, le chef des Lyciens, lui répond aussitôt :
« Oui,
sans doute, Hercule ravagea la
ville sacrée d'Ilion par
la faute du noble Laomédon, qui ne répondit aux bienfaits de
ce divin héros
que par des paroles outrageantes, et qui lui refusa les coursiers
qu'Hercule venait chercher d'un pays lointain. Mais toi, Tlépolème,
tu recevras la mort de ma main ; tu seras vaincu par ma lance, et tu
me combleras de gloire en donnant ton âme à
Pluton ! »
A ces mots Tlépolème lève son javelot et le lance ; au même
instant les traits des deux guerriers partent de leurs mains. Sarpédon
atteint son ennemi et lui perce le cou : les ténèbres de la mort
enveloppent ses yeux. Mais le javelot rapide de Tlépolème
a pénétré jusqu'à l'os dans la cuisse gauche de Sarpédon
et y est resté fixé ; cependant Jupiter, son père,
le préserve de la mort. Les nobles
compagnons de Sarpédon l'emportent loin du combat : le long
javelot qu'il traîne après lui
le fatigue cruellement. Ses
vaillants amis, empressés de le mettre sur un char, ne songent point
à extraire de sa cuisse le trait cruel, tant ils sont occupés de
le secourir.
De leur côté les Grecs aux belles cnémides enlèvent Tlépolème loin de la mêlée. Le divin
Ulysse aperçoit ce héros, et son âme est remplie de fureur : il se
demande s'il poursuivra le fils de Jupiter,
ou s'il arrachera la vie à de nouveaux Lyciens. Mais il n'était
point dans la destinée du magnanime Ulysse d'immoler avec l'airain
aigu le vaillant fils de Jupiter ; car Minerve tourna aussitôt
l'ardeur du roi d'Ithaque contre la foule des guerriers de la Lycie.
Ulysse frappe Céranus, Alastor, Chromios, Alcandre, Halios, Noémon
et Prytanis ; il aurait sans doute immolé un bien plus grand nombre
de Troyens si Hector au casque étincelant ne l'eût aperçu. Le fils
de Priam, couvert de sa brillante armure d'airain, s'élance
aux premiers rangs et répand la terreur parmi
les Grecs. Sarpédon, en voyant approcher Hector, se réjouit, et
laisse échapper ces tristes paroles :
« Fils de Priam, ne permets pas que je devienne la
proie des Grecs.
Viens, viens me secourir ! Je consens que la vie m'abandonne
dans votre chère cité, puisque je ne dois plus revoir ma douce
patrie, mon épouse bien-aimée et mon faible enfant !»
Ainsi parle Sarpédon ; mais Hector passe sans lui répondre, tant
il brûle de repousser les Grecs et d'arracher la vie à un grand nombre
d'entre eux.
— Les compagnons du divin Sarpédon le placent sous le hêtre
magnifique du dieu qui tient l'égide ; Pélagon,
son ami fidèle, arrache de la cuisse du héros le javelot de frêne
: la vie semble l'abandonner, et un
nuage sombre se répand sur
ses yeux... Mais bientôt il reprend ses sens, et le souffle de Borée
ranime son esprit défaillant.
Les Grecs, poursuivis par le dieu de la guerre et par Hector, ne
prennent point la fuite vers leurs sombres navires ; ils ne s'avancent pas non plus dans la mêlée ; mais ils reculent lentement,
car ils savent maintenant que le terrible Mars combat pour les
Troyens.
Quel fut le premier et quel fut le dernier de ceux qu'immolèrent
Hector, fils de Priam, et le sanglant dieu de la guerre ?
D'abord, le divin
Teuthras ; puis Oreste, dompteur de coursiers ; Thréchos d’Etolie, et illustre par les exploits de sa lance ; OEnomaüs,
Hélénus, fils d'OEnops, et Oresbius à la ceinture étincelante(22).
(Oresbius portait tous ses soins aux richesses ; il vivait
dans Hyla,
ville voisine du
lac Céphise : autour de lui
demeurait l'opulent peuple delà
Béotie.)
Junon aux bras blancs, qui voit du haut des cieux
les Grecs expirer dans ce cruel combat, adresse à Minerve ces paroles
rapides :
« Fille indomptable du dieu qui tient l'égide, nous aurions
vainement promis à Ménélas qu'il retournerait dans sa patrie après
avoir détruit la forte ville de Troie, si nous permettions au dieu
de la guerre de se livrer à ses fureurs. Songeons donc maintenant à porter secours aux Achéens.»
Elle dit, et Minerve,
la déesse aux yeux d'azur,
obéit avec joie. La vénérable Junon, fille de Saturne, équipe les
coursiers parés de bandelettes d'or. Hébé place aux deux côtés du
char des roues arrondies, en airain, et à huit rayons, qui tournent sur
un essieu de fer : le cercle(23) des roues est d'un or impérissable ; les
bandes extérieures(24) sont en airain,
parfaitement jointes et admirables à voir ; les deux moyeux sont
ronds et en argent. Le siège(25), formé de deux demi-cercles(26), est attaché
par des liens d'or
et d'argent
; le timon est aussi d'argent, et à son extrémité la
déesse lie un joug superbe où passent des courroies(27) brillantes d'or.
Junon, ne respirant que le tumulte des combats, place sous le joug du char les coursiers aux pieds agiles.
Minerve, la fille du puissant Jupiter, retirée dans le palais de
son redoutable père, laisse couler à ses pieds le magnifique voile
aux vives couleurs qu'elle-même avait tissu de ses belles mains
; elle revêt la cuirasse du dieu qui rassemble au loin les nuages
; elle s'arme pour les combats meurtriers, source de tant de
larmes, et elle jette sur ses épaules la formidable égide que la terreur
environne de toutes parts : sur cette égide sont la Discorde, la
Force, la Poursuite et la tête effroyable et terrible de Gorgone, monstre d'un horrible aspect, prodige de Jupiter. Pallas pose
sur son front un immense casque d'or orné de quatre aigrettes un
casque qui pourrait protéger les fantassins de cent villes réunies ;
elle monte sur son char étincelant, saisit la forte lance avec
laquelle elle renverse les
phalanges des guerriers qui ont excité sa
colère. Junon frappe du fouet les coursiers agiles. Aussitôt s'ouvrent
avec fracas les portes du ciel confiées aux divines Heures,
gardiennes du vaste Olympe : ce sont elles qui avec un épais nuage
ouvrent et ferment les portes du céleste séjour. Les déesses
font sortir du divin empire leurs chevaux dociles, et bientôt elles
trouvent le fils de Saturne assis à l'écart, loin des autres immortels,
sur le sommet le plus élevé de l'Olympe. Junon aux blanches épaules
excite les coursiers ; puis s'adressant au grand Jupiter, elle
lui dit :
« Père des hommes et des dieux ! n'es-tu pas indigné des horribles
forfaits de Mars, qui vient d'exterminer témérairement et contre
toute justice les nombreuses phalanges des guerriers achéens
? Je suis profondément affligée de cette sanglante injustice
; mais Vénus et Apollon s'en réjouissent en silence : car
ce sont
eux qui ont excité le dieu de la guerre, qui ne connaît et
respecte aucune loi ! Puissant Jupiter, m'en voudrais-tu si je frappais Mars avec violence et si je le chassais loin du combat ? »
Le dieu qui rassemble au loin les nuages lui répond aussitôt
:
Va, Junon ; envoie contre Mars la triomphante Minerve, cette déesse
qui lui cause de si cruelles douleurs. »
A ces mots, Junon n'hésite plus, elle fouette les coursiers,
qui soudain
volent avec ardeur entre la terre et le ciel parsemé d'étoiles.
— Autant qu'un mortel assis au sommet d'un roc élevé découvre
d'espace dans les airs lorsqu'il jette ses regards sur la mer
sombre : autant les célestes coursiers aux pas retentissants en
franchissent d'un saut. — Dès que les deux déesses sont devant Ilion,
sur les rivages où le Simoïs et le Scamandre confondent leurs belles eaux, Junon arrête ses rapides coursiers, les détache du
char, les enveloppe d'un épais nuage ; et le Simoïs leur donne l'ambroisie
pour pâture.
Minerve
et Junon, imitant le pas des timides colombes, s'avancent
dans la plaine : elles brûlent de secourir les vaillants
Achéens. Bientôt elles arrivent à l'endroit où les plus braves des
Grecs, semblables à des lions dévorants ou à des sangliers indomptables,
sont rassemblés autour du courageux Diomède. Junon,
sous les traits du magnanime Stentor, dont la voix retentissante
est plus forte que celles de cinquante guerriers réunis, s'arrête
en ces lieux et s'écrie :
« Argiens, honte et infamie sur vous, sur vous tous qui êtes lâches
quoique vous soyez beaux ! Tant que le divin Achille parut dans les
combats, les Troyens n'osèrent jamais franchir les portes dardanéennes
: ils redoutaient tous la formidable lance de ce héros. Mais
maintenant vos ennemis, loin de leurs remparts, vous atteignent
jusqu'auprès de vos navires ! »
Ces paroles raniment le courage et l'ardeur de chaque guerrier.
— Minerve aux yeux d'azur accourt vers Diomède, qui, près de
son char, soulageait par la fraîcheur de l'onde la blessure que lui
avait faite le trait de Pandarus ; la sueur l'accablait sous la large courroie de son bouclier, elle abattait son courage ; son bras était
harassé de fatigue, et le héros
soulevait avec peine la courroie
pour étancher son sang noir. Quand
la déesse est près du joug des
coursiers, elle dit à Diomède :
« Certes, Tydée donna le jour à un fils bien peu semblable
à lui!
Tydée était, il est vrai, d'une petite taille ;
mais il était un vaillant
guerrier ! — Lorsque ton père fut envoyé à Thèbes, par
les Grecs, pour porter un message aux nombreux enfants de Cadmus,
je ne lui permis pas de combattre, ni de se livrer à sa fougue
impétueuse ; je voulus au contraire qu'il assistât paisiblement à leurs festins. Mais Tydée, emporté par sa valeur, provoqua les
fils de Cadmus, se battit et remporta sur eux une victoire éclatante,
tant mon secours lui fut alors propice ! — Toi aussi, Diomède, je
t'assiste, je te protège, et maintenant je t'exhorte à combattre
les Troyens. Mais les travaux multipliés de la guerre ont
peut-être brisé tes membres, ou la crainte a sans doute glacé
ton courage. Non, Diomède, tu n'es point le fils de Tydée issu du belliqueux OEnéus ! »
Le courageux Diomède lui répond en ces termes :
«
Déesse, fille de Jupiter qui tient l'égide, je te reconnais et je vais
te répondre sans détours. Non, la lassitude et la crainte ne se
sont point emparées de mon cœur, et je me rappelle encore les
ordres que tu m'as donnés. Tu m'as défendu de lutter avec
les dieux ; seulement tu m'as dit que si Vénus paraissait dans la
lice, je pourrais la blesser en la frappant de ma lance d'airain. Je
me suis donc retiré du combat et j'ai
ordonné aux Achéens de
se réunir en ces lieux, car j'ai vu le terrible
dieu de la guerre à la tête de nos ennemis. »
Minerve, la déesse aux yeux d'azur, prend la parole et dit :
«
Fils de Tydée, Diomède, ami cher à mon cœur, garde-toi de
craindre le dieu Mars et les autres divinités de l'Olympe : je te soutiens
et je te protège. Dirige tes coursiers contre le dieu de la guerre
; frappe-le de près et cesse de trembler devant cet immortel impétueux
et farouche, fléau redoutable, toujours inconstant, devant Mars,
enfin, qui me promit naguère, ainsi qu'à Junon, de
combattre les Troyens et de porter secours aux Argiens. Maintenant
il se trouve au milieu de nos ennemis et ne se souvient
plus de ses promesses. »
En parlant ainsi, elle saisit Sthénélus, le fait descendre du char
; et Sthénélus saute rapidement à terre. Minerve, brûlant de
combattre, se place auprès du noble Diomède : l'essieu de frêne
gémit avec violence sous le poids de leurs corps(28), car le
char porte une divinité terrible et un vaillant guerrier. Pallas s'empare
du fouet, des rênes, et dirige ses fougueux coursiers contre Mars, qui
vient de renverser le plus brave des Étoliens, Périphas,
d'une taille gigantesque, et fils illustre d'Ochésius. Mars, souillé de sang, arrachait la vie à ce guerrier tandis que Minerve posait
sur sa tête le casque de Pluton, afin de n'être point aperçue du
dieu de la guerre.
Dès que Mars, le fléau des hommes, voit le noble Diomède, il
laisse Périphas à la place où ce héros vient de périr, et marche à
la rencontre du vaillant fils de Tydée. Quand ils sont près l'un de
l'autre, Mars, impatient d'immoler son ennemi, étend avec rapidité
sa lance d'airain au-dessus du joug et des rênes
; mais Minerve
détourne le coup en saisissant l'arme et en l'écartant du char.
Diomède à la voix sonore se précipite à son tour sur le dieu
de la guerre et lui lance son javelot d'airain : Minerve dirige le
trait dans les flancs tout près de la ceinture ; le héros, après avoir
déchiré la peau délicate et belle du dieu de la guerre, retire son javelot de la plaie sanglante. Alors le redoutable Mars pousse
des cris semblables aux bruyantes clameurs de neuf et même
de dix mille combattants qui se rencontreraient dans une mêlée furieuse. Les Troyens et les Grecs sont saisis d'épouvanté, tant
est forte et puissante la voix
de l'insatiable Mars.
De même qu'apparaît à nos yeux une noire vapeur échappée du
sein des nuages au souffle désastreux des vents embrasés du midi
: de même apparaît aux yeux du fils de Tydée le farouche Mars s'élevant
à travers les nues jusqu'aux vastes régions célestes. Bientôt le dieu de la guerre atteint l'Olympe, séjour des immortels.
Il s'assied, triste, affligé, près du fils de Saturne ; il lui montre le
sang divin qui
coule de sa blessure, et, dans sa douleur profonde, il
laisse échapper ces paroles :
« Jupiter,
n'es-tu pas indigné de voir de
semblables forfaits ? Certes,
les dieux ont toujours souffert de cruelles douleurs en voulant
favoriser les faibles humains ! Nous sommes tous irrités contre
toi, Jupiter, qui as mis au monde cette fille insensée et funeste
qui médite sans cesse les plus affreux desseins. Les dieux de
l'Olympe t'obéissent et sont soumis à tes ordres ; cependant tu
n'emploies ni paroles ni châtiment pour retenir Minerve dans de
justes limites : bien plus, excitée par toi, père de cette odieuse furie,
elle pousse le fier Diomède à s'attaquer aux immortels eux-mêmes
! Ce héros a déjà blessé Vénus à la main, et, semblable à
une divinité, il s'est précipité sur moi avec fureur. Si mes pieds
rapides ne m'eussent point sauvé, j'aurais souffert longtemps au
milieu de hideux monceaux de cadavres ; ou bien je serais éternellement resté, privé de force, accablé sous les coups de
l'airain tranchant ! »
Jupiter, le dieu qui rassemble les nuages, lui lance des regards courroucés
et lui répond aussitôt :
« Divinité inconstante, ne viens pas ici te plaindre ; car de
tous les habitants de l'Olympe, c'est toi que je hais le plus ! Tu
n'aimes que
la discorde, la guerre et ses fureurs ! Tu as bien le caractère inflexible
et indomptable de ta mère, Junon, que j'ai
peine à réprimer moi-même par mes
paroles ! Les maux que tu endures aujourd'hui
sont le fruit de ses conseils. Mais je ne veux pas que tu souffres de
plus longues douleurs, puisque tu es de ma race et que je suis ton père. Ah! si tu devais le jour à un autre dieu,
tu serais
ensevelie depuis long-temps dans des abîmes plus profonds encore
que ceux où j'ai
précipité les Titans ! »
Il dit, et commande à
Péon de guérir le dieu de la guerre. Péon applique sur la blessure
des remèdes qui dissipent les douleurs
et soudain il guérit Mars, qui n'est pas un faible mortel.
De même que le suc du figuier, en troublant la blanche liqueur du
lait, l'épaissit sous la main qui l'agite : de même les remèdes de Péon
épaississent le sang de la blessure de Mars et guérissent aussitôt le
dieu de la guerre. La divine Hébé baigne le corps du fils
de Junon ; elle le couvre de vêtements magnifiques, et bientôt il
s'assied plein de majesté auprès de Jupiter son père.
Junon, reine d'Argos, et Minerve, protectrice d'Alalcomène,
retournent dans le palais du grand Jupiter après avoir arrêté le
carnage envoyé par Mars le fléau des hommes.
Notes, explications et commentaires
(1) Le mot
Ἁρμονίδης
(vers 60) a été considéré par quelques
critiques comme un nom de race, et par d'autres comme un nom propre ;
quelques-uns de ces derniers rapportent à tort le pronom relatif δς à
Ἁρμονίδης,
au lieu de le faire rapporter à Φἐρεκλος
(vers60) et se mettent ainsi eu contradiction avec les
traditions antiques qui attribuent à Phériclus la construction des
vaisseaux de Pâris. Voss, qui suit les opinions de ces premiers
critiques, commet une erreur en prenant le mot τέκτων
( artisan, ouvrier ) pour un nom propre, et il traduit τέκτονος
υἱὸν
(vers60) par stammend von Tekton ( issu de Tekton).
(2) Le texte porte :
…… ἣ
δὲ
διαπρὸ
ἀντικρὺ
κατὰ
κύστιν
ὑπ᾽
ὀστέον
ἤλυθ᾽
ἀκωκή·
(vers 65/66)
« De sorte que la
pointe en passant par la vessie ressort au-dessus de l'os. » Nous avons
cru devoir sacrifier la nudité de l'expression grecque aux délicatesses
infinies que notre langue a contractées à force d'être parlée.
(3) Nous ne
comprenons pas pourquoi Dubner a jugé à propos d'intercaler armis pour
expliquer βαρὐς
(vers 81) (fort, puissant) ; car, selon le poète, ce ne sont pas
les armes qui rendent pesants les bras du guerrier, mais bien la force
qui lui est inhérente.
(4) On entend par γέφυραι
ἐεργμέναι
(vers 89), non pas des ponts, comme l'ont dit madame Dacier, Bitaubé,
Dugas-Montbel et même Voss, Clarke et Dubner, mais des digues, bien
jointes, bien fermées, ou fortes ; car l'idée de pont est tout à fait
étrangère aux poèmes homériques.
(5) Nous avons
suivi pour la traduction du mot γύαλον
(vers 98) (cavité) l'explication qu'en donne le Dictionnaire des
Homéride. — La cuirasse était composée de deux plaques bombées, dont
l'une couvrait la poitrine et l'autre le dos ;
ces deux parties étaient réunies sur le côté par des agrafes et des
courroies.
(6) Homère dit βοὴν
ἀγαθὸς (vers 114) ( à la voix sonore). Nous ne pouvons
pas assez insister sur la valeur des épithètes. Nous avons déjà
rencontré souvent ce passage dans l’Odyssée ; et si nous pardonnons
aux traducteurs la légèreté avec laquelle ils passent sous silence
les belles épithètes d'Homère ou les traduisent d'une manière
incorrecte, nous sommes pourtant étonne de voir le savant Dubner
conserver toujours l'explication de Clarke, et traduire βοὴν
ἀγαθὸς par bello strenuus.
(7) Madame Dacier a
beaucoup mieux rendu cette comparaison que Dugas-Montbel, lui a
entièrement confondu l'image. Le lion s'élance bondissant hors de
l’étable à la poursuite des brebis qui fuient de toutes parts ; le lion
est blessé, Diomède l'est aussi : de là le redoublement de fureur de
l'un et de l'autre ; et c'est ce point de comparaison qu'il fallait
faire ressortir. Voss, qui l'a bien rendu, s'est pourtant trompé en
traduisant : Elles se pressent confondues les unes contre les autres,
par « Elles gisent saignantes entassées les unes sur les autres. »
(Aufgehauft nun liegen die blulenden ûber einander.)
(8) Il y a dans le
texte : αὐλώπιδί
τε τρυφαλείηι
(vers 182). Dugas-Montbel passe sur la difficulté, et traduit ce passage
par casque superbe ; Clarke dit : oblonga galea ; Dubner,
alte cristala galea, et Voss, und die langliche Kunpel des
helmes ( la coupole oblongue du casque). Le Clavis homerica fait
dériver le mot αὐλώπις
de αὐλὁς
et ὤψ,
et l'explique ainsi : Quidquid angustum et oblongum est, nam galea
quasi in fintulam abit, id est, in angustum et oblongum.
Les auteurs du Dictionnaire des Homérides traduisent, αὐλώπις par haute aigrette. Selon les uns, l'épithète qu'Homère
donne aux casques signifie percé de trous à la visière ; selon
les autres elle veut dire : percé au sommet d'une ouverture où se
plante le panache. Mais les auteurs que nous venons de citer
adoptent le premier sens comme étant le plus vraisemblable.
(9) Nous avons passé
sous silence le mot πρωτοπαγεῖς
(vers 193) (construit pour la première fois), parce qu'il est synonyme de νεοτευχέες
(vers 193) (récemment fait), et forme un pléonasme que nous ne pouvions
rendre dans notre langue. Cependant nous avons été plus fidèle que
Dugas-Montbel, qui ne traduit point le complément de cette phrase :
ἀμφὶ
δὲ
πέπλοι
(vers193) (couverts de tapis).
(10) Le poète dit : μώνυχας
ἵππους
(vers 236) Il nous a été impossible de rendre en français l'épithète μώνυξ (qui a le pied fourchu, dont la corne du pied n'est pas
fendue), qu'Homère donne aux chevaux d'Énée. Cette épithète, qu'on
rencontre souvent dans l'Iliade et dans l’Odyssée, n'est pas d'une
très-grande importance.
(11) Les traducteurs
français n'ont pas rendu convenablement le mot γενναῖον (vers 253) (digne de la race, de la naissance,
transmis avec le sang). Madame Dacier dit : Ce n'est point au fils
de Tydée à connaître la fuite ; Bitaubé : Ce n'est pas à moi de battre
en retraite; Dugas-Montbel : Il n'est point à moi de m'éloigner des
batailles. Ces différents auteurs n'ont pas compris que le mot γενναῖον, venant de γένος (race), signifie littéralement qui est inhérent à la
race, et non pas qui appartient à l'individu lui-même. Or, il
fallait dire : Mes ancêtres ne m'ont point appris à fuir les combats ;
au lieu d'écrire avec Dugas-Montbel : Il n'est point à moi de
m'éloigner des batailles. Voss traduit très-bien ce passage par : Mir
nicht ists anartend (Il ne m'est pas héréditaire, etc.,
etc.). Clarke n'est pas exact en le traduisant par : Non enim mihi
decorum ; mais Dubner, qui l'a corrigé, dit fort judicieusement :
Non enim mihi (meo) in genere.
(12) On entend par
ἄντυγος
la rampe ou le cercle qui bordait le haut des deux demi-cercles formés
par le siège du char, et qui se terminait par un bouton auquel ont
attachait les rênes.
(13) Dugas-Montbel
est de tous les traducteurs français celui qui a été le moins exact dans
la traduction, de ce passage, en prenant le mot μήστωρε
(vers 272) pour le mot terrible. Homère, en donnant cette épithète (qui
vient de μήδομαι
conseiller) aux chevaux d'Énée, veut faire entendre qu'ils
conseillent la fuite, qu'ils jettent le désordre dans les rangs
ennemis. Dubner a corrigé Clarke, qui avait traduit ce passage par
aptos bello, en disant paratores fugœ. Voss s'approche du
texte en écrivant : Zween stürmende Renner (deux coursiers impétueux
).
(14) Voici encore
une preuve de la facilité avec laquelle les traducteurs ont rendu les épithétes d'Homère. Madame Dacier passe sons silence πάντοσ᾽
ἐΐσην (vers 300) ; Bitaubé dit large, et Dugas-Montbel,
immense.
ἀσπίδα
πάντοσ᾽
ἐΐσην
signifie un bouclier bien arrondi, qui s'étend également de
tous les côtés à partir du milieu.
(15) Le texte porte
: ὅτι
οἱ
φρεσὶν
ἄρτια
ἤιδη
(vers 326) (parce qu'il pensait dans son esprit des choses semblables
aux siennes). Madame Dacier traduit ce passage tu disant : parce
qu'il avoit la mesme humeur que luy, les mesmes inclinations, les
mesmes moyens. Bitaubé dit : le plus cher de tous les compagnons de son
âge par le rapport de leurs sentiments ; et Dugas-Montbel : parce qu'il
connaissait sa sagesse. Tous les différents traducteurs que nous venons
de citer ne se sont pas rendu un compte exact de la construction de
cette phrase, et n'ont point compris la véritable signification du mot
ἄρτιος
(qui s'adapte bien à une chose) : le datif étant gouverné par le
mot ἄρτιος
se trouve ici
dans le pronom οἱ.
Dubner a parfaitement traduit ce passage par : quod sibi mente
congruentia cogilabat. Voss ne se rapproche pas cette fois du texte
grec en disant : Weil fügsames sinnessein herz war ( parce que son
esprit (son cœur ) était d'un naturel soumis ).
(16) Nous avons
traduit Ἶρις
ἑλοῦσα
ποδήνεμος
(vers 352) par la légère Iris ; car nous eussions été
difficilement compris si nous avions dit Iris aux pieds rapides comme le
vent.
(17) Il faut
entendre par λαισήϊά (vers 454) une espèce de petit bouclier,
probablement de cuir, plus léger que l'autre bouclier, nommé
ἀσπἰς,
et qui était arrondi et couvert d'une peau de bœuf.
(18) Homère dit :
ἀνδρὶ
μαχήσασθαι
(vers 483) ( de combattre avec l'homme). Cet homme ne peut être
que Diomède ; aussi Clarke et Dubner ont-ils bien fait d'intercaler
isto. Voss dit : Meinen mann zu begegnen (je brûle de
rencontrer mon homme). Dugas-Montbel s'est trompé en traduisant
ce passage par j'attends de pied ferme l'ennemi.
(19) Les auteurs du
Dictionnaire des Homérides expliquent
ἀποθέσθαι
ἐνιπήν (vers 492) par : Il faut quitter avec les chefs
le ton menaçant. Plus bas ils ajoutent que l'édition Didot, en forçant
la signification, adopte un autre sens en rendant ce passage par
Écarter d'eux le reproche. Si les auteurs du Dictionnaire des Homérides
entendent par l'édition Didot la traduction latine de Dubner, que nous
avons sous les yeux, ils se trompent ; car nous lisons dans cette
version : Ut asperam evitent increpationem (pour qu'ils
évitent les reproches amers, soit les reproches qui pourraient leur être
adressés par d'autres, soit les reproches qu'ils pourraient adresser à
Hector). Le Dictionnaire grec-allemand de Passow, édit. de 1830,
confirme l'explication que nous donnons de ce passage, en disant :
Drohungen von sich thun, nicht drohen ( se défaire des menaces, ne plus
menacer).
(20) Le texte grec
porte : οὐρανὸν
ἐς
πολύχαλκον (vers 504) (jusqu'au ciel d'airain ).
(21) πίονος
ἐξ
ἀδύτοιο
(vers 512) (hors du gras temple ). La signification primitive du mot πίων est gras, bien nourri. Lorsque ce mot est appliqué
au sol, il signifie fertile ; et quand il est lié au mot οἷκος
(maison, demeure), il veut dire riche, pourvu de tout en
abondance toutes les fois que l'épithète πίων
est suivie, comme ici, du mot
ἀδυτον,
il garde cette dernière signification.
(22) En traduisant αἰολομίτρην
(vers 708) par ceinture étincelante, nous nous trouvons d'accord
avec l'explication que nous avons donnée plus haut de αἰολος
relativement aux mots κορυθαίολος
et αἰολοθώρηξ.
Dubner, entraîné par la version de Clarke, se trouve ici en
contradiction avec lui-même : car ayant rendu, dans les livres
précédents, le mot κορυθαίολος par galeam-motans, il ne devait pas dans celui-ci
s'écarter de la signification qu'il attribue à αἰολος,
et qui est, selon cet auteur, celle de mouvement ; pour rester
conséquent avec lui-même, il devait traduire αἰολομίτρην par mitram-motans et non par varid-mitra.
— Quoique cette fois encore nous nous trouvions en opposition avec la
traduction de Voss, nous devons pourtant reconnaître que le savant
helléniste allemand a tenu compte de l'analogie qui existe entre les
mots et αἰολοθώρηξ
αἰολομίτρην et κορυθαίολος ; puisqu'il traduit, le mot αἰολομίτρην
par rustig im leibgurt ( alerte dans sa ceinture). —Les
traducteurs français ne sont pas cette fois plus exacts que de coutume.
Madame Dacier substitue un ornement imaginaire à l'armure réelle, et
traduit αἰολομίτρην
(ceinture étincelante) par casque bizarrement orné ; Bitaubé
amplifie sur madame Dacier, et rend le même passage par casque coloré
; Dugas-Montbel se rapproche plus du texte en disant : couvert
d'une ceinture variée. Nous devons ajouter que l'erreur dans
laquelle sont tombés et madame Dacier et Bitaubé se comprend aisément :
ces deux auteurs ayant traduit les poèmes d'Homère, non sur le texte
grec, mais d'après les versions latines, ont rendu littéralement
varid-mitra, mais non pas αἰολομίτρην
; car le mot
μἰτρη, au lieu de signifier un casque comme le mot mitra
des Latins, servait à désigner chez les Grecs une ceinture de laine
recouverte de plaques métalliques et qui protégeait la partie inférieure
du corps des combattants.
(23) Le mot
ἴτυς
(vers 724) signifie un cercle fait de jantes de bois dans lequel
s'emboitaient les rayons de la roue.
(24) Le texte porte
ἐπίσσωτρα
(vers 725) (qui est au-dessus de la jante). Ce mot servait à
désigner le cercle dont le tour de la roue était garni.
(25) Les anciens
entendaient par δίφρος
(vers 727) un
siège pour deux personnes et garni de deux places, l'une pour le cocher
(ἠνίοχος) l'autre pour le guerrier (παραιβἀτης);
Ces sièges étaient ronds, un peu ouverts, et suspendus sur des
courroies.
(26) Homère a déjà
fait mention du mot
ἄντυξ
en parlant d'un char ; mais cette fois il est question de deux ἄντυγές
(vers 728), soit parce que ce char était formé de deux demi-cercles,
soit parce, qu'il avait une rampe en haut et une autre en bas.
(27) Le poète dit λέπαδνα
(vers 730)( la courroie du joug ou la corde du joug ). Celte courroie
attachait le joug à l'extrémité antérieure du limon, et servait à
diriger les coursiers.
(28)
Les auteurs du Dictionnaire des Homérides font remarquer, au mot θέος, que les dieux d'Homère ont, comme les hommes, un
corps avec des veines et du sang, et que ce corps est en tout semblable
à celui des hommes : cependant les dieux sont plus grands et supérieurs
en force ; ils sont immortels et jouissent d'une jeunesse éternelle ;
ils ne connaissent ni les maladies, ni les autres infirmités humaines ;
mais ils ne sont pas à l'abri de tous les accidents. Les dieux, sans
être doués d'une science universelle, surpassent de beaucoup les hommes
en intelligence et en connaissances de toute espèce. Sous le rapport
moral, ils ne s'élèvent pas au-dessus des hommes ; ils ont, comme eux,
des appétits et des passions, même des défauts et des faiblesses. Ils
gouvernent l'univers, les affaires des mortels, et leur envoient les
biens et les maux. Mais souvent l'homme, par sa propre perversité,
s'attire des malheurs, et alors il n'en faut accuser ni les dieux ni le
destin. Les divinités apparaissent ordinairement aux hommes sous une
forme étrangère ou environnées d'une nuée qui les dérobe à tous les
regards.