SERMENTS
- COMBAT SINGULIER.
orsque,
sous les ordres de leurschefs,
ils se sont rangés en bataille,
les Troyens s'avancent bruyamment,
comme une nuée d'oiseaux
faisant entendre de vives
clameurs : ainsi s'élève au ciel
la voix éclatante des grues, quand
elles fuient les hivers et les pluies
continuelles ; elles poussent des
cris aigus, elles s'envolent au-dessus
des flots de l'Océan,
elles
portent aux hommes appelés Pygmées
(1)
le carnage et la mort, et du haut des airs elles leur livrent de
terribles combats. Mais les Achéens, respirant la colère, marchent
en silence, et brûlent dans leur cœur de se donner un mutuel
appui.
Comme sur le sommet d'une montagne le Notus répand un brouillard
épais, redouté des bergers, et plus favorable encore aux voleurs
que la nuit même ; car alors la vue ne s'étend pas au-delà du
jet d'une pierre : de même sous les pieds des guerriers s'élèvent des
tourbillons de poussière tandis qu'ils s'avancent et traversent rapidement
la plaine.
Dès que les deux armées sont en présence, Pâris
(2) aux formes divines
se place à la tête des Troyens ; il porte à ses épaules une peau
de léopard, son arc recourbé et son épée : brandissant deux javelots
à la pointe d'airain, il provoque les plus illustres d'entre les Argiens
à se mesurer avec lui dans une lutte terrible.
Le belliqueux Ménélas, le voyant s'avancer en avant de l'armée
et
marcher à grands pas,
se réjouit comme un lion affamé qui trouve une magnifique proie, ou un cerf aux cornes élevées, ou une chèvre
sauvage, et qui les dévore avec avidité, quoique poursuivi par une
meute légère et par une ardente jeunesse : ainsi Mélénas est joyeux
lorsque le beau Pâris s'offre à sa vue
; car il espère bientôt se
venger du coupable. Revêtu de ses armes, il s'élance aussitôt de
son char.
Mais,
dès que Pâris l'aperçoit dans
les premiers rangs, il est frappé d'épouvanté au fond du cœur,
et il se réfugie parmi ses compagnons
pour éviter la mort. Tel, un voyageur apercevant un serpent dans les
halliers d'une montagne, recule, saisi de crainte : un tremblement s'empare de ses membres, et il fuit, la pâleur au front.
Ainsi se perd dans la foule des fiers Troyens le beau Pâris, redoutant
le fils d'Atrée.
Hector, à cette vue, l'accable par ces humiliantes paroles :
« Malheureux Pâris ! sois donc fier de ta beauté,
maintenant, guerrier
efféminé, lâche séducteur ! Plût au ciel que tu ne fusses jamais
né, ou que tu fusses mort sans hymen ! Certes, je l'aurais préféré
: cela valait mieux que d'être aux yeux de tous un objet de honte
et de mépris. Ils rient aux éclats les Achéens à la longue chevelure,
eux qui te croyaient un vaillant
champion, parce que tu possèdes
un beau visage ; mais tu n'as dans le cœur ni courage ni
force ! Pourquoi, puisque tu es ainsi, avoir réuni des compagnons
fidèles pour traverser les mers sur des vaisseaux rapides ; et te
mêlant aux nations étrangères, pourquoi avoir enlevé d'une terre
lointaine cette femme d'une si grande beauté, l'épouse d'un
valeureux héros ? Est-ce
pour faire le malheur de ton père, de ta cité,
de tout un peuple, ou la joie de nos ennemis et ton propre déshonneur
? Que n'attendais-tu
le brave Ménélas ? Tu saurais maintenant
quel est le guerrier dont tu retiens la jeune épouse. Ta
lyre, et
ces dons de Vénus, et ta chevelure, et ta beauté ne t'eussent
point servi lorsque tu aurais été traîné dans la poussière ! Mais les Troyens sont trop timides ; sans cela tu devrais être déjà revêtu
par eux d'un manteau de pierre
(3), en
punition des maux
que tu
leur as fait souffrir ! »
Pâris aux formes divines lui dit à son tour :
« Hector, tes reproches ne sont point injustes, je les ai mérités
; mais
ton cœur est toujours indomptable comme la hache qui pénètre
le chêne, lorsque, secondant le bras d'un ouvrier habile, elle sépare
de sa racine le bois d'un navire : telle est dans ta poitrine ton
âme intrépide. Ne me reproche pas les dons aimables de la blonde
Vénus : ils ne sont point à rejeter ces nobles présents des dieux,
que nous accorde le ciel et que personne n'est le maître de choisir
(4).
Maintenant, si tu veux que j'affronte la guerre et ses périls, fais
ranger à l'instant les Troyens et tous les Grecs, afin qu'au
milieu des camps, le vaillant Ménélas et moi nous combattions pour Hélène
et pour ses trésors. Le vainqueur, celui qui aura conquis
honorablement cette femme et ses richesses, les emmènera dans
ses foyers ; et les peuples immoleront des victimes pour cimenter
une alliance et conclure des traités fidèles. Vous habiterez alors
Troie et ses champs fertiles ; et les Grecs retourneront à Argos, ville féconde en coursiers, et dans l'Achaïe, renommée pour
la beauté de ses femmes. »
A ces
mots, Hector, rempli de joie,
s'avance entre les deux armées
; et, saisissant sa lance par le milieu, il retient les phalanges
des Troyens : tous s'arrêtent à l'instant. Mais les Achéens à
la longue chevelure dirigent aussitôt leurs flèches contre ce héros,
et l'accablent de traits et de pierres. Alors Agamemnon, chef des
guerriers, s'écrie d'une voix forte :
« Argiens, arrêtez ; suspendez vos coups, fils des Achéens ;
Hector
au casque étincelant
(5) semble vouloir nous parler. »
Il dit
; les
Achéens s'arrêtent tout à coup, et deviennent silencieux.
Hector, prenant la parole, s'adresse ainsi
aux deux armées :
« Troyens, et vous, Grecs aux belles cnémides, écoutez ce
que vous
propose Pâris, l'auteur de cette guerre. Il demande que tous vous
déposiez sur la terre fertile vos armes brillantes, et qu'au milieu
des camps, lui et l'intrépide Ménélas combattent pour Hélène
et pour ses trésors. Le vainqueur, celui qui aura conquis
honorablement cette femme et ses richesses, les emmènera dans ses
foyers ; nous immolerons, nous, des victimes pour cimenter une
alliance et conclure des traités fidèles. »
A ces mots, tous gardent un profond silence. Alors le brave Ménélas
leur dit :
« Maintenant, écoutez-moi : une vive douleur pénètre mon âme.
Je
désire que les Grecs et les Troyens se séparent ; ils ont souffert assez
de maux à cause de ma querelle et de l'attentat de Pâris. Qu'il
meure celui de nous deux à qui le destin réserve le trépas ; mais
que les autres se séparent aussitôt. Troyens, apportez, pour être
offerts en sacrifice, un agneau blanc pour le soleil, une brebis noire
pour la terre et une autre brebis pour Jupiter. Que Priam lui-même
vienne en personne ratifier nos traités ; car ses fils sont infidèles
et parjures : nul alors n'osera violer les serments prêtés au maître
des dieux. L'esprit des jeunes gens est toujours prompt à changer
; mais, quand survient un vieillard, il regarde à la fois dans le
passé et dans l'avenir
ce qui peut être également
avantageux aux deux partis.
»
Ainsi parle Ménélas. Les Troyens et les Grecs se réjouissent,
espérant
terminer bientôt cette guerre funeste ; ils retiennent les coursiers
dans les rangs, descendent de leurs chars, se dépouillent de
leurs armes, et les déposent à terre tout près les unes des autres : un étroit espace séparait les deux armées.
Hector envoie aussitôt dans la ville deux hérauts pour
conduire les
agneaux et prévenir Priam. Le puissant Agamemnon ordonne à
Talthybius d'aller vers les creux navires, et d'amener une victime : le héraut s'empresse d'obéir aux ordres de l'illustre Agamemnon.
Iris se rend près d'Hélène aux bras d'albâtre, sous les
traits de la
belle-sœur de cette princesse, Laodicée, qui avait épousé le roi Hélicaon,
fils d'Antênor, et la première en beauté des filles de
Priam. La déesse trouve Hélène dans son palais : elle brodait un
long voile de pourpre
(6), doublement tissu, et traçait sur ce voile les
combats que soutenaient pour elle les Troyens dompteurs de coursiers,
et les Grecs revêtus d'airain.
La légère Iris s'approche d'elle
et lui dit :
« Venez ici, nymphe chérie, contempler les faits admirables des
Troyens et des Grecs. Naguère ils portaient dans les campagnes
toutes les horreurs du carnage, et ils ne respiraient que les combats
sanglants. Maintenant, silencieux et immobiles (car la
guerre a cessé), ils se tiennent appuyés sur leurs boucliers ; et
leurs longues lances sont fixées dans la terre. Cependant Pâris et le
vaillant Ménélas, armés de forts javelots, vont combattre pour vous,
Hélène, et le vainqueur vous nommera la compagne bien-aimée
de sa couche. »
Ces paroles de la déesse font naître dans le cœur d'Hélène
le doux désir de revoir son premier époux, ses parents et sa patrie.
Elle se couvre de voiles éclatants de blancheur, et sort du
palais en versant des larmes de tendresse. Elle n'est point seule : deux femmes suivent ses pas, Éthra, fille de Pithée, et Clymène aux
grands yeux
(7) ; bientôt elles arrivent aux portes de Scées.
Là,
Priam, Panthous, Thymétès,
Lampus, Clytius, Hicétaon, rejeton
de Mars, et les sages Ucalégon et Anténor, tous anciens du peuple,
sont assis au-dessus des portes de Scées ; leur grand âge les
éloignait de la guerre ; mais, prudents orateurs, ils discouraient, comme
des cigales qui, sur la cime d'un arbre, fout entendre dans
les forêts une voix mélodieuse (8)
: tels sont les chefs troyens
assis
au sommet de la tour.
Lorsqu'ils voient Hélène s'avancer vers eux,
ils se disent à voix basse :
« Ce n'est pas sans raison que les Grecs aux belles cnémides et
les Troyens supportent, pour une telle femme, de si longues souffrances.
Son visage est aussi beau que celui des déesses immortelles ; malgré
cela, cependant, il faut qu'elle s'en retourne sur
les vaisseaux achéens, de peur qu'elle ne soit un sujet de ruine pour nous et pour nos enfants. »
Ainsi parlent les vieillards ; mais Priam, élevant la voix,
appelle Hélène auprès de lui :
« Puisque tu es venue ici, chère enfant, assieds-toi près
de moi, afin que tu aperçoives ton
premier époux, tes parents et tes amis (car tu n'es pas la cause de
nos malheurs : ce sont les dieux qui ont suscité, de la part des Grecs, cette guerre, source de tant de
larmes) ; dis-moi le nom de cet homme imposant, de ce héros achéen
si grand et si fort. D'autres, il est vrai,
le surpassent par la
hauteur de leur taille ; mais jamais je n'ai vu de mes propres yeux
un guerrier si majestueux et si beau : il ressemble vraiment à un roi. »
Hélène, la plus noble des femmes, lui répond en ces termes :
« Père chéri de Pâris, vous êtes pour moi un objet de
respect et
de crainte. Plût au ciel que j'eusse reçu la mort le jour où je suivis votre fils, abandonnant le lit nuptial, mes frères, ma fille bien-aimée
et les aimables compagnes de ma jeunesse ! Mais il en fut
autrement : voilà pourquoi je me consume dans les larmes. Toutefois je vais vous dire ce que vous me demandez. Cet homme est le
fils d'Atrée, le puissant Agamemnon, à la fois excellent roi et vaillant
guerrier. Avant ma honte je le nommai mon frère ; hélas ! que ne
l'est-il encore ! »
Elle dit ; le vieillard, saisi d'admiration, s'écrie :
« Heureux Atride ! tu naquis sous de favorables auspices, ô
roi fortuné,
puisque les nombreux enfants de la Grèce te sont soumis ! Jadis
je fus dans la Phrygie, contrée fertile en vignes, et là je vis la
foule des guerriers phrygiens, habiles à diriger les coursiers, et les
peuples d'Otrée et de Mygdon, de Mygdon semblable à un dieu
; ils campaient alors sur les rives du Sangarius, et moi, je me
trouvais parmi eux, comme allié, quand vinrent les Amazones au
mâle courage. Mais ces peuples n'étaient pas encore aussi nombreux
que tous ces Achéens aux terribles regards. »
Puis apercevant Ulysse, le vieillard interroge une seconde fois
Hélène
:
« Dis-moi donc aussi, chère enfant, le nom de cet autre guerrier,
plus petit qu'Agamemnon, fils d'Atrée, mais dont les épaules et
la poitrine ont une plus grande largeur. Ses armes reposent sur la
terre fertile ; et lui, comme un bélier, parcourt les rangs des soldats
; je le compare au bélier, à l'épaisse toison, qui marche au milieu
d'un immense troupeau de brebis blanches.
Hélène, issue de Jupiter
(9), lui répond :
« C'est le fils de Laërte, le sage Ulysse ; il fut nourri
dans l'île âpre d'Ithaque, et
ses ruses sont inépuisables et ses conseils pleins de
sagesse. »
Le prudent Anténor l'interrompt tout à coup en ces termes :
« 0 femme, tout ce que tu dis est vrai ; car déjà le divin
Ulysse et le vaillant Ménélas
sont venus ici comme ambassadeurs à cause de toi. Je leur
donnai l'hospitalité ; je les reçus en amis dans mon palais, et
j'appris à connaître leur caractère et leurs sages conseils. Quand
tous deux se mêlaient aux Troyens assemblés, Ménélas était
d'une taille plus élevée ; mais, s'ils s'asseyaient, Ulysse semblait
être le plus majestueux. Lorsqu'au milieu de tous, ils se mettaient
à haranguer, Ménélas était bref : il parlait peu, mais clairement,
avec concision, et jamais il ne s'écartait de son sujet, quoiqu'il
fût le plus jeune. Le prudent Ulysse, lui, se levait,
et tout à coup il restait immobile, les yeux baissés, les regards
attachés à la terre ; il
tenait son sceptre en repos, sans l'agiter
d'aucun côté comme un être
inhabile : on aurait dit un homme saisi de colère ou privé de
raison. Mais lorsqu'il laissait échapper de sa poitrine une voix
sonore, et que ses paroles se précipitaient comme la neige qui tombe
en flocons durant les hivers, alors personne n'eût osé se comparer
à Ulysse ; et nous, en le contemplant, ce n'était point l'extérieur
de ce héros que nous admirions. »
Priam apercevant Ajax, interroge Hélène pour la troisième fois
:
« Quel est cet autre guerrier achéen si fort et si grand, qui
se distingue parmi tous les autres Argiens et par sa taille élevée
et par ses larges épaules ? »
Hélène au long voile, et la plus noble des femmes, lui répond
:
« C'est le formidable Ajax, le rempart des Achéens. De
l'autre côté,
parmi les Crétois, se tient Idoménée, semblable à un dieu : autour
de lui sont rassemblés les chefs de la Crète. Souvent, lorsqu'il
quitta sa patrie, le brave Ménélas lui donna l'hospitalité dans
notre palais. — Maintenant j'aperçois
beaucoup d'autres Achéens
aux regards étincelants, que je reconnais, et dont je pourrais
dire les noms. Mais il est deux chefs des peuples que je ne puis
découvrir : Castor, habile cavalier, et Pollux, plein de force au
pugilat : ce sont mes propres frères, et la même mère nous donna
le jour. Est-ce qu'ils n'ont pas suivi l'armée loin de la riante Lacédémone ? Peut-être sont-ils venus en ces lieux sur leurs vaisseaux
qui sillonnent les mers, et craignent-ils de se mêler aux combats
des guerriers, tant ils redoutent et ma honte et mon opprobre
? »
Elle parlait
ainsi ; mais déjà ses deux frères
étaient ensevelis à Lacédémone, dans la terre fertile de leur douce patrie.
Cependant
les hérauts portaient à travers la ville les gages sacrés
de l'alliance : deux agneaux, et dans une outre de peau de chèvre
le vin délectable, doux fruit de la terre. Le héraut Idéus,
chargé
d'un brillant cratère et de coupes d'or, se présente devant le
vieillard, et l'excite par ces paroles :
« Lève-toi, fils de Laomédon ! Les plus illustres des
Troyens dompteurs
de coursiers, et des Grecs à la cuirasse d'airain, t'appellent
dans la plaine, pour y conclure la paix. Pâris et le vaillant
Ménélas, armés de longs javelots, combattront pour Hélène : cette
femme et ses nombreux trésors suivront le vainqueur. Puis,
après avoir immolé des victimes pour cimenter une alliance et
des traités fidèles, nous habiterons Troie à la glèbe fertile ; les
Grecs retourneront dans Argos, féconde en coursiers, et dans l'Achaïe,
renommée pour la beauté de ses femmes. »
Le vieillard
frémit à ces mots ; cependant il
ordonne à ceux de sa suite
(10)
d'atteler les coursiers : ils obéissent aussitôt. Priam
monte
dans son superbe char, tire les rênes, et Anténor se place à ses côtés. Tous deux alors, franchissant les portes de Scée,
dirigent dans la plaine leurs chevaux agiles.
Lorsqu'ils sont arrivés près des Troyens et des Achéens, ils
descendent de leur char sur la
terre nourricière
(11), et s'avancent au
milieu des deux armées. Au même instant se lèvent Agamemnon,
roi des hommes, et le prudent Ulysse. Bientôt les hérauts illustres
rassemblent les gages sacrés de l'alliance, mêlent le vin
dans le cratère, et répandent
une eau pure sur les mains des rois. Le
fils d'Atrée s'empare du coutelas, toujours suspendu auprès du long
fourreau de son glaive, et le tire ; il coupe de la laine sur la tête
des agneaux ; et les hérauts la distribuent aux chefs des Troyens
et des Grecs. Puis Agamemnon prie à haute voix, en élevant ses mains au
ciel :
« Jupiter, notre père,
toi qui règnes sur l'Ida, ô
dieu glorieux et puissant ; Soleil, toi qui entends toutes choses, et
aux regards duquel rien
ne se dérobe ; Fleuves, Terre, et
vous, Divinités, qui,
dans les enfers, punissez après
leur mort les hommes parjures,
soyez nos témoins et maintenez nos serments fidèles
(12) ! Si Pâris immole Ménélas, il possédera désormais Hélène et ses trésors
; et nous, Achéens, nous retournerons dans la Grèce sur nos
navires qui sillonnent les mers. Mais, si le blond Ménélas extermine
Pâris, les Troyens rendront Hélène et ses richesses ; ils paieront aux Grecs un juste tribut, afin que les hommes des siècles à
venir en gardent la mémoire. Après la mort de Pâris, si Priam et
les fils de Priam refusent de payer cette rançon, je resterai sur ces bords et je combattrai moi-même pour l'obtenir jusqu'au jour où
je verrai l'a fin de la guerre. »
Il dit ; et, armé de son glaive impitoyable, il égorge les
agneaux ; puis
il les dépose palpitants sur la terre, privés du mouvement et de
la vie que le fer venait de leur arracher. Tous, ensuite, puisent
le vin
dans le cratère, le répandent
dans les coupes en invoquant les dieux immortels ; et chacun des Troyens et des Achéens prie
en ces termes :
« Grand et glorieux Jupiter, et vous, Divinités éternelles,
quels que
soient les premiers d'entre ces peuples qui violeront ce serment,
faites que leurs cervelles et celles de leurs enfants se répandent
sur la terre comme ce vin
(13),
et que leurs femmes soient forcées
de s'unir à d'autres! »
Tels étaient leurs vœux ; mais le fils de Saturne ne les exauça
point. Alors Priam, fils de Dardanus, leur tient ce discours :
« Écoutez-moi, Troyens, et vous Grecs aux belles cnémides :
je retourne dans la haute ville d'Ilion ; car je ne pourrais voir,
sous mes yeux un fils si tendrement chéri combattre le vaillant Ménélas.
Jupiter et les dieux immortels savent seuls lequel de ces
deux guerriers doit périr. »
Ce héros, semblable
à un dieu, s'arrête ; puis
il place les agneaux sur le char ;
il y monte ensuite, saisit et retient les rênes ; et Anténor se
place à ses côtés sur le char magnifique. Tous deux alors
s'en retournent vers Ilion.
Hector, fils de Priam, et le célèbre Ulysse mesurent d'abord
le terrain; puis ils agitent les sorts
(14) dans un casque de bronze, afin
de savoir lequel des deux combattants lancerait le premier le javelot
d'airain. Les peuples élèvent leurs mains au ciel, et chacun des
Troyens et des Achéens adresse cette prière aux dieux
:
« Jupiter, notre père, toi qui règnes sur l'Ida,
dieu glorieux et puissant, fais
que l'auteur de cette guerre descende aujourd'hui dans les
sombres demeures, et que la paix et la foi des serments se
rétablissent parmi nous ! »
Tandis qu'ils prient ainsi, le grand Hector agite le casque en
détournant les yeux, et le sort désigne aussitôt Pâris. Tous les
soldats se tiennent immobiles dans les rangs : près d'eux reposent
leurs chevaux rapides et leurs armes aux diverses couleurs. Alors le
noble Pâris, l'amant d'Hélène à la belle chevelure, se revêt
d'une armure brillante. Il entoure ses jambes de riches cnémides
que fixent des agrafes d'argent ; il place sur sa poitrine la cuirasse de son frère Lycaon, qui s'adapte à sa taille, jette sur ses épaules
son glaive d'airain orné de clous d'argent, et s'arme d'un vaste
et solide bouclier ; puis il couvre sa tête robuste d'un casque soigneusement
travaillé,
ombragé de la crinière d'un
coursier et surmonté
d'une aigrette aux menaçantes ondulations ; enfin, il saisit
une forte lance que ses mains soulèvent sans effort. — De son côté
le vaillant Ménélas se revêt aussi de ses armes.
Lorsque Pâris et Ménélas se sont armés, ils s'avancent au
milieu des
deux peuples en se jetant des regards terribles. En les apercevant,
les Troyens dompteurs de coursiers et les Achéens aux belles
cnémides sont saisis d'effroi. Les combattants s'arrêtent l'un
près
de l'autre dans l'enceinte mesurée, en agitant leurs lances ; et
ils sont tous deux animés d'une égale colère. Pâris, le premier,
lance son long javelot contre le bouclier circulaire
(15) d'Atride sans en
rompre l'airain
: la pointe seule de la lance se
recourbe sur le solide
bouclier. Ménélas, le second, lance son javelot en adressant cette prière au père des dieux :
« Jupiter souverain, accorde-moi de punir mon injuste agresseur,
l'infâme
Pâris
(16)! Qu'il
succombe sous mes mains ; et qu'à l'avenir
tout homme tremble d'injurier
l'hôte qui le recevra avec bienveillance!
»
En disant ces mots, il brandit sa longue javeline,
la
lance avec force et
frappe le bouclier arrondi du fils de Priam. Le trait rapide perce le
bouclier brillant, pénètre dans la magnifique cuirasse de ce héros
et déchire
sa tunique près du flanc. Pâris s'incline et se dérobe au sombre
trépas. Atride tire alors son épée ornée de clous d'argent, la
lève et frappe le cimier du casque de son adversaire ; mais le fer se
brise en trois et quatre éclats, s'échappe de sa main et tombe à ses
pieds. Le fils d'Atrée pousse alors un cri de douleur et élève ses
regards, vers l'immensité des cieux :
« Jupiter, tu es bien de tous les dieux le plus impitoyable !
J'espérais
venger bientôt sur Pâris sa lâche perfidie, et mon épée se brise
dans mes mains, et ma lance maintenant inutile ne peut l'atteindre
! »
Aussitôt il s'élance, saisit le casque à l'épaisse crinière
du fils de Priam,
et,
après s'être retourné, il entraîne
son adversaire parmi les
Achéens aux belles cnémides : la courroie, richement brodée, qui
s'étend sous le menton pour fixer le casque, serre la gorge délicate
de Pâris. Sans doute Ménélas, en l'entraînant, allait obtenir
une gloire immense si la fille de Jupiter, Vénus, ne s'en fût aperçue
à l'instant et n'eût rompu la courroie, dépouille d'un taureau
tué violemment
(17)
: le casque vide suit la main robuste du héros.
Celui-ci,
en le faisant tourner, le jette au milieu des Achéens, et ses
fidèles compagnons le ramassent avec empressement. Ménélas, armé
de son javelot d'airain, se précipite de nouveau pour égorger
son ennemi. Mais Vénus, par sa divine puissance, enlève facilement Pâris, J'enveloppe d'un nuage épais et le transporte dans la
chambre nuptiale d'où s'exhalent des parfums suaves et odorants.
La déesse court appeler Hélène : elle la trouve sur le
sommet
de
la tour, entourée d'un
grand nombre de Troyennes. Alors, la
tirant doucement par sa robe embaumée, elle lui parle en prenant les
traits d'une femme d'un grand âge, qui la chérissait tendrement,
et qui lui préparait avec habileté ses laines superbes lorsque
cette princesse résidait encore à Lacédémone. La divine Vénus, s'étant
rendue semblable à cette femme, lui dit :
« Venez, suivez-moi ; Pâris vous invite à retourner dans le palais.
Ce héros, assis sur un lit magnifique
(18) dans la chambre nuptiale,
est éclatant de beauté et de parure. On ne dirait pas qu'il vient
de combattre un guerrier, mais qu'il se rend a une fête, ou que,
cessant les danses, il goûte le repos. »
Ces paroles répandent le trouble dans l'âme d'Hélène. Mais
dès qu'elle
aperçoit le gracieux cou de la déesse, et ce sein charmant et ces
yeux qui étincellent, elle est frappée de surprise et s'écrie :
« Cruelle Vénus, pourquoi me tromper encore ? Voudrais-tu m'entraîner
dans une des populeuses villes, soit de la Phrygie, soit
de la riante Méonie où se trouvent quelques humains à la voix
articulée
que tu chérisses ? Est-ce parce qu'aujourd'hui Ménélas, ayant
vaincu le noble Pâris, veut ramener dans ses foyers une odieuse
épouse, que tu viens ici
méditer de nouvelles perfidies ? Reste
auprès de lui, oublie les voies mystérieuses des dieux, et ne porte
plus tes pas vers l'Olympe : toujours à ses côtés garde-le
soigneusement jusqu'à ce qu'il consente à te faire sou épouse, ou
à te choisir pour son
esclave ! Je n'irai pas
vers lui (car ce
serait indigne) pour
partager sa couche ; les Troyennes me poursuivraient de leur mépris ; et déjà mon âme est accablée de chagrin ! »
La divine Vénus, enflammée de colère, lui dit :
« Malheureuse, ne m'irrite pas,
de peur que dans mon courroux je ne t'abandonne, et ne te haïsse
autant que je t'ai chérie jusqu'à
ce jour! Crains
qu'entre ces deux peuples,
Troyens et Danaens, je ne suscite des haines funestes, et que tu ne périsses victime
d'une affreuse destinée! »
A ces mots, Hélène, issue de Jupiter, est saisie de crainte :
elle se
couvre en silence d un voile éclatant de blancheur, se dérobe aux
regards des Troyennes, et suit la déesse qui la précède.
Lorsqu'ils sont arrivés dans l'élégante demeure de Pâris,
les suivantes d'Hélène se hâtent de retourner à leurs travaux, et
la plus
noble des femmes monte à la chambre nuptiale. Vénus, au
doux sourire, prend un siège et le place en face de Pâris ; Hélène,
la fille du dieu qui tient l'égide,
s'y assied ; et, détournant
les yeux, elle adresse à son amant ces reproches amers :
« Vous voilà donc revenu du combat! Que n'avez-vous péri, vaincu
par ce guerrier vaillant qui fut mon premier époux ! Vous vous
vantiez jadis de l'emporter sur l'intrépide
Ménélas et par votre courage,
et par votre bras, et par votre lance : osez donc encore l’appeler
à combattre contre vous ! Mais non, je vous conseille de cesser
la guerre. N'affrontez plus témérairement le blond Ménélas dans
une lutte obstinée ; car bientôt peut-être vous tomberiez expirant
sous les coups de son javelot ! »
Pâris répond à cette prière en disant :
« Chère amante, ne me déchire point le cœur par de cruels reproches
! Aujourd'hui Ménélas m'a vaincu avec l'aide de Minerve : je
puis le vaincre à mon tour ; car il y a aussi des dieux pour nous !
Mais livrons-nous au plaisir sur cette couche. Jamais tant de passion
n'agita mes sens, lors même que pour la première fois je t'enlevai de la riante Lacédémone portée sur mes rapides navires, et que
dans l'île de Cranaé nous nous unîmes au sein de l'amour et du
sommeil. Maintenant je t'aime
encore davantage, et un agréable
désir me captive. »
Il dit, et se dirige vers la couche nuptiale ; son épouse le
suit, et
tous deux reposent sur un lit magnifiquement sculpté.
Cependant Ménélas, semblable à une bête fauve, se précipite
au milieu de la foule pour y découvrir le beau Pâris ; mais ni les
Troyens ni leurs illustres alliés ne peuvent l'offrir au belliqueux
Atride. Aucun d'eux, par amitié, n'aurait osé cacher Pâris, s'il l'eût
découvert ; car maintenant il leur était aussi odieux que la mort. —
Alors, au milieu d'eux, Agamemnon,
roi des hommes, prend la
parole et dit :
« Écoutez-moi, Troyens, Dardaniens et alliés : le vaillant Ménélas
a remporté la victoire
; livrez-nous
donc l'argienne Hélène et ses trésors ; payez un juste tribut aux
Grecs, afin que les hommes des
siècles avenir en gardent la mémoire.
»
Ainsi parle le fils d'Atrée, et tous les Achéens applaudissent.
Notes, explications et commentaires
(01)
Ἀνδράσι
Πυγμαίοισι
(vers 6)
dit Homère. Les Pygmées étaient des peuples de la Thrace qui n'avaient
qu'une coudée de haut. Ils se retiraient dans des trous qu'ils faisaient
sous terre, et étaient constamment en guerre avec les grues On dit
qu'une armée de ces nains avant attaque Hercule pendant son sommeil, ce
dieu, en se réveillant, se mit à rire, et, pour punir les Pygmées de
leur audace, il les enferma tous dans la peau de lion qu'il avait sur
lui, et les porta ainsi à Eurysthée, roi d'Argos.
(02)
Homère donne plus frequemment, dans l'Iliade, le nom d'Alexandre
(Ἀλέξανδρος)
au fils de Priam que relui de Pâris.
(03)
Nous avons traduit littéralement ce beau passage de l'Iliade : λάϊνον
ἔσσο
χιτῶνα
(vers 57),
c'est-à-dire être lapidé, ou enfermé dans un tombeau ; car
le mot χιτῶν
signifie tout à la fois vêtement, tunique et enveloppe.
Les traducteurs latins ont rendu cette phrase, l'un (Clarke) par :
lapideam indutus fuisses tunicam; et l'autre (Dübner) par :
lapideam indutus esses tunicam (sepultus esses) Le sens que
le second de ces traducteurs donne à la phrase d'Homère n'a pas été
généralement adopté. Ainsi, selon Luciens, ce passage voudrait dire être
lapidé ; car, dans son dialogue des Ressuscités (Reviviscent. t. 1
p. 514), lorsque les philosophes sont près de leur infliger ce supplice,
Platon lui dit, en citant les vers d'Homère : « Tu vas revêtir le
manteau de pierre. » Cependant, suivant Koeppen (Erklar. anmerk. z.
Hom., t. 1, p. 254) et le comte de Choiseuil Gouffler (Voyag.
pitt. en Grèce, t. II, P. 245), le passage du poète grec
signifierait un tombeau ; car, en parlant des monuments funéraires, il
dit : « Ceux qu'élevèrent les Grecs sur le rivage de l'Hellespont sont
formés de terre ; ceux des Troyens, de pierres accumulées. » Pour
mettre tous ces écrivains d'accord, nous pensons qu'il faut, comme nous
l'avons fait plus haut, ne donner au mot χιτῶν
que la signification d'enveloppe.
(04)
Les Grecs faisaient un très grand cas de la beauté On dit que les
habitants d'Egeste décernèrent à Philippe de Crotone, qui était fort
beau, les mêmes honneurs qu'à un héros ; on éleva un temple sur sa tombe,
et un lui offrit des sacrifices.
(05)
Homère dit : κορυθαίολος
Ἕκτωρ
(vers 83)(Hector au casque étincelant ou à l'aigrette mouvante). Madame
Dacier ne mentionne pas l'épithète. Bitaubé et Dugas-Monbel traduisent
ce passage, l'un par l'INTRÉPIDE Hector, l'autre par le VAILLANT Hector.
(06)
Bitaubé dit : Une grande toile qui avait la blancheur de l'albâtre,
en suivant la signification du mot μαρμαρέην
(blanc comme du marbre) des anciennes éditions de l'Iliade,
de celles d'Athénée et de Clarke, lequel auteur l'a traduit par
splendidam. Mais Wolf et Heyne ont substitué l'épithète πορφυρέην
(de pourpre) d'après les bonnes éditions d'Aristarque, de
Zénodote et d'Aristophane. Dübner a adopté cette dernière épithète, et
l'a rendue par purpuream. Bignan, dans sa belle traduction
en vers de l'Iliade (édition de 1834), a traduit ce passage très
correctement par : un voile de pourpre.
(07) Κλυμένη
βοῶπις
(vers144)
ne veut pas dire au figuré Clymène aux yeux de boeuf; mais
Clyméne aux grands yeux, comme l'ont traduit Clarke et Dübner par
Clymene magnis-oculis Tobias Damm, dans son Novum Lexicum Graecum (in
4°, 1763), dit, au mot βοῶπις,
grandibus oculis praedita. Dans l'Iliade, Homère se sert souvent de
cette épithète pour désigner Junon et les femmes de haute naissance.
(08)
Homère n'est pas le seul qui ait trouve aux cigales une voix mélodieuse
ou plutôt une voix douce et délicate, comme le dit l'épithète λειριόεις,
dont se sert le poète. On trouve dans Hésiode : « Lorsque le chardon
fleurit, et qu'au sommet d'un arbre la cigale harmonieuse fait entendre
une douce voix. » Mais, du temps de Virgile, les goûts avaient bien
changé : car on lit dans les Géorgiques que les cigales rompent le
silence des bois par leurs cris importuns : Et cantu querulae rumpent
arbusta cicadae.
(09) Homère parle souvent d'Hélène comme étant la fille de Jupiter, sans rien
ajouter, ni sur sa généalogie, ni sur sa naissance.
(10)
Il est très probable que le mot
ἑταῖρος
est employé ici plutôt dans le sens de disciple ou de suivant
que dans relui de camarade ou de compagnon.
(11)
Nous donnons au mot πολυβότείρα
(nourricière), fém. de πολυβότηρ,
sa véritable signification. Madame Dacier et Dugas-Montbel passent tous
deux sous silence ce mot et la moitié du vers 265 de ce livre.
(12)
Ces paroles d'Agamemnon ne sont pas une fiction poétique, mais une
prière qu'on avait coutume d'adresser aux dieux dans les occasions
solennelles, et surtout quand on les prenait à témoin de la foi jurée.
Il faut observer ici l'ordre des idées ; elles embrassaient
successivement la nature entière. D'abord on s'adressait à Jupiter, puis
au Soleil, aux Fleuves, à la Terre et enfin aux Divinités infernales.
Ces gradations n'étaient point un effet du hasard ; elles tenaient à de
véritables croyances. (Dugas-Montbel, Observ. sur le chant Ill.)
(13)
Le texte grec porte :
ὧδε
σφ’
ἐγκέφαλος
χαμάθις
ῥέοι,
ὡς
ὅδε
οἶνος,
αὐτῶν
καὶ
τεκέων...
(vers 300/301)
que Clarke et Dübner ont très exactement traduit par : sic ipsis
cerebrum humi fluat, sicut hoc vinum, ipsorum et liberorum. Ce
passage, si énergique et si simple, a été rendu ainsi par madame Dacier
: « Que tout le sang des premiers qui auront l'audace de violer ce traité
soit versé à terre comme ce vin, et non seulement tout leur sang, mais
tout celui de leurs enfants. » Bitaubé, qui avait la prétention de
corriger la traduction de madame Dacier, et qui rend, quelques vers plus
bas, Achéens, aux belles cnémides par Grecs nés pour les combats,
traduit de cette manière le passage que nous venons de citer : « Si
quelqu'un viole une paix si sacrée, que de son crâne brisé sa cenelle
soit répandue sur la terre comme ce vin, et que sa race ait le même
sort. »
(14)
Ces sorts (κλήρους)
étaient de petits morceaux de bois ou de pierre marqués d'une manière
particulière. Selon Pausanias (IV, c. 3), ces sorts étaient les uns en
terre cuite, les autres seulement séchés au soleil.
(15)
Le texte grec porte :
ἀσπίδα
πάντοσε
ἴσην
(vers347)
(bouclier qui s'étend également de tous les côtés, à partir du
milieu, ou arrondi). Selon MM. Theil et Hallez-d'Arros (Dict. des
Homérides), le bouclier (ἡ
ἀσπίς)
était ordinairement en peau de veau, et il y en avait plusieurs
superposées (βοείη,
ταρνείη)
: par exemple, le bouclier d'Ajax, fils de Telamon, en avait sept qui
étaient encore recouvertes d'une lame d'airain Quelquefois le bouclier
était tout entier composé de lames de métal (Il., XII, 293) Il était
rond (εὔκυκλος,
IL, V, 797; XIII, 715) et assez grand pour couvrir presque tout le corps
(ἀμφιβροτή
Il., II, 389; XI, 32) ; le milieu, nommé
ὀμφαλός
(d'où l'épithète d'ὀμφαλόεσσα,
Il, IV, 448 ; VI, 118), était relevé en bosse et orné de divers
symboles. Le bord, ou la garniture de métal ou de cuir qui l'entourait,
s'appelait
ἄντυξ,
et la partie supérieure, celle qui était près de l'épaule, était dite πρώτη,
XX, 273). Intérieurement, il y avait deux anses ou poignées (κακόνες,
Il., VIII, 192 ; XIII, 406), et une courroie en cuir (τελαμών,
Il., V. 796) qui servait, quand on ne combattait pas, à le porter sur le
dos.
(16)
Homère dit : δῖον
Ἀλεξάνδρον
(vers 352)(divin Alexandre, ou Pâris). L'epithéte δῖος
paraît singulière dans la bouche de Ménelas ; mais le vers où se trouve
ce passage est marqué d'un obel dans l'édition de Venise, et la scholie
qui s'y rapporte affirme qu'il doit être retranché ; Knigth prétend qu'il
est une redondance inutile. Dugas-Montbel fait observer fort
judicieusement qu'il ne faut pas attacher d'importance à cette épithète
que l'on donnait à tous les rois comme issus de Jupiter. Madame
Dacier a passé δῖος
sous silence ; Clarke l'a traduit par scelestum, Bitaubé par
perfide, Degas-Montbel par sacrilège, Dübner par divinum,
et M Bignan par infâme.
(17)
Ἡ
οἱ
ῥῆξεν
ἱμάντα
βοὸς
ἶφι
κταμένοιο
(vers 375),
mot à mot : qui rompit à lui la courroie d'un boeuf vigoureusement
tué, pacte qu'alors on prétendait que le cuir des bœufs tués avec
force valait mieux et était plus fort que celui des bœufs morts de
maladie. Madame Dacier, Bitaubé et Dugas-Montbel rendent ce vers, la
première par : n'eust rompu cette courroie, qui estoit d'une force
extraordinaire ; le second par : elle rompt la forte courroie,
et le troisième par : n'eût rompu la courroie dépouille d'un taureau
vigoureux.
(18)
Homère dit : δινωτοῖσι
λέχεσσιν
(vers 391)
(lits faits au tour, ou artistement tournés). Les lits des
anciens étaient garnis de traverses et de supports arrondis avec le plus
grand soin.