Préface
Remonter

   

 

 

 

La déesse Athéna attacha à ses pieds ses talonnières immortelles, toutes d'or,  avec lesquelles, plus légère que les vents, elle franchit les mers. Puis elle prit sa pique d'airain étincelant qui renverse des files entières de héros, quand ils s'attirent la colère de la fille de Zeus. Elle s'élança ensuite des  sommets de l'Olympe et arriva au flanc dune montagne de la Ligurie, proche du  Trophée d'Auguste. C'est là, au fond d'un bois d'oliviers millénaires, qu'elle m'apparut, lorsque, assis sur un rocher, je songeais à la conduite parfois inqualifiable des hommes, ces insensés qui, pareils aux compagnons d'Odysseus, continuent à dévorer les bœufs consacrés à Apollon.

- Triste mortel, me dit la déesse, ton esprit est curieux de plusieurs choses de ce monde, et de beaucoup d'autres que tu désespères de voir meilleures. Les récits même, que la Muse a inspirés à Homère et dont ta jeunesse fut bercée, ne satisfont point ta crédulité. Tu ignores aussi la vérité sur maints séjours solitaires oit Odysseus dit avoir été enchaîné par la ruse des magiciennes. Je vais rompre le silence que, sur ce sujet, le poète a gardé pour ménager la vanité des Grecs. Tu sais que ce peuple était justement jaloux du bon renom de ses héros. Quand tu sauras ces vérités tu verras que rien n'est changé sur la terre, que les hommes sont toujours aussi médiocres que le prince d'Ithaque, et les femmes aussi hospitalières que Circé. Rien en eux n'est vraiment surhumain et le seul culte auquel ils demeurent fidèles est celui de Narcisse. Il les a fait beaucoup mentir sur eux-mêmes et sur les autres. Aujourd'hui encore tu les vois sans cesse dans leur tribu se colleter entre eux, ainsi que font les faquins, à te faire croire qu'ils sont propres à tous les mépris. Mais qu'un étranger survienne et ils se hâteront de se complimenter sur leurs vertus et sur tout ce qu'ils ont entrepris.

Tu auras pourtant vu qu'ils ne sont plus aussi printaniers que les héros d'Homère. En ces temps, la naïveté était la fleur de la barbarie. Tu ne respires plus cette fleur, mais tu respires toujours la barbarie. Il en sera ainsi tant que les hommes chériront une mégère que ces hypocrites appellent la Civilisation;

 Ils l'ont assise sur un trône et ont caché son visage d'un masque d'or. Garde pour toi la modération de tes sentiments et un peu de pitié pour ces bouffons.

Ainsi parla la divine Athéna. Je remerciai la déesse de la confiance quelle me témoignait, en jurant de lui immoler le meilleur de mes béliers. Pendant douze nuits elle vint me visiter sous les oliviers et me fît douze récits sur les aventures véridiques d'Odysseus. Je les retins avec soin dans ma mémoire et les conte aujourd'hui à ceux qui savent encore ce qu'était Odysseus. Je souhaite qu'ils leur donnent autant d'émotion à les lire que j'en eus à les entendre.