Athéna réconforte Ulysse
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Bareste (1843)    

e divin Ulysse se retire dans le vestibule du palais ; là, il étend une peau de bœuf qui n'avait pas encore été préparée, et la couvre de celles des nombreuses brebis égorgées par les prétendants ; puis il se couche, et Eurynome place sur lui un large manteau. C'est là que l'intrépide héros, restant éveillé, médite le trépas des orgueilleux prétendants. — Les femmes de Pénélope, qui depuis longtemps se mêlaient à ces jeunes princes, sortent en riant du palais et se livrent à la joie la plus vive. Ulysse, qui les entend, est violemment courroucé ; il se demande s'il doit les frapper toutes à l'instant ou permettre qu'elles s'unissent aux prétendants pour la dernière fois ; et son cœur bondit avec force dans sa poitrine.

     Comme la lice aboie autour de ses petits lorsqu'elle aperçoit un étranger et brûle de combattre : tel Ulysse rugit en son âme, indigné de ces forfaits odieux ; mais il se frappe aussitôt la poitrine et réprimande son cœur eu ces termes :

    « Modère-toi, mon cœur. Tu supportas des choses plus terribles encore quand l'impitoyable Cyclope dévora mes braves compagnons ; tu supportas sans faiblir cette cruelle épreuve jusqu'à ce que la prudence t'ait fait sortir de cet antre où tu pensas mourir. »

    Il réprimande ainsi son cœur, qui se contient et cesse de battre ; mais Ulysse se roule en tous sens sur sa couche. De même qu'un homme tourne sans cesse sur un foyer ardent le ventre d'une victime rempli de graisse et de sang pour la faire promptement rôtir : de même Ulysse se tourne de tous côtés sur sa couche en songeant aux moyens de lutter seul avec les nombreux prétendants. — Bientôt Minerve descend des cieux ; elle se présente à Ulysse sous les traits d'une jeune femme, se place sur la tête du héros et lui adresse ces paroles :

    « Toi, le plus infortuné des mortels, pourquoi veilles-tu sans cesse ? Cependant tu reposes dans ta demeure ; ton épouse est près de toi, ainsi que ton enfant que chacun désirerait avoir pour fils. »

    L'ingénieux Ulysse lui répond aussitôt :

    « 0 déesse, tout ce que tu viens de dire est juste ; mais mon âme est cruellement agitée. Je me demande comment je frapperai de mon bras les orgueilleux prétendants, moi qui suis seul, tandis qu'ils sont toujours en foule dans mon palais. Un plus grand obstacle se présente encore à mon esprit. Si par la volonté de Jupiter et par la tienne je parviens à immoler tous ces jeunes princes, où fuirai-je pour échapper à la vengeance ? 0 déesse, c'est là, je t'en supplie, ce qu'il faut considérer. »

    Minerve aux yeux d'azur prend la parole et dit :

    « Malheureux, tu ne sais donc pas que les hommes se confient souvent à des compagnons plus faibles et moins expérimentés qu'eux ! Mais moi je suis une divinité qui te protège sans cesse et qui t'ai secouru dans tous tes malheurs. Je te déclare donc que si cinquante bataillons de guerriers nous enveloppaient de toutes parts et voulaient nous frapper de leurs glaives, tu leur enlèverais à l'instant et leurs bœufs et leurs grasses brebis. Livre-toi donc au sommeil : il est affreux de rester toute une nuit sans dormir. Bientôt tu sortiras de cet abîme de souffrances. »

    En disant ces mots, la plus noble des déesses répand un doux sommeil sur les yeux du héros ; puis elle s'en retourne dans l'Olympe. Le repos, qui chasse les soucis et délie les membres, ne tarde pas à s'emparer du corps d'Ulysse.