Pénélope se souvient des adieux d'Ulysse
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Bareste (1843)    

 Ulysse, en quittant la terre de sa patrie et en prenant congé de moi, serra ma main droite dans la sienne et me dit :

    « Chère épouse, les Achéens aux belles cnémides ne reviendront sans doute pas sains et saufs de la ville d'Ilion. On dit que les Troyens sont de valeureux guerriers, habiles à lancer les traits, à diriger les flèches et à conduire dans les plaines de rapides coursiers qui ne laissent pas longtemps incertain le sort des batailles sanglantes. J'ignore si les dieux me ramèneront dans ma patrie ou s'ils me perdront dans les plaines immenses de Troie ; mais toi, Pénélope, prends soin de tous nos biens. Souviens-toi de mon vieux père et de ma mère, comme tu l'as toujours fait, et redouble de zèle pour eux pendant mon absence. Quand tu verras le duvet de la jeunesse ombrager le menton de notre fils, tu pourras alors abandonner ce palais et te choisir un époux selon tes désirs. » — C'est ainsi que parlait Ulysse, et maintenant toutes ses paroles vont s'accomplir ; la nuit funeste approche où il faudra que je subisse le joug d'un hymen odieux, moi, malheureuse, privée par Jupiter de toutes les félicités ! Un violent chagrin s'est emparé de mon âme ; car les prétendants n'observent plus les usages et les coutumes consacrés. Ceux qui désirent obtenir une femme d'une illustre origine et fille d'un homme puissant, amènent d'abord des bœufs et de grasses brebis, offrent un repas aux parents de leurs fiancées et les comblent tous de présents ; mais ils ne dévorent pas impunément, comme vous le faites, les richesses d'autrui. »