Ulysse conseille Amphimone
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Bareste (1843)    

Amphinome, lui donne deux pains qu'il prend dans une corbeille, puis, le saluant avec sa coupe d'or, il lui dit :

    « Sois heureux, vénérable étranger, et que la prospérité embellisse tes derniers jours ! car maintenant je vois que tu es accablé de maux sans nombre. »

    L'ingénieux Ulysse lui répond aussitôt :

    « Amphinome, vous êtes un homme prudent et un fils digne de votre glorieux père. J'ai appris que Nisus fut toujours, dans Dulichium, un prince brave, généreux et opulent : c'est lui, dit-on, qui vous donna le jour, et vous êtes en tout semblable à ce héros bienveillant. Prêtez-moi donc encore une oreille attentive. De tous les êtres que nourrit la terre, de tous ceux qui rampent à sa surface ou respirent sous la voûte des cieux, il n'en est point de plus faible que l'homme : tant que les dieux lui donnent le bonheur, la force et la santé, il dit que le mal ne l'atteindra jamais; mais, lorsque les habitants de l'Olympe l'accablent d'infortunes, c'est alors que malgré lui il se résigne à les supporter. Tel est le cœur des humains : il change comme les jours que nous envoie Jupiter, le père des hommes et des dieux. Ainsi, moi, je devais être heureux parmi les mortels ; mais, entraîné par ma force, par mon ardeur, et plein de confiance dans mon père et dans mes frères puissants, je fis des choses injustes. Que l'homme ne commette donc jamais aucun crime ; qu'il apprenne, par mon exemple, à jouir en silence des bienfaits des dieux. Pourtant, je vois ici des princes qui dévorent des richesses immenses et outragent l'épouse d'un homme qui ne sera sans doute pas longtemps éloigné de ses amis : peut-être même est-il déjà près d'Ithaque. — Amphinome, puissent les dieux vous ramener heureusement dans vos demeures, afin que vous ne rencontriez point ce héros quand il reviendra dans sa chère patrie ! Ce n'est point sans répandre des flots de sang que lui et tous les prétendants se sépareront ! »

    Ulysse, après avoir fait les libations, boit un vin délicieux et remet la coupe à Amphinome, chef des peuples. Celui-ci, le cœur rempli de tristesse, traverse la salle en secouant la tête : — il pressentait déjà sa perte ; mais il ne put échapper à la mort, car Minerve l'enchaîna pour qu'il pérît frappé par la lance de Télémaque. — Amphinome revient et s'assied sur le siège qu'il venait de quitter.