Amphinome,
lui donne deux pains qu'il prend dans une corbeille, puis, le
saluant avec sa coupe d'or, il lui dit :
«
Sois heureux, vénérable étranger, et que la prospérité embellisse
tes derniers jours ! car maintenant je vois que tu es accablé
de maux sans nombre. »
L'ingénieux
Ulysse lui répond aussitôt :
«
Amphinome, vous êtes un homme prudent et un fils digne de votre
glorieux père. J'ai appris que Nisus fut toujours, dans Dulichium,
un prince brave, généreux et opulent : c'est lui, dit-on, qui
vous donna le jour, et vous êtes en tout semblable à ce héros bienveillant.
Prêtez-moi donc encore une oreille attentive. De tous
les êtres que nourrit la terre, de tous ceux qui rampent à sa
surface ou respirent sous la voûte des cieux, il n'en
est point de
plus faible que l'homme : tant que les dieux lui donnent le bonheur,
la force et la santé, il dit
que le mal ne l'atteindra jamais;
mais, lorsque
les habitants de l'Olympe l'accablent d'infortunes,
c'est alors que malgré lui il se résigne à les supporter.
Tel est le cœur des humains : il change comme les jours
que nous envoie Jupiter, le père des hommes et des dieux. Ainsi, moi, je devais être heureux parmi les mortels ; mais,
entraîné par ma force, par mon ardeur, et plein de confiance
dans mon père et dans mes frères puissants, je fis des choses injustes. Que l'homme ne commette donc jamais aucun crime ; qu'il
apprenne, par mon exemple, à jouir en silence des bienfaits
des dieux. Pourtant, je vois ici des princes qui dévorent des richesses
immenses et outragent l'épouse d'un homme qui ne sera
sans doute pas longtemps éloigné de ses amis : peut-être même est-il déjà près d'Ithaque. — Amphinome, puissent les dieux vous
ramener heureusement dans vos demeures, afin que vous ne
rencontriez point ce héros quand il reviendra dans sa chère patrie
!
Ce n'est point sans répandre des flots de sang que lui et tous
les prétendants se sépareront ! »
Ulysse,
après avoir fait les libations, boit un vin
délicieux et remet la
coupe à Amphinome, chef des peuples. Celui-ci, le cœur rempli
de tristesse, traverse la salle en secouant la tête : — il pressentait
déjà sa perte ; mais il ne put échapper à la mort, car Minerve l'enchaîna
pour qu'il pérît frappé par la lance de Télémaque. — Amphinome revient et s'assied sur le siège qu'il venait de quitter.