La grotte de Calypso
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    Bitaubé (1785)
     Il touche à l'île éloignée, et, s'élevant du noir domaine des mers sur la rive, marche vers la grotte spacieuse qu'habitait la belle nymphe. Elle était dans sa demeure. La flamme éclatante de grands brasiers y consumait le cèdre et le thym odorants, et ces parfums se répandaient dans l'île. Tandis que, formant un tissu merveilleux, la déesse faisait voler de ses mains une navette d'or, la grotte  retentissait des sons harmonieux de sa voix. Cette demeure était environnée d'une antique forêt toujours verte, où croissaient l'aune, le peuplier, le cyprès qui embaume l'air. Là, au plus haut de leurs branches, avaient bâti leurs nids les rois du peuple ailé, l'épervier impétueux, l'oiseau qui fend les ombres de la nuit, et la corneille marine qui, poussant jusqu'au ciel sa voix bruyante, se plaît à parcourir l'empire d'Amphitrite. Une vigne fertile étendait ses pampres beaux et flexibles sur tout le contour de la vaste grotte, et brillait de longues grappes de raisin. Quatre fontaines voisines roulaient une onde argentée, et, se séparant et formant divers labyrinthes sans se confondre, allaient au loin la répandre de toutes parts ; et l'œil, tout à l'entour, se perdait dans de vertes prairies où l'on reposait mollement sur un doux gazon émaillé par la violette et les fleurs les plus aromatiques. Telle était la beauté de ces lieux, qu'un dieu même ne pouvait s'y rendre sans arrêter ses pas, saisi d'un charme ravissant. Le messager céleste est immobile, plongé dans la surprise et l'admiration. Dès qu'il a porté de toutes parts un œil enchanté, il pénètre dans la grotte profonde. La nymphe le voit et le reconnaît ; car les immortels ne sont pas étrangers l'un à l'autre, quelque espace qui sépare leurs demeures.
 
Bareste (1843)   Leconte de Lisle (1867)
Quand il touche à l'île lointaine, il quitte la mer azurée et marche sur le rivage ; bientôt il atteint la grotte spacieuse qu'habité Calypso, la nymphe à la belle chevelure. Mercure trouve la déesse dans l'intérieur de sa demeure : un grand feu brillait dans le foyer, et au loin s'exhalait le suave parfum du cèdre et du thuya fendus. Calypso, retirée du fond de la grotte, chantait d'une voix mélodieuse, et s'occupait à tisser une toile avec une navette d'or. —Autour de cette demeure s'élevait une forêt verdoyante d'aunes, de peupliers et de cyprès. Là, venaient construire leurs nids les oiseaux aux ailes étendues, les chouettes, les vautours, les corneilles marines aux larges langues, et qui se plaisent à la pêche. Là une jeune vigne étendait ses branches chargées de nombreuses grappes. Là, quatre sources roulaient dans les plaines leurs eaux limpides qui, tantôt s'approchant et tantôt s'éloignant les unes des autres, formaient mille détours ; sur leurs rives s'étendaient de vertes prairies émaillées d'aches et de violettes. Un immortel qui serait venu en ces lieux eût été frappé d'admiration ; et, dans son cœur,  il eût ressenti une douce joie. — C'est là que s'arrête surpris et étonné le messager Mercure. Quand il a bien admiré toutes ces beautés, il entre dans la vaste grotte. La divine Calypso, en apercevant Mercure, le reconnaît aussitôt ( car les dieux immortels ne sont jamais étrangers l'un à l'autre quelque éloignées que soient leurs demeures ).  

Et, quand il fut arrivé à l'île lointaine, il passa de la mer bleue sur la terre, jusqu'à la vaste grotte que la Nymphe aux beaux cheveux habitait, et où il la trouva. Et un grand feu brûlait au foyer, et l'odeur du cèdre et du thuya ardents parfumait toute l'île. Et la Nymphe chantait d'une belle voix, tissant une toile avec une navette d'or. Et une forêt verdoyante environnait la grotte, l'aune, le peuplier et le cyprès odorant, où les oiseaux qui déploient leurs ailes faisaient leurs nids  les chouettes, les éperviers et les bavardes corneilles de mer qui s'inquiètent toujours des flots. Et une jeune vigne, dont les grappes mûrissaient, entourait la grotte, et quatre cours d'eau limpide, tantôt voisins, tantôt allant çà et là, faisaient verdir de molles prairies de violettes et d'aches. Même si un Immortel s'en approchait, il admirerait et serait charmé dans son esprit. Et le puissant Messager tueur d'Argos s'arrêta et, ayant tout admiré dans son esprit, entra aussitôt dans la vaste grotte.

  Et l'illustre Déesse Kalypsô le reconnut, car les Dieux immortels ne sont point inconnus les uns aux autres, même quand ils habitent, chacun, une demeure lointaine.

 
Dacier (1711 corrigé 1872)    
Quand il fut parvenu à cette île, qui est fort  éloignée, il quitte la mer, et, prenant la terre, il marche sur le rivage jusqu'à ce qu'il soit arrivé à la grotte où la belle nymphe habitait. Il la trouva dans cette grotte ; à l'entrée il y avait de grands brasiers magnifiques, d'où s'exhalait une odeur de cèdre et d'autres bois odoriférants, qui parfumaient toute l'île. Devant elle était un beau métier, où elle travaillait à un ouvrage incomparable avec une navette d'or ; et en travaillant elle chantait avec une voix merveilleuse. La grotte était ombragée d'une forêt d'aunes, de peupliers et de cyprès, où mille oiseaux de mer avaient leur retraite ; et elle était environnée d'une vigne chargée de raisins. Quatre fontaines roulaient leurs flots d'argent de quatre différents côtés, et formaient quatre grands canaux autour de prairies émaillées de toutes sortes de fleurs ; les Immortels mêmes n'auraient pu voir un si beau lieu sans l’admirer et sans sentir dans leur cœur une secrète joie: aussi Mercure en fut-il frappé. Quand il eut bien admiré tous les dehors, il entra dans la grotte. Dès que la déesse Calypso l'eut aperçu, elle le reconnut ; car un dieu n'est jamais inconnu à un autre dieu,  quoiqu'ils habitent  des  régions très-éloignées.    
 

La grotte de Calypso   Colin (1946)
 

Ulysse et Calypso   Berkmann (1943)