Le présage
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    La Valterie (1681)
   

Pendant cette contestation un prodige arriva, dont il y eut des interprétations bien differentes. Deux Aigles s'élevant au dessus d'une Montagne voisine, volerent quelque temps au milieu de l'air ; d'abord leurs aisles s'étendoient sans aucune agitation : mais lors qu'elles se surent approchées, elles les agitoient d'une manière extraordinaires ensuite sondant tout d’un coup dans l'Assemblée, & regardant fièrement tous les assistans, elles commencèrent à se battre & à voler dans toute la Ville, qui estoit effrayée de ce présage. Enfin après avoir répandu la terreur dans le cœur de tout le peuple, Jupiter qui les envoyoit, leur commanda de disparoître.

    Mais Halytherse, le plus habile de son temps dans les Augures, ne manqua pas d'être prié d'expliquer celuy-cy. Il ne fit point de difficulté d'en donner une interprétation peu favorable aux Amans de Pénélope, & de dire hautement que le sage Ulysse seroit bien-tost de retour à leur desavantage & leur ruïne infaillible ? qu'il y en auroit qui se repentiroient de n'avoir pas resisté aux injustes prétentions des Princes, que son explication estoit certaine, qu'ils pouvoient se souvenir qu'il avoit commencé vingt ans auparavant de les assurer du retour d'Ulysse, & qu'il leur avoit manqué que l'on ne passeroit pas l'année, sans que l'événement fut une preuve certaine de la vérité de ses prédictions.

     
 
Bareste (1843)   Leconte de Lisle (1867)

   Ainsi parle Télémaque. Tout à coup Jupiter, dont la  voix retentit au loin, fait voler deux aigles du sommet élevé de la montagne. 

 

  Pendant quelques instants ces oiseaux s'abandonnent au souffle des vents en se tenant l'un près de l'autre et en étendant leurs ailes ; mais dès qu'ils planent au-dessus de la bruyante assemblée, ils volent en cercle, agitent leurs ailes épaisses, et ils promènent leurs regards sur les têtes des prétendants comme pour leur prédire la mort. Ou les voit aussitôt se déchirer avec leurs serres la tête et le cou, et s'envoler à droite en traversant les palais et la ville des Ithaciens. Tous les assistants admirent les aigles qu'ils ont vus de leurs propres yeux, et méditent en leur âme sur ce qui doit s'accomplir. - Alors s'avance le fils de Mastor, le vénérable héros Halitherse, qui l'emporte sur tous ceux de son âge dans l'art de connaître les augures et de prédire l'avenir. Il prend la parole et dit avec sagesse :

    « Peuple d'Ithaque, écoute ce que je vais dire ; mais c'est surtout aux prétendants que je m'adresse, car un grand malheur les menace. Ulysse ne sera pas longtemps éloigné des siens. Déjà près de ces lieux, il médite la mort et le carnage de tous ses ennemis, et ce malheur causera la ruine de plusieurs d'entre nous qui habitons la belle ville d'Ithaque. Voyons maintenant comment nous réprimerons ces insensés. Qu'ils changent eux-mêmes de conduite, c'est le parti le plus sage. — Je ne suis pas, vous le savez, un prophète sans expérience, mais un savant augure. Tout s'est accompli comme je le prédis autrefois, lorsque les Argiens s'embarquèrent pour Ilion, et emmenèrent avec eux le prudent Ulysse. J'annonçai que ce héros souffrirait des maux sans nombre, qu'il perdrait ses compagnons, et qu'à la vingtième année, inconnu de tous, il reviendrait dans sa patrie. — C'est donc maintenant que toutes ces choses vont s'accomplir. »

 

 Tèlémakhos parla ainsi, et Zeus qui regarde au loin fit voler du haut sommet d’un mont deux aigles qui s'enlevèrent au souffle du vent, et, côte à côte, étendirent leurs ailes. Et quand ils furent parvenus au-dessus de l'agora bruyante, secouant leurs plumes épaisses, ils en couvrirent toutes les têtes, en signe de mort. Et, de leurs serres, se déchirant la tête et le cou, ils s'envolèrent sur la droite à travers les demeures et la ville des Ithakèsiens. Et ceux-ci, stupéfaits, voyant de leurs yeux ces aigles, cher­chaient dans leur esprit ce qu'ils présageaient. Et le vieux héros Halithersès Mastoride leur parla. Et il l'emportait sur ses égaux en âge pour expliquer les augures et les destinées. Et, très sage, il parla ainsi, au milieu de tous :

               -Écoutez maintenant, Ithakèsiens, ce que je vais dire. Ce signe s'adresse plus particulièrement aux Prétendants. Un grand danger est suspendu sur eux, car Odysseus ne restera pas longtemps encore loin de ses amis ; mais voici qu'il est quelque part près d'ici et qu'il prépare aux Prétendants la Kère et le carnage. Et il arrivera malheur à beaucoup parmi ceux qui habitent l'illustre Ithakè. Voyons donc, dès maintenant, comment nous éloignerons les Prétendants, à moins qu’ils se retirent d'eux-mêmes, et ceci leur serait plus salutaire. Je ne suis point, en effet, un divinateur inexpérimenté, mais bien instruit ; car je pense qu'elles vont s'accomplir les choses que j'ai prédites à Odysseus quand les Argiens partirent pour Ilios, et que le subtil Odysseus les commandait. Je dis qu'après avoir subi une foule de maux et perdu tous ses compagnons, il reviendrait dans sa demeure vers la vingtième année. Et voici que ces choses s'accomplissent.

 
 

Rochegrosse (1931)
Et quand ils furent parvenus au-dessus de l'agora bruyante, secouant leurs plumes épaisses, ils en couvrirent toutes les têtes, en signe de mort. Et, de leurs serres, se déchirant la tête et le cou, ils s'envolèrent sur la droite à travers les demeures et la ville des Ithakèsiens. (Leconte de Lisle)
 

 

Schmied (1933)   Benito (1941)
à coups d'aile pressés, et leurs regards, pointés sur les têtes de tous, semblaient darder la mort ; puis, se griffant la face et le col de leurs serres, (Bérard)
 
Bérard (1925)   Meunier (1943)

Télémaque parlait. Deux aigles, qu'envoyait le Zeus à la grand'voix, arrivaient en plongeant du haut de la montagne. D'abord, au fil du vent, ils allaient devant eux et, volant côte, à côte, planaient à grandes ailes. Mais bientôt, dominant les cris de l'agora, ils tournèrent sur place, à coups d'aile pressés, et leurs regards, pointés sur les têtes de tous, semblaient darder la mort ; puis, se griffant la face et le col de leurs serres, ils filèrent à droite, au-dessus des maisons et de la ville haute. Les yeux de tous suivaient le terrible présage. Les cœurs se demandaient quelle en serait la suite.

Alors pour leur parler, un héros se leva, le vieil Halithersès, un des fils de Mastor. Des hommes de son temps, nul n'était plus habile à savoir les oiseaux et prédire le sort. 

C'est pour le bien de tous qu'il prenait la parole :  

HALITHERSES. - Gens d'Ithaque, écoutez ! j'ai deux mots à vous dire. Mais c'est aux prétendants surtout que je m'adresse : sur eux, je vois venir la houle du désastre. Ce n'est, plus pour longtemps, sachez-le bien, qu'Ulysse est séparé des siens ; il est tout près déjà, plantant à cette bande et le meurtre et la mort, et bien d'autres encor pâtiront parmi nous, qui vivons aujourd'hui en cette aire d'Ithaque ... Pendant qu'il en est temps, songeons à les brider ! qu'ils se brident eux-mêmes ! dans leur propre intérêt, c'est le meilleur parti. Car je ne prédis pas en novice: voilà si longtemps que je sais!... C'est moi qui vous le dis : voici que tout arrive suivant ce que jadis je lui prédis, à lui, lorsque, les Argiens partant pour Ilion, il partit avec eux, cet Ulysse avisé ! Je lui prédis alors tous les maux à souffrir et tous ses gens à perdre, pour ne rentrer chez lui que la vingtième année et méconnu de tous. Aujourd'hui tout s'achève. 

 

 

Ainsi parla Télémaque. Pour lui alors, Zeus au vaste regard, du haut sommet d'un mont, fit envoler deux aigles. Tous deux d'abord, tant qu'ils volèrent avec les souffles du vent, déployaient leurs ailes l'un à côté de l'autre. Mais lorsqu'ils arrivèrent juste au milieu de l'assemblée bruyante, ils se mirent à tournoyer sur place, battant de grands coups d'aile ; leurs regards se pointaient sur les têtes de tous et dardaient un présage de mort. Se déchirant ensuite avec leurs serres et le col et les joues, ils s'élancèrent vers la droite, au-dessus des maisons et par-dessus la ville. Tous alors, dès l'instant que leurs yeux les eurent aperçus, furent par ces oiseaux frappés d'étonnement, et leur esprit s'enquit de ce qui allait s'accomplir. Un héros, le vieil Halithersès, fils de Mastor, prit alors la parole. De tous ceux de son âge, nul ne l'emportait sur lui dans l'art d'observer les oiseaux et d'annoncer les arrêts du Destin. Plein de bons sentiments, il leur parla et dit :

    — Écoutez, Ithaciens, écoutez maintenant ce que je vais vous dire. C'est aux prétendants que je veux surtout parler. Sur eux, en effet, un grand malheur est en train de rouler, car Ulysse ne sera plus longtemps séparé des siens. Déjà tout près d'ici, il plante pour tous ces misérables et le meurtre et la mort ; et, parmi nous qui habitons Ithaque qui s'aperçoit de loin, bien d'autres aussi en auront à souffrir. Songeons donc par avance à briser leur audace. Qu'ils la brisent eux-mêmes, car il en va d'abord de leur propre avantage. Je ne suis pas sans pratique de la divination ; j'en ai toute la science. J'affirme donc, en ce qui concerne Ulysse, que tout s'est accompli comme je l'annonçais, lorsque les Argiens s'embarquaient pour Ilion et qu'avec eux partait l'ingénieux Ulysse. Je disais qu'il aurait à souffrir une foule d'épreuves, qu'il perdrait tous ses compagnons et qu'au bout de vingt ans, il reviendrait au sein de son foyer. Et voici qu en ce jour tout vient de s'accomplir.»

 

Chagall (1974)