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Bitaubé (1764) |
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Gin (1884) |
Il
dit. Le roi des guerriers se soumet à ce avis : soudain il ordonne à ses
hérauts d'élever leurs voix éclatantes, et d'appeler les Grecs au combat. A
la voix des hérauts les Grecs s'assemblent avec précipitation. Les rois,
nourrissons de Jupiter, qui entouraient Atride, courent disposer l'ordre de la
bataille. Au milieu d'eux est Pallas à l'œil terrible ; Pallas, portant la
superbe égide toujours inaltérable, immortelle, d'où flottent cent longues
franges toutes d'or, toutes tissées avec art, dont chacune vaut une hécatombe.
Avec cette égide, elle parcourt d'un vol impétueux l'armée des Grecs, l'anime
à s'avancer, et réveille dans tous les cœurs une ardeur insatiable des
combats et des alarmes. A l'instant ils trouvent dans la guerre plus de douceur
que dans le retour au sein de leur chère patrie. Comme un feu dévorant qui
embrase une forêt immense au sommet d'une montagne, et dont la lumière
resplendit dans un vaste lointain : ainsi, pendant que les troupes
s'avançaient, l'éclat de l'airain allumé de toutes parts, s'élève à
travers les airs jusque aux cieux.
Tels
encore que des peuples d'oies sauvages, de grues et de cygnes au long cou,
fondent sur la prairie d'Asius, autour des eaux du Gaystre, voient ça et là en
battant des ailes, et se devancent les uns les autres avec des cris de joie,
dont retentit toute la prairie : tels ces peuples nombreux, se précipitant loin
des vaisseaux et des tentes, inondent la plaine où coule le Scamandre ; la
terre mugit d'un son épouvantable sous les pas des hommes et des chevaux. Ils
s'arrêtent dans la plaine arrosée et fleurie, aussi nombreux que les feuilles
et les fleurs du printemps ; ou comme des essaims d'insectes ailés qui volent
en bourdonnant autour d'une bergerie, lorsque le lait coule à grands flots dans
les vases : telle l'armée des Grecs était rassemblée dans la plaine contre
les Troyens , brûlant de les détruire.
Ainsi
que les bergers distinguent facilement leurs troupeaux confondus en foule dans
les pâturages, les chefs forment chacun leurs bataillons pour aller au combat.
Le grand Agamemnon est au milieu d'eux. Il a la tête et les regards de Jupiter
qui lance la foudre, la taille de Mars et la force indomptable de Neptune : tel
un taureau superbe s'élève au-dessus d'un immense troupeau, et domine sur les
génisses rassemblées autour de lui. C'est ainsi que Jupiter élève en ce jour
Atride, et le fait briller entre un grand nombre de héros.
Maintenant,
muses, qui habitez les palais de l'Olympe ; vous déesses, présentes à tout,
et à qui tout est connu; tandis que nous, plongés dans l'ignorance, nous
n'entendons que le bruit seul de la Renommée, dites-moi quels furent les
princes et les chefs des Grecs. Je ne pourrais décrire, nommer leur multitude,
eussé-je dix bouches, une voix infatigable et une poitrine d'airain ; mais si
les célestes muses, filles de Jupiter, me font connaître tous ceux qui vinrent
sous les murs d'Ilion, je chanterai ces chefs et la flotte entière.
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Il dit : Agamemnon ordonne aux hérauts d'appeller
les Grecs de leurs voix sonores. Ils obéissent
;
leurs cris se font entendre au loin ; les Grecs s'animent
l'un l'autre ; ils arrivent en foule ; les rois, enfants
de Jupiter, se rangent, suivant leur ordre, autour
du fils d'Atrée. Secouant son égide immortelle,
incorruptible, d'un prix infini, qu'environnent
cent franges d'or nouées avec art, dont chacune
est du prix de cent bœufs, la déesse aux yeux bleus,
Minerve, les accompagne. Remarquable par cette
brillante armure, la déesse vole de rang en rang,
enflamme le courage des Grecs, inspire à tous
l'ardeur du combat ; la guerre seule a maintenant des charmes à leurs yeux, ils la préfèrent au retour dans
leur patrie. Comme la splendeur du feu
s'étend dans une forêt embrasée au sommet des montagnes, ainsi l'airain étincelant qui brille sur le corps
des enfants de la Grece, dans cette marche rapide,
perce la nue, éclaire l'horizon. Semblables, à des bandes nombreuses
de canards, de grues, ou de
cygnes au long cou, qui volent çà et là, exprimant leur joie par
les mouvements de leurs ailes, et s'abattent sur les marais de l'Asie, près des ondes
du Caïstre ; le lac retentit de leurs cris : telles les
bandes de Grecs sortis de leurs tentes et de leurs
vaisseaux s'assemblent dans la plaine arrosée par
les ondes du Scamandre ; la terre gémit sous les pas des hommes
et des coursiers. Ils arrivent par milliers
dans les prairies verdoyantes et fleuries que baigne
le Scamandre : aussi nombreux que les feuilles
et les fleurs que l'aurore voit éclore dans le printemps
; aussi nombreux que les essaims des mouches qui se répandent
sous l'humble toit du pasteur, attirées par les sources de lait
qui coule en abondance dans les vases destinés à cet usage, quand le
soleil, ayant chassé les frimats, rajeunit la nature : tels les
Grecs, enflammés d'une ardeur martiale, se réunissent dans la plaine,
impatients de livrer aux Troyens un
sanglant combat. Comme les bergers séparent avec facilité les troupeaux confondus : ainsi
les chefs de l'armée des Grecs qui les guident au combat
divisent les nations, les tribus, les familles.
Le roi des rois, Agamemnon, paroît au milieu d'eux, semblable
par son regard, par sa tête auguste, au dieu qui lance la foudre ;
l'image du dieu Mars, par la majesté de son port ; l'image de Neptune,
par ses larges épaules, et sa vaste poitrine
: ainsi, au centre d'un immense troupeau, un taureau vigoureux efface les animaux qui l'environnent
par sa démarche noble et fiere, par la rapidité de
ses mouvements ; Jupiter a relevé en ce jour la majesté
du roi des rois par-dessus tous les héros de
la Grece.
Muses, qui habitez le palais de l'olympe, car le fils
de Saturne vous éleva au rang des déesses, vous savez
toutes choses ; ce que les mortels n'apprennent
que par la renommée, souvent trompeuse, vous
en êtes instruites : apprenez-moi, ô Muses, les noms des rois qui
commandoient l'armée des Grecs ; car je n'entreprends pas de
nommer chacun de ceux qui,
confondus dans la foule, combattirent
sous les murs de Troie. Quand j'aurois dix langues, dix bouches,
une poitrine d'airain, une voix infatigable, je n'y pourrois suffire : je me bornerai à nombrer
les vaisseaux, à nommer les chefs qui
les commandoient ; Muses, qui habitez l'olympe, daignez les rappeller à ma mémoire.
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Dubois
de Rochefort (1772) |
toute
l'Armée accourt à la voix
des Hérauts,
Le
Roi marche entouré de ses fiers Généraux.
Minerve
au milieu d'eux tient l'égide immortelle,
L'égide,
qui du tems brave la main cruelle,
Et
dont les franges d'or, embrassant son contour,
Disputent
par leurs feux à la clarté du jour.
La
Déesse l'agite ; une soudaine flamme
Luit
sur le front des Grecs & pénètre leur âme ;
Une
force inconnue entraîne les soldats,
Ils
ne respirent plus que vengeance & combats
Femmes,
Patrie, Enfans, tout fuit de leur mémoire ;
De
carnage altérés, ils courent à la gloire.
tel,
du milieu des bois dont les monts sont couverts,
Un
horrible incendie embrase au loin les airs ;
Tel,
du sein des Guerriers entourés de poussière,
L'airain
lançoit aux Cieux des faisceaux de lumière.
comme
, aux bords du Caïstre, un
nuage d'oiseaux,
Se
jouant sur la rive ou la face des eaux,
Volent,
& différens de forme & de plumages,
Font
de leurs cris aigus résonner les rivages :
Ainsi,
loin des vaisseaux, les Grecs de toutes parts,
Volent
vers le Scamandre en pelottons épars.
La
terre sous leurs pieds retentit & murmure.
jamais
sur son rivage émaillé de
verdure,
Le
Scamandre n'a vu plus de fleurs au printems,
Que
dans ce jour funeste il voit de combattans.
tels
d'insectes ailés les
essaims innombrables
Assiègent
du Berger les tranquilles étables,
Lorsqu'en
un jour d'été dans des vases profonds,
Le
lait de ses troupeaux s'épanche à gros bouillons.
Telle
vers les Troyens cette nombreuse armée
Précipitoit
ses pas, de meurtres affamée.
mais,
comme des Bergers retournant aux hameaux,
Séparent
dans les prés leurs immenses troupeaux,
Les
Généraux guidoient & rangeoient dans la plaine
Les
Grecs impatiens que la fureur entraîne.
atride,
au milieu d'eux, brûlant d'un feu nouveau,
S'avancoit,
à l'égal d'un, superbe taureau,
Qui
marche environné de son troupeau paisible.
Il
avoit du Dieu Mars la ceinture terrible,
Le
buste renommé du Souverain des mers,
La
tête & l'œil du Dieu qui lance les éclairs.
O
muses qui régnez dans le céleste
Empire,
Dites
ce qu'aux mortels vous seules pouvez dire ;
Chastes
Divinités, à qui dans l'Univers
Tous
les tems, tous les lieux sont à la fois ouverts,
La
seule Renommée & m'inspire & me guide.
Comment
pourrait ma voix incertaine & timide,
A
tant de Chefs fameux, à tant de Nations,
Appliquer,
sans erreur, leurs véritables noms
Quand
d'une voix d'airain, rivale du tonnerre,
Ma
langue infatigable ébranlerait la terre,
Je
ne pourrais chanter, sans vos divins accords,
Les
vaisseaux & les Rois assemblés sur ces bords.
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Bareste (1843) |
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Leconte de Lisle
(1867) |
Ainsi parle Nestor. Agamemnon, docile à ce conseil, ordonne aux
hérauts à la voix
sonore d'appeler au combat les
Grecs à la longue chevelure
: les voix retentissent
et les enfants de Danaüs se rassemblent
aussitôt. Les rois issus de Jupiter quittent le fils d'Atrée
et courent ranger les soldats en bataille ; près d'eux se tient Minerve
aux yeux brillants portant la superbe égide,
immortelle
et incorruptible, à laquelle sont suspendues cent franges d'or pur,
merveilleusement tissés, et chacune du prix de cent bœufs. Munie
de cette égide, elle s'élance avec impétuosité, parcourt les bataillons des Grecs, les excite à marcher et réveille dans le
cœur du peuple l'amour de la guerre et l'ardeur des combats.
Maintenant le carnage leur semble plus doux que le retour aux rivages
bien-aimés de la patrie, sur leurs creux navires.
Comme
un feu dévorant embrase une forêt spacieuse sur le sommet d’une
montagne et répand au loin une vive lumière : ainsi dans leur
marche le resplendissant éclat de l’airain merveilleux étincelle
de toutes parts et s’élève jusqu’au ciel - Comme de nombreuses légions
d'oiseaux ailés, de grues ou d'oies sauvages, ou de
cygnes au long col, volent ça et là dans les prairies d'Asius sur
les ondes du Caystre, agitant leurs ailes,
et se devançant les uns
les autres en poussant des cris aigus qui retentissent dans les
campagnes : ainsi de nombreux bataillons sortent des vaisseaux et
des tentes, se répandent dans les plaines du Scamandre ; et sous
les pieds des guerriers et des chevaux la terre rend un son terrible. Ils s'arrêtent sur les rives émaillées du fleuve, et ils
sont aussi nombreux que les
feuilles et les fleurs qui naissent au printemps.
Comme d'abondants essaims de mouches errent sans cesse dans l'étable
du berger, au retour de la saison nouvelle, lorsque les vases sont inondés de lait : ainsi les innombrables Grecs à la longue chevelure
se tiennent dans la plaine et brûlent de marcher contre les
Troyens.
De même que les pasteurs distinguent sans peine leurs immenses
troupeaux,
de chèvre confondus dans les pâturages : ainsi chaque chef
met en ordre les guerriers pour les mener au combat. Parmi eux
on reconnaît le puissant Agamemnon qui possède les traits et le
regard du foudroyant Jupiter, l'armure de Mars et la force de Neptune.
— Comme dans un troupeau le bœuf qui l'emporte par sa
supériorité est toujours un taureau, car il domine les génisses rassemblées
autour de lui : tel,
en ce jour,
Jupiter fait briller Atride au milieu
des guerriers, et le rend supérieur à tous les héros.
Dites-moi maintenant, ô Muses de l'Olympe (vous,
déesses, qui
êtes toujours présentes, qui connaissez toutes choses, tandis que
nous ne savons rien, nous, et
n'entendons que le bruit de la gloire),
dites-moi quels furent les chefs
et les princes des Danaens. Je ne parlerai pas de la multitude ; je ne pourrai même la
nommer quand j'aurais dix langues, dix
bouches, une voix infatigable et
une poitrine d'airain,
à moins cependant que les célestes
Muses, filles du dieu qui tient l'égide, ne me rappelassent tous
ceux qui vinrent sous les murs d'Ilion. Je dirai seulement quels entaient
les chefs et le nombre des vaisseaux.
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Il parla ainsi, et le Roi des hommes, Agamemnôn, obéit, et il ordonna aux
hérauts à la voix éclatante d'appeler au combat les Akhaiens chevelus. Et,
autour de l’Atréiôn, les Rois divins couraient ça et là, rangeant
l'armée. Et, au milieu d'eux, Athènè aux yeux clairs portait l'Aigide
glorieuse, impérissable et immortelle. Et cent franges d'or bien tissées,
chacune du prix de cent bœufs, y étaient suspendues. Avec cette Aigide, elle
allait ardemment à travers l'armée des Akhaiens, poussant chacun en avant, lui
mettant la force et le courage au cœur, afin qu'il guerroyât et combattît
sans relâche. Et aussitôt il leur semblait plus doux
combattre que de retourner sur leurs nefs creuses vers la chère terre
natale. Comme un feu ardent qui brûle une grande forêt au faîte d'une
montagne, et dont la lumière resplendit au loin, de même s'allumait dans
l'Ouranos l'airain étincelant des hommes qui marchaient.
Comme
les multitudes ailées des oies, des grues ou des cygnes au long cou, dans les
prairies d'Asios, sur les bords du Kaystros, volent ça et là, agitant leurs
ailes joyeuses, et se devançant les uns les autres avec des cris dont la
prairie résonne, de même les innombrables tribus Akhaiennes roulaient en
torrents dans la plaine du Skamandros, loin des nefs et des tentes ; et, sous
leurs pieds et ceux des chevaux, la terre mugissait terriblement. Et ils
s'arrêtèrent dans la plaine fleurie du Skamandros, par milliers, tels que les
feuilles et les fleurs du printemps. Aussi nombreux que les tourbillons infinis
de mouches qui bourdonnent autour de l’étable, dans la saison printanière,
quand le lait abondant blanchit les vases, les Akhaiens chevelus s'arrêtaient
dans la plaine en face des Troiens, et désirant les détruire.
Comme
les bergers reconnaissent aisément leurs immenses troupeaux de chèvres
confondus dans les pâturages ainsi
les chefs rangeaient leurs hommes. Et le grand roi Agamemnôn était au milieu
d'eux, semblable par les yeux et la tête à Zeus qui se réjouit de la foudre,
par la stature à Arès, et par l'ampleur de la poitrine à Poseidaôn. Comme
un taureau l'emporte sur le reste du troupeau et s'élève au-dessus des
génisses qui l'environnent, de même Zeus, en ce jour, faisait resplendir
l'Atréide entre d'innombrables héros.
Et
maintenant. Muses, qui habitez les demeures Olympiennes, vous qui êtes Déesses
et présentes à tout, et qui savez toutes choses, tandis que nous ne savons
rien et n'entendons seulement qu'un bruit de gloire, dites les Rois et les
princes des Danaens. Car je ne pourrais nommer ni décrire la multitude, même
ayant dix langues, dix bouches, une voix infatigable et une poitrine d'airain,
si les Muses Olympiades, filles de Zeus tempétueux, ne me rappellent ceux qui
vinrent sous Ilios. Je dirai donc les chefs et toutes les nefs.
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