Le sonde d'Agamemnon
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Salel (1545)

 

Es Dieux haultains, & les hommes aussi,

Toute la nuict dormirent sans soucy.

Iupiter seul, records de la promesse

Qui avoit faict à Thetis la Déesse

Fut sans repos, ne cessant de penser

Quelque moyen, pour Achillés haulser

En grand honneur & mouvoir quelque noise,

Au grief danger de l'armée Gregeoise.

 

    Si feit venir vers soy le Dieu des songes  

Pernicieux, & porteur de mensonges :

Auquel il dict :  Songe malicieux

Laisse soudain le manoir des haultz cieux

Et t'en descends promptement au navire

D'Agamemnon, auquel tu pourras dire

Que de par moy bien expres luy commandes,

Qui face armer toutes les Grecques bandes.

Car à present convient que son emprise

Soit achevée, & que Troye soit prise :

Veu que les dieux divisez & partiz

(Quand à ce poinct) ores sont convertiz,

Persuadez de Iuno, qui souhaite

De veoir en brief ceste Cité deffaicte.

 

    Le Dieu du songe (oyant le mandement

De Iupiter) partit diligernment,

Et vint trouver Agamemnon, surpris

De doux sommeil, recreant ses espritz,

De luy s'approche : & se rendant semblable

Au bon Nestor le vieillard honorable,

Luy dist ainsy : Filz d'Atreus vaillant,

Dors tu icy ? ou si tu es veillant ?

Pas n'est raison qu'un Prince ayant la charge

De tant de gens, d'oysiveté se charge,

Car le soucy luy doit donner matiere,

De ne dormir ainsy la nuict entiere.

Or entens donc ce que Iupiter veult,

Qui tant t'honore, & de ton mal se deult,

Il te commande, & veult que tu ne failles,

Demain matin à renger tes batailles :

Car c'est le iour que la Cité de Troye,

Sera des Grecs entierement la proye.

Les dieux ne sont ores plus discordans

Pour cest effect, ains à mesme tendans :

Voulans complaire à Iuno l'embrasée,

De grand ardeur de veoir Troye rasée :

A quoy aussi Iupiter s'est rengé,

Se cognoissant des Troyens outragé.

Or garde toy, & feras comme sage,

A ton resveil d'oublier mon message.

 

 

Dubois de Rochefort (1766)

Tandis que le sommeil enchaînoit l'univers,

Les yeux du Dieu suprême étoient encore ouverts.

Occupé d'un projet dont le succès facile,

En immolant les Grecs, puisse honorer Achille,

Sa profonde sagesse au fier Agamemnon

Va d'un songe trompeur offrir l'illusion.

» Songe imposteur, dit-il, descends d'un vol rapide ;

» Vers les vaisseaux des Grecs, vers les tentes d'Atride ;

» De mon ordre suprême instruis ce Roi des Rois :

» Dis lui d'armer les Grecs qui marchent sous ses lois.

» La ville de Priam sera bientôt conquise ;

» Déjà, pour seconder cette grande entreprise,

» Junon a réuni les vœux des Immortels ;

» Et la mort va frapper les Troyens criminels.

 

aussitôt , de la nuit perçant l'ombre sacrée,

Le Songe vole au camp du vaillant fils d'Atrée

Il y trouve partout le sommeil & la paix.

Il revêt de Nestor le maintien & les traits,

Approche du Monarque, & planant sur sa tête :

 
Flaxman (1793)
 

 Le songe par Benito ( 1939) Le songe par Chirico (1968)
 

Bitaubé (1810)

Dugas Montbel (1828)

Les dieux et les guerriers étaient plongés dans un profond repos : Jupiter seul ne cédait point aux douceurs du sommeil ; il songeait aux moyens d’honorer Achille, et de perdre une foule de Grecs auprès de leurs vaisseaux.

Il s’arrête au dessein d’envoyer vers le fils d’Atrée un Songe séducteur ; et l’appelant aussitôt, il lui donne rapidement cet ordre : Va, Songe séducteur ; vole aux vaisseaux des Grecs, et entrant dans la tente du fils d’Atrée, rapporte-lui fidèlement ces paroles : Hâte-toi d’armer les Grecs valeureux et de les ranger tous en bataille ; tu t’empareras maintenant des vastes murs d’Ilion : les habitans immortels des palais de l’Olympe ne sont plus partagés entre eux ; Junon a su les fléchir tous par ses prières : de grands malheurs menacent Troie.

Il dit. Après avoir entendu cet ordre, le Songe part, arrive d’un vol rapide aux vaisseaux des Grecs, et se rend auprès d’Agamemnon, qu’il trouve endormi dans sa tente. Le sommeil plus doux que l’ambroisie l’environnait. Le Songe se penche sur la tête du roi sous les traits de Nestor, fils de Nélée ; de tous les vieillards, il était le plus honoré d’Agamemnon. Sous ces traits, le Songe divin prenant la parole :

Tu dors, dit-il, fils de l’intrépide et du belliqueux Atrée ! Un chef auquel les peuples ont été confiés, et qui s’occupe de soins si importans, ne doit point languir la nuit entière dans le repos. Prête l’oreille à ma voix ; je suis envoyé par Jupiter, qui, tout éloigné qu’il soit de toi, s’intéresse à ton sort et compatit à tes peines. Arme aussitôt, dit-il, les Grecs valeureux, et range-les tous en bataille ; tu t‘empareras maintenant des vastes murs d’Ilion : les habitans immortels des palais de l’Olympe ne sont plus partagés entre eux ; Junon a su les fléchir tous par ses prières : des grands malheurs menacent Troie par la volonté de Jupiter. Toi, retiens cet ordre, et garde-toi de le mettre en oubli quand le doux sommeil aura quitté ta paupière.

 

Les dieux et les guerriers, durant toute la nuit, se livraient au repos ; Jupiter seul ne goûtait point le doux sommeil : il s'agitât en son sein comment il honorerait Achille et ferait périr un grand nombre de Grecs près de leurs navires. Le dessein qui, dans sa pensée, lui semble préférable est d'envoyer au fils d'Atrée un songe trompeur. Il l'appelle, et lui adresse ces paroles :

     « Va, Songe trompeur, vers la flotte des Grecs ; pénètre dans la tente d'Agamemnon, et rapporte-lui fidèlement les ordres que je te confie : dis-lui d'armer à l'instant tous les Grecs ; dis-lui qu'aujourd'hui même il s'emparera de la superbe ville d'Ilion ; que les immortels habitants Je l'Olympe ne sont plus d'avis différents, que Junon suppliante les a tous persuadés ; et que de grands malheurs menacent les Troyens. »

     Il dit : le Songe s'envole, après avoir entendu cet ordre. Bientôt atteint les rapides vaisseaux, et se rend prés du fils d'Atrée. Il le trouve couché dans sa tente, plongé dans les douces vapeurs du sommeil ; il se place sur la tête d'Agamemnon, et, prenant les traits de Nestor, celui de tous les chefs qu'honorait le plus Atride, le Songe divin parle en ces mots :

     « Tu dors, fils du vaillant et belliqueux Atrée ! Il ne faut pas qu'il se livre toute la nuit au sommeil, le héros prudent à qui sont confiés les peuples et de si grands intérêts. Prête-moi maintenant une oreille attentive. Je suis envoyé par Jupiter, qui, quoique éloigné, s'occupe et prend pitié de toi. Il t'ordonne d'armer à l'instant tous les Grecs : aujourd'hui tu dois t'emparer de la superbe ville d'Ilion ; les immortels habitants de l'Olympe ne sont plus d'avis différents, Junon suppliante les a tous séduits ; et les Troyens sont menacés de grands maux par Jupiter. Renferme ces paroles dans ton sein, et crains de les oublier lorsque le doux sommeil t'abandonnera. »

 

Bareste (1843) Leconte de Lisle (1867)

es autres dieux et les guerriers qui combattent à cheval dormirent toute la nuit : Jupiter seul ne goûta point les douceurs du sommeil. Il méditait dans son âme comment il honorerait Achille, et ferait périr sur leurs vaisseaux les nombreux Achéens. Le dessein qui, dans son esprit, lui semble préférable est d'envoyer à Agamemnon, fils d'Atrée, le pernicieux Onirus. Il appelle ce songe,  et lui adresse ces rapides paroles :

    « Va, cours, pernicieux Onirus, vers les navires légers des Achéens. Pénètre dans la tente d'Agamemnon, et rapporte-lui fidèlement ce que je t'ordonne. Commande qu'il arme à l'instant tous les Grecs à la longue chevelure, et il s'emparera aujourd'hui même de la ville des Troyens, d'Ilion aux larges rues. Dis-lui que les immortels habitants de l'Olympe ne sont plus partagés entre eux, que Junon suppliante a su les fléchir, et que de grands malheurs menacent leurs ennemis. »

    Il dit. Onirus s’envole après avoir entendu cet ordre. Il atteint  bientôt les navires rapides des  Grecs, se rend auprès d'Agamemnon, et le trouve couché dans sa tente : un sommeil doux comme l'ambroisie l'environnait de toutes parts. Onirus se tient au-dessus de sa tête ; et, prenant les traits de Nestor, fils de Nélée, celui de tous les anciens des Grecs qu'honorait le plus Agamemnon, il lui adresse ainsi la parole :

 

« Tu dors, fils du belliqueux Atrée, dompteur de coursiers ! Cependant il ne faut pas qu'il se livre toute la nuit au sommeil le chef prudent à qui sont confiés les peuples et de si grands intérêts. Prête-moi donc une oreille attentive : Je suis envoyé près de toi par Jupiter, qui, quoique éloigné, s'intéresse à ton sort et compatit à tes peines. Il t'ordonne d'armer à l'instant tous les Grecs à la longue chevelure, afin que tu t'empares aujourd'hui même de la ville des Troyens, d'Ilion aux larges rues. Les immortels habitants de l'Olympe ne sont plus partagés entre eux : Junon suppliante a su les fléchir, et de grands malheurs sont réservés à tes ennemis par Jupiter. Mais toi, retiens bien ces paroles : crains de les oublier lorsque le doux sommeil t'abandonnera. »

 
   Les Dieux et les cavaliers armés de casques dormaient tous dans la nuit ; mais le profond sommeil ne saisissait point Zeus, et il cherchait dans son esprit comment il honorerait Akhilleus et tuerait une foule d'hommes auprès des nefs des Akhaiens. Et ce dessein lui parut le meilleur,  dans son esprit, d'envoyer un Songe menteur à l'Atréide Agamemnôn. Et, l'ayant appelé, il lui dit ces paroles ailées :

   — Va, Songe menteur, vers les nefs rapides des Akhaiens. Entre dans la tente de l’Atréide Agamemnôn et porte-lui très-fidèlement mon ordre. Qu'il arme la foule des Akhaiens chevelus, car voici qu'il va s'emparer de la ville aux larges rues des Troiens. Les Immortels qui habitent les demeures Olympiennes ne sont plus divisés, car Hèrè les a tous fléchis par ses supplications, et les calamités sont suspendues sur les Troiens.

    Il parla ainsi,  et,  l'ayant entendu,  le Songe partit. Et il parvint aussitôt aux nefs rapides des Akhaiens, et il  s'ap-procha  de  l'Atréide  Agamemnôn  qui  dormait sous sa tente et qu'un sommeil ambroisien enveloppait. Et il se tint auprès de la tête du Roi, Et il était semblable au Nèlèiôn Nestor, qui, de tous les vieillards, était le plus honoré d'Agamemnôn. Et, sous cette forme, le Songe divin parla ainsi :

    Tu dors, fils du brave Atreus dompteur de chevaux ? Il ne faut pas qu'un homme sage à qui les peuples ont été confiés,  et qui a tant de soucis dans l'esprit, dorme toute la nuit. Et maintenant, écoute-moi sans tarder, car je te suis envoyé par Zeus qui, de loin, s'inquiète de toi et te prend en pitié. Il t'ordonne d'armer la foule des Akhaiens chevelus, car voici que tu vas t'emparer de la ville aux larges rues des Troiens. Les Immortels qui habitent les demeures Olympiennes ne sont plus divisés, car Hèrè les a tous fléchis par ses supplications, et les calamités sont suspendues sûr les Troiens. Garde ces paroles dans ton esprit et n'oublie rien quand le doux sommeil t'aura quitté.

 
Bignan (1853) Thouron (1870)

    Les Dieux et les guerriers durant la nuit entière

 Dormaient ; au doux sommeil refusant sa paupière,

 Jupiter méditait, en consultant le sort,

 Pour Achille la gloire, et pour les Grecs la mort.

 Le parti qu'à son âme inspire la sagesse,

 C'est d'envoyer un Songe au maître de la Grèce.

 Quand ce Songe trompeur, appelé près de lui,

 Paraît, ces mots ailés de ses lèvres ont fui :

  « Éloigne-toi, va, cours, ô fantôme perfide !

 Vers la flotte des Grecs, dans la tente d'Atride ;

 Porte-lui mon message, et, pour remplir mes vœux,

 Ordonne-lui d'armer les Grecs aux longs cheveux ;

 Sous ses puissantes lois leurs troupes accourues

 Entreront aujourd'hui dans Troie aux larges rues.

 Junon des Dieux rivaux a fléchi le courroux,

 Et sur tous les Troyens la mort étend ses coups. »

 Il a parlé. Le Songe, à cet ordre docile,

 Près des légers vaisseaux descend d'un pas agile,

 Et parvient dans la tente où sur le roi d'Argos

 Les vapeurs du sommeil versaient un doux repos.

 Là, semblable à Nestor, ce conseiller sévère,

 Que parmi tous les chefs Agamemnon révère,

 Le messager divin, sur sa tête penché,

 Au sommeil par ces mots l'a soudain arraché :

 

     

Les dieux et les mortels durant la nuit entière,

Livrés au doux sommeil avaient clos la paupière,

Jupiter seul veillait, méditant les moyens

Par lesquels il fera triompher les Troyens ;

Tandis que le repos d'Atride se prolonge ;

Il fait vers lui partir un pernicieux Songe :

« Hâte-toi, lui dit-il, va, Songe séducteur,

D'Atride clans son camp va maîtriser le cœur,

Porte-lui sans retard l'ordre que je lui donne.

Qu'il arme ses guerriers ; dis-lui que je l'ordonne.

Apprends-lui que les Dieux ne sont plus divisés,

Que Junon pour les Grecs les a bien disposés,

Et que de Troie enfin la chute est imminente. »

 

Il dit ; le Songe part, il arrive à la tente

Où dort Agamemnon, se place à son chevet,

Et de Nestor il prend les traits et s'en revêt,

Afin de n'inspirer aucune défiance :

 

 
Lagrandville (1871) Meunier(1943)

   La nuit couvrait de son voile et les dieux et les hommes, et le sommeil répandait sur eux le suc de ses pavots. Jupiter seul veillait. Il songeait au moyen de venger Achille et de perdre une foule de Grecs près de leurs vaisseaux. Enfin il se décide à faire venir un songe.

   « Songe pernicieux, dit-il, va jusqu'aux vaisseaux des Grecs, et porte ces paroles au fils d'Atrée : « Arme en toute hâte les Achéens, la ville de Troie tombera sous tes coups. La dissension ne règne plus dans l'Olympe, les prières de Junon ont touché les dieux immortels, le deuil et les larmes seront le partage des Troyens. »

   Aussitôt le songe se transporte à l'armée des Grecs, et trouve Agamemnon reposant doucement dans sa tente.

   Sous la forme du fils de Nélée, Nestor, le plus respecté de tous les Grecs, il se met auprès de son chevet et lui dit : « Tu dors, fils d'Atrée ; il ne convient pas que le chef de tant de peuples qu'il doit diriger par sa prudence se livre toute la nuit au sommeil. Jupiter, qui m'envoie, a pitié des maux que tu souffres. Arme en toute hâte les Achéens, et aujourd'hui tu triompheras des Troyens et de leur ville : telle est la volonté des dieux, qui se sont réunis à la prière de Junon pour décider ensemble de l'entière ruine de Troie ; ce que Jupiter approuve. Sois donc mémoratif des avis que je te donne. »

 

Les autres dieux et les hommes qui combattent sur char dormirent toute la nuit. Mais le sommeil invincible ne possédait point Zeus. Il s'inquiétait en son âme des moyens d'honorer Achille, et de faire périr auprès de leurs vaisseaux grand nombre d’Achéens. Et ce fut cette résolution qui lui parut la meilleure en son cœur : dépêcher vers Agamemnon l'Atride, le Songe pernicieux. Après l'avoir appelé, il lui adressa donc ces paroles ailées:

    — Pars et rends-toi, Songe pernicieux, vers les agiles vaisseaux des Achéens. Entre dans la tente d’Agamemnon l'Atride, et rapporte-lui, très exactement, tout ce que je veux. Ordonne-lui a armer en masse les Achéens aux têtes chevelues, car il pourrait maintenant s'emparer de la ville aux larges rues des Troyens. Les Immortels qui habitent les demeures de l’Olympe ne sont plus de sentiments divisés. Héra, les suppliant, les a tous fléchis et, sur les Troyens, des deuils sont imminents. »

    Ainsi parla-t-il, et le Songe partit aussitôt qu'il eut entendu le message. Promptement, il atteignit les agiles vaisseaux des Achéens, et se rendit auprès d'Agamemnon l'Atride. Il le trouva endormi sous sa tente. L'ambrosiaque sommeil l'enveloppait de partout. Il s'arrêta au-dessus de sa tête, semblable à Nestor fils de Nélée, qu'Agamemnon, entre tous les Anciens, honorait le plus. Or donc, sous les traits de Nestor, le Songe divin lui adressa la parole :